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| | | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mer 6 Jan 2021 - 18:07 | |
| Préface
Celui qui croit que la littérature est littérature est idiot. C’est clair. Ce livre n’est pas un livre. Voici : j’avais envie de chanter, ce matin et j’ai chanté toute la matinée. Je chantais et je me lavais, je chantais et je battais le linge, je chantais et j’ai mis du papier dans la machine à écrire. L’écriture n’allait pas. Ça a commencé, le tourment : pourquoi je m’empêchais encore de vivre, pourquoi j’étais intimidée par le téléphone, pourquoi je craignais les moqueries des manucures, pourquoi j’avais honte de mes doigts gercés, pourquoi je me taisais, dans les soirées entre amis, pourquoi ce nœud, cette boule, insupportables, qui font qu’on ne m’invite pas sans faire la moue – facilement je jette un froid – pourquoi personne ne reste-t-il à côté de moi ? Oui, voilà, oui, je suis insupportable. J’en étais arrivée là : où étaient passés ma bonne humeur, mon chant ! – À quoi sert tout ça ? – je tapais à la machine. – Que puis-je encore dire à quiconque ? Alors j’ai compris tout à coup que ce que moi je suis, cette somme de peurs et de refus est le signe des humiliés, des asservis, et que sur terre nous sommes plus nombreux avec ce signe, qui fait notre malheur que les affamés ou ceux qui meurent de faim. Nous sommes là, nous faibles, asservis avec nos maux hérités, souillés des empreintes de l’Histoire. Moi, j’arrache pour moi-même des lambeaux de liberté. Rien ne m’a été d’abord donné. Pays natal, patrie, il m’a fallu tout trouver pour moi-même, quand d’autres y sont nés. … et tous les moments – le mot gentil, pour lequel je m’assois, dans un parc sur un banc, admire les laides broderies ; le verre d’eau que j’ai bien mérité, à Gyímesközéplok, mes amis, enfin tout, et tous les jours, encore et encore il me faut tout tirer de tout, il n’y a personne qui puisse m’aider, qu’on ne m’aide pas – je suis têtue, je vais jusqu’à sembler ne plus le supporter, je suis seulement au bord de tomber, et puis, encore et encore… Mais oh ! en vain. Ils voient à tes yeux que tu es sans défense, ils l’entendent à ta voix, ils le voient à ta gêne, à tes gestes inhabiles. Ils savent où frapper avec le coup précédent pour complice. Ils te rétorquent : – Pourquoi te laisses-tu faire ? – Pourquoi te laisses-tu faire, marche des asservis, anneau tout autour de la terre ? Prends appui sur la terre, prends appui sur toi-même, prends appui sur la liberté que tu as arrachée, prends appui sur l’amour ! Ce livre n’est pas un livre. Mais l’unique possibilité, à présent, de créer ma liberté, et d’en savourer tous les goûts. Dans ce livre je crache au visage de chacun de ceux qui m’ont humiliée, qui m’ont détournée de la vie, prise en pitié, rejetée, trompée, ce livre est entièrement ce grand crachat pour tous ceux qui ont été humiliés une fois, ou qui le sont toujours. Et celui qui dira qu’il y a plus important que ça, c’est qu’il ignore que la littérature n’est pas littérature, et donc, qu’il est idiot.
Gizella Hervay, dans Phrases élémentaires, trad. du hongrois Zsófia Szatmári et Jean-François Puff |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Jeu 7 Jan 2021 - 22:20 | |
| Coucou Jasmin, je double-poste pour te poser cette question : de quel recueil est issu le poème que tu partages avec nous ? un de mes contacts twitter se demande comment accéder à la poésie de Lorde (il ne lit pas du tout l'anglais) |
| | | Invité / Invité Ven 8 Jan 2021 - 0:50 | |
| Je transporte des explosifs, on les appelle des mots, anthologie de poétesses américaines, la seule à ma connaissance qui contienne des poèmes d’Audre Lorde traduits |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Ven 8 Jan 2021 - 1:13 | |
| Un grand merci, je transmets ! J’ai plus d’une fois lorgné du côté de cette anthologie... |
| | Nombre de messages : 3363 Âge : 32 Date d'inscription : 31/10/2008 | Hobbes / Attention : chat méchant Ven 8 Jan 2021 - 12:19 | |
| C'est marrant, il m'a semblé quinze secondes que vous discutiez de Lorde la chanteuse et je me suis dit que c'était chouette de citer quelqu'un dont la musique a de vraies qualités lyriques. C'est plus faible par endroits, comme toujours, mais il y a plein de choses vraiment fortes et immédiates et neuves qui se baladent dans Melodrama. - Writer in the Dark :
Break the news, you're walking out To be a good man for someone else Sorry, I was never good like you Stood on my chest and kept me down Hated hearing my name on the lips of a crowd Did my best to exist just for you
Bet you rue the day you kissed a writer in the dark Bet you rue the day you kissed a writer in the dark Now she's gonna play and sing and lock you in her heart Bet you rue the day you kissed a writer in the dark
I am my mother's child, I'll love you 'til my breathing stops I'll love you 'til you call the cops on me But in our darkest hours, I stumbled on a secret power I'll find a way to be without you, babe
I still feel you, now and then Slow like pseudo-ephedrine When you see me, will you say I've changed? I ride the subway, read the signs I let the seasons change my mind I love it here since I've stopped needing you
Bet you rue the day you kissed a writer in the dark Bet you rue the day you kissed a writer in the dark Now she's gonna play and sing and lock you in her heart Bet you rue the day you kissed a writer in the dark
I am my mother's child, I'll love you 'til my breathing stops I'll love you 'til you call the cops on me But in our darkest hours, I stumbled on a secret power I'll find a way to be without you, babe
Je ne sais pas à quoi ça tient — sans doute parce que je fais gaffe et que c'est ce qui m'intéresse en général — mais il y a pas mal de fulgurances assez frappantes dans la musique mainstream de ces dernières années. Je les notais fut un temps, il faudrait que je retrouve. |
| | Nombre de messages : 5394 Âge : 32 Date d'inscription : 15/12/2011 | Hiver / La Papesse Ven 8 Jan 2021 - 17:17 | |
| Je l'ai à la maison si tu voudras la feuilleter Pasiphae |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Ven 8 Jan 2021 - 18:05 | |
| Génial !
Hobbes, tu nous ferais un topic avec ces fulgurances ? |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 11 Jan 2021 - 17:04 | |
| Rakosi était le dernier des poètes objectivistes américains à n'avoir pas été traduit en français ; peut-être parce que sa langue poétique ne servait aucune théorie ici, en France, contrairement aux autres objectivistes qui furent le terrain de bien des querelles théoriques récentes. Amulette, sorti en 2019, est donc la première traduction d'un des poètes américains majeurs du XXe siècle. EN voici quelques extraits, pour l'instant trouvés sur internet (le recueil n'est pas donné donné...) - Spoiler:
Le poème
entre
comme le choc
de l’océan
dans ma tête
et sort comme un modèle réduit
dans le monde
sentant bon comme la rose,
nooon… ?
- Spoiler:
Ce sont les données brutes.
Un mystère les traduit
en sentiment et perception
puis en imagination ;
et pour finir en cette image de quartz
dure et inévitable
née de la volonté
et du langage.
- Spoiler:
Le soir tombe doucement
sur la maison et l’herbe
et sur toutes les branches
et les sommets nous tombent
dessus comme nous sommes allongés
sur les feuilles du chêne
couvant les herbes nocturnes.
Carl Rakosi, Amulette, trad. Philippe Blanchon |
| | Nombre de messages : 2016 Âge : 26 Date d'inscription : 27/03/2019 | Scezelivo / Crime et boniment Lun 11 Jan 2021 - 17:11 | |
| Wouah c'est trop bien Rakosi ! « nooon... ? » m'a fait rire ! |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 11 Jan 2021 - 17:13 | |
| Je suis d'accord avec toi, immédiatement séduite. C'est une écriture très "immédiate" pour moi, alors que la poésie objectiviste me semble parfois très difficile d'accès ! |
| | Nombre de messages : 2016 Âge : 26 Date d'inscription : 27/03/2019 | Scezelivo / Crime et boniment Lun 11 Jan 2021 - 17:26 | |
| Je connais pas du tout les obob, mais lui, c'est sur, si je le croise, j'le chope, ce Rakosi ! En plus, j'aime bien, « Rakosi », ça colle vachement bien avec ce qu'il écrit – ou au moins la traduction de ce qu'il écrit. Puis, j'ai l'impression, ce qui est cool, c'est que ses poèmes à l'interprétation ont l'air vachement ouverts, comme ça, et en même temps, je comprenais pas bien du tout c'est quoi l'obob en poésie, et lisant ces trois poèmes, je crois qu'on saisit mieux kessécé vrément. |
| | Nombre de messages : 278 Âge : 32 Date d'inscription : 20/02/2020 | Jardin / Autostoppeur galactique Sam 16 Jan 2021 - 15:06 | |
| https://voca.ro/1orq4Zvbvlm9 |
| | Nombre de messages : 10037 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 18 Jan 2021 - 17:36 | |
| - Invité a écrit:
- j'aurais aimé qu'il y ait plus de textes traduits de cet auteur estonien
- Jaan Kaplinski a écrit:
- Tout a été écrit, tout a été chanté
Tout a été écrit, tout a été chanté. Et ce que l’on écrit ou chante encore compte de moins en moins, s’entend plus faiblement à travers le vent marin dans les pommiers et à travers le pépiement affamé des petits étourneaux dans les nichoirs, au-dessus de la tête des poètes. Plus tu vis, parles et écris, plus il te devient clair que tu es sur une île, ancienne et usée, sous laquelle s’en trouve une autre, plus proche du feu, plus proche du vrai peut-être, mais plus loin de ces mots que nous échangeons et jetons ici au vent de la Baltique. Je ne sais pas qui avait posté ce poème, mais il est splendide. |
| | Nombre de messages : 1332 Âge : 21 Date d'inscription : 21/03/2020 | houle / Tentatrice chauve Dim 24 Jan 2021 - 16:47 | |
| - Citation :
Tout commence par la perte des eaux. L’outre se désemplit pour livrer le passage à une entité complète en soi. Pas un corps étranger ; un bourgeon, une ébauche, une excroissance intime, qui, une fois émergé, devient cet autre auquel seuls nous rattachent les liens de l’amour et du désarroi. Dès cette première séparation, la joie se teinte de désolation: il ne se souviendra pas de ce temps-là, de ce partage de nos matières, de ce qu’il a pris de moi pour se former, de ce que je lui ai donné pour le façonner. Cette amnésie des enfants, heurtée à la permanence obstinée de la mémoire des mères, c’est la toute première déchirure.
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| | Nombre de messages : 1175 Âge : 32 Date d'inscription : 08/10/2016 | Pattrice / Effleure du mal Dim 24 Jan 2021 - 22:35 | |
| Gertrud Kolmar Tr. Ferdinand Cambon [size=36] [/size] |
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