51Faut écrire faut pas
Chercher dans sa mémoire de minuscules morceaux,
Une étoile, un avion dont la traîne
Serait un poème.
Faut pas écrire faut
Retrouver d'angoissants rêves que nous faisions
Dans une très grande maison où les poètes réal-
Viscéralistes chahutaient tout le jour.
*
Tu n'es pas Cesarea, fille, ou Auxilio.
On ne te chercherait pas dans le désert
Ou dans les toilettes d'une université
Assiégée, temps de révolte et de peine.
J'ai retrouvé un petit bout de colloque
Où l'on reconstituait patiemment, maille
À maille, l'histoire d'un écrivain perdu.
On le cherchait dans toute l'Europe, dans
Les guerres, il était de toutes les guerres,
Dès que ça pissait un peu le sang, une odeur
De cruauté l'amenait.
Publications confidentielles, bouts de texte
Témoignages parcellaires - je n'ai pas pu lire
Sans peine cet énorme roman, 2000, 666
Où les femmes meurent et sont découpées
Une à une, maille à maille. La partie centrale
Tu te souviens comme on se passait le mot,
Insoutenable et longue et il y a ce spectacle
Où chaque morte crève un écran noir au
Bruit de la musique électronique, et nous
Étions entre ami·es, nombreux·ses, à cette
Réunion. Nous parlions à peine lors des
Pauses, déambulant dans ce quartier laid
De Paris où se trouve l'annexe de l'Odéon.
*
C'est au bord d'un lac artificiel, en Savoie,
En montagne, en altitude, que j'ai lu la
Partie centrale, que les femmes sont mortes,
Santa Teresa, ville trois fois maudite,
Des livres séchaient sur un fil, leurs pages
Distribuées au vent vengeur, tandis que
Rosa court le risque, toute la journée, tout
Le soir, de vivre une vie d'étudiante, normale
C'est au bord d'un lac que j'ai lu, longtemps,
Fille, ce livre, en quelques jours, très vite,
Dans une urgence incompréhensible mais
Dans ce lac artificiel nul plongeur, et mort
Encore moins.
*
J'ai lu les
Détectives sauvages l'été 2012
Après un livre de Bernanos, avant les
VaguesJ'avais 19 ans, fille, et c'était un "bel été" de lecture
Me dit plus tard Pattrice (en 2015). Le même été je
Découvrais Gogol, et Jacques Abeille, grâce à une
Critique de Nox, alors admin de JE, où il expliquait
Que ce livre avait failli le tuer.
Aujourd'hui, fille, je te cherche, et je suis admin
De JE à mon tour, et je te cherche, et je n'ai jamais
Rencontré Nox, ni Jacques Abeille ni Gogol.
*
Traces, voilà ce qu'il me reste de l'été 2012, des traces
Étalées au grand jour, rien de secret, alors tu sais
J'écris vraiment n'importe comment, dans une urgence
Qui n'est pas sans rappeler cet été au bord du lac,
Tu sais, j'allais rentrer en khâgne et j'étais
Amoureuse. Il fallait voir l'ivresse avec laquelle
Je lisais, et le peu d'entrain avec lequel
J'écrivais. Deux poèmes seulement,
"Conversation 1", qui demeure l'un de mes
Meilleurs poèmes, et "Les pensées du matin",
Qui demeure l'un des plus mauvais.
Cet été-là j'ai compris une chose, fille, que je
N'ai su écrire qu'en septembre, juste après
La rentrée. Plus de lac, plus d'ivresse, mais
Cela :
- Citation :
- Je comprends mieux la mythologie les grandes choses simples
Tout est clair maintenant je n'ai plus quinze ans
Allez donc jeter la pierre aux enfants morts ils le méritent
Le monde à leurs pieds est trop pur trop simple moins douloureux
Et parmi eux j'avance je sais la ligne est droite, claire et pure
Et mon regret derrière s'éteint dans un sanglot
Voilà, fille, à quoi mène l'exploration minutieuse
De ma biographie : à peu de choses.
Je ne te trouverai pas parmi les traces
Parmi les miettes, les indices
D'une mémoire vécue comme défaillante.