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| | | | Invité / Invité Ven 28 Mar 2014 - 3:31 | |
| J'ai aimé ce poème. Il m'a bercé, transformé et m'a elevé vers le ciel. J'étais tout seul sur les gros nuages lourds. Alphonse de Lamartine Le poète mourant.
La coupe de mes jours s'est brisée encor pleine ; Ma vie hors de mon sein s'enfuit à chaque haleine ; Ni baisers ni soupirs ne peuvent l'arrêter ; Et l'aile de la mort, sur l'airain qui me pleure, En sons entrecoupés frappe ma dernière heure ; Faut-il gémir ? faut-il chanter ?...
Chantons, puisque mes doigts sont encor sur la lyre ; Chantons, puisque la mort, comme au cygne, m'inspire Aux bords d'un autre monde un cri mélodieux. C'est un présage heureux donné par mon génie, Si notre âme n'est rien qu'amour et qu'harmonie, Qu'un chant divin soit ses adieux !
La lyre en se brisant jette un son plus sublime ; La lampe qui s'éteint tout à coup se ranime, Et d'un éclat plus pur brille avant d'expirer ; Le cygne voit le ciel à son heure dernière, L'homme seul, reportant ses regards en arrière, Compte ses jours pour les pleurer.
Qu'est-ce donc que des jours pour valoir qu'on les pleure ? Un soleil, un soleil ; une heure, et puis une heure ; Celle qui vient ressemble à celle qui s'enfuit ; Ce qu'une nous apporte, une autre nous l'enlève : Travail, repos, douleur, et quelquefois un rêve, Voilà le jour, puis vient la nuit.
Ah ! qu'il pleure, celui dont les mains acharnées S'attachant comme un lierre aux débris des années, Voit avec l'avenir s'écrouler son espoir ! Pour moi, qui n'ai point pris racine sur la terre, Je m'en vais sans effort, comme l'herbe légère Qu'enlève le souffle du soir.
Le poète est semblable aux oiseaux de passage Qui ne bâtissent point leurs nids sur le rivage, Qui ne se posent point sur les rameaux des bois ; Nonchalamment bercés sur le courant de l'onde, Ils passent en chantant loin des bords ; et le monde Ne connaît rien d'eux, que leur voix.
Jamais aucune main sur la corde sonore Ne guida dans ses jeux ma main novice encore. L'homme n'enseigne pas ce qu'inspire le ciel ; Le ruisseau n'apprend pas à couler dans sa pente, L'aigle à fendre les airs d'une aile indépendante, L'abeille à composer son miel.
L'airain retentissant dans sa haute demeure, Sous le marteau sacré tour à tour chante et pleure, Pour célébrer l'hymen, la naissance ou la mort ; J'étais comme ce bronze épuré par la flamme, Et chaque passion, en frappant sur mon âme, En tirait un sublime accord.
Telle durant la nuit la harpe éolienne, Mêlant aux bruits des eaux sa plainte aérienne, Résonne d'elle-même au souffle des zéphyrs. Le voyageur s'arrête, étonné de l'entendre, Il écoute, il admire et ne saurait comprendre D'où partent ces divins soupirs.
Ma harpe fut souvent de larmes arrosée, Mais les pleurs sont pour nous la céleste rosée ; Sous un ciel toujours pur le cœur ne mûrit pas : Dans la coupe écrasé le jus du pampre coule, Et le baume flétri sous le pied qui le foule Répand ses parfums sur nos pas.
Dieu d'un souffle brûlant avait formé mon âme ; Tout ce qu'elle approchait s'embrasait de sa flamme : Don fatal ! et je meurs pour avoir trop aimé ! Tout ce que j'ai touché s'est réduit en poussière : Ainsi le feu du ciel tombé sur la bruyère S'éteint quand tout est consumé.
Mais le temps ? - Il n'est plus. - Mais la gloire ? - Eh ! qu'importe Cet écho d'un vain son, qu'un siècle à l'autre apporte ? Ce nom, brillant jouet de la postérité ? Vous qui de l'avenir lui promettez l'empire, Écoutez cet accord que va rendre ma lyre !...
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Les vents déjà l'ont emporté ! Ah ! donnez à la mort un espoir moins frivole. Eh quoi ! le souvenir de ce son qui s'envole Autour d'un vain tombeau retentirait toujours ? Ce souffle d'un mourant, quoi! c'est là de la gloire ? Mais vous qui promettez les temps à sa mémoire, Mortels, possédez-vous deux jours ?
J'en atteste les dieux ! depuis que je respire, Mes lèvres n'ont jamais prononcé sans sourire Ce grand nom inventé par le délire humain ; Plus j'ai pressé ce mot, plus je l'ai trouvé vide, Et je l'ai rejeté, comme une écorce aride Que nos lèvres pressent en vain.
Dans le stérile espoir d'une gloire incertaine, L'homme livre, en passant, au courant qui l'entraîne Un nom de jour en jour dans sa course affaibli ; De ce brillant débris le flot du temps se joue ; De siècle en siècle, il flotte, il avance, il échoue Dans les abîmes de l'oubli.
Je jette un nom de plus à ces flots sans rivage ; Au gré des vents, du ciel, qu'il s'abîme ou surnage, En serai-je plus grand ? Pourquoi ? ce n'est qu'un nom. Le cygne qui s'envole aux voûtes éternelles, Amis ! s'informe-t-il si l'ombre de ses ailes Flotte encor sur un vil gazon ?
Mais pourquoi chantais-tu ? - Demande à Philomèle Pourquoi, durant les nuits, sa douce voix se mêle Au doux bruit des ruisseaux sous l'ombrage roulant ! Je chantais, mes amis, comme l'homme respire, Comme l'oiseau gémit, comme le vent soupire, Comme l'eau murmure en coulant.
Aimer, prier, chanter, voilà toute ma vie. Mortels ! de tous ces biens qu'ici-bas l'homme envie, À l'heure des adieux je ne regrette rien ; Rien que l'ardent soupir qui vers le ciel s'élance, L'extase de la lyre, ou l'amoureux silence D'un cœur pressé contre le mien.
Aux pieds de la beauté sentir frémir sa lyre, Voir d'accord en accord l'harmonieux délire Couler avec le son et passer dans son sein, Faire pleuvoir les pleurs de ces yeux qu'on adore, Comme au souffle des vents les larmes de l'aurore Tombent d'un calice trop plein ;
Voir le regard plaintif de la vierge modeste Se tourner tristement vers la voûte céleste, Comme pour s'envoler avec le son qui fuit, Puis retombant sur vous plein d'une chaste flamme, Sous ses cils abaissés laisser briller son âme, Comme un feu tremblant dans la nuit ;
Voir passer sur son front l'ombre de sa pensée, La parole manquer à sa bouche oppressée, Et de ce long silence entendre enfin sortir Ce mot qui retentit jusque dans le ciel même, Ce mot, le mot des dieux, et des hommes : ... Je t'aime ! Voilà ce qui vaut un soupir.
Un soupir ! un regret ! inutile parole ! Sur l'aile de la mort, mon âme au ciel s'envole ; Je vais où leur instinct emporte nos désirs ; Je vais où le regard voit briller l'espérance ; Je vais où va le son qui de mon luth s'élance ; Où sont allés tous mes soupirs !
Comme l'oiseau qui voit dans les ombres funèbres, La foi, cet oeil de l'âme, a percé mes ténèbres ; Son prophétique instinct m'a révélé mon sort. Aux champs de l'avenir combien de fois mon âme, S'élançant jusqu'au ciel sur des ailes de flamme, A-t-elle devancé la mort ?
N'inscrivez point de nom sur ma demeure sombre. Du poids d'un monument ne chargez pas mon ombre : D'un peu de sable, hélas ! je ne suis point jaloux. Laissez-moi seulement à peine assez d'espace Pour que le malheureux qui sur ma tombe passe Puisse y poser ses deux genoux.
Souvent dans le secret de l'ombre et du silence, Du gazon d'un cercueil la prière s'élance Et trouve l'espérance à côté de la mort. Le pied sur une tombe on tient moins à la terre ; L'horizon est plus vaste, et l'âme, plus légère, Monte au ciel avec moins d'effort.
Brisez, livrez aux vents, aux ondes, à la flamme, Ce luth qui n'a qu'un son pour répondre à mon âme ! Le luth des Séraphins va frémir sous mes doigts. Bientôt, vivant comme eux d'un immortel délire, Je vais guider, peut-être, aux accords de ma lyre, Des cieux suspendus à ma voix.
Bientôt ! ... Mais de la mort la main lourde et muette Vient de toucher la corde : elle se brise, et jette Un son plaintif et sourd dans le vague des airs. Mon luth glacé se tait ... Amis, prenez le vôtre ; Et que mon âme encor passe d'un monde à l'autre Au bruit de vos sacrés concerts !
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| | | Invité / Invité Sam 29 Mar 2014 - 2:02 | |
| Drôle et fin : Edmond Rostand :]
Souvenir vague ou les parenthèses
Nous étions, ce soir-là, sous un chêne superbe (Un chêne qui n'était peut-être qu'un tilleul) Et j'avais, pour me mettre à vos genoux dans l'herbe, Laissé mon rocking-chair se balancer tout seul.
Blonde comme on ne l'est que dans les magazines Vous imprimiez au vôtre un rythme de canot ; Un bouvreuil sifflotait dans les branches voisines (Un bouvreuil qui n'était peut-être qu'un linot).
D'un orchestre lointain arrivait un andante (Andante qui n'était peut-être qu'un flon-flon) Et le grand geste vert d'une branche pendante Semblait, dans l'air du soir, jouer du violon.
Tout le ciel n'était plus qu'une large chamarre, Et l'on voyait au loin, dans l'or clair d'un étang (D'un étang qui n'était peut-être qu'une mare) Des reflets d'arbres bleus descendre en tremblotant.
Et tandis qu'un espoir ouvrait en moi des ailes (Un espoir qui n'était peut-être qu'un désir), Votre balancement m'éventait de dentelles Que mes doigts au passage essayaient de saisir.
Votre chapeau de paille agitait sa guirlande Et votre col, d'un point de Gênes merveilleux (De Gênes qui n'était peut-être que d'Irlande), Se soulevait parfois jusqu'à voiler vos yeux.
Noir comme un gros paté sur la marge d'un texte Tomba sur votre robe un insecte, et la peur (Une peur qui n'était peut-être qu'un prétexte) Vous serra contre moi. - Cher insecte grimpeur !
L'ombre nous fit glisser aux chères confidences ; Et dans votre grand oeil plus tendre et plus hagard J'apercevais une âme aux profondes nuances (Une âme qui n'était peut-être qu'un regard). |
| | Nombre de messages : 1509 Âge : 29 Localisation : entre deux fleuves Pensée du jour : “Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce que tes mains d'autrefois n'avaient fait qu'effleurer sous l'olivier trop jeune.” Date d'inscription : 01/10/2010 | Roman russe / Roland curieux Mer 9 Avr 2014 - 14:51 | |
| Rainer Maria Rilke dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge - Citation :
- Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d'hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s'ouvrant le matin.
Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l'on voyait longtemps approcher, à des jours d'enfance dont le mystère ne s'est pas encore éclairci, à ses parents qu'il fallait qu'on froissât lorsqu'ils vous apportaient une joie et qu'on ne la comprenait pas (c'était une joie faite pour un autre), à des maladies d'enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles -- et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d'amour, dont aucune ne ressemblait à l'autre, de cris de femmes hurlant en mal d'enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d'avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d'attendre qu'ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n'est que lorsqu'ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu'ils n'ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n'est qu'alors qu'il peut arriver qu'en une heure très rare, du milieu d'eux, se lève le premier mot d'un vers. |
| | | Invité / Invité Dim 13 Avr 2014 - 14:49 | |
| BLEU KLEIN
Un jour tu es entré dans le bleu comme on pénètre dans la vraie vie tu es entré dans le bleu tu as fait le pari de l’immensité et ce fut comme un sésame un passage sur l’autre versant du miroir ce ciel qui emplissait tout la respiration des galaxies la cadence des univers le souffle magnétique de la Grande Ourse un jour tu es entré dans le bleu pour n’en plus jamais revenir ce bleu ardent électrique invulnérable tu t’es plongé dans un bain d’indigo au centre de l’horizon pour voir tout en bleu ligne de ciel ligne de coeur pour te faire la belle la belle bleue avec tes pinceaux vivants l’intensité l’intensité l’intensité pour devenir bleu d’émotion découvrir ce lâcher de ballons bleus au fond du cœur ce saut dans la poésie où la création recommence à chaque instant où l’éternité a la grâce des funambules une énergie capable de forcer la pesanteur une vie vouée au judo du bleu une fête de l’infini pour les marcheurs d’aurores
ZÉNO BIANU |
| | | Invité / Invité Dim 13 Avr 2014 - 15:18 | |
| Il a certainement été cité plusieurs fois :
Quand nous chanterons le temps des cerises Et gai rossignol et merle moqueur Seront tous en fête. Les belles auront la folie en tête Et les amoureux du soleil au cœur. Quand nous chanterons le temps des cerises Sifflera bien mieux le merle moqueur.
Mais il est bien court le temps des cerises Où l'on s'en va deux cueillir en rêvant Des pendants d'oreilles. Cerises d'amour aux robes pareilles (vermeilles) Tombant sous la feuille en gouttes de sang. Mais il est bien court le temps des cerises Pendants de corail qu'on cueille en rêvant.
Quand nous en serons au temps des cerises Si vous avez peur des chagrins d'amour Évitez les belles. Moi qui ne crains pas les peines cruelles Je ne vivrai point sans souffrir un jour. Quand vous en serez au temps des cerises Vous aurez aussi des peines d'amour.
J'aimerai toujours le temps des cerises C'est de ce temps-là que je garde au cœur Une plaie ouverte. Et Dame Fortune, en m'étant offerte Ne pourra jamais fermer ma douleur. J'aimerai toujours le temps des cerises Et le souvenir que je garde au cœur.
Jean-Baptiste Clément. |
| | | Invité / Invité Jeu 17 Avr 2014 - 2:43 | |
| Hiver - Albert Samain. ~
Le ciel pleure ses larmes blanches Sur les jours roses trépassés ; Et les amours nus et gercés Avec leurs ailerons cassés Se sauvent, frileux, sous les branches.
Ils sont finis les soirs tombants, Rêvés au bord des cascatelles. Les Angéliques, où sont-elles ! Et leurs âmes de bagatelles, Et leurs coeurs noués de rubans ?...
Le vent dépouille les bocages, Les bocages où les amants Sans trêve enroulaient leurs serments Aux langoureux roucoulements Des tourterelles dans les cages.
Les tourterelles ne sont plus, Ni les flûtes, ni les violes Qui soupiraient sous les corolles Des sons plus doux que des paroles. Le long des soirs irrésolus.
Cette chanson - là-bas - écoute, Cette chanson au fond du bois... C'est l'adieu du dernier hautbois, C'est comme si tout l'autrefois Tombait dans l'âme goutte à goutte.
Satins changeants, cheveux poudrés, Mousselines et mandolines, O Mirandas ! O Roselines ! Sous les étoiles cristallines, O Songe des soirs bleu-cendrés !
Comme le vent brutal heurte en passant les portes ! Toutes, - va ! toutes les bergères sont bien mortes.
Morte la galante folie, Morte la Belle-au-bois-jolie, Mortes les fleurs aux chers parfums !
Et toi, soeur rêveuse et pâlie, Monte, monte, ô Mélancolie, Lune des ciels roses défunts. |
| | | Invité / Invité Lun 21 Avr 2014 - 19:12 | |
| Il s’approcha, ailé, Et tes paupières mirent le voile sur ton regard radieux. Tu mourus – flamboyante A l’heure la plus terne.
Que pourront donc expier Ces deux dernières larmes brèves ? Il réfléchit – Quatre heures Sonnèrent.
Il partit sans être vu, Emportant le mot le plus précieux. Mais personne n’entendit Ton dernier appel.
Et s’est perdu dans la mer des bruits Le cri qui déchira ton sein et ton âme. Rose, tu te noyais Dans le matin trouble…
Moscou, 1912 Marina Tsvétaïéva dans Le ciel brûle
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| | Nombre de messages : 214 Âge : 28 Date d'inscription : 24/08/2013 | Fisch Ton Kan / Autostoppeur galactique Lun 21 Avr 2014 - 23:34 | |
| Vais-je te comparer à un beau jour d'été ? Tu parais plus aimable et d'humeur plus égale. Les vents rudes secouent les chers boutons de mai, Et le bail de l'été trop tôt arrive à terme. D'un éclat trop brûlant parfois l'oeil du ciel brille Et souvent se ternit le teint d'or du soleil ; La beauté quitte un jour la beauté, dépouillée Par le sort ou le cours changeant de la nature ; Mais ton été sans fin ne pourra se faner Ni perdre une beauté toujours tienne, et la Mort Ne pourra tirer gloire qu'en son ombre tu erres, Lorsqu'en vers éternels tu croîs avec le temps. Tant que verront des yeux, respireront des hommes, Autant vivra ceci, et ceci te fait vivre. Shakespeare, sonnet XVIII, traduit par Robert Ellrodt. |
| | | Invité / Invité Mar 22 Avr 2014 - 11:35 | |
| Tsvetaïeva et Shakespeare Cela donne de l'entrain! |
| | | Invité / Invité Ven 25 Avr 2014 - 1:16 | |
| Deux poèmes de Hugo qui, je le trouve, se répondent assez formidablement.
L'hydre
Quand le fils de Sancha, femme du duc Geoffroy, Gil, ce grand chevalier nommé l'Homme qui passe, Parvint, la lance haute et la visière basse, Aux confins du pays dont Ramire était roi, Il vit l'hydre. Elle était effroyable et superbe ; Et, couchée au soleil, elle rêvait dans l'herbe. Le chevalier tira l'épée et dit : — C'est moi. Et l'hydre, déroulant ses torsions farouches, Et se dressant, parla par une de ses bouches, Et dit : — Pour qui viens-tu, fils de dona Sancha ? Est-ce pour moi, réponds, ou pour le roi Ramire ? — C'est pour le monstre. — Alors c'est pour le roi, beau sire. Et l'hydre, reployant ses nœuds, se recoucha.
XX La bête regarda l'homme
La bête regarda l'homme venir vers elle. Ses quatre pieds, sa croupe âpre et surnaturelle, Et son ventre hideux couvraient plus d'un arpent ; Avec les torsions subites du serpent Elle avait l'oeil du tigre, et les vautours farouches Volaient sur elle ainsi que sur un ver les mouches ; On eût dit que le mont sous son poids étouffait ; Un lion rugissant près d'elle n'eût pas fait Plus d'effet que Moschus soupirant une idylle ; L'ombre semblait avoir peur de ce crocodile ; Sa gueule était le gouffre où la lave apparaît ; Ses glissements étaient marqués dans la forêt Par des écrasements de roches et de chênes ; Sa prunelle était faite avec toutes les haines Que l'enfer fait flamber à ses noirs soupiraux ; Elle rugit. — Bonjour, lézard, dit le héros.
Victor Hugo |
| | Nombre de messages : 1012 Âge : 45 Localisation : O moun païs Date d'inscription : 12/02/2014 | Zetta / Effleure du mal Ven 25 Avr 2014 - 12:34 | |
| Merci, j'ai lu quelques belles trouvailles, notamment je voudrais pas crever de Boris Vian, je surkiffe. Bien qu'il soit fort connu il manque celui-ci si je ne m'abuse :
Invictus
Out of the night that covers me, Black as the pit from pole to pole, I thank whatever gods may be For my unconquerable soul.
In the fell clutch of circumstance I have not winced nor cried aloud. Under the bludgeonings of chance My head is bloody, but unbowed.
Beyond this place of wrath and tears Looms but the Horror of the shade, And yet the menace of the years Finds, and shall find, me unafraid.
It matters not how strait the gate, How charged with punishments the scroll, I am the master of my fate: I am the captain of my soul.
William Ernest Henley (1849-1903) |
| | Nombre de messages : 565 Âge : 32 Date d'inscription : 12/11/2013 | cathyfou / Gloire de son pair Dim 27 Avr 2014 - 2:02 | |
| Allez, un poème grivois "IL EST VENU POUR LIRE - Il est venu pour lire. Il a ouvert deux ou trois livres ; des historiens et des poètes. Mais c'est à peine s'il a lu dix minutes, avant d'y renoncer. Il somnole sur le canapé. Il n'appartient, c'est vrai, qu'aux livres - mais il a vingt-trois ans, et il est très beau ; et cet après-midi, l'amour a passé sur sa chair de rêve, sur ses lèvres. Dans sa chair qui est la beauté même la chaleur de l'amour a passé ; sans pudeur dérisoire quant au genre de plaisir ..." C. Cavafis, trad. D. Grandmont |
| | | Invité / Invité Mar 29 Avr 2014 - 2:18 | |
| Ainsi Prague Ainsi Prague a perdu son âme et son poète Lorsque j'irais tantôt je ne l'y verrais pas Et son cœur s'est brisé comme un verre qu'on jette A la fin du repas. Lorca, Maïakovski, Desnos, Apollinaire, Leurs ombres longuement parfument nos matins, Le ciel roule toujours les feux imaginaires De leurs astres éteints. Contre le chant majeur la balle que peut-elle ? Sauf contre le chanteur, que peuvent les fusils ? La terre ne reprend que cette chair mortelle Mais non la poésie ! Ce siècle est au-delà du minuit de son âge Ses poètes n'ont plus besoin d'être achevés Ils ont usé leur vie au danger des images Et croient avoir rêvé. Il se fit dans Paris un silence de neige Un réveil de Novembre à neuf heures battant Quand Eluard partit rejoindre le cortège Nezval meurt au printemps. C'est de sa belle mort comme disent les hommes Qu'il meurt Nezval et tout par conséquent est bien Il ne faut pas pleurer dans ce siècle où nous sommes Cela ne sert à rien ! Il meurt l'enfant terrible au jour des primevères Pâques éperdument auront sonné pour lui Ses paupières fermées ses doigts se sont ouverts Ses derniers vers ont luit. Dans ce monde en gésine, inhumain, pathétique, Il tourne au firmament à jamais ses yeux bleus, Visages émerveillés des peintures gothiques Soleil de quand il pleut. Il est entré vivant dans les cieux du folklore Y chantant sa mère et la paix pareillement Il nous montre demain comme une bague d'or Dans la main d'un amant. Nezval de qui le nom notre lèvre façonne Nezval attend un peu, j'arrive à tes côtés Du jour qui fut si beau déjà le soir frissonne Et d'autres vont chanter ! Aragon |
| | Nombre de messages : 25 Âge : 44 Localisation : Juan-les-pins Pensée du jour : Le néant sera, la lumière est. Date d'inscription : 05/05/2011 | Onyx / Petit chose Mar 29 Avr 2014 - 11:49 | |
| Adieu
L'automne déjà ! — Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, — loin des gens qui meurent sur les saisons. L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le cœur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère. Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du comfort ! — Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! Suis-je trompé, la charité serait-elle sœur de la mort, pour moi ? Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons. Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?
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Oui, l'heure nouvelle est au moins très sévère. Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, — des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. — Damnés, si je me vengeais ! Il faut être absolument moderne. Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n'ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau !... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d'hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. Cependant c'est la veille. Recevons tous les influx de vigueur et de tendresse réelle. Et à l'aurore, armés d'une ardente patience, nous entrerons aux splendides villes. Que parlais-je de main amie ! un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, — j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; — et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps.
Avril-août, 1873. |
| | | Invité / Invité Mar 29 Avr 2014 - 19:09 | |
| Rainer Maria RILKE
Première Élégie de Duino
Qui donc, si je criais, parmi les cohortes des anges m'entendrait? Et l'un d'eux quand même dût-il me prendre soudain sur son cœur, ne m'évanouirais-je pas sous son existence trop forte? Car le beau n'est que ce degré du terrible qu'encore nous supportons et nous ne l'admirons tant que parce que, impassible, il dédaigne de nous détruire. Tout ange est terrible. Et je me contiens donc et refoule l'appeau de mon sanglot obscur. Hélas! qui pourrait nous aider? Ni anges ni hommes, et le flair des bêtes les avertit bientôt que nous ne sommes pas très assurés en ce monde défini. Il nous reste peut-être un arbre, quelque part sur la pente, que tous les jours nous puissions revoir; il nous reste la rue d'hier et l'attachement douillet à quelque habitude du monde qui se plaisait chez nous et qui demeura. Oh! et la nuit, la nuit, quand le vent plein des espaces Nous ronge la face, à qui ne resterait-elle, tant désirée, tendrement décevante, épreuve pour le cœur solitaire? Aux amants serait-elle plus légère? Hélas! ils ne se cachent que l'un à l'autre leur sort. Ne le savais-tu pas? Hors de tes bras lance le vide vers les espaces que nous respirons peut-être; les oiseaux sentiront-ils l'air élargi d'un vol plus ému.
Oui, les printemps avaient besoin de toi. Maintes étoiles voulaient être perçues. Vers toi se levait une vague du fond du passé, ou encore, lorsque tu passais près d'une fenêtre ouverte, un violon s'abandonnait. Tout cela était mission. Mais l'accomplis-tu? N'étais-tu pas toujours distrait par l'attente, comme si tout cela t'annonçait la venue d'une amante? (Où donc voudrais-tu l'abriter, alors que les grandes pensées étrangères vont et viennent chez toi, et souvent s'attardent la nuit?) Mais si la nostalgie te gagne, chante les amantes; il est loin d'être assez immortel, leur sentiment fameux. Chante-les (tu les envies presque!) ces délaissées qui te parurent tellement plus aimantes que les apaisées. Reprends infiniment l'inaccessible hommage. Souviens-toi que le héros reste; sa chute même n'était pour lui qu'un prétexte pour être : suprême naissance. Mais les amantes, la nature épuisée les reprend en elle, comme si les forces lui manquaient pour accomplir deux fois le même ouvrage. T'es-tu assez souvenu de Gaspara Stampa pour qu'une jeune fille quelconque, délaissée par son amant, songe devant l'exemple sublime de cette aimante : « Que ne suis-je comme elle? » Ces souffrances lointaines, enfin, vont-elles devenir plus fécondes? N'est-il pas temps que ceux qui aiment se libèrent de l'objet aimé, et le surmontent, frémissants? Ainsi le trait vainc la corde pour être, rassemblé dans le bond, plus que lui-même, car nulle part il n'est d'arrêt.
Des voix, des voix. Écoute, mon cœur, comme jadis seuls les saints écoutaient, au point que l'immense appel les soulevait du sol, mais eux restaient à genoux, et, incroyables, n'y prenaient même pas garde, tant ils étaient concentrés dans l'écoute. Non que tu puisses supporter la voix de Dieu, il s'en faut. Mais entends ce souffle : le message incessant que forme le silence. Une rumeur de ces morts jeunes monte vers toi. Partout, dans les églises de Rome, de Naples, où tu entras, ne rencontras-tu pas leur destin apaisé? Ou bien une inscription t'apparaissait, sublime : l'autre jour, cette stèle à Santa-Maria-Formosa… Ce qu'ils veulent de moi? Avec douceur, je dois détacher d'eux le semblant d'injustice qui gêne un peu, parfois, le pur élan de leurs esprits.
Sans doute est-il étrange de n'habiter plus la terre, de n'exercer plus des usages à peine appris, aux roses et à tant d'autres choses, précisément prometteuses, de n'accorder plus le sens de l'humain avenir; ce que l'on était, entre des mains infiniment peureuses, de ne l'être plus, et même de lâcher notre propre nom, ainsi qu'un jouet brisé. Étrange de ne pas désirer plus avant nos désirs, étrange que dans l'espace tout ce qui correspondit voltige, délié. La mort est dure, oui, et que n'y faut-il rattraper avant que l'on y sente un peu d'éternité! Mais les vivants font tous l'erreur de distinguer trop bien. Les anges (dit-on), eux, ne savent souvent point s'ils vont parmi des vivants ou des morts. Le courant éternel entraîne tous les âges par les deux empires. Ici et là, sa rumeur les domine. À tout prendre, ils n'ont plus besoin de nous, les élus de la mort précoce; on se sèvre des choses terrestres, doucement, comme du sein maternel on se détache en grandissant. Mais nous qui avons besoin de mystères si grands, pour qui l'heureux progrès si souvent naît du deuil, sans eux pourrions-nous être? Est-ce en vain que jadis la première musique pour pleurer Linos osa forcer la dureté de la matière inerte? Si bien qu'alors, dans l'espace effrayé, que, jeune et presque dieu, il quittait pour toujours, le vide, ébranlé, connut soudain la vibration qui nous devint extase, réconfort, secours.
Traduction de Maurice Betz (1898-1946)
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