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| | | | Invité / Invité Dim 3 Aoû 2008 - 17:32 | |
| Une Connaissance :
Bouquet de scorpions
Toute ma haine est concentrée Dans ce mystérieux bouquet. Ma macabre envie De me débarrasser de mon ennemie.
La Cigüe, Le laurier-rose,le cyprès.. Tout y est. Les épines vénéneuses cachées Parviendront à t'éliminer.
C'est un bouquet rempli de venin Qui te parviendra aux mains. Un bouquet rempli de méchanceté Un bouquet confectionné pour tuer.
Les dents du cobra Te perceront les bras. Tu mourras Et je rirais aux éclats.
Le doux parfum de la mort S'échappe du bouquet. Un bouquet beau comme l'or Aux multiples secrets...
Tu souriras à ce doux poison Qui te fera perdre la raison. Tu découvriras mon visage second Une fois plongée dans un sommeil de plomb. |
| | Nombre de messages : 2348 Âge : 30 Localisation : Sorry, your request is no longer available. Pensée du jour : For heaven's sake, don't try to be cynical. It's perfectly easy to be cynical. Date d'inscription : 30/04/2008 | Sel / Guère épais Dim 3 Aoû 2008 - 19:26 | |
| - Aragon a écrit:
- Ballade de celui qui chanta dans les supplices
Et s'il était à refaire Je referais ce chemin Une voix monte des fers Et parle des lendemains
On dit que dans sa cellule Deux hommes cette nuit-là Lui murmuraient Capitule De cette vie es-tu las
Tu peux vivre tu peux vivre Tu peux vivre comme nous Dis le mot qui te délivre Et tu peux vivre à genoux
Et s'il était à refaire Je referais ce chemin La voix qui monte des fers Parle pour les lendemains
Rien qu'un mot la porte cède S'ouvre et tu sors Rien qu'un mot Le bourreau se dépossède Sésame Finis tes maux
Rien qu'un mot rien qu'un mensonge Pour transformer ton destin Songe songe songe songe A la douceur des matins
Et si c'était à refaire Je referais ce chemin La voix qui monte des fers Parle aux hommes de demain
J'ai tout dit ce qu'on peut dire L'exemple du Roi Henri Un cheval pour mon empire Une messe pour Paris
Rien à faire Alors qu'ils partent Sur lui retombe son sang C'était son unique carte Périsse cet innocent
Et si c'était à refaire Referait-il ce chemin La voix qui monte des fers Dit je le ferai demain
Je meurs et France demeure Mon amour et mon refus O mes amis si je meurs Vous saurez pour quoi ce fut
Ils sont venus pour le prendre Ils parlent en allemand L'un traduit Veux-tu te rendre Il répète calmement
Et si c'était à refaire Je referais ce chemin Sous vos coups chargés de fers Que chantent les lendemains
Il chantait lui sous les balles Des mots sanglant est levé D'une seconde rafale Il a fallu l'achever
Une autre chanson française A ses lèvres est montée Finissant la Marseillaise Pour toute l'humanité Aragon ... C'est beau. |
| | Nombre de messages : 538 Âge : 50 Pensée du jour : fais de beaux rêves, mon petit... Date d'inscription : 10/07/2008 | fredkrueger / Gloire de son pair Dim 3 Aoû 2008 - 21:22 | |
| Remords posthumes Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse, Au fond d'un monument construit en marbre noir, Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse; Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir, Empêchera ton coeur de battre et de vouloir, Et tes pieds de courir leur course aventureuse, Le tombeau, confident de mon rêve infini (Car le tombeau toujours comprendra le poète), Durant ces grandes nuits d'où le somme est banni,
Te dira: "Que vous sert, courtisane imparfaite, De n'avoir pas connu ce que pleurent les morts?" - Et le ver rongera ta peau comme un remords. Charles Beaudelaire - Les fleurs du mal
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| | Nombre de messages : 2046 Âge : 31 Localisation : Paris Date d'inscription : 11/11/2007 | petit tiret / Crime et boniment Dim 3 Aoû 2008 - 21:26 | |
| Et me voilà avec mes gros sabots classiques ; Hugo manquait un peu à l'appel. J'aime ce poème, qui s'enfle avant de retomber avec légèreté.
Les Djinns
Murs, ville, Et port, Asile De mort, Mer grise Où brise La brise, Tout dort.
Dans la plaine Naît un bruit. C'est l'haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu'une flamme Toujours suit !
La voix plus haute Semble un grelot. D'un nain qui saute C'est le galop. Il fuit, s'élance, Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d'un flot.
La rumeur approche. L'écho la redit. C'est comme la cloche D'un couvent maudit ; Comme un bruit de foule, Qui tonne et qui roule, Et tantôt s'écroule, Et tantôt grandit,
Dieu ! la voix sépulcrale Des Djinns !... Quel bruit ils font ! Fuyons sous la spirale De l'escalier profond. Déjà s'éteint ma lampe, Et l'ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu'au plafond.
C'est l'essaim des Djinns qui passe, Et tourbillonne en sifflant ! Les ifs, que leur vol fracasse, Craquent comme un pin brûlant. Leur troupeau, lourd et rapide, Volant dans l'espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un éclair au flanc.
Ils sont tout près ! - Tenons fermée Cette salle, où nous les narguons. Quel bruit dehors ! Hideuse armée De vampires et de dragons ! La poutre du toit descellée Ploie ainsi qu'une herbe mouillée, Et la vieille porte rouillée Tremble, à déraciner ses gonds !
Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure ! L'horrible essaim, poussé par l'aquilon, Sans doute, ô ciel ! s'abat sur ma demeure. Le mur fléchit sous le noir bataillon. La maison crie et chancelle penchée, Et l'on dirait que, du sol arrachée, Ainsi qu'il chasse une feuille séchée, Le vent la roule avec leur tourbillon !
Prophète ! si ta main me sauve De ces impurs démons des soirs, J'irai prosterner mon front chauve Devant tes sacrés encensoirs ! Fais que sur ces portes fidèles Meure leur souffle d'étincelles, Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes Grince et crie à ces vitraux noirs !
Ils sont passés ! - Leur cohorte S'envole, et fuit, et leurs pieds Cessent de battre ma porte De leurs coups multipliés. L'air est plein d'un bruit de chaînes, Et dans les forêts prochaines Frissonnent tous les grands chênes, Sous leur vol de feu pliés !
De leurs ailes lointaines Le battement décroît, Si confus dans les plaines, Si faible, que l'on croit Ouïr la sauterelle Crier d'une voix grêle, Ou pétiller la grêle Sur le plomb d'un vieux toit.
D'étranges syllabes Nous viennent encor ; Ainsi, des arabes Quand sonne le cor, Un chant sur la grève Par instants s'élève, Et l'enfant qui rêve Fait des rêves d'or.
Les Djinns funèbres, Fils du trépas, Dans les ténèbres Pressent leurs pas ; Leur essaim gronde : Ainsi, profonde, Murmure une onde Qu'on ne voit pas.
Ce bruit vague Qui s'endort, C'est la vague Sur le bord ; C'est la plainte, Presque éteinte, D'une sainte Pour un mort.
On doute La nuit... J'écoute : - Tout fuit, Tout passe L'espace Efface Le bruit.
J'adore Apollinaire, aussi :
Les colchiques
Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s'empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-la Violatres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne |
| | | Invité / Invité Dim 3 Aoû 2008 - 23:13 | |
| Bûchers et tombeaux
Le squelette était invisible, Au temps heureux de l'Art païen ; L'homme, sous la forme sensible, Content du beau, ne cherchait rien.
Pas de cadavre sous la tombe, Spectre hideux de l'être cher, Comme d'un vêtement qui tombe Se déshabillant de sa chair,
Et, quand la pierre se lézarde, Parmi les épouvantements, Montrait à l'oeil qui s'y hasarde Une armature d'ossements ;
Mais au feu du bûcher ravie Une pincée entre les doigts, Résidu léger de la vie, Qu'enserrait l'urne aux flancs étroits ;
Ce que le papillon de l'âme Laisse de poussière après lui, Et ce qui reste de la flamme Sur le trépied, quand elle a lui !
Entre les fleurs et les acanthes, Dans le marbre joyeusement, Amours, aegipans et bacchantes Dansaient autour du monument ;
Tout au plus un petit génie Du pied éteignait un flambeau ; Et l'art versait son harmonie Sur la tristesse du tombeau.
Les tombes étaient attrayantes: Comme on fait d'un enfant qui dort, D'images douces et riantes La vie enveloppait la mort ;
La mort dissimulait sa face Aux trous profonds, au nez camard, Dont la hideur railleuse efface Les chimères du cauchemar.
Le monstre, sous la chair splendide Cachait son fantôme inconnu, Et l'oeil de la vierge candide Allait au bel éphèbe nu.
Seulement pour pousser à boire, Au banquet de Trimalcion, Une larve, joujou d'ivoire, Faisait son apparition;
Des dieux que l'art toujours révère Trônaient au ciel marmoréen ; Mais l'Olympe cède au Calvaire, Jupiter au Nazaréen ;
Une voix dit : Pan est mort ! - L'ombre S'étend. - Comme sur un drap noir, Sur la tristesse immense et sombre Le blanc squelette se fait voir ;
Il signe les pierres funèbres De son paraphe de fémurs, Pend son chapelet de vertèbres Dans les charniers, le long des murs,
Des cercueils lève le couvercle Avec ses bras aux os pointus ; Dessine ses côtes en cercle Et rit de son large rictus ;
Il pousse à la danse macabre L'empereur, le pape et le roi, Et de son cheval qui se cabre Jette bas le preux plein d'effroi ;
Il entre chez la courtisane Et fait des mines au miroir, Du malade il boit la tisane, De l'avare ouvre le tiroir ;
Piquant l'attelage qui rue Avec un os pour aiguillon, Du laboureur à la charrue Termine en fosse le sillon ;
Et, parmi la foule priée, Hôte inattendu, sous le banc, Vole à la pâle mariée Sa jarretière de ruban.
A chaque pas grossit la bande; Le jeune au vieux donne la main ; L'irrésistible sarabande Met en branle le genre humain.
Le spectre en tête se déhanche, Dansant et jouant du rebec, Et sur fond noir, en couleur blanche, Holbein l'esquisse d'un trait sec.
Quand le siècle devient frivole Il suit la mode; en tonnelet Retrousse son linceul et vole Comme un Cupidon de ballet
Au tombeau-sofa des marquises Qui reposent, lasses d'amour, En des attitudes exquises, Dans les chapelles Pompadour.
Mais voile-toi, masque sans joues, Comédien que le ver rnord, Depuis assez longtemps tu joues Le mélodrame de la Mort.
Reviens, reviens, bel art antique, De ton paros étincelant Couvrir ce squelette gothique ; Dévore-le, bûcher brûlant !
Si nous sommes une statue Sculptée à l'image de Dieu, Quand cette image est abattue, Jetons-en les débris au feu.
Toi, forme immortelle, remonte Dans la flamme aux sources du beau, Sans que ton argile ait la honte Et les misères du tombeau !
Théophile GAUTIER |
| | | Invité / Invité Dim 31 Aoû 2008 - 17:44 | |
| Angoisse, Mallarmé
Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, ô bête En qui vont les péchés d'un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempête Sous l'incurable ennui que verse mon baiser :
Je demande à ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goûter après tes noirs mensonges, Toi qui sur le néant en sais plus que les morts.
Car le Vice, rongeant ma native noblesse M'a comme toi marqué de sa stérilité, Mais tandis que ton sein de pierre est habité
Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse, Je fuis, pâle, défait, hanté par mon linceul, Ayant peur de mourir lorsque je couche seul. |
| | | Invité / Invité Dim 31 Aoû 2008 - 18:22 | |
| | Nombre de messages : 439 Âge : 34 Pensée du jour : "Let Me Take You Down Cause I'm Going To Strawberry Fields, Nothing Is Real". Date d'inscription : 10/05/2008 | Charli' / Pour qui sonne Lestat Dim 31 Aoû 2008 - 19:01 | |
| Arf, Sensation est déjà présent (j'aurais du m'en douter).
Apollinaire-Le Pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passait Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure |
| | Nombre de messages : 1960 Âge : 14 Localisation : Paris Pensée du jour : Le rêve des cavaliers de Verdun. Date d'inscription : 25/04/2007 | Joyeux / Et elle mangea des gaufres Dim 31 Aoû 2008 - 19:14 | |
| Paris Sur la colline le thym et l'olivier un homme regarde la mer le bleu traverse un visage aimé disparu avec les pluies d'été dans le sommeil et la source un champ et le rire foudroyé l'oubli dans une pierre l'oubli dans un ciel murmure d'automne la nuit est le souvenir d'une forêt claire la main se retire du rêve et vient tremper dans l'argile des mots là sur le quai dans une rue penchée un homme est assis il regarde la Seine dans la défaite des corps l'herbe est déjà épaisse sur l'eau tiède de la mort c'est une image pour la douleur souveraine sur ce visage qui s'absente un paysage à la splendeur précoce et des pierres pour la citadelle quelques mots de sable un parfum d'ambre le ciel habité par des hommes amaigris corps dansant sur la rive du songe c'est la lumière et la chute dans ce regard suspendu à la haute dune Paris et ce visage rêvé à côté de la nuit mais cet homme dressé en le poème s'est levé il marche sur les quais telle statue aux yeux peints à l'horizon un miroir se vide de ses images. Paris, 8 novembre 1979 Tahar Ben Jelloun
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| | | Invité / Invité Dim 31 Aoû 2008 - 19:33 | |
| L'amour et la mort.
I
Regardez-les passer, ces couples éphémères ! Dans les bras l'un de l'autre enlacés un moment, Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières, Font le même serment :
Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent Avec étonnement entendent prononcer, Et qu'osent répéter des lèvres qui pâlissent Et qui vont se glacer.
Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse Qu'un élan d'espérance arrache à votre coeur, Vain défi qu'au néant vous jetez, dans l'ivresse D'un instant de bonheur ?
Amants, autour de vous une voix inflexible Crie à tout ce qui naît : "Aime et meurs ici-bas ! " La mort est implacable et le ciel insensible ; Vous n'échapperez pas.
Eh bien ! puisqu'il le faut, sans trouble et sans murmure, Forts de ce même amour dont vous vous enivrez Et perdus dans le sein de l'immense Nature, Aimez donc, et mourez !
II
Non, non, tout n'est pas dit, vers la beauté fragile Quand un charme invincible emporte le désir, Sous le feu d'un baiser quand notre pauvre argile A frémi de plaisir.
Notre serment sacré part d'une âme immortelle ; C'est elle qui s'émeut quand frissonne le corps ; Nous entendons sa voix et le bruit de son aile Jusque dans nos transports.
Nous le répétons donc, ce mot qui fait d'envie Pâlir au firmament les astres radieux, Ce mot qui joint les coeurs et devient, dès la vie, Leur lien pour les cieux.
Dans le ravissement d'une éternelle étreinte Ils passent entraînés, ces couples amoureux, Et ne s'arrêtent pas pour jeter avec crainte Un regard autour d'eux.
Ils demeurent sereins quand tout s'écroule et tombe ; Leur espoir est leur joie et leur appui divin ; Ils ne trébuchent point lorsque contre une tombe Leur pied heurte en chemin.
Toi-même, quand tes bois abritent leur délire, Quand tu couvres de fleurs et d'ombre leurs sentiers, Nature, toi leur mère, aurais-tu ce sourire S'ils mouraient tout entiers ?
Sous le voile léger de la beauté mortelle Trouver l'âme qu'on cherche et qui pour nous éclôt, Le temps de l'entrevoir, de s'écrier : " C'est Elle ! " Et la perdre aussitôt,
Et la perdre à jamais ! Cette seule pensée Change en spectre à nos yeux l'image de l'amour. Quoi ! ces voeux infinis, cette ardeur insensée Pour un être d'un jour !
Et toi, serais-tu donc à ce point sans entrailles, Grand Dieu qui dois d'en haut tout entendre et tout voir, Que tant d'adieux navrants et tant de funérailles Ne puissent t'émouvoir,
Qu'à cette tombe obscure où tu nous fais descendre Tu dises : " Garde-les, leurs cris sont superflus. Amèrement en vain l'on pleure sur leur cendre ; Tu ne les rendras plus ! "
Mais non ! Dieu qu'on dit bon, tu permets qu'on espère ; Unir pour séparer, ce n'est point ton dessein. Tout ce qui s'est aimé, fût-ce un jour, sur la terre, Va s'aimer dans ton sein.
III
Eternité de l'homme, illusion ! chimère ! Mensonge de l'amour et de l'orgueil humain ! Il n'a point eu d'hier, ce fantôme éphémère, Il lui faut un demain !
Pour cet éclair de vie et pour cette étincelle Qui brûle une minute en vos coeurs étonnés, Vous oubliez soudain la fange maternelle Et vos destins bornés.
Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires Seuls au Pouvoir fatal qui détruit en créant ? Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères En face du néant.
Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles : " J'aime, et j'espère voir expirer tes flambeaux. " La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles Luiront sur vos tombeaux.
Vous croyez que l'amour dont l'âpre feu vous presse A réservé pour vous sa flamme et ses rayons ; La fleur que vous brisez soupire avec ivresse : "Nous aussi nous aimons !"
Heureux, vous aspirez la grande âme invisible Qui remplit tout, les bois, les champs de ses ardeurs ; La Nature sourit, mais elle est insensible : Que lui font vos bonheurs ?
Elle n'a qu'un désir, la marâtre immortelle, C'est d'enfanter toujours, sans fin, sans trêve, encor. Mère avide, elle a pris l'éternité pour elle, Et vous laisse la mort.
Toute sa prévoyance est pour ce qui va naître ; Le reste est confondu dans un suprême oubli. Vous, vous avez aimé, vous pouvez disparaître : Son voeu s'est accompli.
Quand un souffle d'amour traverse vos poitrines, Sur des flots de bonheur vous tenant suspendus, Aux pieds de la Beauté lorsque des mains divines Vous jettent éperdus ;
Quand, pressant sur ce coeur qui va bientôt s'éteindre Un autre objet souffrant, forme vaine ici-bas, Il vous semble, mortels, que vous allez étreindre L'Infini dans vos bras ;
Ces délires sacrés, ces désirs sans mesure Déchaînés dans vos flancs comme d'ardents essaims, Ces transports, c'est déjà l'Humanité future Qui s'agite en vos seins.
Elle se dissoudra, cette argile légère Qu'ont émue un instant la joie et la douleur ; Les vents vont disperser cette noble poussière Qui fut jadis un coeur.
Mais d'autres coeurs naîtront qui renoueront la trame De vos espoirs brisés, de vos amours éteints, Perpétuant vos pleurs, vos rêves, votre flamme, Dans les âges lointains.
Tous les êtres, formant une chaîne éternelle, Se passent, en courant, le flambeau de l'amour. Chacun rapidement prend la torche immortelle Et la rend à son tour.
Aveuglés par l'éclat de sa lumière errante, Vous jurez, dans la nuit où le sort vous plongea, De la tenir toujours : à votre main mourante Elle échappe déjà.
Du moins vous aurez vu luire un éclair sublime ; Il aura sillonné votre vie un moment ; En tombant vous pourrez emporter dans l'abîme Votre éblouissement.
Et quand il régnerait au fond du ciel paisible Un être sans pitié qui contemplât souffrir, Si son oeil éternel considère, impassible, Le naître et le mourir,
Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même, Qu'un mouvement d'amour soit encor votre adieu ! Oui, faites voir combien l'homme est grand lorsqu'il aime, Et pardonnez à Dieu !
Louise ACKERMANN |
| | | Invité / Invité Dim 31 Aoû 2008 - 19:45 | |
| Magnifiques, ces poèmes. Bon, l'amour et la mort a déjà été cité, et plusieurs écrits de Charles Baudelaire. Il ne manque plus qu'un peu de Shakespeare. Voilà donc :
Un extrait de Mc Beth, en version originale (qui est toujours mieux que la traduction) :
To-morrow, and to-morrow, and to-morrow, Creeps in this petty pace from day to day, To the last syllable of recorded time; And all our yesterdays have lighted fools The way to dusty death. Out, out, brief candle! Life's but a walking shadow, a poor player, That struts and frets his hour upon the stage, And then is heard no more. It is a tale Told by an idiot, full of sound and fury, Signifying nothing.
Et la traduction en français :
Hélas, demain et demain et demain Se faufile à pas de souris de jour en jour Jusqu'aux derniers échos de la mémoire, Et tous nos hiers n'ont fait qu'éclairer les fous Sur le chemin de l'ultime poussière. Eteins-toi, brève lampe ! La vie n'est qu'une ombre qui passe, un pauvre acteur Qui s'agite et parade une heure, sur la scène, Puis on ne l'entend plus. C'est un récit Plein de bruit, de fureur, qu'un idiot raconte Et qui n'a pas de sens. |
| | | Invité / Invité Dim 31 Aoû 2008 - 19:47 | |
| A celle qui est trop gaie
Ta tête, ton geste, ton air Sont beaux comme un beau paysage ; Le rire joue en ton visage Comme un vent frais dans un ciel clair.
Le passant chagrin que tu frôles Est ébloui par la santé Qui jaillit comme une clarté De tes bras et de tes épaules.
Les retentissantes couleurs Dont tu parsèmes tes toilettes Jettent dans l'esprit des poètes L'image d'un ballet de fleurs.
Ces robes folles sont l'emblème De ton esprit bariolé ; Folle dont je suis affolé, Je te hais autant que je t'aime !
Quelquefois dans un beau jardin Où je traînais mon atonie, J'ai senti, comme une ironie, Le soleil déchirer mon sein ;
Et le printemps et la verdure Ont tant humilié mon coeur, Que j'ai puni sur une fleur L'insolence de la Nature.
Ainsi je voudrais, une nuit, Quand l'heure des voluptés sonne, Vers les trésors de ta personne, Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse, Pour meurtrir ton sein pardonné, Et faire à ton flanc étonné Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur ! A travers ces lèvres nouvelles, Plus éclatantes et plus belles, T'infuser mon venin, ma soeur !
Charles BAUDELAIRE.
Extrait du recueil "LES FLEURS DU MAL", paru en 1857. |
| | | Invité / Invité Ven 19 Sep 2008 - 17:02 | |
| Croquis parisien de Verlaine.
La lune plaquait ses teintes de zinc Par angles obtus. Des bouts de fumée en forme de cinq Sortaient drus et noirs des hauts toits pointus.
Le ciel était gris. La bise pleurait Ainsi qu'un basson. Au loin, un matou frileux et discret Miaulait d'étrange et grêle façon.
Moi, j'allais, rêvant du divin Platon Et de Phidias, Et de Salamine et de Marathon, Sous l'oeil clignotant des bleus becs de gaz. |
| | Nombre de messages : 5582 Âge : 124 Pensée du jour : Déifier des prunes. Date d'inscription : 12/12/2006 | Mokkimy / Maîtrise en tropes Ven 19 Sep 2008 - 17:59 | |
| Michaux - Contre création.
"Je vous construirai une ville avec des loques, moi. Je vous construirai sans plan et sans ciment un édifice que vous ne détruirez pas Et qu'une espèce d'évidence écumante soutiendra et gonflera, Qui viendra vous braire au nez, et au nez gelé De tous vos Parthénons, vos Arts Arabes et de vos Mings. Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard et du son de peaux de tambours Je vous assoirai des forteresses écrasantes et superbes, Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses, Contre lesquels votre ordre multimillénaire et votre géométrie Tomberont en fadaises et galimatias et poussières de sable sans raisons. Glas ! Glas ! Glas ! Sur vous tous! Néant sur les vivants! Oui! Je crois en Dieu ! Certes, il n'en sait rien. Foi, semelle inusable pour qui n'avance pas. Ô monde, monde étranglé, ventre froid ! Même pas symbole, mais néant ! Je contre! Je contre! Je contre, et te gave de chien crevé ! En tonnes, vous m'entendez, en tonnes je vous arracherai Ce que vous m'avez refusé en grammes! Le venin du serpent est son fidèle compagnon. Fidèle ! Et il l'estime à sa juste valeur. Frères, Mes Frères damnés, suivez moi avec confiance; Les dents du loup ne lâchent pas le loup, C'est la chair du mouton qui lâche. Dans le noir, nous verrons clair, Mes Frères! Dans le labyrinthe, nous trouverons la voie droite! Carcasse ! Où est ta place ici ? Gêneuse! Pisseuse! Pots cassés! Poulie gémissante ! Comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes ! Comme je vais t'écarteler !"
In "LA NUIT REMUE" chez Collection Poésie/Gallimard |
| | | Invité / Invité Ven 19 Sep 2008 - 18:23 | |
| Sully Prudhomme Extrait de Stances et poèmes
Comme alors
Quand j'étais tout enfant, ma bouche Ignorait un langage appris : Du fond de mon étroite couche J'appelais les soins par des cris ;
Ma peine était la peur cruelle De perdre un jouet dans mes draps, Et ma convoitise était celle Qui supplie en tendant les bras.
Maintenant que sans être aidées Mes lèvres parlent couramment, J'ai moins de signes que d'idées : On a changé mon bégaiement.
Et maintenant que les caresses Ne me bercent plus quand je dors, J'ai d'inexprimables tendresses, Et je tends les bras comme alors. |
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