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| | L'Enquête - Roberto Hugues | |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mar 12 Nov 2019 - 1:20 | |
| Ici mes 55 poèmes !
Ici les rapports d'enquête.
Dernière édition par Aomphalos le Mar 12 Nov 2019 - 1:49, édité 1 fois |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mar 12 Nov 2019 - 1:44 | |
| 55.
C’est fini.
La poésie entre dans son soir – je ne la trouverai plus. Elle hurlait son cri de louve et maintenant elle est tue. Enfin – l’alcool, évidemment, a toujours dans mon cœur son domaine réservé et j’ai encore en moi ce vieux qui vient taper le comptoir de sa main. Mais, la poésie a refermé la porte. Sur la vitre vont les ombres que des visages colportent en égrenant la rue.
Olivia m’a dit ce soir qu’elle ne reviendrait pas – pourquoi a-t-elle dit une telle chose ? je le savais déjà. Ses hanches faisaient du bruit en s’éloignant de moi – je ne l’entendrai plus.
Car – terminé.
L’ennui est croqué comme une amande amère.
La poésie est là, coincée entre la ville et la mer. Attendant je-ne-sais-quoi – mais surement pas mes nerfs qui sont déjà défaits.
S’il faut faire – je ne sais pas. S’il faut dire – j’admets tout. L’ivresse, Olivia, avait une peau légère que j’embrisais parfois. Maintenant… Maintenant – je sue sur le lit en attendant ton bras, mais rien.
La poésie n’entrera pas dans notre nuit commune. La chambre est séparée d’une dune de plis et de l’autre côté – tu ne trouves plus.
Pourtant, soixante-seize fois je te le tatouerai – je couvrirai, couvrirai, je t’ouvrirai les veines – cendre, cendre, sangles sous la nuit. Je ne savais quoi faire alors j’ai bu une encre qui a teintée ma gorge.
Enfin, me voilà décousu. Le comptoir a tenu encore le choc de la vie – le vieux tapera mille ans, dix mille ans, cent-milles ans contre ce verre. Le Verbe – ma haine – a été reconnue.
Dans la rue, ce soir, j’ai croisé Amélie qui récitait un vers – qui n’en était pas un – qui racontait le jour : « j’ai couru dans le parc pour acheter la pierre » disait-elle en passant. J’ai souri et j’ai su que le monde est glaçant et que tu étais nue.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mer 13 Nov 2019 - 22:05 | |
| 54.
La première fois, c’était deux jours après mon arrivée à M., j’ai dit à Olivia de ne pas venir : « je suis à poil, lui ai-je dit au téléphone, ne viens pas, ai-je dit, ne viens pas surtout ».
Évidemment, elle est venue.
Son doigt enfoncé dans la sonnette est resté longtemps – j’étais toujours nu et la fille avec moi l’était aussi peut-être, je ne me souviens pas.
« Albejo, qui est-ce ? » demandait-elle, derrière moi, comme une ombre. « Ma sœur » que j’ai répondu, mécaniquement.
Ma sœur. Et c’était vrai. Si vrai qu’aujourd’hui son corps habite encore le mien – et sa cendre, et son souffle et sa vie aussi peut-être.
Maintenant, morte, elle ne bouge plus, forcément.
Olivia est entrée et elle avait, ce soir-là, cet air de menace que je ne connaissais pas encore, mais qui est maintenant pour moi exactement son visage.
En entrant, j’ai su qu’il y aurait du reproche et qu’elles allaient me cracher au visage les mots méchants qui concluaient toujours ces lettres.
« Où sont-ils ? » a-t-elle dit en entrant, sans nous voir. Elle voulait voir mes poèmes – et comme j’étais à M. officiellement pour cette raison, et comme je ne voulais pas lui dire tout de suite que la poésie, son mouvement, sa revue, ses engagements, je m’en foutais, j’ai tendu un papier où j’avais griffonné deux trois textes en attendant l’avion à P.
« C’est mauvais, recommence » qu’elle a dit en me les tendant, deux minutes plus tard, « on se voit demain » qu’elle a rajoutée en quittant l’appartement. |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mer 13 Nov 2019 - 22:24 | |
| 53.
Le lendemain, Olivia était.
La marque du café faisait sa lèvre basse – elle attendait en frappant son carnet noir.
J’ai tendu le papier écrit la nuit même – nu toujours.
Elle lut, voix haute et méchante :
« Note d’Albejo Gr. – je viens faire du bruit avec l’image comme on froisse le rideau / car la sieste est un repos qui bientôt prendra fin / clore la première session de l’Âge d’Or. »
Puis – avec rire – le poème écrit à son propos, après son départ de la veille. Poème perdu. Poème à jamais perdu. Poème pour morte maintenant, poème pour spectre, épitaphe gravée sur toutes les pierres. Elle l’a lu – le vieux chapeau du Monsieur s’envola, vint heurter sa cheville nue, sous la table, et elle le ramassa, au milieu de sa lecture, puis continua, dans son rire.
« Tu es sérieux Albejo » m’a-t-elle demandée ensuite. « Vraiment sérieux ? » qu’elle a rajoutée.
Et je ne savais pas.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mer 13 Nov 2019 - 22:43 | |
| 52.
37ième lettres d’Albejo R. à Olivia V. de P. à M. – le 24 août 19** (4 mois avant l’évènement) :
Deux mois que P. n'est qu'une faim. Je voudrais venir dès demain pour te voir dire la parole qu'ici plus personne ne tient.
J'écris, Olivia, toi seule connait le rôle que je tiens dans la comédie de notre âge.
Toi seul sait - mes viscères libres et ma haine contre ce monde vide où l'on se tient attablé.
Antoine mourra - je le sais vivant contre son cœur.
Olivia, pas de plus grand malheur que d'exister ici où tu n'es pas visible. |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mer 13 Nov 2019 - 23:05 | |
| 51.
Se faire à M. était une tâche impossible – si peu d’arbres et partout des coiffeurs, chaise blanche, qui s’alignent sur les trottoirs et suspendent les crânes au-dessus du caniveau, floraisons de mèches brunes, hellébores bleus qui vont dans l’eau sèche puiser on-ne-sait-quoi et partout voix de rocailles. Avaient-ils tous les joues écorchées en leur dedans ?
Au premier rendez-vous à la revue Menudillos – petit immeuble à la façade bleue devant lequel somnolait trois hommes avec d’épais vêtement. Olivia me présente comme ça : « Albejo de P. » et je salue.
Il n’y avait personne pour me dire un mensonge de bienvenu.
Sur les tables, des papiers, des prospectus, des tracts et une machine où frappe une jeune femme – Alicia – qui ne m’adresse pas un regard. Une arme est posée – face contre terre, contre sol, face contre moi – sur une petite desserte de bois clair.
« C’est toi le poète ? » qu’on me dit – ma haine va immédiatement pour ce visage pierreux qu’on appelle Roca.
« C’est moi » je réponds en buvant un faux mezcal qui pue.
Maintenant, morte, immobile, sous sa propre pierre et sous son propre pli, Olivia de M., seule, comme secret murmuré contre le ventre et trop longtemps retenu.
« C’est moi » je répondais.
« Tu as quelque chose »
« Ça » - ma gorge brûle – et je jetais sur la table quinze pages de poèmes recopiées au matin, corrigés par Olivia, qui m’avait dit : « Bon… » et rien de plus.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Jeu 14 Nov 2019 - 0:43 | |
| 50.
Et M. était en temps de peste et la chaleur nous poussait sur les toits. Nous dormions nus, ensemble, sans pudeur, sans lois et comme abandonnés. Au matin, un phosphore descendait des montagnes jusqu'à nos plaines et nous brûlait les doigts et nous cendrait les veines et dépliais nos draps qui n'étaient ni de laine de coton ou de soie, mais d'étoffe nouvelle. Comme nous vivions - presque anéantis, presque morts, presque en vie, comme un règne élargi d'une autre éternité. Descendue sur mes reins, Olivia avait les mains pleines de poésie. |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Jeu 14 Nov 2019 - 1:00 | |
| 49.
De retour – seul – une semaine après ma première visite, Menudillos était une même ruine.
Roca fumait un bout de bois noir, épais, avalait la fumée qu’il crachait une ou deux éternités plus tard.
J’entrai dans les bureaux comme chez moi – j’espérais provoquer un crime.
Ni lui ni les autres ne frémissaient. La chaleur malade de la ville comprimait les poumons, les viscères et les murs de craie grise.
« Alors ? »
Sur le bureau, je voyais mes poésies raturées un grand nombre de fois – plus que ratures, balafres et plus encore stigmates.
« Faut reprendre » dit Roca seulement – disant cela, sa fumée se nicha dans le coin droit de la pièce embrumée.
« Reprendre quoi ? »
« Tout »
« Tout ? »
« Tout »
Je devais planter mes dents dans son cou, lui arracher une peau – même infime, un morceau – qui serait la mienne définitivement, mais je ne pouvais pas – car Olivia et car M et dix autres choses de plus, inavouables.
« Il faut que tu lises… » dit-il, citant des noms que je ne connais plus – puisque Olivia est morte, ils ne me servent à rien.
Et je n’ai jamais lu. |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Jeu 14 Nov 2019 - 1:22 | |
| 48.
Je commençai à fréquenter les lieux et à y être reconnu. On m’offrait des verres et mes ardoises grossissaient à vue d’œil. Olivia riait et j’empierrais ma langue pour la rendre identique à ces torrents de roches qui tombaient dans les rues. J’aimais – morte, morte absolument jusqu’aux tréfonds de l’âme.
Roca vint me voir – hors de son domaine, en émissaire, jusqu’au bar que je fréquentais juste en bas de la chambre que je louais, San Jéronimo – et me prévint qu’il était cherché par « quelques amis qu’il ne voulait pas voir » et qu’il me demandait de faire attention, pointant ses yeux dans ma tête, dans mon crâne, pour y fourrer l’image d’Olivia, bien profondément, comme on range une clef dans une poche, le soir, pour l’avoir à la main, le lendemain, presque sans avoir à penser.
*
Tu despojo no tiene valor Ni tu vida ni tu calor Fuman y huelen Como las cenizas arden.
Eres solo un cadáver dormido bajo la luna y en la llanura poeta y topógrafo de un tiempo muerto te estamos buscando y pronto sangrarás debajo del abrigo porque ni tu vida ni tu calor tener valor.
(Rafael M., dit Roca, septembre 19**, trois jours avant sa mort) |
| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:27 | |
| 47.
Olivia disait de ma parole qu'elle était ou retenue dans ses filets, immobiles ou déversée en rivière.
« Il faut, disait-elle, parler bas et haut comme quand nous faisons l’amour, enfin, être dans la clameur que tu retiens sur le seuil, attendant non pas le plaisir mais sa fin. »
« Ton cerveau est une abjecte gélatine, disait-elle encore, frappant mon front, on ne veut baiser que cela – sa main frôlait mon ventre, mon sexe qui gonflait et nous recommencions. »
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:28 | |
| 46.
Notes d'Albejo R.
Peu à peu mon séjour prend une tournure inquiète de drame ou de tragédies. Olivia me propose des stratégies d’amour secrètes – car Roca l’aimait ou l’aime, je ne sais – et nos corps ne se frôlent jamais publiquement. Nous vivons dans cet interstice délicat qui sépare les amants qui le deviennent.
Par ailleurs, j’écris trop peur pour justifier ma place.
Menedillos est une faune – maintenant je le vois. Et il se fait ici, en coulisse, une guerre. Les partisans de la Ligue font pleuvoir morts et blessés dans les rangs – Agathe m’a dit : « pense à l’épitaphe de ta pierre ou dis-nous si tu préfères brûler ».
M. est hostile et brûlante. Il ne s’y trouve rien qu’une sorte étrange de banalité – comme si la fadeur même ici était violente et qu’on ne pouvait passer sans ramasser dans sa peau mille échardes infectées. Elle est semblable à ces maladies rageuses qui emportent, tout entier, en deux jours, les personnages des romans de B.
Ce soir, sautant sur le corps d’Olivia, elle m’est apparu comme un cadavre déguisé par la vie – et je l’étais moi-même, mais elle semblait l’ignorer. Elle fermait les yeux et soufflait, doucement, doucement, comme si je tirais un fil depuis ses dents fermées, et je continuais à basculer en elle pour la tenir vivante, mais ce qui vibre ne résiste pas au décès.
Puis, elle s’est penchée, nue, sur la table, pour attraper un fruit de la corbeille – et tout était en ordre. Son air de spectre n’était plus qu’une intuition mauvaise – celle qui vient quand cela fait trop longtemps qu’un ami ne nous a pas donné de nouvelles.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:29 | |
| 45.
Menudillos était une faune.
Cela, je l’ai saisi trop tard – mais ça n’aurait rien changé.
Dans les bureaux de la revue ou dans ses dépendances – les cafés de la place J. notamment – rôdait la meute inquiète des crânes qui écrivent et qui pensent.
Olivia m’indiquait, en passant, ce qu’il fallait dire, faire, les lignes qu’il ne fallait pas dépasser :
« La femme qui boit dans un verre blanc, là-bas, c’est Agathe, elle est française comme toi, disait-elle en me désignant une jeune femme blonde et belle jusqu’à l’horreur, jusqu’à faire tomber autour d’elle le désir, comme on ferait tomber l’orage, sans pouvoir reprendre son eau »
et plus tard on lisait les poèmes d’Agathe dans un parc du centre de M., en mangeant des beignets.
Beaucoup passèrent ainsi sous nos yeux et tous n’étaient pour moi que des idées vagues, qui parfois m’adressait la parole, mais qui flottaient dans une irréalité d’idée – car ils n’étaient, pour moi, par plus que ce que la voix d’Olivia avait fait d’eux :
« Federico, l’amoureux d’Agathe, l’homme au corps fin comme une goute dont a figé l’eau, il te sautera à la gorge si tu te trompes et il peut haïr, vouloir tuer, ceux qui écrivent mal – il découpe les idées à la faux »
« Mendillos est encore ivre, disait-elle en le pointant du doigt et lui, comme s’il réagissait à un ordre muet d’Olivia, détruisait la chaise d’un homme qui encombrait le passage dans le bar ; il a pissé sur deux agents, avant-hier, et a terminé la nuit dans une cage, il n’écrit plus trop, mais crache beaucoup »
« Eux ce sont les jumeaux, leur nom je ne le sais plus, avouait-elle, mais, de toute façon, ils ne sont jamais qu’à deux, ils ont gagné des concours de proses et Roca les publie toujours et dit d’eux qu’ils sont « le meilleur poète de M. »
plus tard, quelques jours avant Olivia, Federico mourrait, gorge tranchée, par lui-même, par un autre, on ne sait.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:29 | |
| 44.
Quand ils crachèrent, j’étais allongé, ivre mort. Ivre mort, les crachats faisaient étoiles, je riais. Ils dirent : « pourquoi ris-tu, ivrogne ? » et je riais encore pendant qu’ils me cognaient.
Quand ils cessèrent, j’étais nu, dans mon sang, je riais en glougloutant comme une outre crevée. Ils laissèrent mon corps s’allonger lentement dans la mort.
Plus tard, les agents vinrent et me laissèrent sur le fond de ma cuve de ville. Ils riaient encore quand je pouvais mourir.
Le matin trouva mon visage bleu et m’aima. Reconnaissant en moi une sorte de frère, il me porta jusqu’à un lit de pierres qui n’étaient ni tombales ni gravées.
Je ne sais combien de temps mon sommeil dura. J’étais fait presque entièrement de rêves quand plus tard je m’éveillai.
Mes os craquaient et je voulais boire l’alcool qui éloigne la douleur – « Alors ivrogne, tu bouges » gueula soudain une brute de la Ligue que j’égorgeais d’un geste, car mon couteau était dans ma main comme une épée.
Il bavait encore par la glotte un sang rouge et moi, encore, je riais.
(Ambrosio S., dit Mendillos, septembre 19**, quatre mois avant sa disparition)
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:30 | |
| 43.
Notes d'Albejo R.
Je lis Neruda, je ferme bien la porte de peur d’être reconnu heureux.
Personne ne doit connaître mon visage quand je sais qu’existe la beauté.
Si Olivia savait – elle me quitterait et me couvrirait de sang.
Je ne veux ni la terre ni le vent qui sont ici proposés ; ni la pierre ni le sang qui signent rouge les rigoles de cette immonde ville.
Car je veux quitter le sol qui a été fait sous mes pieds et que seul je connais.
Car je vais quitter les couleurs qui sont miennes depuis que j’ai fermé les yeux.
Dire à Olivia de partir. Demain dire : « M. te tue, vois-le, allons, viens ! »
Elle ne me dira rien.
Sa haine couvrira tout, une certaine rivière entamera sa crue, une certaine mer commencera sa mue, marée sourde et colère, froide, roide, brusque coup dans les épaules de l’intime et dans mes yeux crèveront, couleront sur le plancher et elle ne dira rien.
Et je partirai demain.
« Allons, viens »
Et elle ne dira rien.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Dim 17 Nov 2019 - 23:30 | |
| 42.
Quand je pense à sa mort – c’est-à-dire chaque jour – je refais l’inventaire des possibles coupables.
Et tous les possibles coupables ont le visage d’Antonio G. et la voix d’Antonio G. et le geste d’Antonio G. ce jour où, nous croisant dans une rue fréquentée de M., il s’arrêtera au milieu de la rue, alors que nous marchions vers lui sans le voir, hurla un mot qui n’était qu’un bruit, et passa l’ongle de son index sur son front, sur sa glotte, sur ses poignets alors que nous le regardions.
Antonio G. n’est pas mort et j’irai le tuer – car s’il n’est pas coupable, il sait et, s’il sait, il est coupable.
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