PortailAccueilRechercherS'enregistrerConnexion

Partagez
Aller à la page : Précédent  1 ... 36 ... 69, 70, 71, 72, 73, 74  Suivant
 

 Les plus beaux poèmes

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Aller en bas 

 
Pattrice
   
    Féminin
   Nombre de messages  :  1175
   Âge  :  32
   Date d'inscription  :  08/10/2016
    
                         
Pattrice  /  Effleure du mal


Mehmet Yashin, "Cœurlangue de ma tante : eaux de rose sacrées", dans Escalier-Lumière (1986).

Tr. Alain Mascarou.



Les plus beaux poèmes - Page 70 20210111
 
avatar
   
    
                         
Invité  /  Invité


Très beau Les plus beaux poèmes - Page 70 3029968519
 
Jdoo
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  5061
   Âge  :  57
   Localisation  :  Paris
   Pensée du jour  :  Three blinds rabbits.
   Date d'inscription  :  05/11/2017
    
                         
Jdoo  /  Maîtrise en tropes


Vladislav Khodassevitch
Traduction de André Markowicz (piqué sur sa page facebook aujourd'hui).
Voilà ce qu'André dit de ce poème :

"Khodassevitch (1886-1939) était Moscovite. Il a vécu la semaine, sanglante, de prise du pouvoir par les bolchéviks en octobre 1917. Le poème que je vous propose appartient à un cycle de textes en pentamètres iambiques blancs sur lequel je travaille depuis des années."


Le 2 novembre

Sept jours, sept nuits, Moscou s'est débattue,
Dans la fièvre et le feu. Le médecin
Brutal l'aura saignée abondamment,
Et, harassée, elle a repris conscience
À l'aube du huitième jour. Les gens,
Sortaient, rampants, hors des caves voûtées
Sur les trottoirs. Ainsi, après l'orage,
Les rats ressortent vers l'énorme flaque,
File craintive, dans la cour du fond,
Et s'enfuient à nouveau dès qu'ils entendent
Tomber depuis les toits sur une pierre
Une dernière goutte... Vers midi,
Les gens se rassemblaient par petits groupes
Devant les trous d'obus dans les immeubles,
Les clochetons détruits ; par petits groupes,
Ils s'amassaient près des débris fumants
Et ils ne disaient rien, comptant les ruines
Et les impacts de balles sur les murs
Toujours debout. Des queues s'étaient formées
Près des boutiques. Des débris de câbles
Pendaient sur les chaussées. Les pas craquaient
Sur le verre brisé. L'œil jaune et froid
Du soleil de novembre était fixé
Sur des femmes vieillies en un seul jour,
Des hommes mal rasés, en bas, sous lui,
Et ce matin sentait non pas le sang
Mais une bile amère. Et, malgré tout,
De la Presnia à la Rogojskaïa
Et de Balchoug jusqu'à Léfortovo,
Les gens étaient sortis, foule compacte,
S'enquérir des amis, de la famille,
S'assurer qu'ils étaient toujours vivants.
J'en voyais qui portaient des provisions
Dans de petits paniers— ainsi, jadis,
Le Moscovite pieux au cimetière
Prenait à Pâque son petit œuf rouge
Pour le manger sur la tombe d'un proche...
Ce jour-là, moi aussi, j'ai fait pareil.
Mes amis allaient bien, et leurs enfants
Étaient chez eux. Que demander de plus ?
J'ai repris le chemin en sens inverse.
Le vent faisait voler dans les ruelles
De la poussière sèche, des mégots,
Des petits bouts de bois. À cinq immeubles
De mon immeuble à moi, par habitude,
J'ai regardé par la fenêtre sale
Dans l'entresol où vit le menuisier
Que je connais. Il était occupé
À une chose étrange. Il travaillait
Sur une longue caisse aux bords bombés
Retournée à l'envers. Le menuisier
Peignait la caisse au gros pinceau : les planches
Passaient, très vite, au pourpre. Mon ami
Terminait son travail : un cercueil rouge.
J'ai frappé au carreau. Il s'est tourné.
En m'inclinant très bas, la tête nue,
J'ai salué et Piotr Ivanovitch,
Et son travail, et aussi le cercueil,
Et la terre et le ciel qui sur la vitre
Se reflétait en bleu. Le menuisier
M'a répondu par un signe de tête
Et hoché les épaules, me montrant
Le cercueil rouge. J'ai repris ma route.
Dans notre cour, des enfants s'agitaient
Criant, se bousculant les uns les autres,
Autour d'un grand panier d'osier fermé,
Par des montants cassés on pouvait voir
Des plumes blanches. Dans un crissement
Traînant, l'un des battants s'est soulevé
Et dans un froufrou d'ailes, deux colombes
Se sont lancées, en tournoyant, plus haut,
Plus haut, sur le quartier muet, le fleuve...
Retombant, remontant, elles plongeaient
Comme des barques blanches vers le large,
Au loin. Et les enfants, suivant leur vol,
Sifflaient, applaudissaient... Un petit gosse,
Dans les quatre ans, sa toque sur la tête,
Restait, les bras en croix, sur une pierre,
Assis avec un grand sourire calme
À regarder le ciel, mais j'ai compris,
À voir ses yeux, que c'était à lui-même
Qu'il souriait, à la pensée sans mots
Qui pouvait naître sous son front bombé,
Privé encore de sourcils, j'ai vu
Qu'il écoutait battre son propre cœur,
Son énergie naissante, sa croissance...
Dans ce Moscou déchiqueté, perclus,
Déchu, il était là, indifférent,
On aurait dit une petite idole
Au sourire sacré, sans aucun sens...
Et devant lui, devant ce garçonnet,
Je me suis incliné.
--------------------Rentré chez moi,
J'ai pris du thé, j'ai classé les papiers
Qui s'étaient entassés sur mon bureau
Depuis une semaine et j'ai voulu
Me remettre au travail. Mais ce jour-là,
Pour la première fois, même Pouchkine
Fut incapable d'étancher ma soif.

20 mai — 1er juin 1918.


Dernière édition par jdoo le Mer 27 Jan 2021 - 21:34, édité 1 fois
https://julesallea92.wixsite.com/image
 
avatar
   
    
                         
Invité  /  Invité


I love you
 
avatar
   
    
                         
Invité  /  Invité


Jules Supervielle, La Fable du monde (1938)

Visages des animaux
Si bien modelés du dedans à cause de tous les mots que vous n'avez pas su dire,
Tant de propositions, tant d'exclamations, de surprise bien contenue,
Et tant de secrets gardés et d'aveux sans formule,
Tout cela est devenu poil et naseaux bien à leur place
Et humidité de l'œil,
Visages toujours sans précédent tant ils occupent l'air hardiment !
Qui dira les mots, non-sortis des vaches, des limaçons, des serpents,
Et les pronoms relatifs, des petits, des grands éléphants.
Mais avez-vous besoin des mots, visages non-bourdonnant
Et n’est-ce pas le silence, qui vous donne votre sereine profondeur
Et ces espaces intérieurs qui font qu’il y a des vaches sacrées
Et des tigres sacrés
Oh je sais, que vous aboyez, vous beugler et vous mugissez
Mais vous gardez pour vous vos nuances
Et la source de vos espérances...
 
Pasiphae
   
    Féminin
   Nombre de messages  :  10023
   Âge  :  31
   Localisation  :  Paris
   Pensée du jour  :  nique la miette
   Date d'inscription  :  22/06/2010
    
                         
Pasiphae  /  Truquage geniphasien


Liliane Giraudon, extrait de Le travail de la viande, 2019, P.O.L.

À mes yeux d’enfant ce n’était pas du théâtre.
Ni du poème. Simplement ce qui s’appelle un conte.
C’est-à-dire quelque chose qui a beaucoup à voir avec les ténèbres.

Un corridor, des portes de fer. Une épée.
Un frère et une sœur.
Un meurtre. Le meurtre vient du dehors.

J’avais dix ans. Je revois la fenêtre. Le livre posé sur le lit.
J’ai pris dedans, comme une voleuse. Une grande porte de fer sous des voûtes très sombres. Yvelaine échevelée, une lampe à la main.
C’étaient des voix. J’entendais les voix.
Je traduisais des voix d’une langue française dans une langue étrangère qui allait devenir la mienne, celle des livres qu’il allait me falloir écrire.
J’avançais entre deux mondes comme une enfant à demi idiote.
Comme quand on rêve de personnes mortes depuis longtemps et qu’on se demande où elles étaient passées durant tout ce temps.
Sachant pourtant que le rêve est actuel.

J’écrivais ce qui sortait des bouches du frère et de la sœur.
Cette bave qui coule du cul des araignées.
Cette voix d’une carcasse qui se déplaçait comme un fantôme et qui voulait enlever puis écraser le frère.
L’île aussi se déplaçait comme un bateau.

J’écrivais au crayon. Le plus minuscule possible. Sur des feuilles arrachées d’un cahier.
Comme une voleuse.
C’était comme si je cherchais une voix dans mon cœur.
Une voix qui avait été soulevée par celles d’Ygraine et de Tintagiles.
Par la chute d’un petit coprs derrière une porte de fer.
Il y avait aussi une fente. La fente parlait.
J’éprouvais je me souviens un plaisir fou à écrire.
Quelque chose de neuf, d’inconnu, d’étranger.
Je cachais les feuilles écrites dans mes vêtements.

Ce n’est qu’après que surgiront Nerval et Rimbaud. Ils anéantiront Maeterlinck.
L’été, je les attachais sur mon vélo. Aujourd’hui, je revois exactement le fossé et l’herbe où j’allais pour les lire.

L’ennui avec le bruit, disait Cage, c’est la musique.
Le dépossédant.
Les poèmes foutaient du bruit dans la musique, rendaient la musique au bruit.
Défaisaient la langue dans la bouche.
Rendaient l’eau dans le fossé plus eau, les herbes plus herbes.

L’activité du poème n’est pas incessante.

Qu’en savons-nous ? De quelle autre activité pouvons-nous la rapprocher ?
Celle invisible des vers dans le cadavre ?
 
avatar
   
    
                         
Invité  /  Invité


Un poème d'un auteur dont j'aime très fort et depuis longtemps les écrits :


j’étais tellement perdu que je redevenais sauvage
je ne me lavais plus
et passais mes journées à penser mon espace
à poncer mon esprit
nuançant le monde à l’infini
passant de songe en songe
seul assez souvent
un peu à côté de mes amis
à deux doigts d’être vivant
à vraiment pas loin
à juste un souffle d'être gai
je perdais ma beauté mes joues ne cessaient de gonfler
un ventre s’installa étouffant tout amour propre
j’étais devenu l’ami nounours qu’on aime sans désir
je me tamisais
me faisais de plus en plus discret
n’osant plus regarder les filles dans les yeux
longeant les murs courant d’une ombre à une autre sans passer par la lumière
je voulais être dans la lumière
mais j'en avais peur
j’avais parfois des besoins d’être acclamé
je rêvais de lumière
d’une eau de lumière où baigner mes cheveux gras
d’un éclat de tumulte
de passions un peu folles
mais on est un enfant quand on fait place à l’aimé
quand on se noue
quand on s’entrelace
quand on n’est plus à côté mais dedans
avec
pour
et l’enfant que j’étais est ici bien empoté
inquiet
trop gêné d’être tout nu
sans cesse à l’affût du moindre désamour
l’amant que je suis est l’enfant que je fus
or j’ai toujours joué seul
.................
je devais porter ce corps à l’abandon
ce monceau de pizzas de kebabs et de frites
ce ventre gonflé par le gaz des 8,6
au fond j’avais envie d'être avec une femme
mais j’avais peur de la gâcher
de gâcher son temps
de la tâcher quelque peu
sur les bords
puis
de ne pas être assez là pour qu'elle puisse s'appuyer
les femmes veulent être rassurées
mais je restais coi tout pantelant
tout penaud tout chancelant devant la vie
face à la mort la folie et les visages qui me hantaient
préférant fuir un cauchemar
que de quitter un trop beau rêve
ainsi les femmes demandent parfois aux amoureux
de faire cœur commun
d'être ce nous retentissant
et moi j’en étais presque à penser fuir
à me retirer du monde
à me barrer de la naissance
à tirer ma révérence
et à ne plus jamais aimer
tant rassurer me faisait peur
 
Pasiphae
   
    Féminin
   Nombre de messages  :  10023
   Âge  :  31
   Localisation  :  Paris
   Pensée du jour  :  nique la miette
   Date d'inscription  :  22/06/2010
    
                         
Pasiphae  /  Truquage geniphasien


Je peux enfin partager avec vous la "Lettre à une jeune poétesse" de Liliane Giraudon, que j'ai entendue l'année dernière et qui m'avait secouée et cueillie d'un même geste :')



J'ai pris en note, ci-dessous, la deuxième moitié, mais du coup c'est découpage et ponctuation maison.
Spoiler:
 
Aquae
   
    Autre / Ne pas divulguer
   Nombre de messages  :  1024
   Âge  :  25
   Localisation  :  le plus près possible d'une forêt
   Date d'inscription  :  01/12/2016
    
                         
Aquae  /  Amazone du Dehors


I love you Le texte est lu par Liliane Giraudon elle-même ?


Un court poème de Laurence Lola Veilleux :

Quand il y aura assez de rage pour fuir
j'inventerai quelques abris de laine

j'ai déchiré ma robe aux genoux
maintenant je sais par où les routes passent.
 
Hobbes
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  3363
   Âge  :  32
   Date d'inscription  :  31/10/2008
    
                         
Hobbes  /  Attention : chat méchant


Shy Watson a écrit:
Les plus beaux poèmes - Page 70 Sans_t10
https://premierdegre.com/
 
questiondepointure
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  196
   Âge  :  35
   Date d'inscription  :  19/02/2021
    
                         
questiondepointure  /  Tycho l'homoncule


Très connu, mais c'est pour moi l'un des meilleurs poèmes en langue française. J'adore ce mélange d'héroïsme, d'esthétique, d'aventure, de beauté et de violence.

Les conquérants

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde Occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré ;

Ou penchés à l'avant des blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

José-Maria de Heredia
https://www.wattpad.com/user/questiondepointure
 
Urkeuse
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  1245
   Âge  :  27
   Pensée du jour  :  Peau neuve
   Date d'inscription  :  02/07/2015
    
                         
Urkeuse  /  Tentatrice chauve


Il est magnifique ce poème Keanu, j'aimerais savoir qui l'a écrit pour lire d'autres choses de lui.



Nous deux encore



Air du feu, tu n’as pas su jouer.
Tu as jeté sur ma maison une toile noire. Qu’est-ce que cet opaque partout ? C’est l’opaque qui a bouché mon ciel. Qu’est-ce que ce silence partout ? C’est le silence qui a fait taire mon chant.

L’espoir, il m’eût suffi d’un ruisselet. Mais tu as tout pris. Le son qui vibre m’a été retiré.

Tu n’as pas su jouer. Tu as attrapé les cordes. Mais tu n’as pas su jouer. Tu as tout bousillé tout de suite. Tu as cassé le violon. Tu as jeté une flamme sur la peau de soie.
Pour faire un affreux marais de sang.

Son bonheur riait dans son âme. Mais c’était tout tromperie. Ca n’a pas fait long rire.

Elle était dans un train roulant vers la mer. Elle était dans une fusée filant sur le roc. Elle s’élançait quoiqu’immobile vers le serpent de feu qui allait la consumer. Et fut là tout à coup, saisissant la confiante, tandis qu’elle peignait sa chevelure, contemplant sa félicité dans la glace.
Et lorsqu’elle vit monter cette flamme sur elle, oh…
Dans l’instant la coupe lui a été arrachée. Ses mains n’ont plus rien tenu. Elle a vu qu’on la serrait dans un coin. Elle s’est arrêtée là-dessus comme sur un énorme sujet de méditation à résoudre avant tout. Deux secondes plus tard, deux secondes trop tard, elle fuyait vers la fenêtre, appelant au secours.
Toute la flamme alors l’a entourée.

Elle se retrouve dans un lit, dont la souffrance monte jusqu’au ciel, jusqu’au ciel, sans rencontrer de dieu… dont la souffrance descend jusqu’au fond de l’enfer, jusqu’au fond de l’enfer sans rencontrer de démon.
L’hôpital dort. La brûlure éveille. Son corps, comme un parc abandonné..

Défenestrée d’elle-même, elle cherche comment rentrer. Le vide où elle godille ne répond pas à ses mouvements.
Lentement, dans la grange, son blé brûle.
Aveugle, à travers le long barrage de souffrance, un mois durant, elle remonte le fleuve de vie, nage atroce.
Patiente, dans l’innommable boursouflé elle retrace ses formes élégantes, elle tisse à nouveau la chemise de sa peau fine. La guérison est là. Demain tombe le dernier pansement. Demain…
Air du sang, tu n’as pas su jouer. Toi non plus, tu n’as pas su. Tu as jeté subitement, stupidement, ton sot petit caillot obstructeur en travers d’une nouvelle aurore.
Dans l’instant elle n’a plus trouvé de place. Il a bien fallu se tourner vers la Mort.
A peine si elle a aperçu la route. Une seconde ouvrit l’abîme. La suivante l’y précipitait.
On est resté hébété de ce côté-ci. On n’a pas eu le temps de dire au revoir. On n’a pas eu le temps d’une promesse.
Elle avait disparu du film de cette terre.
Lou
Lou
Lou, dans le rétroviseur d’un bref instant
Lou, ne me vois-tu pas ?
Lou, le destin d’être ensemble à jamais
dans quoi tu avais tellement foi
Eh bien ?
Tu ne vas pas être comme les autres qui jamais plus ne font signe, englouties dans le silence.
Non, il ne doit pas te suffire à toi d’une mort pour t’enlever ton amour.
Dans la pompe horrible
qui t’espace jusqu’à je ne sais quelle millième dilution
tu cherches encore, tu nous cherches place
Mais j’ai peur
On n’a pas pris assez de précautions
On aurait dû être plus renseigné,
Quelqu’un m’écrit que c’est toi, martyre, qui va veiller sur moi à présent.
Oh ! J’en doute.
Quand je touche ton fluide si délicat
demeuré dans ta chambre et tes objets familiers que je presse dans mes mains
ce fluide ténu qu’il fallait toujours protéger
Oh j’en doute, j’en doute et j’ai peur pour toi,
Impétueuse et fragile, offerte aux catastrophes
Cependant, je vais à des bureaux, à la recherche de certificats gaspillant des moments précieux qu’il faudrait utiliser plutôt entre nous précipitamment tandis que tu grelottes
attendant en ta merveilleuse confiance que je vienne t’aider à te tirer de là, pensant « A coup sûr, il viendra
« il a pu être empêché, mais il ne saurait tarder
« il viendra, je le connais
« il ne va pas me laisser seule
« ce n’est pas possible
« il ne vas pas laisser seule, sa pauvre Lou…
Je ne connaissais pas ma vie. Ma vie passait à travers toi. Ca devenait simple, cette grande affaire compliquée. Ca devenait simple, malgré le souci.
Ta faiblesse, j’étais raffermi lorsqu’elle s’appuyait sur moi.
Dis, est-ce qu’on ne se rencontrera vraiment plus jamais ?
Lou, je parle une langue morte, maintenant que je ne te parle plus. Tes grands efforts de liane en moi, tu vois ont abouti. Tu le vois au moins ? Il est vrai, jamais tu ne doutas, toi. Il fallait un aveugle comme moi, il lui fallait du temps, lui, il fallait ta longue maladie, ta beauté, ressurgissant de la maigreur et des fièvres, il fallait cette lumière en toi, cette foi, pour percer enfin le mur de la marotte de son autonomie.
Tard j’ai vu. Tard j’ai su. Tard, j’ai appris « ensemble » qui ne semblait pas être dans ma destinée. Mais non trop tard.
Les années ont été pour nous, pas contre nous.
Nos ombres ont respiré ensemble. Sous nous les eaux du fleuve des événements coulaient presque avec silence.
Nos ombres respiraient ensemble et tout en était recouvert.

J’ai eu froid à ton froid. J’ai bu des gorgées de ta peine.
Nous nous perdions dans le lac de nos échanges.
Riche d’un amour immérité, riche qui s’ignorait avec l’inconscience des possédants, j’ai perdu d’être aimé. Ma fortune a fondu en un jour.
Aride, ma vie reprend. Mais je ne me reviens pas. Mon corps demeure en ton corps délicieux et des antennes plumeuses en ma poitrine me font souffrir du vent du retrait. Celle qui n’est plus, prend, et son absence dévoratrice me mange et m’envahit.
J’en suis à regretter les jours de ta souffrance atroce sur le lit d’hôpital, quand j’arrivais par les corridors nauséabonds, traversés de gémissements vers la momie épaisse de ton corps emmailloté et que j’entendais tout à coup émerger comme le « la » de notre alliance, ta voix, douce, musicale, contrôlée, résistant avec fierté à la laideur du désespoir, quand à ton tour tu entendais mon pas, et que tu murmurais, délivrée « Ah tu es là ».
Je posais ma main sur ton genou, par-dessus la couverture souillée et tout alors disparaissait, la puanteur, l’horrible indécence du corps traité comme une barrique ou comme un égout, par des étrangers affairés et soucieux, tout glissait en arrière, laissant nos deux fluides, à travers les pansements, se retrouver, se joindre, se mêler dans un étourdissement du cœur, au comble du malheur, au comble de la douceur.
Les infirmières, l’interne souriaient ; tes yeux pleins de foi éteignaient ceux des autres.
Celui qui est seul, se tourne le soir vers le mur, pour te parler. Il sait ce qui t’animait. Il vient partager la journée. Il a observé avec tes yeux. Il a entendu avec tes oreilles.
Toujours il a des choses pour toi.
Ne me répondras-tu pas un jour ?
Mais peut-être ta personne est devenue comme un air de temps de neige, qui entre par la fenêtre, qu’on referme, pris de frissons ou d’un malaise avant-coureur de drame, comme il m’est arrivé il y a quelques semaines. Le froid s’appliqua soudain sur mes épaules je me couvris précipitamment et me détournai quand c’était toi peut-être et la plus chaude que tu pouvais te rendre, espérant être bien accueillie ; toi, si lucide, tu ne pouvais plus t’exprimer autrement. Qui sait si en ce moment même, tu n’attends pas, anxieuse, que je comprenne enfin, et que je vienne, loin de la vie où tu n’es plus, me joindre à toi, pauvrement, pauvrement certes, sans moyens mais nous deux encore, nous deux…"


Henri Michaux.



Song

O between distress and pleasure
Fond affection cannot be;
Wretched hearts  in vain would treasure
Friendship's joys when other flee.

Well I know thine eye would never
Smile, while mine grieved, willingly;
Yet I know thine eye for ever
Could not weep in sympathy.

Let us part, the time is over
When I thought and felt like thee;
I will be an Ocean rover,
I will sail the desert sea.

Isles there are beyond its billow;
Lands where woe may wander free;
And, beloved, thy midnight pillow
Will be soft unwatched by me.

Not on each returning morrow
When thy heart bounds ardently
Need'st thou then dissemble sorrow,
Marking my despondency.

*

Chanson

Entre joie et poignant ennui
Oh ! ne se peut nulle tendresse :
C'est en vain qu'un coeur en détresse
Retient l'amitié qui s'enfuit.

Jamais tes yeux ne souriraient
A voir les miens mouillés de larmes,
Mais je sais bien qu'ils ne sauraient
Toujours partager mes alarmes.

Adieu. C'en est fini du temps
Que nous pensions, sentions de même.
Je veux rôder par l'océan,
Je veux courir les mers désertes.

Aux îles, aux lointains rivages
Le malheur est libre d'errer;
Ton oreiller sera suave,
Mon très cher, sans moi pour veiller.

Tu n'auras plus, chaque matin,
Quand ton cœur bondit d'allégresse,
A simuler un air chagrin
Pour t'accorder à ma tristesse.


Emily Jane Brontë.
 
avatar
   
    
                         
Invité  /  Invité


Urkeuse, l'auteur du poème s'appelle Pierre Anselmet.
Il vient d'ailleurs tout juste de publier un nouveau recueil, dans lequel figure ledit texte : soli, aux éditions Stellamaris. https://editionsstellamaris.blogspot.com/2021/05/soli.html
 
Urkeuse
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  1245
   Âge  :  27
   Pensée du jour  :  Peau neuve
   Date d'inscription  :  02/07/2015
    
                         
Urkeuse  /  Tentatrice chauve


Oh merci ! study
 
Galnir
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  22
   Âge  :  23
   Localisation  :  Köln
   Date d'inscription  :  10/05/2021
    
                         
Galnir  /  Homme invisible


"Nos ombres ont respiré ensemble. Sous nous les eaux du fleuve des événements coulaient presque avec silence.
Nos ombres respiraient ensemble et tout en était recouvert."  Crying or Very sad

Ce poème de Michaux, que je ne connaissais pas, est bouleversant. Comment c'est possible d'écrire quelque chose d'aussi tragique avec une aussi grande justesse, sans le moindre faux pas ?

(Le poème suivant étant connu, c'est possible qu'il ait été déjà posté ici)


Chanson d'automne

Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure

Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.

Paul Verlaine, Poèmes saturniens
 
   
    
                         
Contenu sponsorisé  /  


 

 Les plus beaux poèmes

Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut 
Page 70 sur 74Aller à la page : Précédent  1 ... 36 ... 69, 70, 71, 72, 73, 74  Suivant

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Forum des Jeunes Écrivains :: Communauté :: Bibliothèque-