au fil de mon écriture j'ai de plus en plus épuré mes images et mon langage, allant au plus simple possible, pensant par là trouver une sorte de sincérité qui rendait plus supportable la prétention de produire de la beauté à partir de ses expériences propres.
le fait que j'écrive sur le forum joue aussi énormément. je sais que mes poèmes peuvent être reçus de cette manière là, intime, parce que j'ai appris à partager cette intimité au fil des ans, en postant mes poèmes. pour moi cela compte beaucoup. je peux dire certaines choses sans avoir besoin de prendre une distance que l'on peut prendre parfois en prenant la posture du "poète". c'est à dire, comme tu dis, produire quelque chose dont on percevra la qualité d'œuvre d'art en première lecture.
j'ai beaucoup travaillé sur ça quand j'écrivais les poèmes du pénis anarchiste, et je pense que ça a influencé la suite également. parler d'une manière franche, entre le ton de la confession et le ton de la revendication (de nos propres sentiments), utiliser un nouveau vocabulaire moins "poétique"... mais au delà de la forme, c'est aussi penser la poésie autrement ; occuper une place dans un espace de partage, produire une parole sociale qui campe des deux jambes sur une parole intime.
tu parles beaucoup de l'art, du but de l'art, mais c'est vrai que ces questions je ne me les pose pas vraiment. je crois que j'aime bien écrire, et que j'aime bien partager des choses. dans mon esprit je fais moins de l'art que des petits textes que je montre et communique à mes ami.es. c'est une manière de parler. j'ai des choses à raconter, à confesser, je le fais de différentes manières en utilisant le support de la poésie, ce que je connais d'elle, ce que j'emprunte de différent.es poéètesses. je crois que j'aime juste imiter et raconter dans mes poèmes ce qui me traverse, un peu comme quand on raconte de mémoire le pitch d'une série ou d'un roman à un.e ami.e dans le but de les convaincre de la regarder ou de le lire, mais en gardant pour moi le secret de la poéètesse en moi.
quant à la vérité, je n'invente pas grand chose en général, même quand je revêts une autre identité. je prends des éléments, des souvenirs, des moments, je les réorganise parfois, ou les modifie sciemment ou non. la principale figure de style que j'utilise c'est la comparaison, c'est peut être même la seule parfois. et je pense que la comparaison c'est la base de la poésie même avant la métaphore (pavese a écrit un très beau passage sur ça dans le métier de vivre faut que je retrouve). bref je voulais dire que la comparaison, c'est associer quelque chose à une autre, et c'est mon principal processus d'écriture. j'associe mes sentiments à mon environnement, et une fois lancé, j'associe mon poème à mes lectures. tout est en premier jet, je ne sais jamais où je vais, je rebondis sur les vers que j'ai déjà écris, et la répétition (l'autre figure de style que j'utilise beaucoup) des mots ou des choses c'est surtout que je tourne autour d'une chose et que je lui associe d'autre choses, et qu'ensuite je cherche une mini conclusion : ce que j'ai tiré de la chose, de mon parcours. la conclusion n'a pas à être décisive ni comprendre vraiment un nouveau savoir. mais je sens à chaque fois quand le poème est fini.
pour revenir au sujet, la vérité, le soi, et de manière plus générale, même si je peux prendre des évènements et des choses "vraies" que j'ai pu vivre, je ne crois pas que cela soit significatif de quoi que ce soit dans la lecture du poème. je pense que le poème est indépendant. je ne lis jamais les poèmes intimes des autres en m'émouvant sur leur état émotionnel relatif à leur personne "réelle". mon rapport au poème, ma lecture, est un autre mode d'interaction qui n'a pas du tout les mêmes fonctionnements que ceux qui généralement mènent à la communication empathique et personnelle. cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas interagir de manière empathique lorsqu'on commente ou lit le poème. c'est simplement que cela se fait sur un autre niveau. le même niveau d'ailleurs que quand on lit des poéètesses que l'on ne connait pas, et que l'on s'émeut pourtant de la même manière, que l'on commenterait de la même manière si on le pouvait. de la même manière quand j'écris je ne pense pas (plus) à moi en tant que soi, mais moi-poète, qui s'exprime différemment, qui a une histoire derrière lui contenue dans tous ses poèmes. ce que je raconte qui puisse être intime passe toujours par ce prisme du poète. et la sincérité du langage (dans la forme) pour moi relève plus d'une volonté esthétique que d'une volonté d'atténuer ce prisme.
voilà voilà
