Tout Orgueil fume-t-il du soir, Torche dans un branle étouffée Sans que l'immortelle bouffée Ne puisse à l'abandon surseoir!
La chambre ancienne de l'hoir De maint riche mais chu trophée Ne serait pas même chauffée S'il survenait par le couloir.
Affres du passé nécessaires Agrippant comme avec des serres Le sépulcre de désaveu,
Sous un marbre lourd qu'elle isole Ne s'allume pas d'autre feu Que la fulgurante console.
Nombre de messages : 2046 Âge : 31 Localisation : Paris Date d'inscription : 11/11/2007
petit tiret/ Crime et boniment Mer 19 Nov 2008 - 21:10
Les stalactites de Sully Prudhomme
J'aime les grottes où la torche Ensanglante une épaisse nuit, Où l'écho fait, de porche en porche, Un grand soupir du moindre bruit.
Les stalactites à la voûte Pendent en pleurs pétrifiés Dont l'humidité, goutte à goutte, Tombe lentement à mes pieds.
Il me semble qu'en ces ténèbres Règne une douloureuse paix ; Et devant ces longs pleurs funèbres Suspendus sans sécher jamais,
Je pense aux âmes affligées Où dorment d'anciennes amours : Toutes les larmes sont figées, Quelque chose y pleure toujours.
Nombre de messages : 3643 Âge : 32 Date d'inscription : 22/06/2009
Insane./ Avant, j'avais un rang. Mais c'était avant. Lun 2 Nov 2009 - 3:47
Allégeance Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?
René Char
Nombre de messages : 695 Âge : 30 Localisation : Dans le coltar Pensée du jour : Vide... Date d'inscription : 08/01/2009
Charles/ Hé ! Makarénine Lun 2 Nov 2009 - 11:33
Demain, dés l'aube, de Victor Hugo
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Nombre de messages : 5732 Âge : 35 Localisation : Oxfordshire Pensée du jour : Oui, je connais cette théorie. Date d'inscription : 23/12/2007
Tim/ Morceau de musique survitaminé Lun 2 Nov 2009 - 13:09
(Non, promis, ce n'est pas pour me faire de la pub, mais je signale à Charles que j'ai écrit une nouvelle basée sur ce poème, postée ici-même!)
Invité/ Invité Jeu 12 Nov 2009 - 17:07
Les plus beaux poèmes c'est les miens.
@+
Nombre de messages : 3643 Âge : 32 Date d'inscription : 22/06/2009
Insane./ Avant, j'avais un rang. Mais c'était avant. Jeu 12 Nov 2009 - 20:56
MA VIE
Tu t'en vas sans moi, ma vie. Tu roules. Et moi j'attends encore de faire un pas. Tu portes ailleurs la bataille. Tu me désertes ainsi. Je ne t'ai jamais suivie. Je ne vois pas clair dans tes offres. Le petit peu que je veux, jamais tu ne l'apportes. A cause de ce manque, j'aspire à tant. À tant de choses, à presque l'infini... À cause de ce peu qui manque, que jamais n'apportes.
(Edit Nox : Henri Michaux)
Nombre de messages : 475 Âge : 35 Pensée du jour : Sauvez un arbre, brûlez un livre. Date d'inscription : 29/07/2008
William Wilson/ Pour qui sonne Lestat Dim 15 Nov 2009 - 19:25
J'approuve Tiret, qui a posté, le jour de mon anniversaire, les Djinns de Victor Hugo, qui est d'une beauté et d'une maitrise incroyable.
Nombre de messages : 562 Âge : 33 Localisation : Lalal'arbre est dans ses feuilles, Marilonville, Maryland. Pensée du jour : Tsk, tsk. Date d'inscription : 20/03/2009
La Branche de Gui/ Gloire de son pair Mar 17 Nov 2009 - 23:42
Speak White de Michèle Lalonde
(Je mets un clip parce que je pense que ce texte a beaucoup plus de puissance s'il est écouté. Ça va avec le sujet...)
Je poste aussi le texte pour ceux qui préfèrent ce format ou qui veulent suivre en écoutant :
Speak white il est si beau de vous entendre parler de Paradise Lost ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare
nous sommes un peuple inculte et bègue mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats
speak white et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse que les chants rauques de nos ancêtres et le chagrin de Nelligan
speak white parlez de choses et d’autres parlez-nous de la Grande Charte ou du monument à Lincoln du charme gris de la Tamise de l’eau rose du Potomac parlez-nous de vos traditions nous sommes un peuple peu brillant mais fort capable d’apprécier toute l’importance des crumpets ou du Boston Tea Party mais quand vous really speak white quand vous get down to brass tacks
pour parler du gracious living et parler du standard de vie et de la Grande Société un peu plus fort alors speak white haussez vos voix de contremaîtres nous sommes un peu durs d’oreille nous vivons trop près des machines et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils
speak white and loud qu’on vous entende de Saint-Henri à Saint-Domingue oui quelle admirable langue pour embaucher donner des ordres fixer l’heure de la mort à l’ouvrage et de la pause qui rafraîchit et ravigote le dollar
speak white tell us that God is a great big shot and that we’re paid to trust him speak white parlez-nous production profits et pourcentages speak white c’est une langue riche pour acheter mais pour se vendre mais pour se vendre à perte d’âme mais pour se vendre
ah ! speak white big deal mais pour vous dire l’éternité d’un jour de grève pour raconter une vie de peuple-concierge mais pour rentrer chez nous le soir à l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui chaque jour de nos vies à l’est de vos empires rien ne vaut une langue à jurons notre parlure pas très propre tachée de cambouis et d’huile
speak white soyez à l’aise dans vos mots nous sommes un peuple rancunier mais ne reprochons à personne d’avoir le monopole de la correction de langage
dans la langue douce de Shakespeare avec l’accent de Longfellow parlez un français pur et atrocement blanc comme au Viet-Nam au Congo parlez un allemand impeccable une étoile jaune entre les dents parlez russe parlez rappel à l’ordre parlez répression speak white c’est une langue universelle nous sommes nés pour la comprendre avec ses mots lacrymogènes avec ses mots matraques
speak white tell us again about Freedom and Democracy nous savons que liberté est un mot noir comme la misère est nègre et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger
ou de Little Rock
speak white de Westminster à Washington relayez-vous speak white comme à Wall Street white comme à Watts be civilized et comprenez notre parler de circonstance quand vous nous demandez poliment how do you do et nous entendez vous répondre we’re doing all right we’re doing fine we are not alone
nous savons que nous ne sommes pas seuls.
Nombre de messages : 3363 Âge : 32 Date d'inscription : 31/10/2008
La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend, Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai ! Steamer balançant ta mâture Lève l’ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots… Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Nombre de messages : 3643 Âge : 32 Date d'inscription : 22/06/2009
Insane./ Avant, j'avais un rang. Mais c'était avant. Sam 20 Fév 2010 - 15:32
De Verlaine :
Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville ; Quelle est cette langueur Qui pénètre mon coeur ?
Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits ! Pour un coeur qui s'ennuie, Ô le chant de la pluie !
Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure. Quoi ! nulle trahison ?... Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peine De ne savoir pourquoi Sans amour et sans haine Mon coeur a tant de peine !
Dernière édition par Insane. le Dim 21 Fév 2010 - 15:10, édité 1 fois
Nombre de messages : 3643 Âge : 32 Date d'inscription : 22/06/2009
Insane./ Avant, j'avais un rang. Mais c'était avant. Dim 21 Fév 2010 - 15:08
De Verlaine :
Les Sages d'autrefois, qui valaient bien ceux-ci, Crurent, et c'est un point encor mal éclairci, Lire au ciel les bonheurs ainsi que les désastres, Et que chaque âme était liée à l'un des astres. (On a beaucoup raillé, sans penser que souvent Le rire est ridicule autant que décevant, Cette explication du mystère nocturne.) Or ceux-là qui sont nés sous le signe SATURNE, Fauve planète, chère aux nécromanciens, Ont entre tous, d'après les grimoires anciens, Bonne part de malheur et bonne part de bile. L'Imagination, inquiète et débile, Vient rendre nul en eux l'effort de la Raison. Dans leurs veines le sang, subtil comme un poison, Brûlant comme une lave, et rare, coule et roule En grésillant leur triste Idéal qui s'écroule. Tels les Saturniens doivent souffrir et tels Mourir, — en admettant que nous soyons mortels, — Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne Par la logique d'une Influence maligne.
Invité/ Invité Mar 23 Fév 2010 - 9:59
La Rose et le Réséda de Louis Aragon.
Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous deux adoraient la belle Prisonnière des soldats Lequel montait à l'échelle Et lequel guettait en bas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Qu'importe comment s'appelle Cette clarté sur leur pas Que l'un fut de la chapelle Et l'autre s'y dérobât Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Tous les deux étaient fidèles Des lèvres du coeur des bras Et tous les deux disaient qu'elle Vive et qui vivra verra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Quand les blés sont sous la grêle Fou qui fait le délicat Fou qui songe à ses querelles Au coeur du commun combat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Du haut de la citadelle La sentinelle tira Par deux fois et l'un chancelle L'autre tombe qui mourra Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Ils sont en prison Lequel A le plus triste grabat Lequel plus que l'autre gèle Lequel préfère les rats Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Un rebelle est un rebelle Deux sanglots font un seul glas Et quand vient l'aube cruelle Passent de vie à trépas Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Répétant le nom de celle Qu'aucun des deux ne trompa Et leur sang rouge ruisselle Même couleur même éclat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas Il coule il coule il se mêle À la terre qu'il aima Pour qu'à la saison nouvelle Mûrisse un raisin muscat Celui qui croyait au ciel Celui qui n'y croyait pas L'un court et l'autre a des ailes De Bretagne ou du Jura Et framboise ou mirabelle Le grillon rechantera Dites flûte ou violoncelle Le double amour qui brûla L'alouette et l'hirondelle La rose et le réséda
Superbe poème, qui est un hommage aux fusillés de la Seconde Guerre, dont Gabriel Péri et Guy Mocquet.
Nombre de messages : 3643 Âge : 32 Date d'inscription : 22/06/2009
Insane./ Avant, j'avais un rang. Mais c'était avant. Mar 23 Fév 2010 - 19:02
Aragon, très bon choix !
De Nerval (le chouchou) !
Sur le pays des chimères Notre vol s'est arrêté : Conduis-nous en sûreté Pour traverser ces bruyères, Ces rocs, ce champ dévasté.
Vois ces arbres qui se pressent Se froisser rapidement ; Vois ces roches qui s'abaissent Trembler dans leur fondement. Partout le vent souffle et crie !
Dans ces rocs, avec furie, Se mêlent fleuve et ruisseau ; J'entends là le bruit de l'eau, Si cher à la rêverie ! Les soupirs, les voeux flottants, Ce qu'on plaint, ce qu'on adore... Et l'écho résonne encore Comme la voix des vieux temps,
Ou hou ! chou hou ! retentissent ; Hérons et hiboux gémissent, Mêlant leur triste chanson ; On voit de chaque buisson Surgir d'étranges racines ; Maigres bras, longues échines ; Ventres roulants et rampants ; Parmi les rocs, les ruines, Fourmillent vers et serpents.
À des noeuds qui s'entrelacent Chaque pas vient s'accrocher ! Là des souris vont et passent Dans la mousse du rocher. Là des mouches fugitives Nous précèdent par milliers, Et d'étincelles plus vives Illuminent les sentiers.
Mais faut-il à cette place Avancer ou demeurer ? Autour de nous tout menace, Tout s'émeut, luit et grimace, Pour frapper, pour égarer ; Arbres et rocs sont perfides ; Ces feux, tremblants et rapides, Brillent sans nous éclairer !...