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 The Wandering Inn [Fan-traduction] [Fantastique] [Aventure]

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EllieVia
   
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EllieVia  /  Clochard céleste




2.35 - Première Partie
Traduit par EllieVia

Mon cœur bat tellement fort que j’ai l’impression qu’il va sortir de ma poitrine. Mes jambes sont en feu.

Je suis en forme. Je crois. Non… je sais que j’ai une bonne condition physique. Excellente, même. Si on me comparait à n’importe quel athlète de mon monde, on s’apercevrait que…

Mes suppositions n’ont aucune importance à cet instant précis. Mais voilà ce que je sais : je suis à l’apogée de mes capacités dans ce monde, malgré tout ce qu’il m’y est arrivé. Ce n’est pas que j’aie acquis des Compétences ou des classes, c’est simplement la nature même de ce monde qui m’a transformée. Je suis plus que ce que j’étais, et cela me dérange.

Mais ma rapidité, ma force et ma santé ont beau avoir été multipliées par un facteur inconnu, je ne suis pas encore surhumaine. Je ne peux pas bouger aussi vite que Scruta, je n’ai pas la capacité de fendre la terre en deux comme Calruz. Bon sang, je ne connais que quelques sorts que je ne peux jeter qu’une fois, grâce à Ceria.

Je n’ai que ce que j’ai mérité. Même les sorts que je connais sont des choses que j’ai dû apprendre, pas des choses que l’on m’a données. [Lampe Torche], [Grenade Assourdissante], [Fus...]...

Enfin, le dernier reste conceptuel. Mais tous ces sorts ont émergé des quelques notions que je comprends. On peut rendre le sort de [Lumière] plus intense, altérer sa forme, et même jeter son orbe si on veut surprendre quelqu’un. Mais il n’en reste pas moins un sort peu puissant. Je ne peux pas m’en servir pour tuer quelque chose.

C’est le problème. C’est la raison de la peur qui m’étreint alors que je cours dans la nuit, des flocons tailladant mon visage nu levé vers les lumières qui se découpent sur le ciel sombre.

Les Fées de Givre. Elles luisent d’une lueur bleutée et d’une couleur profonde que les mots humains sont incapables de décrire. Et elles volent à travers le vent et les ténèbres comme s’ils n’existaient pas, s’attardant brièvement seulement pour m’attendre. Elles savent où se trouve Mrsha, et elles me guident vers elle.

Mais dans mon cœur, j’ai peur qu’il ne soit trop tard. Ou pire, que j’échoue. Je n’ai obtenu qu’une chance. Une chance de sauver sa vie.

Je ne sais pas où se trouve Mrsha. Elle a disparu en glanant de la nourriture. Elle aurait pu se perdre, mais… non. Non, si c’était le cas, elle serait revenue. Si elle s’est tant éloignée du Gnoll qui l’accompagnait, c’est parce qu’elle a été enlevée, ou qu’elle a dû fuir.

Un monstre, alors. Ou quelque chose… d’autre. Je ne sais pas. Mais si c’est le cas, il va peut-être falloir que je combatte la chose qui a enlevé Mrsha. Et j’ai peur d’être trop faible pour la vaincre.

Les fées volent un peu plus haut dans le ciel et je vois la terre commencer à s’incliner. J’ai une torche que l’un des Gnolls m’a donnée. Ses lumières vacillantes illuminent le sol devant moi. Je pourrais m’en débarrasser et utiliser un sort de [Lumière], mais il faut que je conserve toutes mes réserves magiques. Chaque sort me fatigue, et je ne peux pas me permettre de ralentir.

Je suis plus fort qu’avant, mais je reste faible. Mon cœur bat la chamade, et j’ai peur. Pas que des monstres.

Le paysage remonte graduellement en pente douce à partir du campement des Lances de Pierre. Les Gnolls se sont installés au pied d’une montagne, l’une de celles qui entourent Liscor. Si je lève les yeux, je peux la voir, un mur gigantesque de Pierre et de glace qui s’élève dans le ciel.

C’est vaste. Cela me fait penser à l’Himalaya, mais je me demande si ces sommets ne sont pas encore plus hauts. Et j’ai peur.

Si je dois grimper ici, est-ce que j’arriverai à atteindre Mrsha à temps ? À quel point une enfant pourrait-elle s’éloigner ?

Je suis vêtue de vêtements lourds, à présent. Des vêtements d’hiver : des bottes, un pantalon rembourré et un manteau qui bloque la majeure partie du froid qui m’entoure. Mais ils ne sont pas fabriqués avec les tissus ultrafins de mon monde. Mes vêtements sont lourds, encombrants, et la sueur de ma course dans la neige et la glace les alourdit encore.

De plus, j’ai couru toute la journée à la recherche de Mrsha. Mon corps n’a même pas encore complètement récupéré de la potion que Teriarch m’avait donnée. Et je suis mortelle. Si je me tords la cheville sur un caillou, je peux facilement me casser le pied.

Tout cela rendait le fait de retrouver Mrsha impossible. Et je dois la retrouver. Je n’ai pas le choix. Mais je n’aurai qu’une chance.

Le Destin. Les fées l’ont mentionné. Je lève les yeux sur elles en poursuivant ma course, cherchant mon souffle. Mes jambes brûlent déjà. Je ne devrais pas courir si vite.



“Pourquoi ralentis-tu ?”




L’une des fées descend vers moi en remarquant que j’ai réduit ma vitesse. Je secoue la tête, mais il faut que je réponde, et je parviens à répondre entre deux respirations hachées.

“Je garde mes forces.”

J’y suis obligée. Si je continue de courir à pleine vitesse, je n’aurais bientôt plus de carburant. Et je sais qu’il m’en faudra très probablement bien davantage encore.

La fée secoue la tête d’un air désapprobateur.




“Étrange. Vous autres mortels avez des mœurs bien étranges. Pourquoi courir moins vite pour courir plus vite plus tard ?”




Je ne sais pas si je devrais lui parler. Ça gaspille de l’énergie ? Mais tout ce que je peux tirer des fées silencieuses en vaut la peine.

“Si tu sais à quelle distance d’elle je suis, dis-le-moi et je courrai aussi vite que possible.”

La fée me regarde sans sourire.


“Ne demande pas plus que ce que l’on t’a donné, mortelle. Nous violons une règle en ce moment même, pour te donner une chance.”



“Mais est-ce le destin ? Est-ce que vous savez ce qui va se produire ?”

C’est la question qui est tapie dans mon cœur. Le destin. Est-ce que tout fait partie d’un plan plus grand ? Si c’est le cas…

La fée me dévisage de ses yeux froids et repart voler plus haut. Je la regarde partir, frustrée. Elle ne veut pas me dire. Mais pourquoi des immortelles iraient-elles dire quoi que ce soit à des jouets ? Si nous sommes si simples, pourquoi prendre la peine de s’occuper de nous ?

Je crois que je comprends pourquoi elles nous méprisent tant. La véritable question, c’est pourquoi prennent-elles la peine de nous parler tout court.

Les fragments d’immortalité. Les histoires éternelles. Les enfants. Voilà ce qu’aiment les fae. Ce sont peut-être les raisons pour lesquelles elles nous aident.

Mais dans tous les cas, le reste m’incombe. J’accélère donc le rythme, un tout petit peu.

Toute course possède un rythme. J’ai fait des marathons, et je m’y connais suffisamment en course en terrain accidenté pour me déplacer rapidement. Mais je reste lente comparée à ce que je serais pieds nus et sans tous ces vêtements.

Les fées poursuivent leur vol au-dessus de ma tête. Elles me guident et nous contournons une forêt, remontons une pente, et ainsi de suite. Je reconnais les lieux, à présent. Je suis venue ici plus tôt dans la journée.

Nous arrivons là où Mrsha a été vue pour la dernière fois. Une colline où des racines comestibles se cachent sous la neige. De nombreux pieds ont piétiné la neige, mais les fées ne marquent même pas de pause en arrivant ici. Elles volent vers le nord, en direction de la montagne.

Urksh avait raison. Si Mrsha a fui quelque part, c’est là-bas. C’est un endroit que les Gnolls n’allaient pas fouiller avec trop d’assiduité. Si tu montes trop haut, tu cours le risque d’être perdu à jamais. Personne ne peut t’entendre, ni te sentir si tu te retrouves sous une avalanche.

Je gravis la pente, toujours plus haut. Mes jambes… je gravis la colline, puis encore plus haut. Je ne peux pas m’arrêter.

Pitié, faites qu’il ne soit pas trop tard.



***



Elle a froid. Mrsha éternue et sanglote dans un endroit d’où elle ne pourra pas s’échapper. Elle a très froid.

Elle n’a jamais eu aussi froid de sa vie. Le vent hivernal la gèle sur place. D'ordinaire, elle serait déjà rentrée au campement bâti par sa tribu, et se serrerait avec les autres pour avoir chaud dans une tente ou autour du feu, tellement près de ce dernier que sa fourrure pourrait s’enflammer à tout instant…

L’idée même fait gémir Mrsha, mais elle est trop fatiguée, trop effrayée pour émettre un bruit plus fort. Au début, elle avait hurlé et appelé à l’aide, mais personne n’était venu.

Elle sait qu’elle est montée trop haut. Elle le sait. Tous les anciens le lui ont dit et répété, de ne jamais monter si haut .Elle sait qu’ils ne peuvent pas la trouver ici.

Mais elle n’a pas eu le choix. Mrsha jette un œil à la chose écroulée à côté d’elle, à moitié ensevelie sous la neige, et frissonne. Elle essaie de s’en écarter, mais il n’y a pas la place. Et elle est blessée.

Elle s’assied et lève les yeux vers le ciel. Il fait froid. Elle a faim, et elle est désespérée. Elle a peur de ne jamais être secourue, à présent. Et elle est de plus en plus fatiguée. Elle lève le nez en l’air et hume de nouveau l’air.

La voilà. Cette même odeur. Elle ne provient pas juste d’à côté d’elle ; elle flotte dans les airs. Le nez de Mrsha est puissant, mais pour une Gnolle. Elle sent l’odeur flotter dans les airs, partout dans la montagne.

Ils sont partout. Et l’idée de ces créatures effraie Mrsha. Mais elle ne peut rien faire. Donc elle s’assied. Et attend.

Si elle croyait aux dieux, elle aurait prié. Mais Mrsha sait que les dieux sont morts. Elle se contente donc d'espérer. Elle essaie de croire.

Mais il fait si froid.






***




Haut. Plus haut encore. Je suis les fées qui me guident au pied de la montagne. Je crois qu’elles essaient de me guider par le chemin le plus sûr, mais…

J’ai déjà fait l’ascension d’une montagne. Mais cela n’avait rien à voir. Il n’y a pas de route ici, pas de chemin facile. Le sol devient vertical par endroits, et je dois à présent utiliser à la fois mes mains et mes jambes, me tractant lorsque mes pieds glissent sur les rochers recouverts de neige.

Les fées m’observent, se posant sur un rocher lorsque je me tire vers le haut, luttant et grognant sous l’effort. Leurs visages sont dépourvus d’expression, mais pas leurs yeux. Je crois qu’elles font semblant de ne pas se soucier de moi, mais elles volent devant mes yeux, me guidant avec trop d’empressement pour que je sois dupe.

Elles se soucient de moi. Mais elles ont peur que j’échoue.

“C’est encore loin ?”

L’une d’elle se retourne pour me dévisager pendant que le reste vole au-dessus de ma tête. Elle ne répond rien. Je prends une grande goulée d’air, et tousse. Je vais trop vite, à présent. Le goût de sang envahit ma bouche. Je me suis mordue la langue en tombant, et mes poumons sont en feu.

Je n’en ai cure. Plus vite. Je déglutis de l’air dans mes poumons.

“C’est… encore loin ? Combien de temps ?”

Elles ne répondent pas. Mais elles volent plus haut. Alors je serre les dents et reste en mouvement.



***



Urksh attend, debout en bordure du lieu où les Lances de Pierre ont établi leur campement. Il attend, et tend l’oreille.

Mais il n’entend rien d’autre que la neige qui tombe, les feux crépitant à côté de lui, et les mots de sa chasseresse, Hekra.

“D’autres ont disparu. Tous au nord et à l’ouest.”

Il se tourne vers elle. Le visage d’Hekra est impassible, mais ses oreilles et sa queue trahissent son agitation. Elle est inquiète, et lui aussi.

“Cela fait treize en tout.”

Treize adultes, des chasseurs et des guerriers, tous manquent à l’appel. Trois patrouilles qui avaient été envoyées pour chercher Mrsha ne sont jamais rentrées. Il y a quelque chose dehors, et les deux Gnolls le savent.

Et pourtant, ce qui inquiète le plus Urksh est le fait qu’il n’y a aucune trace des disparus. Pas de hurlements pour indiquer la présence d’ennemis, rien. Quoi qui ait attaqué les Gnolls de sa tribu, c’est arrivé furtivement et les a pris par surprise.

“Que tous les guerriers se tiennent prêts, non ? Tous. Et prépare tout ce qu’il nous faudra.”

Ce qu’il nous faudra. Au cas où ils soient forcés de fuir. Il n’a pas besoin de dire cela à voix haute. Hekra hoche la tête et s’éloigne à petites foulées. Urksh retourne scruter les ténèbres.

Il y a quelque chose dehors. Quelque chose. Et une odeur ténue flotte dans les airs. L’odeur est familière, mais étrange. Tordue. Il sait qu’il hume son ennemi, mais l’odeur ne va pas. Il y a de la mort dans les airs.

Urksh regarde fixement l’endroit où est partie l’Humaine répondant au nom de Ryoka Griffin, guidée par les étranges lumières indistinctes dans les airs qu’elle disait être des créatures vivantes. Les Esprits de L’Hiver. Les Fées de Givre.

Il espère qu’elle reviendra saine et sauve. Mais Urksh est présentement plus inquiet pour sa tribu. Ryoka Griffin affirmait qu’une armée approchait par l’est. Une force venue des cités Drakéides. Elle s’était sans aucun doute arrêtée pour monter le camp pour la nuit, mais l’instinct d’Urksh lui dictait de rapprocher sa tribu du camp, qu’importe les tensions que cela causerait.

La sécurité croît avec le nombre, et il est inquiet. Mais il n’ose pas déplacer son campement. Si Ryoka revient avec Mrsha, elles auront besoin de les retrouver ici.

Les Lances de Pierre attendent donc, scrutant les ténèbres. Et les ténèbres leur rendent leur regard. Des silhouettes silencieuses se dispersent à travers les montagnes, encerclant lentement le campement de la tribu des Lances de Pierre comme un vaste filet, et attendent.

Attendent.



***



Depuis combien de temps suis-je en train de courir ? Je n’en ai aucune idée. Des heures ? Une heure ? Peut-être. On dirait que des heures se sont écoulées.

Mes mains sont à vif, couvertes de plaies et de cloques. Les gants que j’ai enfilés ne suffisent pas. Les Pierres déchiquetées et les prises râpeuses que je parviens à saisir m’entament la peau, mais je fais fi de la douleur.

À quelle altitude suis-je montée ? Haut. Je grimpe depuis un moment, et les fées continuent de me guider plus haut encore. Je n’arrive pas à croire que Mrsha soit parvenue à monter si haut, mais le chemin que nous empruntons n’est pas inaccessible pour une enfant, surtout une jeune Gnolle.

Surtout si elle était pourchassée.

Mes pieds glissent, et je fais de grands moulinets avec les bras, manquant de peu dévaler la pente dans les ténèbres. Prudence. Je me hisse un peu plus haut et scrute les environs.

“Bon. Dans quelle directi...… ?”

Les frées ont disparu. Elles étaient juste devant moi et me guidaient, et là, elles ont disparu. Je regarde autour de moi, mon cœur tambourinant dans ma poitrine. Il fait sombre. J’ai dû jeter la torche que m’avaient donné les Gnolls un peu plus tôt pour pouvoir utiliser mes deux mains. Les fées parties, le flanc de la montagne est recouvert d’ombres.

“[Lumière].”

Une boule de lumière jaune apparaît dans ma main et s’envole. Je regarde autour de moi, mais je n’aperçois que de la roche et de la terre, là où tout n’est pas recouvert de neige.

Mais les fées ont disparu.

Mrsha !

Je hausse la voix et place mes mains en coupe autour de ma bouche. Mes jambes sont exténuées, mais je n’ose pas m’asseoir. Et je n’ose pas avancer d’un pas de plus non plus. Le sol a l’air stable, mais…

Mrsha ! Est-ce que tu m’entends ?”



***



Elle va mourir. Mrsha le sait. Cela la fait pleurer, mais elle ne verse que quelques larmes parce que c’est douloureux lorsqu’elles gèlent dans sa fourrure.

Elle va mourir. Elle n’aurait pas dû tant s’éloigner. Mais elle s’était lancée aux trousses d’une hase des neiges, puis elle avait senti la créature qui lui avait sauté dessus…

Elle frissonne. Il fait tellement froid. Ses yeux papillonnent, mais Mrsha sait qu’elle doit rester éveillée. Mais à quoi bon, si personne ne vient pour la sauver ?

L’enfant Gnolle s’adosse à la roche et se met à respirer plus lentement. Elle est tellement fatiguée. Mais ses oreilles entendent un bruit. Un bruit des plus ténu, mais qui… s’amplifie.

“... sha !

La Gnolle lève les yeux. Revoilà le bruit.

Mrsha ! Est-ce que tu m’entends ?

C’est une voix ! Une voix familière ! Ce n’est pas la voix d’un des anciens que Mrsha connaît, ni d’aucun de ses camarades de jeux. Mais elle connaît tout de même cette voix. C’est celle de l’Humaine, celle qui raconte des histoires.

Comment se fait-il qu’elle soit ici ? Mais Mrsha entend les cris de l’Humaine, et se redresse. Quelqu’un est venu la chercher.

Espoir.

Elle fait entendre sa voix et hurle vers le ciel, désespérée. De toutes ses forces.

Elle veut que Ryoka la retrouve. Elle veut être sauvée. Elle ne veut pas mourir ici toute seule.

Pas comme cette chose.





***




Je hurle, mais je n’entends rien. Le vent souffle autour de moi, et je ne sens plus mon visage. Il y a trop de neige.

Est-ce que j’arrive trop tard ? Mon cœur frémit. Est-ce la raison pour laquelle les fées sont parties ? Parce qu’elles ont perdu espoir ?

Mrsha !

Pas de réponse. J’arrive trop tard.

Mais je l’entends alors. Un son, de plus en plus fort. Un hurlement sauvage, haut perché et frénétique, semblable et pourtant différent de tous les cris d’animaux que j’aie jamais entendus.

Mrsha.

Je titube en direction de l’appel, puis je m’arrête.

“Arrête-toi, imbécile… réfléchis !”

Réfléchis. Je ne peux pas foncer à l’aveuglette. Si je meurs maintenant, elle meurt aussi.

Je lève la main, et l’orbe de lumière flotte vers moi. Je peux contrôler la lumière. D’un mouvement du poignet, je jette donc l’orbe devant moi. Je ne peux plus la contrôler après l’avoir lancée, mais elle illumine le sol devant moi.

Là ! L’orbe de lumière vogue au-dessus d’une petite crête de neige et dévoile le précipice qu’elle cachait. La boule de lumière révèle un à-pic brutal là où la terre a glissé, une crevasse naturelle, camouflée, dans le flanc de la montagne. Prudemment, je lance de nouveau [Lumière] et m’avance, les yeux rivés sur la crevasse, priant pour ne pas trébucher.

Le hurlement vient d’en pas. Je regarde par-dessus le bord. La lumière émise par l’orbe est trop faible pour illuminer les profondeurs de ce lieu.

“Mrsha ?”




***




Elle entend la voix, puis aperçoit la lumière. Mrsha hurle désespérément vers le ciel, et entend un cri pour toute réponse. La lumière est très faible. Mais elle se déforme alors, et un rayon descend vers elle. Il balaye l’endroit où se trouve Mrsha, rebondissant sur les murs de roche lisse, puis se pose sur elle.

“Je te vois ! Tiens bon !”





***


Bon Dieu. Bons Dieux. Elle est au fond d’une crevasse. Pas étonnant que personne ne l’ait entendue.

Je regarde fixement la petite silhouette brune de Mrsha. Elle est assise au fond d’une crevasse. Pas trop profonde, mais bien trop pour qu’elle puisse remonter.

Je plisse les yeux. Il y a quelque chose… à côté d’elle ? Une silhouette sombre couverte de neige. Mais je n’arrive pas à la distinguer. Cela n’a aucune importance. Il faut que je descende là-dedans.

Mais bon dieu. C’est un cauchemar. J’ai eu des cours sur la manière de mener des missions de secours dans l’urgence pour des personnes piégées dans ce genre de situation, et j’ai déjà fait de l’escalade, et c’est à peu près la pire situation qu’on puisse avoir.

Il faut que j’atteigne Mrsha, mais cela veut dire qu’il faut que je descende là-dedans. Je ne veux pas essayer de lui jeter la corde qu’Urksh m’a donnée et la faire remonter avec. Il faut que je descende là-dedans.

Descendre ? La partie de mon cerveau qui a un peu de bon sens éclate de rire devant la stupidité de l’idée. Je ne suis pas équipée pour ça. Je n’ai pas de baudrier, pas de matériel d’escalade… bordel, je n’ai même pas d’assureur !

Mais j’ai déjà jeté mon sac par terre pour en sortir différents objets. J’attrape tout d’abord la fourrure que m’ont donnée les Gnolls. C’était pour Mrsha, mais je la jette sur le bord de la crevasse. Si je fais descendre la corde, je ne veux pas qu’elle s’effiloche et qu’elle casse.

Peut-être que ce ne serait pas le cas, elle est magique. Ne serait-ce pas incroyable ? Mais je ne veux pas faire le test maintenant.

La corde que m’a donnée Urksh peut apparemment s’étirer ou s’allonger. Tant mieux pour elle, mais j’ai besoin d’un point d’ancrage. Je n’ai rien qui puisse m’aider à ce sujet, et il n’y a pas d’arbres dans le coin. J’examine le flanc de la montagne, consciente du fait que je dois me dépêcher , mais également du fait qu’il faut absolument que je fasse les choses bien.

D’accord, d’accord. Commençons par le début. Si je dois descendre, il me faut un ancrage.

J’en trouve un proche du précipice. J’enroule ma corde autour d’une lunule et de la tête du rocher auquel elle appartient. Impossible d’égaliser les points d’ancrage, je n’ai pas d’autre choix que d’utiliser toujours plus de corde. J’enroule encore de la corde autour du rocher, fais un nœud et contemple l’horrible fouillis que j’ai créé.

Un relais. Putain de moi. Heureusement, cette corde est magique, pour ce que ça vaut. Elle a intérêt à l’être, parce qu’avec toute la corde que j’ai utilisée pour sécuriser mon ancrage, il va encore falloir que j’atteigne le fond de la crevasse, sans parler d’accomplir ma mission.

L’instant de vérité. J’entends Mrsha émettre des sons inquiets en contrebas. Elle pense que je l’ai abandonnée. Je lui crie quelque chose de rassurant, et prend une grande inspiration.

Du rappel sans baudrier. Ça marche.

Je glisse la corde entre mes jambes de manière à tenir un bout du bras gauche et le morceau de corde qui passe entre mes jambes de la main droite. J’étire la corde, et m’approche du bord.

C’est de la folie. Mais Mrsha est là-dessous. Je me laisse donc aller sur la corde et fais un pas dans les airs.

Du rappel. Je tiens la corde serrée dans ma main droite, et prends une grande inspiration. Mrsha est en train de devenir folle en bas. Elle n’a probablement jamais vu quelqu’un faire de l’escalade comme ça. Ou plutôt, descendre comme ça.

Je saute et Mrsha crie. C’est plutôt un hurlement. Mais j’interromps ma chute et amortis l’impact en poussant le mur avec mes pieds. Je reste dans cette position un instant, baisse les yeux pour trouver ma prochaine étape, puis saute et descends encore de quelques mètres.

Du rappel. J’en ai fait de nombreuses fois, mais toujours avec un baudrier de sécurité et un superviseur. Qu’est-ce que je ne donnerais pas pour un mousqueton…

Je n’ai presque plus de corde. Je vois le bout, et je prie pour qu’Urksh ne m’ait pas menti. Allez, ma corde. Fais ton petit tour de magie. Je tire, espérant qu’elle fasse quelque chose…

Et elle s’étire. Ou plutôt, s’allonge. Au lieu d’en atteindre le bout, je trouve de la nouvelle corde en poursuivant mon lent rappel vers le fond de la crevasse.

Pause. Bond. Une seconde de descente, puis je bande mes muscles et atterrit contre le mur, recouvrant Mrsha de neige. Nouvelle pause. Bond. Je suis terrifiée à chaque seconde que ma main ne glisse, mais la tension m’arrête à chaque fois que je bondis en contrebas, encore, et encore…

Mes pieds touchent le sol, puis quelque chose s’écrase contre mon flanc. Je crie, mais c’est Mrsha. La petite Gnolle me bondit dessus alors que je m’assieds, épuisée, au fond de la petite crevasse.

“Bon Dieu.”

Je recouvre mon visage d’une main un instant. Puis je manque m’affaler par terre lorsque Mrsha se fond sur moi. La Gnolle me lèche et m’enlace désespérément.

“Tout va bien, Mrsha. Je suis là. Je suis…”

Elle fait de petits bruits. Des gémissements, comme un animal. Ou un enfant. Je la tiens contre moi quelques secondes de plus.

“Je suis avec toi. Tout va bien se passer, d’accord ?”

Je tremble tellement fort, mais pas davantage qu’elle. Je l’ai trouvée. Je l’ai trouvée à temps.

Mais le pire est loin d’être derrière nous. Et je ne peux pas rester ici. Mrsha est gelée, et il faut que je la hisse en haut. D’une manière ou d’une autre.

J’ai un plan. Et je m’apprête à l’expliquer à Mrsha lorsque je tourne la tête et me fige. Mrsha se tord le cou pour voir ce qui m’arrive, puis elle gronde doucement.

Impossible. Mais là, dans la neige, à moitié enseveli, se trouve une petite silhouette. Ce n’est pas un rocher, comme je l’avais cru plus tôt. Non.

C’est un cadavre.

Pas juste n’importe quel cadavre. Je relâche lentement Mrsha, et elle recule tandis que je m’approche lentement de la silhouette. Elle est étendue face contre terre, mais je la retourne et je sais déjà ce que je suis en train de voir.

Le visage d’un Gobelin me dévisage de ses yeux rouges éteints, les traits gelés. Il - ou elle - était vêtu d’une armure, une espère de cotte d’écailles, mais cela n’a pas suffi à lui faire survivre à sa chute. Son cou est tordu à un angle improbable.

Il doit avoir pourchassé Mrsha. Elle était en train de ramasser des racines et il l’a surprise. Elle a couru, et ils sont tous les deux tombés là-dedans. Mrsha a eu de la chance, mais le Gobelin est mort.

Les Gobelins. S’il y en a un, il y en a d’autres. Et celui-ci est armé. Je le contemple et aperçois la hache à sa ceinture. Une armure et des armes. Ce Gobelin est bien plus dangereux que ceux que j’ai vus dans le nord.?

Il y a du danger. Mais je ne peux pas me concentrer là-dessus tout de suite. Je lève les yeux. Il faut que je mette d’abord Mrsha en sécurité. Et maintenant que je suis ici, je peux lever les yeux et voir à quel point je suis foutue.

Cette crevasse ne fait que six ou sept mètres de profondeur. Seulement. Hah. Mais c’est n’importe quoi. Le bord du précipice remonte et le mur de glace et de roche s’incurve encore plus vers l’intérieur. Pour résumer, remonter manuellement est impossible sauf si on est capable d’être parfaitement à l’horizontale vers la fin.

J’ai un élément qui va pouvoir m’aider à grimper. Une corde. Et c’est déjà bien. Mais quand même.

Une putain de corde. Pas d’équipement, rien d’autre. Juste une corde et mes deux bras épuisés pour escalader six mètres de roche.

Je n’ai pas de bloqueur. Rien pour m’aider à grimper. Je n’ai même pas de putains de nœuds sur ma corde pour m’aider.

Je regarde Mrsha. Elle regarde en haut, pleine d’espoir. Elle croit peut-être qu’il y a d’autres gens dans le coin. J’ai horreur de devoir la décevoir, mais elle doit comprendre ce que je m’apprête à faire.

“Mrsha.”

Elle se tourne vers moi, pleine d’espoir. Je suis l’adulte, elle a confiance en moi. L’idée me tord le ventre.

“Je vais te mettre en sécurité, d’accord ? Mais il faut que tu écoutes bien ce que je vais de dire.”

Elle acquiesce. Je lui explique ce que je m’apprête à faire.

“Je vais te faire un baudrier. Euh, c’est cette corde. Cela va m’aider à te soulever. Puis je grimperai là-haut et je te hisserai. Je ne t’abandonne pas, d’accord ?”

Elle me dévisage. Est-ce qu’elle a compris, au moins ? Mais elle finit par hocher la tête, un petit mouvement timide. Je prends une grande inspiration.

“Okay. Lève le bras.”

Au moins, je sais faire un baudrier de corde. J’étire encore la corde, enroulant de solides bouches autour des jambes et de l’entrejambe de Mrsha, en faisant des nœuds de chaise. Pas de nœuds plats ici, ni de nœuds de cabestan…

Elle ne se tortille pas beaucoup, mais elle regarde le baudrier d’un air confus. Là encore, ce n’est pas quelque chose que les Gnolls utilisent beaucoup, j’imagine.

“Ne t’inquiète pas. J’arriverai à te hisser. À présent…”

Je lève les yeux. À présent, c’est le moment difficile.

Pour que ça marche, il faut que je remonte en haut de la crevasse. Seule. Sans prise, exceptée la corde.

J’en suis incapable. Mes bras sont déjà fatigués, et le reste de mon corps aussi. Mais je n’ai pas le choix.

J’hésite une minute et Mrsha me dévisage, mais ce sont ses yeux qui me mettent en mouvement. Après m’être assurée qu’elle n’est pas en travers de mon chemin, je saute…

Et attrape la corde.

Mes jambes s’enroulent immédiatement en bas de la corde. Je tâtonne à l’aveugle avec mes pieds, jusqu’à coincer la corde entre mes bottes. Une botte remonte, et l’autre marche sur la corde pour la coincer, ce qui me permet de rester debout et de ne pas glisser. Mais ça n’en vaut la peine que si je parviens à grimper. Je prends donc une grande inspiration, lève une main, et commence mon ascension.

Une main remonte le long de la corde, puis je me hisse. Puis une autre. Au début, je grimpe rapidement, et Mrsha émet des sons d’encouragement, courant sous moi jusqu’à ce que je lui crie d’arrêter. Les balancements de la corde compliquent mon ascension.

Cela fait longtemps que je n’ai pas grimpé à la corde. Trop longtemps. Je n’ai pas beaucoup entraîné mes muscles supérieurs depuis que je suis arrivée dans ce monde, et bon sang, je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai fait de l’escalade. Et je suis tellement fatiguée/

Tire. Bloque la corde avec tes jambes. Redresse-toi. Tire. Je sens déjà une faiblesse tremblante envahir mes bras.

Pourquoi les fées m’ont-elles dit de ne prendre personne d’autre avec moi ? Pourquoi moi ? Parce que je l’ai demandé ? Comment puis-je réussir ?

Mes bras brûlent lorsque je me hisse. Je manque lâcher prise lorsque mes muscles commencent à lâcher et resserre rapidement les pieds autour de la corde.

Je suis incapable de faire ça. Mes bras vont lâcher. Mais il le faut. Il le faut… !

Je ne sais comment, je parviens à me hisser encore plus haut. Impossible. Je ne suis pas assez forte. Mais je peux le faire. Ce monde… que m’arrive-t-il ?

Encore. Et encore. Un hurlement résonne sous mon crâne. Plus haut. Je ne peux pas m’arrêter ou tout est terminé.

C’est tellement loin. Six mètres seulement ? J’ai l’impression d’être à une éternité du sommet.

J’ai trop d’équipement sur moi. Mes vêtements d’hiver… j’aurais dû les enlever. J’aurais dû me reposer. Expliquer à Mrsha. Mais c’est trop tard à présent. Je me hisse encore une fois, et aperçois le somment.

Tellement putain de proche. Tire. Serre. Tire. Serre. Tire...

Une main lâche la corde et tâtonne au-dessus du précipice. Je m’accroche désespérément, puis tire...

Grimpe, imbécile !”

Lentement, lentement, mon corps se hisse par-dessus la crête. J’entends Mrsha faire du bruit en contrebas, mais je ne peux me concentrer que sur mon ascension. Toutes les fibres de muscles que je possède se concentrent pour me hisser et passer par-dessus… !

Puis tout est fini. Je m’effondre au sol et rampe un peu plus loin, hoquetant d’épuisement. Je ne sais pas combien de temps je reste allongée ici, mais les aboiements anxieux de Mrsha finissent par me faire me relever. Je passe la tête par-dessus bord et la vois lever les yeux vers moi, pleine de peur et d’angoisse.

“Tout va bien.”

Tout va bien. J’attrape la corde et l’appelle. Dès que Mrsha comprend ce que je m’apprête à faire, elle démêle la corde et s’assied. Lentement, je me redresse et me mets à tirer.

L’ascension a été difficile, mais ça, c’est facile. Je peux m’adosser, la tirer petit à petit. Je suis plus lourde que Mrsha, et j’utilise mon poids pour la hisser, assise dans son baudrier, émettant quelques petits bruits inquiets. Mais elle est en sécurité tant que je ne la lâche pas et elle ne panique pas. Et je ne la lâcherai pas. Je ne la lâcherai jamais.

J’ai l’impression de mettre une éternité à la hisser, mais je m’accroche, puis j’entends un bruit. Je m’interromps, puis comprends que Mrsha est au bord de la crevasse. Je tire, très lentement, puis je vois des pattes gratter contre la crête. Puis une tête.

Mrsha finit de se hisser et bondit instantanément sur ses pieds. Elle s’emmêle dans la corde, mais se dépêtre et me saute dessus. Je la rattrape, et l’enlace.

Et elle me rend mon étreinte. Pendant un instant, nous nous contentons de nous étreindre, et je sens ses tremblements ralentir et mes propres peurs s’apaiser. Elle va bien. Elle ira bien.

Puis je défais le baudrier de corde et enveloppe Mrsha dans les fourrures. Elle s’y enfonce avec délices et éternue lorsque je m’assieds par terre. J’ai besoin de me reprendre un peu.

Mais Mrsha est en sécurité, à présent. Je me tourne vers le flanc de la colline, derrière le paysage désert. Huh. On est montées plutôt haut. Incroyable qu’elle ait réussi à aller si loin. Mais la peur donne des ailes, j’imagine.

Que fait-on, maintenant ? Eh bien, on rentre au camp. Urksh s’inquiète probablement, et on reste sans défense si un monstre apparaît. Ce sera peut-être compliqué de retrouver le chemin du retour, mais les fées…

Les fées. Je scrute les alentours. Elles ne sont toujours pas revenues. Non… peut-être qu’elles sont revenues, mais elles se cachent encore. Invisibles.

Pourquoi ? J’ai secouru Mrsha. Elle est en sécurité. C’est terminé.

Ou peut-être pas.

Mon cœur commence à battre à tout rompre. Mrsha me regarde me relever lentement et regarder autour de nous. Qu’est-ce qui ne va pas, alors ? Nous sommes en danger. Si elles ne sont pas là…

Et je vois alors les étincelles au loin. À l’altitude où nous nous trouvons, elles ne ressemblent d’abord qu’à des étincelles. Mais je comprends finalement de quoi il s’agit.

Des torches.

D’abord une, puis un groupe. Puis les lumières s’étendent. Pas juste une ou deux ni même une centaine. Mais des milliers. Le feu s’embrase et se propage, les ténèbres en-dessous de nous s’éclairant d'innombrables têtes d’épingles lumineuses.

Mrsha se raidit à côté de moi, s’accroupit et contemple la scène. Je la contemple aussi.

“Ce n’est pas la tribu des Lances de Pierre.”

C’est impossible. Il n’y a clairement pas assez de Gnolls pour ça. L’armée de Drakéides ? Mais j’ai le sentiment que c’est quelque chose d’autre. Un frisson descend le long de mon dos.

Que se passe-t-il ? Mais Mrsha se tourne vers moi, le visage frappé d’horreur, et les morceaux du puzzle commencent à se mettre en place.

Une odeur dans les airs. D’étranges silhouettes qui nous observent. Le Gobelin mort.

Mrsha gémit, un bruit ténu, et me touche la jambe. Et je sens les yeux sur moi et comprends que nous ne sommes pas seules.

À observer.

“Non.”

C’est impossible. Mais ils sont silencieux, et nous observent, comme des statues recouvertes de neige. C’est impossible.

Et pourtant ils sont là. Les Gobelins. Ils baissent les yeux sur nous, leurs yeux rouges luisant dans la nuit. Combien sont-ils ?  Vingt ? Trente ?

Des éclaireurs, peut-être.  Ils nous ont peut-être entendues, Mrsha et moi, ou peut-être qu’ils nous suivaient depuis le début.

Qu’est-ce qu’ils nous veulent ? Mais je connais la réponse. Ils sont tous armés, et ils sont tous vêtus d’une armure. Ce ne sont pas les gobelins sauvages d’une tribu quelconque.

C’est une armée.

Et ils vont nous tuer. Je le vois dans leurs yeux. Les yeux des Gobelins sont peut-être différents de ceux des Humains ou des Gnolls, mais je reconnais cette expression.

Dénuée de pitié. Une colère froide. La mort.

Ils ressemblent à des monstres, mais ils sont d’autant plus terrifiants qu’ils ressemblent à des gens. L’un d’eux lève une main et la pointe sur moi.

“...”

Je ne comprends pas ce qu’il dit. C’est du Gobelin, criard et incompréhensible. Lentement, les Gobelins descendent des rochers et nous encerclent. Ils lèvent leurs armes.

Je sens Mrsha contre moi. La Gnolle me serre si fort que je sens ses griffes transpercer mon legging. Je sais qu’elle est terrifiée. Je le suis aussi.

“Nous ne sommes pas vos ennemies.”

Le Gobelin qui m’a pointée du doigt, un guerrier vêtu d’une cotte de mailles et muni d’une masse d’armes, plonge son regard dans le mien. Il n’y a rien à l’intérieur. Pas d’empathie. Pas de sympathie.

Ils vont nous tuer. Ils nous ont déjà toutes les deux encerclées. Je regarde brièvement vers le sud. Le chemin pour redescendre est là-bas, mais des Gobelins nous y attendent. Je n’ai pas d’arme. Je suis épuisée, et Mrsha ne peut pas se battre.

Lentement, je lève les mains au-dessus de ma tête, au-dessus d’eux. Un geste universel de reddition. Certains Gobelins éclatent de rire, mais leur meneur se contente de me regarder.

Mon cœur bat à tout rompre. Je le regarde s’avancer, puis pose mes mains sur ma tête. Pas de temps de réfléchir. Il suffit de…

On n’a pas besoin d’utiliser ses mains pour jeter un sort. Mes pouces rejoignent mes oreilles et je pousse un cri.

[Grenade assourd...]

Je ferme les yeux et le monde devient soudain silencieux et noir. L’éclair lumineux s’éteint, et je tourne la tête. Je n’entends qu’un bourdonnement dans mes oreilles, mais voilà Mrsha, étalée au sol tandis que les Gobelins autour de moi s’agitent en ouvrant et en fermant la bouche comme des mimes silencieux.

J’attrape Mrsha. Elle se tend et me griffe, mais je la soulève et la jette sur mon épaule à la façon des pompiers. Puis je cours, écartant les Gobelins sur mon chemin et me précipitant dans la pente, glissant autour des rochers, priant pour ne pas tomber.

Mrsha est sur mon dos. Je crois qu’elle sait que c’est moi qui la porte, mais elle continue de se débattre. Elle doit avoir mal à cause du sort. Elle pousse un cri perçant et angoissé. Je m’en rends compte uniquement parce que je sens les vibrations qui la secouent lorsque je l’attrape et que je me mets à courir. Je n’ai pas eu le temps de lui dire de se boucher les oreilles et de fermer les yeux, elle est donc sourde et aveugle sur mon dos pendant que je dévale la pente.

Moi aussi, d’ailleurs. Je ne vois presque rien à travers les formes miroitantes incrustées dans mes rétines, mais je cours quand même. J’entends les Gobelins hurler et se précipiter à mes trousses par-dessus le bourdonnement dans mes oreilles.

Puis… un cri. Je me retourne et voix deux silhouettes tomber dans la crevasse. Bien.

Dévale la pente. Esquive les rochers. Ce terrain n’est pas adapté à la course, mais je glisse et absorbe les impacts dans mes jambes et la partie inférieure de mon corps en m’écrasant sur le flanc de la montagne. Cours. Cours.

Cours.






Dernière édition par EllieVia le Dim 17 Jan 2021 - 10:31, édité 1 fois
 
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2.35 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia

***


Ils nous suivent. Je le sais. Je dévale une colline, glissant dans la neige, et Mrsha gronde d’un air anxieux à mon oreille. J’essaie de ne pas tomber, mais j’essaie de courir en même temps, d’accélérer.

Les Gobelins sont juste derrière nous.

Je les entends hurler, beugler leur cri de bataille haut perché. Ils nous suivent, et de temps à autre l’un d’eux essaie de tirer des flèches ou de jeter des cailloux dans mon dos.

Mais s’il y a un avantage que j’ai sur eux, c’est la vitesse. Malgré le poids de Mrsha sur mon dos, je peux courir plus vite qu’eux, avec leurs petites jambes. Mais je cours tout de même dans la neige, et cela nous ralentit tous.

Et je suis perdue. Je cours tout droit à présent, comme la colline a laissé place à une plaine dégagée, mais je ne sais pas où aller. La tribu. Il faut que je les retrouve. Mais où… ?

Je sens des griffes s’enfoncer dans mon bras et je prends une vive inspiration. Mais Mrsha me caresse la tête en poussant des grognements anxieux et je comprends qu’elle essaie de me dire où aller.

Muette. Elle est muette. Je lève les yeux, et je vois une patte qui pointe à droite. Je n’hésite pas un instant et m’élance immédiatement dans cette direction.

Mes bras me brûlent. Mes jambes sont à l’agonie. Je suis au bout du rouleau. Mais je dois continuer. Je ne peux pas ralentir, pas maintenant.

Combien de Gobelins y a-t-il autour de nous ? Le blizzard verse toujours de la neige à grands seaux, mais je jurerais que le ciel est orange à présent, et des lumières brillent à l’horizon.

Des Gobelins.

Mrsha crie dans mon oreille et je vois les silhouettes devant moi. Encore ? Elles se précipitent sur moi, mais elles ont éteint leurs torches pour essayer de se cacher. Je les contourne et sent quelque chose voler derrière mon dos. La petite Gnolle sur mes épaules est en train de hurler.

Elle représente une cible facile. S’ils visent ma tête, ils vont l’atteindre, elle. Mais je ne peux rien faire. Je ne peux que courir plus vite.

Mrsha pousse un hurlement, sonore et inquiet. Je veux lui dire de la fermer, mais elle essaie d’appeler à l’aide, et les Gobelins savent déjà que nous sommes là.

Elle tapote mon bras et pointe du doigt. Par là. Je modifie ma trajectoire, en tentant d’accélérer. Mais la poudreuse me ralentit. Et je porte Mrsha. Je pourrais la poser et la laisser courir…

Non. Reste en mouvement.

Une forêt devant nous. J’hésite. Ils se cachent peut-être à l’intérieur. Mais la contourner ? Trop loin. Je prends une grande inspiration et charge droit devant.

Quelque chose sort des arbres. Mrsha crie de nouveau, mais je donne un coup de pied en pleine poitrine au Gobelin et modifie ma trajectoire. Plus loin dans la forêt. Ils bondissent tout autour de moi, mais je charge comme un taureau et ressort de l’autre côté de la forêt, leur horde sur mes talons.

Une plaine dégagée. On se rapproche, à présent. Mrsha tapote de nouveau ma tête, et elle pointe un peu plus à gauche. Je poursuis ma course.

“Il faut que…”

On va s’en sortir. Je dois y croire. Mais je vois alors d’autres torches se rapprocher rapidement de nous sur ma gauche. Alors je tourne à droite. Mais d’autres torches me barrent le chemin.

Et devant nous…

Les deux groupes de Gobelins courent devant nous, pour nous encercler. Je ralentis, et nous finissons par être complètement encerclées.

Mrsha s’est tue. Lentement, je m’arrête au milieu du cercle de guerriers armés. Ils se rapprochent.

“Ah.”

J’imagine que c’est ainsi que tout doit finir. Je repose Mrsha dans la neige. Délicatement. Mon cœur emplit mes oreilles d’un bruit de tonnerre.

“J’imagine que c’est parce que tu n’es pas une tueuse.”

Les paroles d’Erin résonnent dans mes oreilles pour une raison que j’ignore. Je regarde fixement les Gobelins et retire lentement mon manteau. Pas le temps d’ôter plus de couches. Ils m’observent en silence ôter tout ce que je peux.

Allège-toi. Reste hors de portée. Ils ne tirent pas de flèches, heureusement. Mais je le vois dans leurs expressions si humaines. Ils veulent nous mettre en pièces. Lentement.

Ah, Erin. Pour une raison que j’ignore, je me souviens d’une Gobeline qu’elle m’avait présentée. Loks. Est-ce qu’elle participerait à tout ça ? Est-ce qu’il s’agit de sa tribu ? J’en doute.

Je lève les poings, lentement, et les guerriers Gobelins s’approchent. Mrsha est à mes côtés, mais je l’écarte doucement.

“Reste derrière moi. Fuis si tu vois une ouverture.”

Des paroles creuses. Où va-t-elle pouvoir fuir ? Mais peut-être a-t-elle une chance si elle parvient à rester devant eux. Elle en a déjà distancé un.

Erin. Si j’étais dans son auberge, je pourrais barricader les portes et me sentir en sécurité. Pourquoi suis-je en train de penser à l’auberge ?

L’un des Gobelins s’avance. C’est le chef, celui que j’ai aveuglé. Il me regarde en dénudant ses dents.

L’auberge. Mon cœur bat à tout rompre. Je serre les poings. Ça va être compliqué de donner des coups de pied avec toute cette neige.

Je veux juste m’asseoir encore une fois devant le feu et perdre quelques parties d’échecs contre elle, voilà tout. Je veux m’installer à une table et écouter les gens discuter et rire. Je veux…

JE veux vivre.

Leurs lames sont aiguisées.

“Si.”

Puis il se précipite sur moi, et je lève ma jambe…




***



Voilà ce que vit Mrsha. Dans l’orage sombre, alors que la neige tombait tout autour d’elle, la petite Gnolle s’accroupit au maximum, observant les silhouettes et les ombres combattre dans la lumière vacillante des torches.

L’Humaine, Ryoka Griffon, se dressait, seule, au milieu d’un cercle de Gobelins. Ils fondirent sur elle en riant, seuls ou par paires, pour s’amuser avec l’Humaine désarmée.

Le premier Gobelins leva sa masse d’armes en se précipitant sur la jeune femme. Mais Ryoka leva la jambe et lui donna un coup de pied en pleine poitrine si rapide qu’il ne put l’esquiver. Il tituba en arrière, et elle pointa un doigt sur lui.

“[Lampe Torche] !”

Un rayon lumineux surgit de son doigt, prenant les Gobelins par surprise. La lumière était tellement forte que la jeune Gnolle dut détourner le regard. L’Humaine bondit en avant tandis que les Gobelins se protégeaient les yeux et donna deux coups de poings en plein visage au Gobelin avec la masse.

Il s’effondra. Ryoka lui donna un coup de poing au sol et il ne se releva pas. Elle recula, et leva la main. Les Gobelins la dévisagèrent, surpris, et méfiants, à présent.

L’Humaine pointa le ciel du doigt. Elle prit une grande inspiration, et prononça un mot que Mrsha ne comprit pas.

Ryoka envoya une fusée de détresse dans le ciel sombre. Une lumière d’un rouge incandescent jaillit de sa main et s’envola pendant que les Gobelins poussaient des cris et battaient en retraite. Mais ce n’était pas une attaque.

La lumière rouge flotta dans les airs, défiant la gravité, sous les yeux de Mrsha. Ryoka leva les yeux vers le ciel d’un air sombre. Elle envoya une nouvelle fusée, colorant la neige et le paysage d’une lumière rouge. Puis la lumière retomba au sol, et le monde redevint sombre.

Mrsha ne comprit pas. Il ne s’était rien passé. Les Gobelins examinèrent l’Humaine, mais lorsqu’ils furent certains qu’elle n’avait plus de sorts en réserve, ils reprirent de l’assurance. Ils fondirent sur elle.

Des coups de poing. De pied. Mrsha avait vu les guerriers et les chasseurs de sa tribu s’entraîner et même se battre avec des Lances, voire des épées ou des haches. Ils avaient leur propre méthode de combat, primaire, mais efficace. Mais l’Humaine…

Elle passait sans transition d’un coup de poing à un coup de pied, pivotait, essayait d’assurer ses arrières. Elle se battait d’une manière que la jeune Gnolle n’avait encore jamais vue, gardant les Gobelins à distance et réussissant à les blesser même désarmée.

Mais elle était seule et ils étaient nombreux. Ryoka pointa du doigt et la lumière les aveugla de nouveau, mais ils la repoussèrent, en essayant de la taillader avec leurs lames. Et elle était fatiguée.

Chaque fois qu’elle levait un doigt et que la lumière aveuglait les Gobelins, Mrsha voyait le visage de l’Humaine se tordre comme si elle avait mal. Puis ses mouvements devenaient un tout petit peu plus lents, un tout petit peu moins puissants.

Et les Gobelins étaient nombreux. Ils couraient droit sur elle, à moitié aveugles mais trop nombreux pour qu’elle puisse les arrêter. Ryoka recula et Mrsha vit un Gobelin tenter de lui taillader la jambe. Ryoka esquiva l’épée, et cogna le Gobelin. Mais il lui saisit alors la main et ouvrit la bouche…

Mrsha vit les dents se refermer sur la main de Ryoka qui essaya de les en arracher. Elle entendit un craquement puis un cri, un hurlement d’agonie. Ryoka retira sa main et Mrsha sentit le sang avant d’apercevoir les moignons de son auriculaire et de son annulaire.

Ryoka leva sa main ensanglantée et jeta un regard à Mrsha. Le sang s’écoula sur la neige et le Gobelin éclata de rire en avalant les doigts. Et l’Humaine contempla Mrsha, les yeux emplis de regrets.





***



“Ah.”

Je m’écarte en titubant du Gobelin qui m’a mordue. Il éclate de rire, et je me tourne et vois Mrsha, accroupie dans la neige. Et il y a ma main.

Il m’a mordue. Il m’a pris… mes doigts. Je contemple ma main droite, sous le choc.

Le sang qui commence à s’écouler dans la neige luit sur mes deux moignons. Je recouvre machinalement la plaie. Ce n’est pas bon de perdre trop de sang par ce temps. De plus, cela saperait ma chaleur corporelle.

Je suis mal barrée. Je…

Un autre Gobelin se précipite sur moi avec un couteau. Je me retourne et lui donne un coup de pied, et il tombe. Mais je titube.

“Ma main.”

Ils rient, à présent. Les Gobelins me regardent serrer ma main blessée, et avancent plus lentement. Je recule, jusqu’à ce que Mrsha soit contre ma jambe.

Je ne peux pas fuir. Je ne peux pas mourir.

J’essaie de serrer le poing, mais la sensation est dérangeante avec mes deux doigts manquants. Il reste un espace et je vois directement ma paume. C’est perturbant.

Un Gobelin s’avance vers moi. Celui qui m’a mordue. Il lève son épée et sourit de toutes ses dents sanguinolentes. Je m’avance…

Et entends un rugissement.

Le Gobelin se retourne, sa surprise se muant en peur, puis sa tête disparaît. Je cligne des yeux. Quelque chose passe en un éclair devant moi, puis un Gnoll apparaît.

Pas Mrsha. Celui-ci est plus grand, plus fort, mâle. Urksh. Il donne un grand coup de hache dans un autre Gobelin et le petit guerrier s’écroule, son crâne fendu en deux.

Et d’autres Gnolls surgissent. Ils attaquent par la gauche, archers et guerriers. J’aperçois… Hekra, avec trois autres archers .Elle lève son arc et sa main devient floue. Deux Gobelins s’effondrent, des flèches plantées dans la poitrine.

Jolie compétence.

Je titube, et un Gobelin essaie de me mettre un coup d’épée. Je recule, mais il avance, et il y a beaucoup de sang dans la neige, à présent. Le mien.

Je le cogne en pleine poitrine, mais il a une armure et se contente de chanceler. Il lève son épée…

Et Mrsha déboule sur le côté et se précipite sur lui. Elle le mord et le taillade de ses petites griffes et il pousse un cri perçant. Il lève son épée courte et j’attrape son bras. Je le tord avec mon bras valide et j’entends son bras se briser.

Il hurle. Je le relâche et attrape Mrsha. Et voilà que les Gnolls nous encerclent et combattent, tue…

“... Griffin. Ryoka Griffin.”

Quelqu’un me tient par le poignet. Je me retourne. Urksh me tient. Il enveloppe ma main dans quelque chose, une espèce de tissu rêche…

“Aah.”

Ça commence à faire mal, à présent. Mais c’est surtout la sensation de vide au-dessus de mes deux moignons qui me dérange. Urksh appuie le tissu sur ma main et hoche la tête à l’attention d’un Gnoll.

“Fais le guet. Ils arrivent.”

Le Gnoll disparaît. Je cligne des yeux.

“Je l’ai trouvée.”

Il me sourit brièvement.

“En effet. Nous allons nous occuper du reste, à présent. Ne bouge pas. On va te porter.”

“Je peux…”

Trop lente. Il me soulève, et, avec l’aide d’un autre Gnoll, ils partent en courant, Mrsha et moi dans les bras. Le vent est frais sur ma peau et je cligne des yeux.

“Je vais bien. Je peux courir.”

“Repose-toi. Tu as accompli une grande chose. Je suis honoré de t’avoir rencontrée, Ryoka Griffin.”

Quelque chose dans sa voix me fait me retourner. Nous ne nous dirigeons pas vers le campement.

“Où… ?”

“Ils arrivent. Nous devons fuir.”

Et alors je les vois, et je comprends le goût du désespoir. Nous sommes plus proches du campement de la tribu que ce que nous l’avions cru, Mrsha et moi.

Proches, mais trop loin. Trop tard.

C’est ainsi que tout finit. C’est ainsi que nous allons mourir.

Des centaines de Gobelins - des milliers - s’écoulent dans les plaines. Ils courent, lancent des flèches et se battent à la lumière des mages et des torches des quelques Gnolls qui sont restés pour les repousser.

Le reste est en fuite. J’aperçois plus d’une centaine de Gnolls, adultes et enfants, en train de fuir le plus vite possible vers l’ouest. Mais ils sont pourchassés. Les Gobelins accourent de toutes les directions. C’est comme si le monde se consumait sous leur nombre.

Et au loin, je vois l’invité d’honneur. Une vague noire de silhouettes, semblable à une affreuse bête plate, rampant vers nous. Il y a des Gobelins plus grands dans la horde principale. Des Hobs. Ils tirent des flèches, eux aussi.

Urksh court rejoindre sa tribu en me portant dans ses bras, inépuisable. Je regarde en arrière et aperçois d’autres Gnolls s’écarter pour fondre sur les Gobelins qui nous attaquent, sans peur.

“Que font… ?”

“Ils nous font gagner du temps. Là. Cours.”

Il me repose, le visage sombre, et je comprends. Quelques Gnolls vont se battre. Ils foncent sur les Gobelins, se font transpercer de flèches et trébuchent, une grande partie d’entre eux ne parvenant même pas à atteindre les guerriers armés. Ceux qui y parviennent tombent en un instant, tailladés de toute part.

Tout arrive trop vite. Je n’arrive pas à suivre. LA guerre ? C’est si soudain, mais je vois enfin une lueur bleutée.

Les Fées de Givre. Elles flottent haut dans le ciel, et observent la scène. Et je me demande pourquoi elles sont ici. Mais je comprends alors que c’est parce qu’elles ne m’observent plus, moi.

Parce que ce n’est pas mon histoire. Pas dans le grand ordre des choses.

C’est le sien.

La horde infinie de Gobelins est à nos trousses. Ils attaquent nos dos et nos flancs, essaient d’abattre les adultes en train de protéger les enfants, essaient de nous arrêter. Ils sont tellement concentrés sur nous qu’ils ne voient pas le Drakéide en train de charger dans leur direction.

Son armure est cabossée, et il n’a pas d’artefact magique. Pas comme l’autre Drakéide sur ses talons, armé d’une épée lumineuse ensorcelée. Mais le Drakéide au front est différent. Il n’a pas d’armes, et pourtant ses griffes peuvent fendre l’acier. Il court à la tête d’une armée, et lorsque les Gobelins se retournent, leur expression change.

Peut-être qu’ils sentent qu’ils sont sur le point de mourir. Peut-être qu’ils l’ont compris. Comment pourrais-je l’ignorer ?

Mais c’est une légende. Un héros des Drakéides. C’est évident.

Zel Shivertail me dépasse au pas de course et nos regards se croisent pendant une seconde d’éternité. Puis son armée et ce qu’il reste de celle du Seigneur des Murailles Ilvriss s’écrasent dans les lignes Gobelines, les taillant en pièces, envoyant leurs cadavres voler dans les airs en se déchaînant dans leurs rangs sans défenses.

Toute la masse de Gobelins est parcourue d’une onde de choc, mais Zel ne prend même pas la peine de s’arrêter. Il poursuit sa course, et je ne distingue plus ses mains autour desquelles les Gobelins s’effondrent, déchirés, leur sang s’écoulant au sol, mourants.

Ilvriss est là lui aussi, et balance son épée de droite à gauche, les dents dénudés. Est-ce qu’ils sont du même côté à présent ? Forcément. Les deux généraux transpercent le premier rang de Gobelin puis le suivant, et se mettent à charger l’avant-garde Gobeline.

C’est alors que j’aperçois le Seigneur Gobelin pour la première fois.

Il se tient au milieu de la masse de Gobelin, vêtu d’une armure magique. Ce n’est pas qu’il soit plus grand que les autres, il est à vrai dire à peine plus grand que l’Humain moyen, et nettement plus petit que le plus gros des Hobs.

Mais ses yeux sont un véritable cauchemar. Je les ai déjà vus une fois auparavant. Ses pupilles sont blanches, et le reste de ses yeux est noir. Ils luisent, et même à des kilomètres de distance, je parviens à les voir. Il regarde Zel, et lorsque son regard passe devant le mien, je sens la terreur étreindre mon âme.

Il lève une main, et soudain, le cours de la bataille change de nouveau. Les Gobelins poussent un cri, et reforment les rangs. La charge de Zel stoppe net lorsqu’il se retrouve face à un mur de boucliers.

Une véritable armée, avec des formations et des tactiques. Et je m’arrête alors de courir lorsque Urksh me fait virevolter. Il montre les dents, et je regarde devant nous et je vois un peu plus de désespoir noyer nos espérances.

“Non. Non.”

Des Hobs. Une autre armée se précipite dans notre flanc, encerclant les Lances de Pierre avant qu’elle n’ait eu le temps de s’éloigner. Je vois les Gnolls repartir en courant, mais la bataille s’est déjà refermée derrière nous.

Et ce groupe qui se tenait en embuscade attaque les Gnolls par le flanc. Trop de Hobs. Je vois des guerriers tomber, incapables d’arrêter leur avancée. Et ni Zel, ni son armée ne les remarquent. Ils sont trop occupés à se fendre un passage vers le Seigneur Gobelin.

“Aidez-nous !”

Je hurle à l’attention des Drakéides et des Gnolls, mais ils sont trop occupés à se battre. Non… les soldats pensent que nous faisons partie de l’armée, ou ils veulent juste que nous retenions les Gobelins pendant leur attaque. Je vois les Hobs, ils sont tellement nombreux ! Plus d’une centaine d’entre eux avancent, vêtu d’armures lourdes, et massacrent Drakéides et Gnolls.

Comment est-ce possible ? Je lève les yeux. Les fées. Elles observent toujours le champ de bataille.

Un Gobelin se précipite sur moi. Je lui donne un coup de pied, et cherche éperdument Mrsha autour de moi.

“Mrsha !”

Elle se cache encore dans la neige. Elle n’a jamais réussi à se faufiler derrière les lignes de protection des adultes, et les Gobelins et les Gnolls se débattent autour d’elle, manquant de peu piétiner la petite fille.

Je me fraie un passage dans sa direction. Des Gobelins me barrent la route, des Gnolls aussi. Quelqu’un me poignarde dans le flanc et je sens la douleur. Je le cogne. Il s’éloigne, et je m’avance en chancelant vers Mrsha.

“Viens.”

Je l’attrape, et elle s’accroche à moi. Je me tourne pour courir, pour chercher un endroit où la mettre en sécurité, mais il n’y en a pas. Tout le monde se bat. Et les Lances de Pierre sont en train de mourir.

Un [Shaman] Gobelin fait exploser le Shaman Gnoll des Lances de Pierre avec un sort inconnu. Je vois son corps se relever, et comprends enfin ce qu’il se passe.

Les morts. Tous les Gobelins ne sont pas morts, et certains Gnolls commencent à se battre contre leurs pairs. Cette armée Gobeline réveille les morts. Le Seigneur Gobelin est un autre [Nécromancien].

Et à présent, l’armée de Zel est en train de se faire repousser. Il tente toujours de se frayer un passage vers le Seigneur Gobelin, mais sa charge perd de la puissance, et il y a de moins en moins de monde à sa suite. S’il ne bat pas la retraite, il va se retrouver séparé du reste. Mais s’il tue le Seigneur Gobelin…

Dans tous les cas, nous mourrons. Je lève de nouveau les yeux. Mrsha se serre contre moi et sanglote dans mes vêtements.

“Aidez-nous.”

Les fées baissent les yeux. L’une d’elle prend la parole, et c’est un murmure à mon oreille malgré les cris et le bruit des armes qui s’entrechoquent autour de moi.




“Nous l’avons déjà fait. Est-ce que tu veux nous demander une deuxième fois de t’aider ? Sais-tu ce que le destin exigera en échange ?”




“S’il vous plaît !”




“Il y a des règles.”




“Nous allons mourir.”

Je les regarde, et vois les fées acquiescer.




“Oui.”




“Aidez-nous. Je vous en supplie.”



“Il y a des règles.”



Les Gobelins m’encerclent. J’écarte les bras. Une dernière tentative.

“Les Faes sont-elles des esclaves, ou êtes-vous libres ? Aidez-moi ! Je suis Ryoka Dawning Griffin, et je vous offre tout ! Changez le destin. Sauvez-nous.”

Quelqu’un pose une main sur mon épaule. Je me tourne, et vois Urksh. Il se tient l’estomac, et Mrsha le regarde fixement, frappée d’horreur, retenir ses intestins. Le Gnoll lève les yeux vers les fées qui flottent, loin au-dessus de nos têtes.

“Nous offrons tout.”

Le monde s’assourdit. Je vois les fées au-dessus de nos têtes. Je vois Urksh, sens sa patte sur mon épaule la serrer brièvement, puis retomber lorsqu’un Gobelin le poignarde dans le dos. Je vois Mrsha hurler, et un Hob lever son gourdin. Je m’interpose pour le bloquer, et le monde se fige.




***




Zel courut, tailladant les Gobelins, tentant de forcer le passage à travers leurs rangs pour atteindre le Seigneur Gobelin. Il ne lui restait que quelques rangs à traverser lorsqu’il se retrouva nez-à-nez avec la garde personnelle du Seigneur Gobelin. Il vit l’étrange Gobelin le dévisager, de ses yeux pâles et surnaturels. Il était entouré de Hobs, mais Zel savait qu’il pourrait tuer le Gobelin si seulement…

Il donna un coup de griffe, et un Gobelin tomba en arrière, la gorge ouverte. Zel jeta un autre Gobelin sur le côté, et vit qu’il ne restait plus qu’une petite rangée de Gobelins devant lui. Ils étaient pâles. Et morts.

“Des Gobelins morts-vivants ?”

Ils n’avaient pas l’air très forts. Zel hésita. Son [Instinct de Survie] ne cessait de sonner, mais il voyait le Seigneur Gobelin en train de l’attendre. Il serra le poing, et sentit une présence à ses côtés.

“Shivertail.”

Ilvriss était blessé. Son armure magique et l’arme que lui avait rendue Zel ne l’avaient pas sauvé. Zel était blessé lui aussi, touché à de maintes reprises malgré ses Compétences de défense et son armure. Les deux Drakéides regardèrent fixement le Seigneur Gobelin qui leur rendait leur regard en silence.

“Il faut qu’on arrête tout cela maintenant, Ilvriss.”

“Je suis d’accord. Le monde n’a pas besoin d’autres Rois Gobelins.”

Ils s'apprêtèrent à charger, mais Zel entendit alors un bruit et sentit un frisson glacé le parcourir. Il se retourna.

Des portions du champ de bataille avaient complètement gelé. Non… pas juste le champ de bataille. Des Gobelins étaient gelés sur place dans un gigantesque cercle autour d’un groupe de Gnolls. La tribu qu’ils avaient vue en train de fuir. Ils avaient été massacrés, et seuls quelques adultes étaient encore debout. Et Les Gobelins autour d’eux avaient beau être morts, d’autres se rapprochaient.

Et il y avait des enfants parmi eux. Zel vit un autre adulte s’effondrer en essayant de protéger deux chiots. Les Gobelins essayaient de les réduire en pièces, et son armée était trop occupée à se battre contre le reste des Gobelins pour les voir.

“Shivertail !”

Ilvriss avait la main serrée sur son épée, et Zel voyait les Gobelins se mettre en formation autour de lui. Il n’aurait qu’une seule chance. Mais les enfants…

“Ilvriss. Cette tribu Gnolle est sans défenses. On bat en retraite.”

Le Seigneur des Murailles le regarda fixement, bouche-bée.

“Tu es fou ? Nous n’aurons jamais plus une telle occasion !”

“Sonnez la retraite ! Ils vont tous se faire massacrer si on ne les repousse pas !”

Zel se retourna, et repoussa Ilvriss. Le Drakéide se débattit en grognant, et la destinée se modifia.

L’un des Gobelins morts s’était avancé vers les deux Drakéides. S’ils avaient été plus près…

Le Gobelin mort explosa. Zel et Ilvriss se retrouvèrent pris en bordure de l’explosion, et ils furent projetés en arrière, dans les airs. Si Zel arriva en un seul morceau lorsqu’il s’écrasa au sol, ce fut uniquement grâce à son armure et à ses compétences. Un bourdonnement envahit ses oreilles, et il se redressa.

Il ne restait qu’un énorme cratère où s’était tenu le Gobelin mort-vivant. Mais Zel vit un autre avancer lentement à travers la zone désolée, en direction de ses soldats. Les Gobelins vivants déguerpirent en courant de son chemin, et Zel trouva la force de hurler.

Sonnez la retraite !”

Ses soldats entendirent sa voix. Zel bondit en avant et attrapa Ilvriss, qui rampait au sol à la recherche de son épée. Il força le Drakéide à se relever, et ils partirent en courant.

En direction de la tribu de Gnolls. Ils étaient tous en train de mourir. Les enfants, les adultes… Zel hurla en voyant un chiot Gnoll se faire mettre en pièces, mais il massacra le Hob et protégea le reste des enfants pendant que son armée accourait pour les aider. Mais ils battaient tous en retraite à présent, devant le nombre affolant de Gobelins. Les Hobs s’étaient mis en formation, et une centaine d’entre eux menaient la charge. Même les soldats expérimentés tombaient sous leurs lames.

Zel prit un enfant dans ses bras, et vit ses soldats sauver le reste. Les adultes étaient morts. Ils restaient étendus là où ils étaient tombés, les dents dénudées, leurs corps recouverts de flèches, ou démembrés. Quelques-uns s’étaient relevés, morts-vivants, à présent esclaves d’un autre maître dans la mort.

Quelque chose attrapa le pied de Zel lorsqu’il se retourna pour partir. Il baissa les yeux, prêt à tuer, et vit un vieux Gnoll en train de serrer sa jambe. Le Gnoll murmura quelque chose, et Zel se baissa pour l’écouter. Mais il y avait trop de bruit, et le Gnoll mourut, un demi-sourire sur les lèvres.

Zel se redressa, et regarda autour de lui. Son armée et les forces d’Ilvriss couraient à présent, l’arrière-garde se regroupant pour former une ligne de défense. Il allait les rejoindre. Ses compétences permettraient à l’armée de battre en retraite, mais l’armée du Seigneur Gobelin était inarrêtable. Il contempla le Seigneur Gobelin et vit ses yeux terribles se poser sur lui.

Puis Zel aperçu un mouvement flou du coin de l’œil. Quelqu’un courait, courait au-delà des Gobelins. L’humaine courait, entourée de lumières bleutées. Elle tenait quelque chose dans ses bras. Une petite silhouette, en train de se débattre. Une Gnolle.

Elle courut et les quelques Gobelins qui tentèrent de la poursuivre gelèrent sur place. Zel regarda l’humaine s’éloigner et la salua d’une griffe.

Pour lui souhaiter bonne chance. Il se retourna en direction de l’armée Gobeline en train de se refermer sur eux et ne vit que la mort. La mort, ceux qui la commandaient, et une armée suffisamment grande pour menacer le continent.

Il fallait les arrêter. Mais Zel ne pouvait pas s’en charger ici. Alors il battit en retraite, le goût de la défaite dans la bouche. Le Seigneur Gobelin regarda fixement le dos du [Général] en train de reculer.

Et sourit.






***





Ryoka courut. Elle courut à travers les rangs des Gobelins, dans son propre monde. L’air froid soufflait autour d’elle, et les fées volaient devant elle, la guidant là où elle serait en sécurité.

Elles avaient fait quelque chose. Chacun de ses pas lui la faisait avancer de dix. Elle vola à travers le champ de bataille, comme le vent, la neige volant devant son visage. Elle était remplie de magie.

Mais son cœur était vide et brisé.

Une Gnolle luttait dans les bras de Ryoka. Une petite silhouette, une petite enfant pleurait tandis que Ryoka abandonnait sa tribu derrière elle. Deux yeux innocents regardèrent tomber et mourir adultes et enfants. Elle poussa un cri déchirant, mais Ryoka ne l’écouta pas. L’humaine poursuivit sa course, jusqu’à ce que les dernières lueurs de l’armée Gobeline soient loin derrière elles.

Enfin, les fées s’arrêtèrent, et Ryoka ralentit, et s’arrêta dans la neige qui lui arrivait jusqu’aux genoux. Elle vacilla, sa tête et son corps complètement vides.

Une fée descendit devant Ryoka, le visage dénué d’expression. Mais il y avait de la tristesse dans ses yeux, et Ryoka sut sans avoir à le demander ce qu’il lui en avait coûté.

“Est-ce que vous pouvez… vraiment voir le destin ?”

Est-ce que rien n’avait de sens ? Tout était-il prédestiné ? La fée se contenta de regarder Ryoka. Juste regarder.

“S’il y a une destinée, je la défie. Je ne m’inclinerai pas devant le destin.”

Ce n’étaient que des paroles dénuées de sens. S’il y avait un destin, il n’y avait aucune façon de se battre contre lui. Mais elle devait y croire. Des larmes coulèrent des yeux de Ryoka. Des larmes qui se mélangèrent au sang qui recouvrait son corps. Ryoka leva sa main droite et regarda fixement les deux moignons.

Un prix délusoire. Pas suffisant, toutefois.

Urksh. Ryoka se pencha en avant et posa Mrsha dans la neige. La petite Gnolle leva les yeux sur Ryoka, et l’Humaine cilla.

“Oh. Ta fourrure;”

À un moment, pendant cette course sans fin, quelque chose s’était produit. La fourrure brune de Mrsha avait changé. De son brun forêt coloré, elle était passée à un blanc pure, aussi blanc que la neige. Du sang mélangé à de la crasse assombrissait le visage de l’enfant, mais ce n’était pas le sien.

“Je suis tellement désolée.”

L’enfant Gnolle ne répondit rien. Ses yeux étaient emplis de larmes. Ryoka regarda fixement la fourrure de Mrsha, puis se tourna vers les fées. Elle contempla la fée qui se tenait devant elle, et vit un regard immortel. Des yeux fatigués. Un reflet.

“La prochaine fois, je les sauverai tous. Ou je mourrai en essayant.”

Ryoka crut avoir prononcé ces mots. Elle cilla, puis s’effondra, tombant tête la première dans la neige.

Mrsha regarda l’Humaine au sol puis tendit lentement la main pour la secouer. Ryoka ne bougea pas.

Au-dessus de leurs têtes, les fées échangèrent un regard. Elles hochèrent la tête, puis se mirent à tournoyer en un large cercle au-dessus d’elles. Mrsha leva les yeux en voyant la neige cesser de tomber. Et l’ai commença à se réchauffer.

Tout autour de Ryoka et de la Gnolle, la neige se mit à fondre. L’enfant regarda autour d’elle, les yeux écarquillés. De l’herbe et des fleurs se mirent à pousser, créant un lit douillet de vies nouvelles autour d’elles. L’air était chaud, et pendant un instant, le cristal gelé de la peau des Fées de Givre s’illumina. Les couleurs du printemps parcoururent leurs corps, vives et vertes, les couleurs de l’herbe et du soleil et du ciel bleu.

Mais le moment passa, et les fées redevinrent de glace et d’hiver. Elles flottèrent dans le ciel, au-dessus du petit sanctuaire qu’elles avaient créé. Ryoka continua de dormir, insouciante. Une voix s’éleva dans son esprit, un annoncement sans timbre et sans émotion venu lui livrer un message.


[Classe : Coureuse Va-Nu-Pieds Obtenue !]

[Coureuse Va-Nu-Pieds Niveau 8 !]

[Compétence - Foulée Fluide Obtenue !]

[Compétence - Mouvement Optimisé Obtenue !]

[Compétence - Instinct de Survie Obtenue !]



[Compétence : Dernière Course Appr...]


“Nay, elle n’apprendra rien du tout. Ou du moins, rien qui ne vienne de toi. Laisse cette imbécile tranquille, chose des dieux morts. Elle est différente.”




[Niveaux annulés]




Mrsha lève la tête. Elle n’entendit pas les paroles de fées, ne sut rien de ce qui venait de se passer. Elle toucha l’Humaine immobile, et leva sa tête vers la lune. Elle éclairait la zone dégagée d’herbe et de fleurs qui avaient éclos au milieu de la neige de ces terres désolées.

Elle hurla à la lune, sa voix forte et sauvage, emplie de peine.

Mais personne ne répondit à son appel. Et Mrsha hurla et hurla alors dans la nuit, seule. Sachant qu’elle était seule.

Un bruit soudain brisa le silence de la nuit. Mrsha s’éloigna d’un bond de Ryoka, les poils dressés, lorsque quelque chose à l’intérieur du sac de la jeune fille se mit à sonner, émettant un son étrange qu’elle n’avait jamais entendu.

l’iPhone sonna encore cinq bonnes minutes. Mrsha regarda autour d’elle et les fées observèrent silencieusement la scène au-dessus d’elle. Puis il se tut lui aussi.

Loin au sud, le Seigneur Gobelin poursuivit l’armée de Zel Shivertail, forçant les Drakéides à courir jusqu’à ce que les Gobelins abandonnent enfin la poursuite. Ils se regroupèrent encore une fois, pour grandir et devenir encore plus fort, jusqu’à ce pouvoir soumettre les tribus septentrionales . Ils balaieraient le nord, bientôt.

À l’autre bout du monde, un groupe de mages cessèrent l’enchantement, et changèrent de cible. Un autre téléphone se mit à sonner, sur un autre continent.

Rien de tout cela n’avait d’importance. Aucun bruit ne brisait le silence là où dormait Ryoka, rêvant de feu et de ténèbres, aux côtés d’une petite Gnolle qui s’était roulée en boule à côté de l’Humaine. Les fées flottaient dans le ciel au-dessus d’elles, montant la garde dans la nuit.

Il n’y avait pas de bruit ici, pas de mots que l’on puisse prononcer.

Juste le bruit, lent et lourd, du silence.

Et le souvenir.

De la mort.




 
Maroti
   
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2.36
Traduit par Maroti

Elle n’était pas prête pour ça. Pas prête du tout.

Ce fut la première chose que Loks réalisa lorsqu’elle devint la chef de la Tribu du Croc Rouge, mais aussi la chef des tribus alliées sous le contrôle de Garen. Elle n’était pas prête à mener tant de Gobelin. Elle le savait, et il lui dit.

Plusieurs fois.

Ce fut la première chose à laquelle Loks pensa en se réveillant dans l’un des nids d’Araignée Cuirassée qu’ils avaient occupés, elle poussa la couverture sale et réalisa ce qu’il s’était passé. Elle sortit du nid et regarda autour d’elle.

La petite vallée où elle s’était battue jusqu’au bout était encore recouverte de cadavre, principalement de sa tribu, mais aussi des guerriers et montures des Crocs Rouges. Loks regarda autour d’elle et vit des Gobelins maladroitement s’occuper de leurs blessures, ou cuisiner. Les morts, mais la majorité était encore en train de dormir.

Ils avaient été poussés dans leurs derniers retranchements par les attaques des Crocs Rouge. Et ce n’était que maintenant que Loks pouvait voir le prix qu’ils avaient payé.

Un massacre.

Garen Croc Rouge, chef de sa tribu et de nombreuses tribus situées au nord de Liscor, dormait. Mais il se réveilla rapidement quand Loks lui sauta sur l’estomac depuis le trou. Il rugit de colère, s’apprêta à prendre son épée, et s’arrêta quand il vit Loks.

« Chef. »

Il parla, prononçant des mots ne provenant pas du langage Gobelin. Loks avait encore du mal à s’en rendre compte. Mais Garen hocha la tête et se releva sans effort, s’étirant comme si sa précédente journée ne s’était pas terminé par un combat à mort qui lui avait fait fondre une partie du visage.

« Manger ? »

Elle fronça les sourcils, mais il leva les sourcils vers la sortie du trou. Le cri de guerre de Garen avait réveillé l’intégralité de sa tribu ; les Gobelins ne pouvaient pas ignorer les subtils indices comme quelqu’un qui venait de hurler et peu d’entre eux allaient pouvoir se rendormir après une telle surprise.

Le monde recouvert de neige se transforma en chaos organisé alors que les Gobelins à la peau verte commencèrent à effectuer différentes tâches. Loks regarda alors que les Gobelins ayant la classe de [Cuisinier]… Ou plus précisément, les sous-classes de [Boucher], [Scavenger], [Mijoteur] et ainsi de suite, commencèrent à préparer le repas. Garen cligna des yeux en cherchant sa tribu et leur fit un signe de la main. Puis il regarda Loks.

« Beaucoup de choses à dire, Chef. »

Elle le regarda, et hocha la tête. Oui, il y avait beaucoup à dire. Garen et elle s’éloignèrent de sa tribu s’extirpant du sommeil, regardant les Gobelins vaquer à leurs occupations.

Il y avait une organisation à tout cela, malgré l’apparence chaotique que cette scène pouvait avoir pour un non-Gobelin. Chaque individu avait leur but et leur rôle dans la tribu, mais ils pouvaient changer de travail en un clignement d’œil, généralement en communiquant avec un grognement ou un coup-de-poing. Parfois, ils se battaient et se hurlaient dessus, mais ce genre d’affrontement était rapidement arrêté par les sous-leaders de la tribu, les Hobs.

Ils étaient grands, généralement méchants, et généralement fait à l’idée que si quelqu’un faisait le boulot, cela voulait dire qu’ils n’avaient pas à le faire. Ils appliquaient les ordres de Loks et aidaient dans la prise de décision. Par exemple : est-ce que les Loups Carnassiers étaient comestibles ou venimeux ? Est-ce que les Gobelins les dépeçaient pour leur peau, ou essayaient de manger la fourrure ?

Garen regarda ses loups se faire couper en morceaux sans réelle émotion, même si ses yeux se fermèrent quelques secondes avant qu’il détourne le regard. Il regarda sa monture se reposer près du feu. Loks la regarda aussi.

Il ne restait qu’une vingtaine de la cinquantaine de Gobelins que Garen avait emporté pour attaquer la tribu de Loks. Tous blessés. De l’autre côté, seul quelques loups avaient survécu. Loks avait donné l’ordre de tuer les montures en premier.

Loks remarqua que les guerriers Crocs Rouges semblaient bien s’entendre avec ses Gobelins. Dans le fait qu’ils étaient comme tous les Gobelins, ils n’étaient pas en train de se frapper dans le dos avec les autres Gobelins, mais ils comprenaient le changement de dominance qui s’était effectué entre leurs tribus.

Les loups de l’autre côté, semblaient confus par la trêve et toujours en colère, ce qui était compréhensif après avoir vu tant de leur meute se faire dévorer par des Gobelins. Plusieurs faisaient des claquements de mâchoires, et ne laissant que leur cavalier s’approcher. Ils se calmèrent après avoir mangé des Gobelins morts, mais ils continuaient de fixer les Gobelins de Loks du regard.

Garen remarque le regard de Loks.

« Ils obéiront. Cela prendra du temps, pour te voir en tant que chef. »

Loks hocha la tête, distraite. Elle regarda Garen, et puis se souvint de ce qu’il avait dit la nuit précédente.


Pourquoi ?


C’était une question qu’il n’avait jamais vraiment répondue. Garen haussa les épaules.

« Il le faut. »

Loks ne comprenait pas pourquoi. Elle fronça les sourcils, et regarda Garen.


Tu as tué beaucoup des miens.


Il haussa les épaules et inspira.


« Un test. »


Tu es plus fort. Pourquoi moi ?


Il sourit.

« Plus fort. Oui. Mais je ne peux pas mener. Pas comme toi. »

Elle ne comprenait pas. Mais après avoir déjà mangé du loup grillé qui calait bien et que Garen avait même dévoré avec passion, elle avait commencé à réaliser ce qu’il voulait dire quand ils décidèrent ce qu’ils allaient faire.

Normalement, Loks serait à la tête de tout ce qui se passait. Mais Garen n’était pas un Chef ordinaire, tout comme elle d’ailleurs. Il lui dit que le reste de sa tribu était en route, avec les tribus alliées.

« Ma tribu est la plus rapide. Les autres sont lents. »

Garen lança un os dans le nid d’araignées cuirassé alors que les Gobelins entassaient les autres cadavres. Ils pouvaient être enterrés ; peut-être que les Araignées allaient les manger, ou qu’une autre créature allait le faire, mais Loks décida que c’était mieux que de les laisser pourrir à l’air libre et à la vue de la suspicieuse Garde de Liscor.


Combien dans la Tribu ? Combien ici ?


Garen haussa les épaules. Il regarda un guerrier de sa tribu, et le Gobelin se gratta la tête avec son bras droit, celui de gauche étant recouvert de bandage. Ils se disputèrent, et Garen se décida éventuellement sur une approximation de deux cents Gobelins. Deux cents guerriers. Et pour le reste de sa tribu… Il n’avait pas la moindre idée. Beaucoup.

Loks fronça les sourcils. La plupart des Chef connaissaient presque exactement le nombre de Gobelins que contenait leur tribu, mais Garen semblait s’en moquer. Mais elle était occupée à organiser des moyens de bouger les blesser, et de décider leur prochaine destination. Elle voulait éloigner les tribus de Liscor, peut-être retourner à la cave, ou les amener dans un autre endroit où ils pourraient se regrouper et se reposer.

Elle voulait rencontrer les autres tribus, mais Loks fronça les sourcils quand elle entendit l’un de ses scouts dirent qu’ils traînaient les pieds, marchant à la vitesse d’un escargot en apprenant sa victoire sur la Tribu du Croc Rouge.

Garen était pour que les tribus se dispersent alors que Loks réfléchissait à ce qu’elle devait faire. Elle le regarda : elle était en train de réfléchir et il l’interrompait. Personne ne la dérangeait quand elle réfléchissait, même ses Hobs. Mais Garen pensait clairement qu’il était plus important que tout le monde.

Il avait raison, bien sûr, mais c’était quand même agaçant.

« Laisse les tribus partir. Ils viendront quand tu les appelleras. Mais tu n’es pas Seigneur des Gobelins. »

Pas encore, et peut-être jamais. Ce fut ce que Loks entendit. Elle hocha la tête avec réluctance. Elle allait remplacer la majorité de ses pertes avec la tribu du Croc Rouge, et alors que sa tribu approchait le millier d’individus elle allait avoir du mal à tous les surveiller. S’occuper des milliers de Gobelins des tribus alliée était impossible pour elle, donc c’était plus intelligent de les séparer que de tous les entasser et risquer des affrontements.


Dites leur de partir. Mais pas trop loin.


Garen acquiesça en hochant la tête, et il envoya deux de ses cavaliers les moins blessés pour faire passer le message. Loks commença à bouger sa tribu vers le nord alors que les derniers cadavres de Gobelins furent enterrés, et elle et Garen se retrouvèrent à marcher au centre de sa tribu, dans un petit espace qui leur appartenait.

Loks y était habité, mais le fait que Garen continuait de la suivre s’agaçait. Elle le regarda plusieurs fois avant de décider de mordre dans la grenouille toxique, pour ainsi dire.


Qu’est-ce que tu veux ?


Il lui fit un sourire, ignorant le ton de sa voix. Garen caressa sa monture, le gigantesque loup était en train de boiter à ses côtés, et il répondit à Loks sans se soucier d’elle.

« Je marche. Pas bien ? »

Loks fronça les sourcils. Elle le regarda, ignorant les grognements de sa monture.


Je suis Chef.


« Oui. Mais je suis le meilleur Gobelin. Plus vieux. Plus malin. Plus fort. Je dois t’enseigner pour que tu deviennes un meilleur chef que moi. »

Elle y réfléchit. Loks n’avait jamais entendu parler d’un Chef qui avait été formé, ils apprenaient généralement en observant, ou inventait en cours de route. C’est un concept non-Gobelin, quelque chose qu’Erin pourrait inventer. Loks ne détestait pas entièrement cette idée, mais elle devait rendre quelques choses claires.


Je suis Chef. Tu ne l’es pas.


Elle ne pouvait pas avoir des querelles internes sur sa position, surtout quand Loks savait qu’elle perdrait s’il la challengeait. Garen hocha la tête.

« Je ne me battrai pas, Chef. Je ne veux pas mener. »

C’était une autre étrange déclaration, mais Loks vit la vérité une fois qu’elle vit le reste de la tribu du Croc Rouge. Ses Gobelins se déplaçaient en petite foulée pendant plus deux heures lorsqu’elle entendit un cri d’alerte, et vit la Tribu du Croc Rouge s’approcher.

Sa réaction initiale fut la déception. Non pas parce qu’il y avait moins de Gobelins que prévu ; ils étaient environ trois cents après un rapide compte avec presque quarante loups sans compter les chiots. C’était une vaste tribu, rendue encore plus forte par le fait qu’ils avaient six Hobs parmi eux, le plus haut chiffre qu’elle avait vu en dehors de sa tribu.

Et il était vrai que la Tribu du Croc Rouge était un géant dans la mer de tribus. Ils avaient des armures de qualité sur la majorité de leur guerrier, et les armes qui allaient avec. Mais Loks fut déçu car quand elle regarda les Gobelins qui n’étaient pas des guerriers, elle vit les Gobelins de sa propre tribu avant qu’elle ne devienne Chef.

Tous les non-guerriers étaient maigres et mal nourris. Les enfants étaient habillés de loques ou nus, et les Tribu du Croc Rouge ne semblait pas transporter beaucoup de nourriture. Ils étaient clairement une tribu de guerrier, mais la majorité des tribus que Loks avaient rencontré avait une simple échelle de richesse. Si un Gobelin mangeait, tous les Gobelins mangeaient. Certes, le Chef mangeait plus que les autres, mais les tribus sachant se battre avaient rarement un problème de nourriture.

Et pourtant c’était le cas de cette tribu. Loks demanda une halte alors qu’elle approcha la tribu. Immédiatement, les Gobelins baissèrent la tête et ne croisèrent pas son regard. Elle était aux commandes.

Garen s’approcha alors que Loks fit une rapide estimation de sa tribu. Il lui tapota l’épaule, et elle se demanda lui donner un coup de couteau valait le coup.

« Maintenant je vais t’apprendre à te battre. Pour être plus fort. »

Elle secoua la tête. Il y avait plus important à faire. Elle venait d’acquérir trois cent nouvelles bouches, il était temps de réorganiser et de repenser à la structure de sa tribu.

Garen fronça les sourcils, ne comprenant pas.

« Quoi ? Pourquoi attendre ? »

Loks soupira, mais elle lui grogna dessus en regardant sa tribu. Ils étaient tous en train de l’observer, particulièrement les Hobs pour une raison qu’elle ignorait. Elle espérait qu’ils n’allaient pas poser de problème. Tous les Hobs semblaient plus fort que ceux de sa tribu, et elle allait avoir besoin de chacun d’entre eux.


Nourriture. Vêtement. Armes. Endroit où dormir. On a besoin de ça.


« De la nourriture ? »

Les sourcils de Garen se levèrent de manière dédaigneuse. Il secoua la tête, et pointa un Gobelin au hasard.

« Le Chef veut de la nourriture. Va chercher de la nourriture. »

Le Gobelin regarda Garen, puis Loks, avec hésitation. Elle le regarda taper sur l’épaule de quelques Gobelins alors qu’ils commencèrent à s’éloigner. Ils n’avaient pas de direction, pas d’arme en dehors de celle que les Gobelins portaient, aucun moyen de porter la nourriture…


Qu’est-ce que vous faites ?


Garen regarda Loks sans comprendre.

« Ils vont chercher de la nourriture. Tuer quelque chose. Trouver quelque chose a ramener. »

Mais s’ils ne trouvaient pas assez de nourriture ? Où était la logistique, et le besoin de trouver un moyen durable de se nourrir si la tribu restait dans la zone. Garen regarda Loks, et puis pointa de nouveau du doigt.

« Les Hobs s’en chargeront. »

En effet. L’un des Hobs avait intercepté le groupe s’apprêtant à partir et essayait de leur donner des ordres. Il envoya un regard long et empli de douleur à Loks, et elle comprit.

Garen était assurément un guerrier parmi les guerriers, invincible chez les Gobelins, un attaquant vicieux et un ancien aventurier qui en savait plus sur les Humains et les autres races que les autres Chefs… Mais il n’était pas un leader.

Il n’avait pas de niveau dans la classe de [Chef], ou de [Leader]. Son idée d’une organisation était de diriger une petite élite de guerrier qu’il avait choisi et entraîné de lui-même et laisser les autres Hobs et Gobelins se débrouiller.

En réalité, et Loks s’indigna de plus belle en l’apprenant, Garen n’avait même pas réellement fait l’effort d’agrandir sa tribu. Des Gobelins avaient simplement marché vers son camp comme des papillons de nuit attiré par une flamme et il les avait laissé rester. La seule raison pour laquelle il avait une tribu était parce qu’il en ressentit le besoin, mais il était incapable de diriger sa tribu à l’exception des Gobelins qu’il avait choisis, malgré son écrasante supériorité.

Ce n’était pas un grand défaut pour une personne, mais c’était impardonnable pour un chef. En tant que chef de la Tribu des Plaines Inondées, Loks se sentait mal à l’aise pour la Tribu du Croc Rouge, donc elle décida d’intervenir, au grand agacement de Garen.

La première chose que Loks fit fut d’annuler l’ordre idiot que Garen venait de donner et d’envoyer des scouts vérifier plusieurs locations. Non pas pour trouver de la nourriture ; elle voulait un endroit pour installer le camp, et ses scouts rapporteraient toutes les sources de nourriture viable.

Ensuite, Loks commença à identifier les Gobelins pratiquent dans la tribu alors qu’elle ordonna que les réserves de nourritures de sa tribu soient vidées pour nourrir les Crocs Rouges affamés. Elle portait toujours le plus de nourriture possible, et Loks regarda ses réserves se faire dévorer par les nouveaux arrivants.

Les Hobs de la tribu de Garen la regardèrent faire avec soulagement alors que Loks commença à séparer les Gobelins, identifier les classes, regrouper les enfants, les mères et les anciens dans un même groupe… Elle choisit six Hobs qui semblaient être compétents et leur donna le rôle de superviseurs des différents groupes de sa tribu.

Loks avait des fouilleurs, des chasseurs, des guerriers et beaucoup d’autre groupe dédié à faire une seule tâche dans sa tribu. Elle avait construit se système interne pour que les différents groupes puissent alterner dans leurs tâches et avoir du temps pour se reposer, alors que ses guerriers pouvaient aider à la protection du camp à tout instant.

Garen n’avait rien de ça. Il erra dans le camp alors que Loks lutta pour trouver un moyen faire quelque chose de ses Loups Carnassiers. Ils ne lui faisaient pas confiance, mais ils semblaient réaliser qu’elle était leur nouvelle chef.

Finalement, les scouts de Loks revinrent avec plusieurs locations adéquates, et elle choisit une large forêt se trouvant à la base d’une des montagnes comme base pour rester un certain temps. Ils lui dirent aussi qu’il y avait un troupeau de Corusdeer dans les environs, et que pour elle, c’était une excellente source de viande.

Normalement les Gobelins réglaient le problème de la nourriture en mangeant leurs morts. Mais Loks considérait qu’avoir des Gobelins morts était un signe d’échec, donc elle faisait tout ce qui était possible pour trouver de nouvelles sources de nourriture. Mais pour l’instant, elle voulait ce troupeau de Corusdeer massacrer. Ils allaient pouvoir faire sécher la viande ; une autre chose que la tribu de Garen ne faisait pas.

Mais les Corusdeer étaient dangereuses. Normalement Loks hésiterait à attaquer un troupeau, même avec ses Hobs. Donc elle l’envoya Garen le faire. Il fronça les sourcils quand elle lui donna l’ordre, ainsi qu’à plusieurs guerriers armés de long pics, d’arc, de frondes et d’arbalètes pour faire reculer les biches et les abattre de loin.

« Pourquoi ? Je ne suis pas un chasseur. »

Mais il était fort. Et plus important, Loks lui avait ordonner. Elle le regarda jusqu’à ce qu’il part, avec l’ordre strict de garder un maximum de Gobelin en vie.

Il revint lorsque Loks avait déjà établi son camp, avec des places désignées pour manger, dormir, et faire ses besoins. Garen regarda le camp ordonné que Loks avait organisé, et la manière dont les différents groupes de Gobelins étaient organisé par un Hob pour entrer et sortir des caves et des autres terriers à la recherche de nourriture.

L’ancien Chef Gobelin jeta la carcasse d’une Corusdeer de manière dédaigneuse aux pieds de Loks. Il avait décapité le cerf alpha du troupeau, et Loks remarque joyeusement que le groupe qu’elle avait envoyé n’avait perdu que quelques Gobelins.

Garen n’était même pas blessé. Sa peau était comme une armure, mais le cerf ne s’était même pas suffisamment approché pour l’éventrer. Selon les Hobs qui l’avaient accompagné, Garen avait ignoré leur formation de chasse – des rangs serrés et des pics pour tenir les biches à distance alors que les archers abattaient les biches au bord du troupeau – et avait marché dans le troupeau, abattant son épée et tuant des biches alors qu’ils transformaient la neige en brouillard.

Aucun autre ne pouvait faire ça. Même pas un Hobs, ou un Chef. Loks pouvait voir l’admiration dans les yeux des autres Gobelins qui l’avaient accompagné. Elle comprenait. Elle l’avait senti elle-même ; ce n’était pas de le voir comme ça qui était incroyable. Elle avait vue des aventuriers combattre dans de magnifiques armures et vaincre de terrifiants monstres. Mais c’était différent. Garen était un Gobelin. Il était l’un d’entre eux, il pouvait se battre comme un héros.

Il l’était ce que Loks rêvait de devenir, avant de voir ses rêves réduit en poussière. Mais le voir lui donnait envie de devenir plus forte. Elle était forte en tant que Chef, mais en tant que Gobeline ?

« Nous parlons maintenant ? »

Garen était irrité, mais il se calma quand il réalisé qu’il y avait plus de nourriture disponible et un endroit confortable sans neige ou s’asseoir. La forêt était un endroit idéal pour les Gobelins, tant que Loks précisait que les feux devaient être éloignés des arbres.

C’était l’heure de parler. Loks s’assit avec Garen alors qu’ils parlaient de nouveau, et elle posa finalement les questions la taraudant. Elle avait déjà les réponses à certaines, mais Garen confirma le reste.

Garen Croc Rouge. Ce n’était pas que le nom de sa tribu, c’était aussi son nom. Il avait été nommé par le Shaman de la Tribu de l’Ancien Feu, mais il s’était éloigné de la tribu en grandissant, déçu de son ancien Chef, et avait errer pour devenir plus fort.

Et c’est ce qui arriva. Oh, il était devenu fort, bien plus fort. Garen avait appris à se battre tout seul, et il avait rapidement gagné des niveaux dans sa classe de [Guerrier]. De plus, il était devenu un Hob, et avait fini par terroriser un grand territoire au nord à lui-même, affrontant des Tribus Gobelines et des monstres locaux jusqu’à attirer l’attention d’une Compagnie d’Aventuriers de rang Argent.

Ils l’avaient traqué, et l’avait presque tué. Mais quelque chose d’étrange s’était produit. Intrigué par un Gobelin suffisamment intelligent pour survivre seul et clairement à indépendant, le chef de la Compagnie l’avait épargné au lieu de le pourchasser.

Garen avait fui, mais il n’était pas parti loin. La rencontre avec les aventuriers l’avait changé, il devint curieux des Humains et des autres espèces qu’il n’avait vu qu’en ennemis et proies. Consumé par son désir de mieux comprendre ce qu’ils étaient, Garen s’était déguisé en tant que voyageur, cachant sa peau verte et son visage derrière des toges et un masque rudimentaire pour aller dans les villages et villes, écoutant les Humains parler.

Ses premiers essais avaient été majoritairement des échecs, mais Garen avait apprit à parler le langage des Humains de manière rudimentaire et personne ne suspectait qu’un Gobelin pouvait être aussi grand, ou pacifique. Garen était même parvenu à rentrer dans des villes, généralement en secret et lorsque les gardes ne regardaient pas les portes. Mais il était suffisamment fort et malin pour réussir à s’en sortir les quelques fois où il avait été démasqué.

Et Garen était partie à la recherche des aventuriers qui l’avaient épargné. Il les avait traqués, et après les avoir trouvés, les avaient de nouveau challengés.

Il perdit de nouveau, mais cette fois il se porta volontaire pour rejoindre leur groupe. Après un long débat, il fut accepté, et Garen Croc Rouge devint le premier Gobelin à voyager avec des aventuriers. Avec son équipe, ils faisaient des contrats d’extermination de monstres et avaient même exploré des donjons, jusqu’à obtenir le rang d’Or.

C’était comme ça que Garen avait obtenu son épée, et était devenu un guerrier bien plus puissant. Il avait formé un lien fort avec les aventuriers, d’après ce que Loks avait compris… Jusqu’au jour où il est trahi.

Ce fut la seule chose sur laquelle Garen refusa de s’étendre. Le grand Hobgobelin s’était tut, suçant la moelle d’un os en regard le feu d’un regard lointain. Loks n’avait pas cherché à aller plus loin, car la suite était tout aussi importante.

Garen en pouvait plus rester dans le monde des non-Gobelins après sa trahison. Il battit en retraite dans une zone au Nord de Liscor, une zone ou les Gobelins étaient généralement ignoré à l’exception des requêtes d’extermination posté régulièrement par un village. Il erra autour des Hautes-Passes, et réussit à dresser un Loup Carnassier quand il ressentit le besoin d’avoir une tribu.

Dans la plus grande tradition Gobeline, Garen avait trouvé la plus grande tribu et avait challengé le Chef en combat. Il avait même permis au Chef de se battre avec autant de guerrier qu’il le boulait, mais apparemment le Hob à la tête de la tribu avait lancé un regard vers Garen et avait prit la fuite, ce qui était la chose la plus intelligente à faire. Et donc, Garen avait trouvé sa tribu.

Normalement, l’histoire aurait dû devenir celle de Garen et de sa tribu grandissante, grâce son incroyable talent de guerrier. Mais comme Loks l’avait observé, Garen était un terrible Chef et il réalisa rapidement cela. Donc au lieu de grandir, la Tribu du Croc Rouge avait établi une supériorité locale, avec les Tribus de la Lance Brisée et de la Main Spectrale au sud.

Jusqu’au jour ou le Seigneur des Gobelins émergea.

Garen s’arrêta, et Loks se leva. Elle comprenait pourquoi il avait fait ce qu’il avait fait, vaguement. Il avait amassé sa tribu et les tribus alentour pour former une alliance capable de vaincre le Seigneur des Gobelins. Le problème était qu’ils étaient fracturés par l’absence d’un bon chef pour les mener. Garen était le plus puissant, mais il ne pouvait pas les mener efficacement. Quand il entendit parler d’une jeune Chef qui avait absorbé plusieurs tribus en utilisant des stratégies et des formations…

Eh bien, il l’avait testé, avec du sang et de la mort, et elle avait réussi. Mais Loks voulait savoir pourquoi il avait décidé que le Seigneur des Gobelins avait tort.

Elle savait que tous les Gobelins savaient. Obéis au Chef. Mais il y avait quelque chose, oui, un quelque chose dans sa tête qui lui disait d’obéir au Seigneur des Gobelins. Et un Roi des Gobelins ? C’était comme un souvenir du soleil pour une personne ayant constamment vécu dans les ténèbres. Elle voulait un Roi, donc elle n’arrivait pas à comprendre ce qui n’allait pas avec le Seigneur des Gobelins.

« Il a tort. »

C’est ce que prononça Garen. Il regarda le feu, jetant des fragments d’os dans le brasier.


Qui ? Le Chef de la Tribu de la Lance Brisée ? Le Chef de la Tribu de la Main Spectrale ?


Loks était certaine qu’elle aurait entendu d’une possible tentative d’expansion de ces tribus, elle s’attendait à ce qu’ils aillent après les plus faibles tribus en premier. Mais Garen secoua la tête.

« Aucun. Différent. Chef de la Tribu de la Lance Brisée s’est rendu. Chef de la Tribu de la Main Spectrale est morte. »

Cela manqua de faire tomber Loks de son siège. La Chef de la Tribu de la Main Spectrale était morte ? Mais elle était une [Shaman] maniant une puissante magie ! Plus encore, le Gobelin qui l’avait remplacé en tant que Chef avait commencé à étendre son influence et sa tribu devenant de plus en plus dominante.

« Je l’ai rencontré. Il y a longtemps. »

Garen était parti au sud, évitant les aventuriers et les villes pour rencontrer ce nouveau Chef quand il entendit parler de son pouvoir. Mais le leader des Crocs Rouge était reparti dès qu’il avait vu le Gobelin.

« Il est… Mauvais. C’est un mauvais Gobelin. »

C’était la première fois que Loks entendait ce mot être utilisé pour décrire un Gobelin, mais elle le comprenait. Un mauvais Gobelin. A qui on ne pouvait pas faire confiance, qui ne pouvait pas faire partie d’une Tribu. Qui devait être combattu, même si cela voulait dire qu’une guerre allait éclater entre les Tribus.


Donc. Je suis Chef pour combattre.


Garen leva les yeux et haussa légèrement les épaules.

« Pas encore. Seigneur des Gobelins est lent. Les Tribus grandissent. Beaucoup de temps. Bien. Besoin de te rendre plus forte. »

Plus forte ? Garen hocha la tête.

« Tu es faible. Tu dois devenir plus forte. J’aide. »

C’est ainsi que Loks se trouva à s’entraîner avec Garen au milieu de son camp après avoir mangé. Elle cligna des yeux dans sa direction alors qu’il ramassa une branche et lui fit face. Elle avait son épée courte et un bouclier, mais il n’avait qu’un morceau de bois.

Les Gobelins et les Hobs se rassemblèrent pour regarder alors que Loks se tint devant Garen. C’était un affrontement ridicule. Malgré son manque d’arme, il était deux fois plus grand qu’elle et entièrement fait de muscle. Elle avait aussi du muscle, mais la différence était plus que notable.

« Attaque-moi, Chef. »

Elle cligna des yeux dans sa direction. Loks fit un signe vers son épée.


Je vais te couper un morceau.

Garen sourit en direction de Loks et la piqua du bout de sa branche.

« Impossible. Je vais te montrer la différence entre nous. Ta faiblesse. »

Elle hésita. Garen leva la main et lui fit signe d’approcher.

« Vient. Tu ne pourras p-»

Loks leva le doigt et lança le sort de [Luciole]. L’insecte-oiseau fait de feu vola vers le visage de Garen. Il perdit son sourire et se pencha hors de la trajectoire, mais l’oiseau tenta de descendre vers son torse.

Garen esquiva en arrière, incroyablement rapide, et il frappa le sort avec sa branche. Son coup fendit l’air, mais la seule chose qui se passa fut que son arme prit feu.

Ce qui était une bonne chose s’il voulait faire du mal à Loks, mais le sort continuait de le poursuivre. Il fit plusieurs pas en arrière, frappant plusieurs fois le projectile enflammé. Loks se demandait s’il ne savait pas quoi faire quand Garen frappa le sort une dernière fois et ce dernier éclata et disparu dans un nuage de fumée.

Garen jeta nonchalamment la branche dans l’un des brasiers et regarda Loks. Il lui fit un grand sourire.

« Les sorts peuvent être brisés. »

Elle le regarda. Elle n’avait pas la moindre idée que cela était possible. Mais maintenant Garen s’avançait, sans arme, et elle leva son bouclier.

Elle l’avait déjà affronté sérieusement. Même s’il ne se battait pas sérieusement, elle avait une chance. Elle se précipita en avant sans qu’il n’ait le temps de frapper, essayant de le poignarder dans l’estomac. Elle le vit reculer son pied et…

Quand Loks reprit conscience, Garen était en train de vider une potion sur elle. Elle manqua de hurler quand elle ressentit la douleur.

Garen n’avait même pas pris la peine d’esquiver. Il avait donné un coup de pied dans son bouclier avec suffisamment de force pour l’envoyer voler, rouler et s’écraser dans le camp. C’était assez pour mériter une potion, et Garen l’aida à se relever en souriant.

« Tu vois ? Faible. »

Loks le regarda, mais elle ne trouva pas les mots pour le contredire.

***

C’était quelque chose d’étrange, d’apprendre à se battre. C’était Presque contre-intuitif ; tous les Gobelins savaient se battre. Mais la différence entre Garen et un Gobelin normal étaient qu’il savait bien se battre.

Ce n’était pas de la stratégie ou des tactiques. Loks le comprenait. C’était du positionnement, la manière de passer d’un coup à l’autre, et même la manière dont l’arme était tenue. Garen lui donna un cours éclair sur cela avait de commencer l’entraînement.

Il misait beaucoup sur l’entraînement. C’était l’une des rares choses qu’il faisait bien en tant que Chef, et Loks vit immédiatement les bénéfices que cela lui apporterait. Ses guerriers étaient la crème de la crème malgré leur faible nombre, et ils pouvaient vaincre de plus grands adversaires grâce à leur prouesse martiale.

Elle rendit obligatoire l’entraînement de tous ses guerriers, mais elle insista pour que cet entraînement se fasse avec des armes contondantes. Mais pour Garen et elle, il n’y avait pas besoin de telle restriction.

« Si tu peux me blesser, tu es prête. »

Tels furent les mots de Garen alors qu’il laissa Loks l’attaquer de nouveau, évitant et pariant ses coups sans le moindre effort avec son épée. Il attaquait occasionnellement, et quand il le faisait, Loks en subissait toujours les conséquences.

Garen ne retenait pas ses coups, pas beaucoup. Loks se retrouvait à voler, à se réveiller douloureusement, et occasionnellement, bloquer et vivre pour le regretter. Elle avait beau se plaindre à Garen, il se montrait sans pitié.

« Doit faire mal. L’entraînement marche quand ça fait mal. Impossible de monter de niveau sans douleur. »

Ceci l’intrigua. Loks regarda Garen après une de leur séance d’entraînement.


Peut gagner des niveaux sans affronter d’autres ?


Il hocha la tête.

« Lentement. Ca prend beaucoup de temps, mais c’est possible. »

C’était une révélation, mais que pour elle. Apparemment, c’était de notoriété publique chez les non-Gobelins, encore une preuve qu’ils étaient bien derrière les autres races. En effet, quand Loks retourna dans les souvenirs des anciennes vies Gobelines elle réalisa que les anciens Chefs avaient monté de niveau en s’entraînant avec leurs guerriers.

Garen était intrigué par les souvenirs des Chefs. Vu qu’il avait été un mauvais leader, il n’avait pas réussi à aller au-delà de deux générations, mais même lui avait le sens de l’héritage.

« Le Roi des Gobelins. Il était célèbre. J’ai posé beaucoup de questions, la majorité est de l’histoire ancienne. Dans des livres. »

Il ne pouvait pas lire les livres, même ses compagnons aventuriers étaient méfiants de lui raconter ce qu’ils savaient sur le Roi des Gobelins. Mais ce que Garen savait fascinait Loks.

« Il n’était pas toujours guerroyant. Il a été en paix. »

En paix ? Oui, apparemment. Loks apprit que certains Chef qu’elle avait conquis, particulièrement le Chef de la tribu des Pierres Dorées, en savait plus qu’elle sur l’histoire des Gobelins. Il était coutume pour les Chefs de parfois se retrouver pour échanger, une autre chose que ni Loks ni Garen ne savait..

Ils ne savaient pas ce qu’était un Chef conventionnel, après tout. Mais Loks menait par son esprit supérieur que les autres tribus respectaient, et Garen était fort, ce qui était suffisant.

Et pourtant, l’ancien Roi des Gobelins avait été aimé par les Gobelins. Ce fut ce que le Chef de la Tribu des Pierres Dorées clama.


Il était fort. Intelligent. Marchandait avec les Humains.


Loks et Garen se regardèrent.

« Marchandait ? »

Le Chef de la Tribu des Pierres Dorées hocha la tête en relayant cette information autour d’un repas. Le Roi des Gobelins avait eu la plus grande des tribus, et avait été majoritairement en paix avec les autres races. Il avait commencé en tant que Chef, puis Seigneur, avant de finalement devenir Roi.

Cela avait été glorieux, apparemment. Les quelques miettes dont se souvenait le Chef de la Tribu des Pierres Dorées montraient ses ancêtres heureux, nourris, et en sécurité. Mais ensuite quelque chose de… Terrible était arrivé, puis la guerre.

Une désastreuse guerre.

Loks n’avait pas la moindre de quoi faire de cette information, mais une chose était claire : un Seigneur des Gobelins était proche de devenir un Roi et toutes les autres espèces devenaient nerveuses quand un Roi émergeait. C’était assez pour envoyer des armées contre le Seigneur des Gobelins. Ils pouvaient gagner ou échouer, mais dans tous les cas, cela renforcerait sa tribu.

« Tu n’as pas besoin que ta tribu soit plus forte. Tu as besoin d’être plus forte. »

Garen insista, et Loks approuva. En partie. Elle s’entraîna volontairement avec lui, mais elle voulait aussi une puissante tribu. Garen n’était pas d’accord.

« Je suis un [Dragoon] ! Le meilleur d’un [Guerrier] et d’un [Cavalier] combiné ! »

Il frappa son torse et l’annonça fièrement aux Gobelins ébahis. Loks n’avait jamais entendu parler d’un Gobelin ayant reçu une classe unique, mais Garen avait de nombreux niveaux dans les deux classes. Et il était un [maître des Bêtes].

« J’ai apprivoisé des Loups. En les frappant. En les faisant obéir. En les nourrissant. En chassant avec. En dormant avec. »

Son Loup Carnassier était l’immense alpha de sa meute. Sur son dos, Garen était deux fois plus dangereux, et il clama qu’il était bien assez pour tenir tête à un aventurier de rang Or, même avec des artefacts. Garen en avait quelques un ; un anneau le protégeant des flèches, un autre le rendant résistant au poison, et son épée.

Loks regarda la lame pourpre avec suspicion. Elle était aiguisée, et Garen n’avait apparemment jamais besoin de l’affûté, mais il n’y avait rien de vraiment magique à son sujet.

Garen sourit et la brandit. Il murmura un mot et la lame commença à devenir blanche et brûlante. Il l’utilisa pour couper une branche et regarda avec satisfaction le bois prendre feu. Loks grommela et étouffa le départ de flamme, mais elle était impressionnée.

« C’est bien de ne pas le montrer. Les épées magiques aident contre les monstres. Bonne surprise. »

Garen planta son épée dans le sol et Loks regarda ses armes de bronze.

« Besoin d’armes magiques. Très important. »

Il voulait aussi qu’elle arrête de gagner des niveaux dans toutes les classes. Garen voulait beaucoup de choses, mais il était insistant sur ce point.

« Tu dois choisir quoi faire. Tu ne peux pas tout faire. Être un grand guerrier est différent d’être un bon archer, combattant, ou mage. Choisis. »

Loks détestait cette partie de lui. Elle n’aimait pas être forcé à faire quelque chose, surtout quand il était sous son autorité. Mais Garen semblait se voir en tant que son instructeur et prenait donc ses ordres comme des suggestions faites pour être ignoré où interpréter. Ce n’était pas parfait, mais Loks était prête à admettre qu’elle n’était pas en position de risquer un conflit avec lui. Pas encore. Après tout il l’avait dit, elle était trop faible.

***

Quelques jours après s’être installé dans la forêt, Garen trouva Loks en train de tenir l’une des arbalètes qu’elle avait inventées. Il la jeta au sol de manière dédaigneuse, comme il le faisait souvent avec les choses qu’il trouvait insuffisante.

« Trop faible. »

Elle cligna des yeux. Loks était en train d’essayer d’utiliser l’un des trous que les Gobelins avaient creusés, mais Garen semblait s’en moquer. Elle le regarda, mais l’ancien Chef voulait clairement une réponse immédiate.


Pas faible. Bonne arme. Facile à utiliser.


Il secoua la tête.

« Trop faible. Ne blesse pas assez. Il faut des flèches. »

Il démontra, tirant l’arbalète sur sa main à bout portant. La munition d’argile éclata sur sa peau sans le blesser. Garen secoua de nouveau la tête.

« Pour des chasseurs. Pas pour se battre. »

Loks n’était pas d’accord. En partie. Les arbalètes de pierre étaient d’excellente armes, pour chasser ou non. Le fait que leurs munitions étaient peu couteuses voulait dire qu’elles étaient les armes parfaites pour les Gobelins qui n’étaient pas des combattants. Tout le monde pouvait les utiliser, ce qui voulait dire qu’elle pouvait armer tous les enfants et les non-combattants de sa tribu.

Mais Garen était une nouvelle fois convaincu qu’il avait raison, et dés que Loks termina son affaire, elle lui expliqua pourquoi elle n’avait pas plus de ‘bonnes’ arbalètes.


Pas de morceau. Besoin de métal. De bois. De trucs qui tournent.


Garen cligna des yeux en regardant Loks, sans comprendre. Elle lui montra les vis et lui expliqua à quel point il était difficile d’en obtenir. Il secoua la tête et rit.

« Difficile ? C’est facile ! Très facile. Viens ! »

C’est ainsi que Loks se trouva assise en haut d’une colline, les yeux baissés vers l’une des routes menant hors d’une ville. Les Gobelins pouvaient facilement se camoufler dans la neige, et donc Garen avait emmené un groupe de guerriers pour qu’ils puissent observer le trafic entre les différentes villes Humaines. Il avait posté des scouts sur d’autres collines et des points d’observation, attendant le bon moment.

« Là. »

Garen pointa du doigt, et Loks vit plusieurs wagons sortir de la ville, tiré par des chevaux et gardé pas plusieurs gardes armés. Elle plissa les yeux.


Trucs qui tournent ?


Garen n’en avait pas la moindre idée, mais la cible était quand même parfaite selon lui. Il expliqua.

« Pas un Coursier. Lent. Pas de garde fort. Plein de chose qui ne sont pas précieuses. De la nourriture, d’autre trucs. »

Les coursiers étaient généralement trop rapides pour que les Gobelins les attrapent. De plus, ils avaient l’habitude de mettre de grosse prime s’ils étaient attaqués, et Garen avait pour règle d’éviter le conflit avec les aventuriers. S’ils tuaient des Gobelins, c’était une mauvaise chose. Mais si les Gobelins tuaient les aventuriers, d’autres aventuriers allaient venir, ceux qui étaient de plus hauts niveaux.

Mais les wagons ? Parfaitement acceptable. Garen avait appris qu’il fallait attaquer quelques wagons de chaque ville pour éviter de rendre les Humains suspicieux. Il avait même identifié quelques Coursiers qui étaient de bonne cible.

« Tu vois ? Fille maigre. »

Il pointa l’une des plus lente Coursières de ville du doigt alors qu’elle quitta la ville avec d’autres Coursiers. Selon Garen, elle courrait toujours avec plusieurs Coursiers et elle était une lâche. C’est facile de lui envoyer quelques Gobelins pour qu’elle lâche ses colis pour prendre la fuite.

D’un autre côté, il y avait une plus lente Coursière que les Gobelins évitaient. Il la pointa du doigt. Elle était grande, courrait lentement, et semblait être plus solidement battit que les autres.

« Forte. Elle fait mal quand elle tape. Et elle ne porte rien d’intéressant. »

Il fronça les sourcils. L’opinion de Loks était qu’un bon carreau d’arbalète entre les deux yeux réglait la majorité des problème, mais Garen insista que ne pas tuer les coursiers était la chose intelligente à faire, donc elle lui fit confiance en son jugement avec réluctance.

Ils suivirent la caravane, tapis dans l’ombre, sur plusieurs kilomètres alors qu’elle s’éloigna de la ville. Elle était toujours sur la route principale, mais la tribu de Garen avait de l’expérience dans ce genre de raid.

Il fit sortit ses guerriers de leurs cachettes et le fit monter derrière une colline. Puis, Garen fit attendre Loks dans quelques buissons avec des archers alors que ses cavaliers s’approchèrent de la caravane. Loks agrippât son arbalète noire, l’armant en attendant.

La caravane avançait à son rythme, les guerriers la défendant restant sur leur garde, quand les voyageurs entendirent le hurlement d’un Loup Carnassier sur la route. Il fut rapidement rejoint par les autres, et les Humains réalisèrent qu’une meute était en chasse.

La plupart des Humains commencèrent immédiatement à courir. Les wagons et chariots, plus lents, furent abandonnés, et les guerriers sur la route se regroupèrent autour de leur caravane, serrant les rangs et regardant autour d’eux.

C’était une bonne stratégie. Ils pouvaient probablement effrayer les Loups Carnassiers, surtout qu’ils avaient un mage dans leur groupe. Mais ils n’étaient pas préparés pour des cavaliers Gobelins. Les Humains poussèrent des cris de surprise et de terreur alors que Garen bondit hors de sa couverture derrière ses guerriers, hurlant et chargeant les Gobelins.

Loks vit le [Mage] se leva sur le wagonnet viser Garen. Son doigt appuya sur la détente, elle sentit l’arbalète relâchée la tension et le mage s’effondra. Les Humains regardèrent autour d’eux alors que ses archers se levèrent, et Garen s’écrasa dans leur rang, son épée tranchant leurs armures avec facilité.

Ce fut terminé en quelques minutes. Garen et ses Gobelins pillèrent le chariot, et brûlèrent le véhicule en le réduisant en miette, comme si un sort avait détruit humain et chariot à la fois. Ses guerriers laissèrent leurs montures déchiqueter les cadavres, et ils s’en allèrent avec le butin.

Le chariot transportait des armes, sûrement pour être vendu à une autre ville. Garen montra joyeusement les épées et boucliers à Loks, et elle devait admettre que le raid avait été un grand succès.

Malgré cela, une partie de Loks souffrait alors que les Gobelins s’en allèrent avec le butin. Elle s’arrête près de l’un des corps, baissant les yeux vers ce dernier.

Une Humaine regarda Loks de ses yeux désormais vitreux encadré par des cheveux rouges dont la teinte était devenue plus profonde à cause du sang. Loks se pencha et ferma ses yeux.

Garen s’approcha, son loup reniflant l’Humaine morte. Il regarda le corps de manière dédaigneuse.

« Agaçante mage. Joli tir. »

Loks avait tué la femme avec un carreau dans le dos. La petite Gobeline secoua la tête. Elle ne se sentait pas coupable, pas vraiment. Mais elle regarda le visage de la femme et pensa à Erin.

Garen n’avait pas ce genre de sentiment. Il donna un coup de pied dédaigneux à la femme.

« Humain morte. Ne t’inquiète pas. Personne ne viendra. »

Loks secoua la tête.


Tous les Humains ne sont pas méchants. Certains… Sont gentils.

Garen rit et secoua la tête.

« Tous nos ennemis. Ils nous détestent. Ils nous craignent. Nous devons les massacrer. »

Ce n’était pas la vérité, mais c’était aussi la vérité. Loks se souvint d'avoir été traqué, se souvint de la peur, de la terreur et de la haine qu’elle avait pour les Humains. Puis elle rencontra Erin, et sa vie changea.


Pas tous. Une n’est pas notre ennemie.


Garen regarda Loks curieusement. Comment pouvait-elle expliquer ce qu’était Erin, elle qui défiait les explications, dans son langage limité ? Garen écouta de manière dédaigneuse.

« J’ai rencontré beaucoup d’Humains. Ce sont tous les mêmes. »

Sa certitude énerva Loks. Elle le fixa du regard.


Et ta Compagnie ? Les aventuriers. Tous les mêmes ?


Garen hésita.

« C’est différent. »


Comment ?


Il ne voulait pas le dire. Garen secoua la tête.

« Pas important. »


Dit.


Il le regarda. Loks croisa les bras. Elle était Chef. S’il n’obéissait pas, alors il ne faisait pas partie de la Tribu. Garen hésita, serra les dents, et secoua la tête.

« Différents. Pas Humains. »

Drakéide ? Gnolls ? Mais Garen secoua la tête. Il murmura, essayant de trouver les mots justes.

« Pas Humain. Moitié. En partie. Ils étaient différents. Comme moi. »

Il stoppa la conversation, tourna sa monture, et insista qu’il était temps de partir. Loks fronça les sourcils, mais elle le laissa garder son silence jusqu’au camp. Le passé de Garen était une énigme pour elle, et elle voulait des réponses.


Pourquoi les avoir tués ? Pourquoi les avoir trahis.


Garen refusa de répondre même lorsque Loks le relança. Mais il céda enfin. Il l’éloigna du groupe et lui montra quelque chose. Quelque chose de petit.

Une clef.

Une simple clef. Noire, faite en quelque chose de brillant qui ressemblait à de l’onyx. C’était clairement un objet de valeur, mais ce n’était qu’une clef, et non un artefact magique et puissant. Loks la regarda, déçue, mais Garen la rangea dans sa ceinture, étant encore plus précautionneux qu’avec son épée. Il tapota sa ceinture.

« La chose la plus précieuse. La clef est importante.

Assez pour trahir sa compagnie ? Garen hocha la tête.

« C’est la clef que le dernier Roi des Gobelins voulait. »

Loks regarda. Mais c’était tout ce que Garen allait dire. Il avait tué ses camarades aventuriers à cause de cette clef qu’ils avaient trouvé au fond d’un donjon. Ils avaient aussitôt reconnu l’artefact, et Garen l’avait demandé. Mais ils avaient refusé, il s’était battu et avait été obligé de tuer plusieurs d’entre eux avant de fuir avec la clef.

Mais qu’est-ce que cette clef déverrouillait ? Garen le savait, mais il ne voulait pas le dire à Loks. C’était un autre mystère, mais il était sincère quand il disait que ni lui ni elle pouvait atteindre ce que cette clef débloquait.

« Trop dangereux. Même l’ancien Roi des Gobelins ne pouvait pas l’atteindre. Le trésor est caché dans la mort des morts. Je te le dirais un jour. Peut-être. Pas aujourd’hui. »

Et tout était dit. Garen refusa d’en parler, et Loks se trouva à repenser à la chef de temps en temps, mais pas souvent. Elle avait tellement à faire !

Gérer sa tribu. Trouver de nouvelles sources de nourriture. Rencontrer de nouveaux chefs. Créer de nouvelles armes. Trouver de nouvelles stratégies. S’entraîner avec Garen. Apprendre à chevaucher ?

Oui, de toutes les choses que Loks se trouvait à faire, chevaucher était ce qu’il y avait de plus surprenait. Après avoir rencontré l’une plus petites tribus Gobelins pour montrer à leur Chef qui était le boss, Garen l’avait prise à part pour lui montrer ses loups.

Il était un [Maître des Bêtes] et les animaux l’écoutaient. Mais sa tribu avait adopté les Loups Carnassiers et beaucoup de Gobelins savaient comment chevaucher et s’occuper des animaux même s’ils n’avaient pas la classe. Mais Garen était de l’opinion que Loks devait savoir commencer chevaucher, et il voulait lui trouver une monture.

C’était un problème épineux. Tous ses cavaliers étaient des Gobelins de taille normale, et non des Hobs, vu que les Loups Carnassiers ne pouvaient pas supporter autant de poids. Mais Garen avait choisit ses plus grands Gobelins normaux pour chevaucher. Loks était encore jeune, et elle était si petite que cela serait difficile pour elle de maîtriser un petit Loup Carnassier.

Mais Garen avait une solution. Il l’amena à une tanière que les Loups Carnassiers avaient créée et lui montra une couvée de chiot qui venait de naître. Loks regarda les créatures poilues à moitié aveugle avec un soupçon de dégoût, mais Garen se pencha et s’en empara d’un, ignorant les objections de la mère.

« Tiens. Bon loup. »

Il lui montra un loup albino, le plus faible de la litière. Il avait une glorieuse fourrure blanche, et il cligna des yeux vers Loks. La Gobeline cligna des yeux en retour. Elle regarda Garen alors qu’il expliqua.

« Le loup grandira. Deviendra une bonne monture. Elève. Dresse. Chevauche. »

Il lui offrit le loup, mais Loks secoua la tête. Elle pensa au chiot, et regarda Garen.

Pas bien.


Il leva un sourcil ?

« Pourquoi ? Trop petit ? Il grandira. »

Elle secoua la tête.


Loup blanc. Cible repérable. Normal est mieux.


Garen la regarda pendant quelques secondes, et rit. Il reposa le petit loup albino avec les autres, et la petite créature s’accroche à l’un des tétons de sa mère.

« J’en trouverai un autre. Et t’apprendre à chevaucher. »

Et leurs journées continuèrent, avec un léger problème. Loks savait qu’elle grandissait, apprenait, et sa tribu profitait du temps pour s’armer et s’améliorer. Mais elle était… Impatiente. Elle se retrouva à regarder au sud de plus en plus souvent, jusqu’à ce que Garen la surprenne à regarder au sol une semaine après sa victoire sur la Tribu du Croc Rouge.

« Qu’est-ce qu’il y a, Chef ? »

Il utilisait son titre de manière sans y prêter d’importance. Loks grimaça, mais elle ne répondit pas tout de suite. Elle était en train de penser.

Elle avait laissé tellement de chose derrière elle à Liscor. Pas que l’auberge et les échecs, mais le donjon. Maintenant elle était plus grande, plus importante, avec une grande tribu derrière elle. Mais…

Elle ne pouvait s’empêcher de vouloir revenir. Elle sentait qu’il lui manquait quelque chose. Garen lui apprenait à devenir plus forte à sa manière, mais ce n’était pas suffisant.

Qu’est-ce qu’Erin ferait ? Elle était plus faible que Garen, mais elle avait sa propre force. Et elle avait des choses dont il ne pouvait que rêver. Elle avait vaincu Écorcheur, et s’était liée d’amitié avec les terrifiants insectes. Son squelette vivait même s’il était mort, et le donjon…

Loks ferma les poings. Garen la regarda avec curiosité. Il était le plus puissant Gobelin qu’elle avait rencontré, mais était-il plus puissant que Relc ? Il était un seul Gobelin, et il pensa que c’était suffisant, mais ça ne l’était pas.

Elle voulait devenir forte. Elle vouloir être capable de se battre seule, mais elle était désormais Chef. Allait devenir une Gobeline forte, mais retenu par les faibles ?

Non, non. Il y avait forcément autre chose. Les Gobelins ne pouvaient pas être comme la tribu de Garen, un groupe de Gobelins puissants étaient toujours inférieur à un groupe similaire d’Humains armés et entraînés. Ils devaient devenir plus puissants d’une autre manière.

Il ne savait pas comment. Mais Erin le savait, peut-être. Et soudainement Loks savait ce qu’elle voulait.

Elle regarda Garen. Le grand Gobelin la regarda, attendant quelque chose. Il s’était déjà infiltré dans une ville, pas vrai ? Elle croisa son regard curieux et lui explique ce qu’elle voulait faire. Garen la regarda, et rit pendant de longues minutes jusqu’à presque en devenir malade.



***


Deux Gobelins marchèrent à travers la neige en direction de Liscor. Ils étaient des Gobelins, mais aucune personne les observant pouvaient faire la connexion. Vu de l’extérieur, ils étaient deux voyageurs encapuchonnés, probablement un père et sa fille, ayant pris la dangereuse décision de suivre la route principale à pied dans ces conditions.

Les quelques voyageurs les dépassant ne les regardèrent pas deux fois, à l’exception d’une salutation ou deux. Les deux voyageurs saluèrent en retour, et ils furent rapidement aux portes de la ville. Mais ils prirent un détour et longèrent les murs en passant par le sud, vers une petite auberge à une vingtaine de minutes de la ville.

C’était une simple auberge, mais bien construite, avec des fenêtres en verre. Le grand voyageur s’arrêta alors que la plus petite des deux ouvrit le chemin. Ils s’arrêteraient peut-être pour manger, ou pour discuter un peu. Ou plutôt écouter les discussions. En vérité, ce qui arrivait n’avait pas d’importance tant qu’ils étaient là. L’auberge était un lieu sûr, et au moins l’un des deux Gobelins était vraiment curieux de voir qui il allait trouver à l’intérieur.

Mais quelque chose de curieux arriva lorsqu’ils s’approchèrent. Une calèche noire avança dans la neige, les deux Gobelins regardant avec incrédulité les chevaux fantomatiques le tirant et s’arrêtant. Quelqu’un sortit. C’était une jeune femme humaine que l’un des Gobelins reconnu. Elle fit un signe au conducteur, et marchant dans son auberge.

Ce fut la première chose intéressante qui arriva. La seconde chose fut qu’un Drakéide, un Antinium, une [Réceptionniste] Drakéide, un [Scout] Humain et une [Princesse] agacée entrèrent à leur tour dans l’auberge. Les Gobelins hésitèrent, puis entrèrent dans l’auberge.

Puis il y eut une bagarre. Mais rien d’inhabituel.

C’était l’histoire de l’Auberge Vagabonde, un jour avant le retour de Ryoka à Liscor. Un jour avant cela, Erin avait quitté son auberge. Elle était partie pour la Cité des Aventuriers, Invrisil. Et elle avait rencontré Lady Magnolia pour la première fois.




 
Maroti
   
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2.37 Partie 1
Traduit par Maroti

Erin était assise sur un coûteux coussin dans un coûteux carrosse, observant un [Majordome] conduisant le véhicule tiré par des chevaux fantomatiques et magiques (et probablement hors de prix) et essaya de ne rien salir. Ses oreilles continuaient de bourdonner.

« J’ordonne de venir. »

Lyon avait hurlé, lancé des choses et même essayer de frapper l’imperturbable [Majordome] pendant plus d’une trentaine de minutes. Le pauvre homme s’était tenu immobile et inflexible devant sa colère. En fait, Reynold le [Majordome] n’avait répété qu’une chose :

« L’invitation n’est que pour Mademoiselle Erin Solstice. Je m’excuse de la gêne occasionnée. »

En fin de compte, Erin avait ordonné à Toren de retenir Lyon. Elle lui avait dit de fermer l’auberge jusqu’à son retour, et de surveiller Lyon, et puis elle avait couru à Liscor pour dire à Selys ce qui était en train de se passer.

Une confuse conversation et un signe à l’auberge plus tard, Erin était dans le carrosse, se demandant si elle avait fait une terrible erreur. Le paysage se floutât autour d’elle, le sol, les arbres et même les gens disparaissant en un clignement d’œil.

C’était comme être dans une voiture, sauf que même les voitures vibraient et bougeaient à gauche et à droite tout en étant généralement pénible après quarante minutes.

Mais ce carrosse était calme. Erin n’avait même pas l’impression de bouger. Cela semblait irréel, et elle avait l’habitude de prendre l’avion et la voiture.

Mais le [Majordome] semblait être dans son élément aux rênes du carrosse… Il y avait un mur avec une fenêtre ouverte par laquelle Erin pouvait lui parler, mais la majorité de sa vue était bloquée.

Erin supposa que ce carrosse devait normalement être rempli de gens riche, probablement en train de boire du vin et de parler de choses importantes. Elle avait l’impression de faire tache, mais au moins il y avait du vin et de la nourriture.

Beaucoup de nourriture, en réalité. Une bouteille de vin était posée dans un seau de glace avec de petits biscuits blancs, des fromages, et même quelques fruits qu’Erin n’avait jamais vu, arrangés avec précaution. Erin avait trop peur pour toucher quoique ce soit, même si elle commençait à être tenté par la présentation.

« Je m’excuse pour les maigres accommodations. »

Reynold se retourna en s’excusant et prononça cette choquante déclaration comme s’il était véritablement désolé. Erin le regarda, étonnée.

« Quoi ? Non ! C’est très bien ! Je veux dire, c’est tellement… Et le carrosse va tellement vite. »

« Vos mots sont généreux. Je vous invite à profiter des rafraîchissements. Et n’hésitez pas à m’appeler si vous désirez quelque chose. »

Erin hocha la tête, et Reynold se reconcentra sur la route. Il était quelqu’un de très silencieux, ou peut-être était-ce le fait qu’il était un [Majordome]. Elle avait dû s’y prendre à plusieurs fois avant d’apprendre son nom.

Elle grignota nerveusement l’un des biscuits recouverts de fromage et ne mangea rien d’autre. La route fut longue. Reynold lui avait dit que le voyage allait durer au moins quatre heures, et commença à s’ennuyer après une quinzaine de minutes. Donc Erin fit ce qu’elle faisait de mieux.

Parler.

« Donc, vous êtes un [Majordome]. Qu’est-ce que vous faites ? »

« Je sers la maison des Reinhart, Mademoiselle. »

« Oh, d’accord, d’accord. Comme, heu, nettoyer des trucs et ouvrir la porte aux invités ? »

« … Cela est en grande partie correct, Mademoiselle. »

Elle arriva à parler avec lui au bout de deux heures.

« En vérité, Made… »

« Erin. »

« … Erin. La vérité est que la majorité des personnes sont incapables de faire la différence entre un cru classique et une bouteille qui à bien vieillit. Vois-tu, le plus important est la situation durant laquelle la bouteille est consommée. »

« Vraiment ? Je veux dire, je ne peux pas vraiment voir la différence… Je n’ai pas souvent bu de vin. Mais comment est-ce que tu peux le dire ? Est-ce que tu as un excellent sens du goût ou quelque chose du genre ? »

Reynold rit doucement.

« Moi ? Loin de là. Même s’il est vrai que la classe de [Majordome] possède plusieurs qualités et Compétences se partageant avec la classe de [Gourmet] et autres classes de ce type, la véritable épreuve d’expérience se trouve dans la quantité de vin savouré et le rythme auquel il est savouré. »

« Ooh. Je crois que je comprends. »

« Tout à fait. Une véritable dégustation commence en goûtant le bouquet du vin, c’est-à-dire l’arôme, avant de lentement imprégner la boisson. Le simple fait de le boire sans retenue ruinera les saveurs subtiles présentant dans chaque gorgée, et elles sont tout à fait exquises. »

« Donc tu as beaucoup de vins coûteux ? Parce que tu en sers souvent, c’est ça ? »

« Exactement. L’une de mes fonctions est de m’assurer que je ne sers pas de verre inférieur. En foutre, c’est une coutume qui remonte à l’époque ou le poison était souvent utilisé dans les boissons. Non pas que crains de me faire empoisonner. Et je me dois me mentionner que le fait d’assortir le bon aliment à un verre est souvent une forme d’art en soi. Essais un peu de fromage Perisgraé avec le vin, veux-tu ? »

Erin suivit ses conseils.

« C’est délicieux ! Tu devrais essayer ! »

« Cela ne serait pas… »

« Je t’en passe par la fenêtre ! Tiens ! »

« Ah. Merci. »

« Mm. Ce fromage est différent de tout ce que j’ai mangé. Il est fait comment ? »

« Je crois qu’il vient d’une sous-espèce de chèvre qui mange des rochers. »

« Bufh. Vraiment ? »

Erin toussa et regarda le fromage. Il n’avait pas le gout de caillou.

« En effet. Un grand nombre d’excellents plats vient de rares espèces magiques. Cependant, ce genre de produits est constamment en pénurie, mais Lady Reinhart possède les moyens de sécuriser même les plus rares des mets. Certains de ses plus précieux vins sont faits à partir de plantes et de fruits qui ne sont plus présent dans ce monde. »

« Wouah. »

Erin appréciait parler avec Reynold, et elle avait l’impression qu’il était surpris de voir qu’elle appréciait lui parler. Ils bavardèrent à propos de petites choses pendant plus de deux heures ; il lui dit que Lady Magnolia était très riche et avait de nombreux servants avec des niveaux dans d’étranges classes, mais il n’avait apparemment pas le droit d’en dire plus.

Mais c’était toujours agréable de se faire des amis, et Erin appréciait ses conseils sur comment mieux savourer les amuse-bouche qui se trouvait en face d’elle. Elle pensait qu’elle allait peut-être acheter quelques bouteilles de vin bon marché en rentrant. O peut-être qu’elle allait pouvoir en faire ? Elle avait une Compétence pour ça, pas vrai ?

Mais une fois que leur conversation retomba, Erin se retrouva à s’inquiéter. Il y avait des papillons dans son estomac. Probablement l’espèce gigantesque et mangeuse de chair et existait dans ce monde.

« Mais quand est-il de l’incorrect ? Est-ce qu’ils voyagent toujours comme ça ? Comment est-ce que les chevaux fantômes marchent ? Est-ce que vous voulez du fromage ? Il y en a beaucoup. »

Tout était arrivé si rapidement. Une minute elle avait été à l’auberge, et l’autre elle s’en allait de plus en plus vite et loin dans ce monde. Reynold lui avait assuré que tout se passerait bien, mais Erin continuait de s’inquiéter.

Lady Magnolia. Ryoka lui avait brièvement parlé d’elle, et d’après ce qu’elle disait, Lady Magnolia était une femme riche qui aimait les choses coûteuses. Elle s’était apparemment intéressée à Ryoka et avait commencé à engager des gens pour la suivre, mais cela n’expliquait pas le carrosse magique apparaissant de nulle part. Est-ce qu’elle avait découvert qu’Erin venait d’un autre monde ? Est-ce que Ryoka lui avait dit. Cela semblait peu probable. Et elle avait trouvé d’autre personne du monde d’Erin ?

Comment ? Où est-ce qu’ils avaient été ? Erin arrêta de manger et réfléchit. Quel genre de personnes seraient-ils ? Qui étaient-ils ? Savaient-ils quelque chose sur ce qui leur étaient arrivés ?

Reynold trouva Erin dans un état de presque panique quand il arrêta le carrosse et ouvrit la porte. La vue de ses moustaches distinguée l’aida à la calmer. Ou peut-être que c’était son costume. Qui était très cool.

« Nous sommes arrivés, Mademoiselle Solstice. Permets-moi de t’escorter. »

Perdue dans ses pensées, Erin avait complètement négligé de regarder par la fenêtre durant la seconde partie du voyage. Si elle l’avait fait, elle aurait été témoin de la célèbre ville des aventuriers, Invrisil, et aurait probablement été choqué et impressionné. Mais Erin posa directement le pied dans le chemin pavé en regardant autour d’elle, dans la demeure de Lady Magnolia Reinhart…

« Oh. »

Ce fut tout ce qu’Erin dit. Elle regarda autour d’elle, se rendant lentement compte qu’elle se tenait dans une cour… Menant à un grand mur avec plusieurs trous… Qui se révéla être une maison… Une très grande maison… Avec de l’architecture…

Elle s’attendait à un manoir. Mais pas à… Ca.

Ryoka avait déjà visité la demeure de Magnolia à Celum, mais comparé ce modeste endroit à la véritable maison de Lady Magnolia Reinhart était comme comparé un appartement une place à Versailles.

Erin avait déjà vu des photos des maisons de célébrités et millionnaire, donc elle n’était pas totalement soufflée par la taille de la demeure de Lady Magnolia Reinhart. C’était grand, oui, mais encore possible. Ce qui la choqua fut l’Architecture.

Cela devait être l’Architecture, mais c’était le genre de chose qui ne pouvait pas se passer de la majuscule. La meilleure manière qu’Erin pouvait la décrire était qu’il n’y avait pas de surface plate. Les maisons de son monde avaient l’habitude d’avoir des surfaces plates, comme les murs, et il était vrai que la majorité des gratte-ciels n’étaient que de grands rectangles avec occasionnellement un design artistique.

Mais ceci était un bâtiment fait à l’époque ou les gens passaient des années voir des décennies pour contre leurs bâtiments. Il y avait de l’art dans chaque centimètre du bâtiment. Erin regarda les sculptures gravées dans les murs, et les décors en relief fait de métal et de pierre. Des mots comme crénelage, fenestration et Porte Cochère s’élancèrent dans son esprit, même si le dernier mot était parce qu’Erin avait déjà fait des classes de Français. Qu’elle avait raté.

Mais cela était tout de même comparable à certains des plus beaux bâtiments de l’antiquité du monde d’Erin. Ce qui démarquait la maison de Magnolia était la magie. Et il y en avait beaucoup.

C’était dans l’air. Littéralement dans l’air. Erin regarda un nuage, un nuage bougeant à six mètres du sol dans ce qui semblait être un immense jardin. C’était un nuage noir de tempête qui faisait pleuvoir sur de la végétation verdoyante. Un autre nuage couvrant une partie de la maison de Magnolia, cachant les plus hautes fenêtres. Erin voulait le toucher, mais…

Un banc de poisson passa devant la façade de la maison. Erin cligna des yeux, mais elle n’était pas devenue folle. Pas encore. Un poisson argenté entra dans l’une des fenêtres comme s’ils se trouvaient sous l’eau et bondit depuis une autre fenêtre, le mouvement était tellement naturel qu’Erin avait du mal à croire que la maison ne se trouvait pas sous l’eau.

« Ah. Les mesures de protection contre les intrus sont activées. »

Reynold murmura cela silencieuse et se tint aux côtés d’Erin, parfaitement attentif. Elle cligna des yeux et le regarda, mais il regarda devant lui comme s’il n’avait rien dit.

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Les poissons ? »

Ils n’étaient pas seuls. Un loup passa devant le bâtiment, et un oiseau s’envola du toit.

« En effet. Mais j’attire ton attention sur les Golems à ta gauche. »

Erin tourna sa tête et prit une inspiration de surprise. Loks et Toren auraient immédiatement reconnu les gigantesques béhémoth en armure, même si ces Golems étaient faits d’un métal argenté plutôt que noir. Ils étaient aussi, et distinctement, rehaussés de métal rose. Cela ne les rendait pas mignons ou moins terrifiant. Et Gobelin et Squelette auraient probablement pris aussitôt la fuite, car au lieu d’avoir une seule armure enchantée, il y en avait quatre.

Ils marchaient avec une précision mécanique, patrouillant le grand jardin et la cour devant la demeure de Lady Magnolia. Erin écarquilla les yeux en voyant les Golems ; puis ses yeux manquèrent de sortir de sa tête quand elle regarda en haut.

« Oh mon dieu ! C’est un Pégase ! Un Pégase ! »

Reynold essaya de retirer Erin alors qu’elle attrapa son bras.

« Du calme, Mademoiselle Solstice. C’est un sort. Un gardien invoqué. Il n’est pas réel. »

« Est-ce que je peux voler dessus ? »

Le [Majordome] toussa et Erin se reprit.

« D’accord, probablement pas. Désolé. Comment tout cela est possible ? Je veux dire, Ryoka a dit… mais… Comment ? C’est-ce que Magnolia est vraiment aussi riche ? »

Reynold leva un sourcil.

« Lady Magnolia ? Elle est l’héritière de la famille Reinhart et l’une des plus riches personnes du continent. »

Erin le regarda. Pour la première fois, elle se demanda ce que Ryoka avait fait ou dit pour attirer l’attention de Lady Magnolia.

« Mademoiselle Solstice ? »

Erin se retourna alors que Reynold se redressa et se reconcentra aussitôt. Elle vit une grande dame habillée d’une sombre robe noire, tout aussi officielle et impressionnant que l’habit de Reynold. Elle était flanquée par deux autres femmes, habillées comme des servantes anglaise… Ou des cosplayeuses japonaises.

Il y avait des froufrous. Et des nœuds. Et une certaine coordination noir et blanc qui attirait l’œil. Mais les deux servantes étaient clairement en train de suivre leur chef, qui était aussi une servante.

« Mademoiselle Solstice ? Je m’appelle Ressa. Je suis l'[Intendante] au service de Lady Magnolia. Je vous amènerai à elle, si vous voulez bien me suivre ? »

Erin cligna des yeux, la bouche grande ouverte. Puis elle retrouva ses esprits et cligna des yeux de plus belle.

« Hum. Woauh. D’accord. Huh. »

Elle regarda autour d’elle. Reynold était droit et regardait devant lui. Erin hésita, et hocha la tête.

« Merci de m’avoir amené jusqu’ici. »

« Cela est parfaitement normal, Mademoiselle Solstice. J’espère que vous allez apprécier votre séjour. »

Il lui répondit poliment et sans croiser son regard. Le cœur d’Erin s’alourdit, mais Ressa était à ses côtés.

« Si vous voulez bien me suivre ? Lady Magnolia attend votre compagnie. »

Elle ne pouvait que la suivre. En réalité, pas une personne hésita alors que Ressa s’avança dans les demeures. La porte double s’ouvrit comme si elles étaient automatiques alors qu’elles étaient, en réalité, magiques. Elle marcha si rapidement qu’Erin dut accéléra son pas pour la suivre.

Mais qui pouvait arguer avec Ressa ? Erin ne le savait peut-être pas, mais un seul regard vers Ressa suffisait pour apercevoir un soupçon de sa personnalité et de ses fonctions dans la demeure des Reinhart.

Ressa était tellement belle que cela ne semblait pas humain. Erin ne le savait pas, mais c’était l’un des avantages de sa classe. Tout ce qu’Erin savait était que Ressa était ce dont elle voulait ressembler à l’époque où elle avait été pleine de doute et rêvait d’être plus grande et une top-modèle. Elle était belle, mais aussi sterne et imposante. Exactement comme la matrone en chef ou une directrice d’école provenant d’un livre pour enfant.

Ou une reine.

Et il y avait certainement quelque chose qui ressemblait à une reine dans la manière avec laquelle Ressa traversait les halls alors que les servants baissaient la tête à son passage, ou peut-être était-ce pour Erin, avant de redoubler leurs efforts.

Erin le remarqua avec une partie de son esprit, mais le reste était en train d’essayer de voir la demeure que Ressa semblait déterminé qu’elle de remarque pas. Des peintures, des statues, et ce qui semblait être des artefacts magiques se mélangeaient dans les longs corridors et pièces remplies de merveilleux meubles et objets qui disparaissaient alors qu’Erin les dépassait.

C’était trop à digérer d’un coup. Erin avait du mal à se concentrer sur une chose à la fois ; ses yeux étaient attirés par quelque chose avant d’être distraits par une autre, elle ne se rappela que de la richesse, de la beauté et de la grandeur des pièces qu’elle traversa.

Et c’était légèrement agaçant. Erin fronça les sourcils. Elle regarda le dos de Ressa alors qu’elle passa ce qui semblait être une galerie d’artefact magique dans une armoire en verre. Elle ouvrit la bouche, hésita, et parla.

« Excusez-moi. Pouvons-nous ralentir quelques instants ? »

L’air se figea. Les servants suivant Erin et Ressa tressaillirent. La grande femme regarda Erin par-dessus son épaule.

« Qu’est-ce que vous avez dit ? »

« Oh, désolé. Je voulais juste regarder quelques objets. C’est vraiment incroyable. A moins que Lady Magnolia ne m’attende ? »

Erin cligna des yeux de manière innocente vers Ressa. L'[Intendante] hésita.

« Lady Magnolia est extrêmement occupée. Vous allez pouvoir l’attendre dans la salle d’attente. »

Reynold semblait vouloir avaler sa langue, et les servantes étaient en train de regarder Erin et Ressa en essayant de discrètement s’éloigner. Ressa cligna des yeux, puis fronça les sourcils.

Erin sentit une boule se former au creux de son ventre, et un vague sentiment de malaise la traversa pendant un instant. Elle cligna de yeux, et cela disparu comme un moment d’indigestion. Elle regarda Ressa et se demanda si elle allait la laisser regarder. Ressa était concentré sur son visage. Elle était peut-être en train de réfléchir ? Erin ne voulait pas que quelqu’un ai des ennuis à cause d’elle.

Après quelques secondes, Erin réalisa que c’était de l’intimidation, et non pas de la réflexion. Erin lui rendit son regard, perdant son sourire. Est-ce que l‘autre femme était en train d’essayer de lui faire peur ? Elle était grande, mais elle ne faisait pas peur.

Le moment de malaise la traversa de nouveau alors que le regard de Ressa sembla s’accentuer. Mais Erin continua de lui rendre son regard. Elle avait fait face à Écorcheur ; Ressa n’était pas terrifiante.

Et maintenant Ressa semblait confuse. Erin regarda autour d’elle et passa maladroitement une main à l’arrière de sa tête. Reynold et les deux servantes semblaient pâles. Est-ce qu’il se passait quelque chose ? Est-ce que Ressa était en train d’utiliser une compétence ? Pourquoi cela ne marchait pas sur Erin ?

Peut-être que c’était vraiment une sorte de compétence d’intimidation. Erin fronça les sourcils. Devait-elle s’énerver ? Mais peut-être que Ressa voulait simplement faire son travail. Cela ne devait pas être facile, de mener des gens à longueur de journée.

« Hum. Si cela ne dérange pas ? »

Ressa cligna des yeux. Le picotement dans l’estomac d’Erin disparu, et elle entendit les gens respirer de nouveau. La servante à la tête du personnel de Magnolia Reinhart regarda Erin et hocha lentement la tête.

« La salle d’attente attendra. Que souhaitez-vous s’avoir ? »

Erin haussa les épaules.

« Je ne sais pas. Cela semble intéressant. Est-ce que tout est magique ? »

Elle pointa du doigt.

« Qu’est-ce que ça fait ? »






Dernière édition par Maroti le Dim 24 Jan 2021 - 23:30, édité 1 fois
 
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2.37 Partie 2
Traduit par Maroti

« … Cette épée fut utilisée par la jeune Lady Magnolia durant sa première bataille dans la passe de Liscor durant la Première Guerre Antinium. Elle s’est défendue et à blesser quatre Soldats quand ils passèrent le cercle des gardes pour l’attaquer. Vous pouvez remarquer les enchantements de tranchant et de gel gravé sur la lame. »

Ressa présentait les objets comme un professeur présentait son cours, avec d’excellentes compétences de narration et une passion quand le sujet était sa maîtresse. Erin hocha la tête de manière approbatrice alors qu’elle étudia l’épée courte scellée dans l’un des nombreux présentoirs en verre présent dans un long corridor avec de nombreuses fenêtres donnant sur la cour.

« Ouais. Très brillant. »

Ressa regarda Erin alors que la fille garda ses mains juste au-dessus du couvercle du présentoir. Il n’était pas fermé, mais Erin avait la distincte impression qu’elle n’avait pas le droit de toucher. Elle pouvait sentir l’air se refroidir autour du piédestal.

« Et qu’est-ce que cela est ? Un puissant anneau ? »

Erin bougea jusqu’au prochain présentoir. Ressa hocha la tête alors que les servantes et servants regardèrent le duo avant de discrêtement s’éloigner le plus loin possible une fois dans leur dos.

« … Un anneau de téléportation. Ou plutôt, de [Téléportation Mineure]. Il est fixé à une ancre, mais aucun mage ne sait ou est-ce que cet anneau mène. Le mettre pourrait s’avérer mortel, dont la raison de sa présence ici. »

« Mais il n’est pas gardé ou quelque chose du genre. N’est-ce pas dangereux si quelqu’un se téléporte à cet anneau ? »

Ressa secoua la tête. Il avait fallu plusieurs minutes pour la faire parler, mais Erin était parvenue à lui faire expliquer ce que les différents objets faisaient en plus d’une phrase. Elle était soit plus sympa qu’elle le laissa croire, ou elle avait abandonné son plan d’effrayer Erin.

« Chaque objet est protégé par les enchantements de la demeure. Seul un mage d’une grande puissance serait capable de pénétrer les barrières protégeant ses objets. »

« Mais qu’est-ce qui se passerait s’il le faisait ? Ou s’il, je ne sais pas, amenait une armée ? »

« Cela serait fort amusant à voir. »

Il y avait une étincelle dans le regard de Ressa. Erin cligna des yeux, et hocha lentement la tête.

« D’accord. Donc tout ce qui est ici à beaucoup de valeur, pas vrai ? »

« D’une… Certaine manière. Ils ne sont nullement les artefacts les plus prisés en la possession des Reinhart, mais ce sont d’importantes curiosités. »

« Comme cet autre anneau ? Qu’est-ce qu’il fait ? »

« Il invoque un Chien des Enfers pour protéger et défendre le porteur durant quatre heures. Il peut être utilisé une fois par mois à moins de le recharger plus rapidement avec de la magie, et l’invocation prend une minute. »

« Wouah. »

Erin regarda l’anneau. Il donnait l’impression que quelqu’un avait fondue et forgée une sorte de métal et de la pierre rouge pour former une bague posée sur un coussin mauve.

« Il doit être très pratique. Mais pourquoi ne pas le donner à un serviteur ? Cela pourrait être pratique quand ils font des choses. Je veux dire, j’avais un peu peur de me faire attaquer en route en venant ici. »

Ressa haussa la tête de manière dédaigneuse.

« Le [Majordome] assigné à votre escorte porte plusieurs objets magiques à sa disposition et des Compétences adéquates pour repousser la majorité des attaques. »

« Le [Majordome]… oh, Reynold ? »

Ressa s’arrêta. Elle regarda étrangement Erin.

« … Oui. Je m’excuse s’il a agi avec une excessive familiarité envers vous. »

« Quoi ? Oh non, non ! »

Erin agita ses mains de manière frénétique et manqua de faire tomber un piédestal qui contenait une clef. Ressa éloigna silencieusement Erin des présentoirs.

« J’ai passé un très plaisant voyage. Il était très sympathique ! Nous avons parlé de vin et d’autres choses. »

« De vin ? Ah. L’un des devoirs de Reynold est l’inspection de la collection de vin. »

« Oui. Il m’en a parlé. En fait, je l’ai fait parler. Donc s’il a des problèmes… »

« S’il vous plaît, ne faites pas attention à mon commentaire. Je suis… Rassuré de voir que vous avez apprécié sa compagnie. »

Ressa regarda par la fenêtre en parlant, et puis regarda Erin. Elle hocha légèrement la tête.

« Je crois que Lady Magnolia aura bientôt terminé ses affaires. Si vous voulez bien m’accompagner ? »

« Oh, bien sûr. »

Erin marcha maladroitement derrière Ressa. Cette fois, l'[Intendante] ne se déplaça pas aussi rapidement, donc Erin put profiter de la demeure.

« Cet endroit est vraiment le meilleur. Je n’ai jamais rien vu de tel. »

« Vraiment ? »

Ressa semblait surprise, mais Erin hocha la tête.

« Oui ! Il y a de la magie, des servantes, des majordomes et plein de chose incroyable. Comme cette peinture de montagne. Je n’ai jamais vu un endroit aussi chic que celui-ci. »

« J’assumais que vous aviez déjà vu des lieux similaires. Vous venez d’un monde… Plus avancé que le nôtre, n’est-ce pas ? »

Erin s’arrêta, surprise. Mais elle avait raison, si Lady Magnolia savait qu’Erin venait d’un autre monde et qu’elle avait des gens ici, ces derniers auraient forcément discuté de ce monde avec Ressa et les autres. »

« … Oui, je veux dire, mais ce n’est rien de spécial. »

« On m’a dit que vous pouvez voler dans l’air comme les plus grands des [Archimages]. Et que vos bâtiments touchent les cieux. »

« Quoi, les gratte-ciels ? Ils ne sont pas spéciaux. Pas comme ça. »

Erin n’avait jamais fait le tour du monde, mais elle avait visité d’autre pays, souvent pour participer à des tournois d’échecs. Et elle avait visité des hôtels de luxe (et d’autre qui n’étaient pas de luxe), mais ils étaient des produits de verre et d’acier. Ils avaient beau être magnifique, ils étaient quand même des créations d’entreprise de moins d’un siècle.

Et aucun hôtel qu’Erin avait visité avec un Van Gogh derrière le comptoir de la réceptionniste ou une statue sculptée par Rodin dans le hall d’entrée. La maison de Lady Magnolia avait plus d’œuvres d’art qu’Erin pouvait compter ; c’était comme avoir un muséum dans sa demeure.

Et la magie. La magie était différente de tout ce qu’Erin avait vu. Il y avait quelque chose de réel dans les statues en armure et le garde Pégase invoqué qu’aucune CGI ou animation pouvait répliquer.

« Je pense que votre monde est bien plus fantastique que le mien. Nous avons des choses qui sont plus avancées, mais ce n’est que de la technologie. Nous n’avons pas de magie. »

Erin était sincère, mais Ressa s’arrêta de marcher pendant une seconde et la regarda avec surprise.

« Merci. »

Pour quoi ? Erin ouvrit la bouche, mais la servante recommença à marcher.

« Nous entrons dans la partie des invités. Si vous m’informez de vos préférences, je vous apporterai des plats et des boissons dans l’immédiat. Je ne m’attends pas à ce que Lady Reinhart soit occupée pendant plus de… »

« C’est elle ! »

La forte voix fut un cri de surprise et de jubilation, entièrement différent de la silencieuse dignité de la demeure. Erin sursauta et Ressa se tourna alors que la porte s’ouvrit en grand.

Un jeune homme se tenait dans l’encadrure. Erin fut accueillie par… Un visage normal. En y réfléchissant bien, c’était un visage normal. Le jeune homme n’était pas un Drakéide, ni un vétéran maussade comme Halrac. Il n’avait pas un visage recouvert de poil comme Krshia, et ses yeux étaient marrons, tout comme ses cheveux. Il n’avait pas d’os exposé, d’yeux brillants, et il n’était pas armé.

Il était un Humain normal. C’était un soulagement. Et il semblait être quelqu’un du monde d’Erin. C’est ce qui la surprit et lui décrocha la mâchoire.

Il était habillé d’un t-shirt et d’un jean. Complètement normal. Mais c’était tellement anormal dans ce monde que cela la choqua. Son t-shirt était noir et avait un robot Android vert la regardant de manière flippante. Il avait une montre… non, un Fitbit sur son poignet, et un sourire sur son visage.

Contrairement à Ressa. Elle bloqua le chemin du jeune alors qu’il ouvrit la porte en grand et qu’il marcha vers Erin.

« Monsieur Joseph, je dois vous demander de rester dans votre chambre. Lady Magnolia souhaite parler avec Mademoiselle Solstice av… »

« Tu es vraiment là ! Viens ! »

Le jeune homme, Joseph, ignora Ressa et tira le bras d’Erin. Elle se retrouva rapidement dans une autre pièce. Elle cligna des yeux, regarda autour d’elle, confus, et puis elle fut entourée de gens.

Une jeune femme assise avec ses genoux au niveau de son torse regarda Erin depuis sa chaise. Elle avait la peau noire, ce qui était normal dans le monde d’Erin, mais elle était la première personne qu’Erin voyait dans ce monde avec cette couleur de peau. Erin était désormais plus habitué à la fourrure marronne et aux écailles de différentes couleurs.

Mais une autre jeune femme était devant Erin, une adolescente en réalité. Elle avait un t-shirt décontracté, un pantalon large, une veste en coton et deux anneaux. Et elle avait du vernis sur les ongles, un profond violet au bout des doigts.

Erin la regarda. L’autre fille avait une paire de lunettes de soleil perché sur son front. Elle était comme n’importe quelle fille normale du monde d’Erin. Une fille normale.

C’était presque trop pour qu’Erin puisse le supporter. Elle regarda l’autre fille et s’exclama.

« Oh mon dieu ! »

« Oh mon dieu ! »

Ils se serrèrent dans les bras après une seconde d’hésitation. Plus de gens s’agglutinèrent autour d’eux, ignorant Ressa alors qu’elle parla bruyamment derrière eux, et soudainement, Erin était à la maison.

Pendant quelques secondes, Erin regarda autour d’elle et ne vit que des gens de son monde. Pendant quelques secondes. Et puis l’opulence de la pièce dans laquelle ils se trouvaient la frappa, et elle réalisa qu’elle se tenait au milieu d’une pièce qui aurait rendu jalouse la Reine d’Angleterre. Peut-être. Erin n’avait jamais mis les pieds au Buckingham Palace, donc elle n’avait aucun moyen de comparer les deux. Mais cette pièce était au même niveau en termes de luxe.

Des choses vernies d’or. De riches sofas et tapis qui étaient probablement fait de véritables fourrures et non en fibre. Une table fait de cristal, et un autre plateau recouvert de mets et de boissons exotiques.

Oh, et ils étaient jeunes. Erin avait 20 ans, mais ils semblaient tous plus jeunes qu’elle. Peut-être que c’était sa perspective, mais aucun d’entre eux ne pouvaient avoir plus de seize ans. Mais apparemment ils étaient proche de son âge, juste avec quelques années en moins.

Le jeune homme qui l’avait traîné dans la pièce fut le premier à redevenir cohérent dans le déversement de voix. Il cria à tout le monde se calmer, et Erin parvint finalement à compter le nombre de personne présente dans la pièce.

Six. Non, sept. La fille dans la chaise ne s’était pas levée, mais elle était en train de regarder dans la direction d’Erin. Ressa était partie.

Le jeune homme sourit de nouveau à Erin, révélant des dents droites, probablement le résultat d’un appareil dentaire, une autre étrangeté. Il se présenta enfin, et présenta les autres.

« Je suis Joseph, c’est Rose. Et aussi Galina, Troy… »

Erin regarda autour d’elle, oubliant les noms, serrant des mains, faisant signe, et hochant la tête aux gens qu’il présenta. Ils étaient également repartis entre sexe, et ils étaient quatre garçons et trois filles dans la salle.

« Je suis Erin, Erin Solstice. Comment êtes-vous arrivé ici ? »

Erin regarda la pièce, toujours légèrement choquée. La discussion reprit de plus belle, mais cette fois la jeune femme qui avait serré Erin dans ses bras, Rose, expliqua.

« J’étais en route pour visiter la France, et le reste faisaient partie d’un groupe d’étudiants étrangers qui visitaient les Etats-Unis. Nous étions tous à l’aéroport de Chicago quand nous avons été amenés ici. »

« Le bon terme c’est kidnapper. »

Un autre garçon prit la parole. Il avait des traits Asiatiques, mais Erin n’avait pas la moindre idée d’où il pouvait venir. Elle cligna des yeux, et Rose semblait irritée.

« Ce n’était pas un enlèvement ! C’était un sort, un sort ! »

« Comment est-ce que tu le sais ? »

« C’est ce qui est arrivé aux Américains, tu te souviens ? Je t’ai dit, ils disent que c’était un sort. Donc ça doit l’être ! »

« Mais pourquoi nous sommes tous arrivé au même endroit ? Est-ce que c’était une erreur ? »

« C’est forcément un sort. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »

Erin cligna des yeux alors que Rose commença à argumenter avec l’autre gars. Joseph s’interposa, leur coupant la parole.

« Nous sommes arrivés dans ce monde la semaine dernière ! C’était fou, un instant nous étions en train d’attendre notre avion, et l’autre nous étions là ! Nous, les sept d’entre nous, sommes apparus dans cette ville au milieu de nulle part. Tout le monde était en train de crier, et Rose est arrivée dans une forêt ! »

« Quoi ? Une semaine ? »

Erin les regarda. Joseph avait un grand sourire, et il semblait vibrer sous l’effet de l’excitation.

« Ouais. Tous ces soldats nous ont arrêté l’instant où nous sommes apparus. Nous n’avions pas la moindre idée de ce qui nous arriver et un mage s’apprêtais à nous examiner quand Lady Magnolia est arrivé ! Elle nous a fait sortir de prison et nous à amener ici. Est-ce que tu as vu cet endroit ? »

« Attends, attends une seconde. Comment est-ce qu’elle… Non, attends, qu’est-ce qui se passe à la maison ? Est-ce que quelqu’un sait que nous avons disparu ? Que j’ai disparu ? »

Erin attrapa Joseph. Il semblait surpris et secoua la tête.

« Non, nous n’avons rien entendu à propos des personnes disparus. Pourquoi ? Quand est-ce que tu es arrivé ici ? »

Elle ne le savait pas. Erin laissa partir Joseph et secoua la tête. Depuis son arrivée ici, elle avait eu l’impression que chaque jour avait été une semaine. Ou une année.

« Je… Ne sais pas. Trois mois ? Quatre ? J’ai l’impression que ça fait deux ans. »

« Trois mois !? »

Tout le monde semblait surpris, à l’exception de la fille sur la chaise. Elle se balançait en avant et en arrière en regardant Erin et en ne participant pas à la conversation. Ses yeux étaient creux et elle ne semblait pas faire bouger ses paupières.

« Trois mois, sérieusement ? »

Joseph s’approcha et passa la main dans ses cheveux. Rose regarda Erin.

« Est-ce que tu as un IPhone ? Est-ce que tu faisais partie de l’appel ? »

« L’appel ? Qu… Oh ! »

Erin se souvint de l’appel qu’avais décris Ryoka, celui avec les gens éparpillé dans le monde. Elle secoua la tête.

« Je n’ai rien de mon… De notre monde. Mais je connais une fille qui en a un. Elle faisait partie de l’appel ? »

« Quoi ? »

De nouvelles exclamations et voix manquèrent d’assourdir Erin. Les gars étaient en train de parler avec excitation alors que les filles demandaient à Erin qui était cette autre personne, son nom, quand est-ce qu’elle allait venir ici, entre autres.

Erin leva les mains.

« Je ne sais pas ! Elle est en train de faire une livraison. Elle est une Coursière et je ne l’ai pas vu depuis une semaine. »

« Une Coursière ? C’est quoi ? »

Erin cligna des yeux en regardant Joseph. Cela semblait évident, mais il n’avait pas été présent bien longtemps. Elle essaya d’expliquer.

« C’est l’équivalent d’un facteur. Elle livre des messages, des paquets, généralement de ville en ville, évitant des monstres et des bandits. »

« Quoi ? C’est trop bizarre. Pourquoi est-ce quelqu’un voudrait faire ça ? »

« Eh bien… »

Erin regarda Joseph. Elle secoua légèrement sa tête.

« C’est ce qu’elle devait faire pour survivre. Je veux dire, je suis devenue une [Aubergiste]… »

« Tu es une [Aubergiste] ? Pourquoi ? »

« … Parce que c’est ce que j’ai dû faire pour survivre. Je ne savais pas que d’autres gens et Lady Magnolia étaient présent en arrivant, et j’ai trouvé cette auberge et obtenu la classe, donc… »

Erin haussa les épaules. Elle regarda Joseph et les autres, impuissante.

« Vous êtes arrivé il y a une semaine ? »

Ils hochèrent la tête.

« Peut-être un peu plus. Mais pas grand-chose. »

Rose interrompit. Elle pointa la fille sur la chaise du doigt.

« Mais pas Imani. Elle était avec un autre groupe de gens à l’aéroport. Elle est arrivée autre part. »

Erin regarda de nouveau la fille, et cette fois la jeune femme semblait se recroqueviller encore plus sur elle-même. Elle serra ses genoux contre son torse avec ses deux bras.

« Hum. Est-ce qu’elle va bien ? »

Le visage de Joseph perdit sa bonne humeur pendant un court instant. Il baissa la voix, même s’il était encore clairement audible dans la pièce.

« Imani à rencontrer des monstres quand elle et les autres sont apparus. Elle est la seule qui s’est échappé, et elle était dans ce petit village quand Lady Magnolia l’a trouvé. »

« Des monstres ? Quel type de monstres ? »

Imani frissonna. Elle leva les yeux vers Erin.

« Des Crelers. »

Elle murmura les mots en se balançant sur sa chaise. La pièce devint silencieuse. Ce fut le silence gênant des gens qui ne savaient pas quoi dire. Erin s’approcha d’Imani, elle hésita, et tira une chaise proche de la ville et s’assit à côté d’elle.

« Je suis désolé. J’ai rencontré un Dragon la première nuit que je suis arrivé ici. »

« Un Dragon ? Vra… »

Rose, ou peut-être quelqu’un d’autre, donna un coup de pied à Joseph. Mais Imani regarda Erin. Elle semblait comprendre.

« Comment est-ce que tu as fait pour t’échapper ? »

« J’ai pris la fuite. Et ensuite je suis tombé sur un groupe de Gobelins. »

Erin sourit de manière amère en se remémorant. Elle pouvait encore sentir la peur et la douleur des brûlures sur son bras et sa jambe alors qu’elle courait, hurlant et criant dans la nuit. Imani regarda Erin et baissa légèrement ses jambes.

« Je me suis caché. Sur des rochers. Ils ne peuvent pas grimper les rochers. »

Erin posa sa main sur l’épaule d’Imani. L’autre fille serra ses mains tellement fort qu’Erin pouvait les voir devenir blanches.

« Je suis désolé. »

« Ils sont tous morts. »

Ce fut un murmure uniquement pour Erin. Et Imani commença à pleurer. Erin la serra dans ses bras, alors que les autres jeunes hommes et femmes… Plutôt des garçons et des filles, restèrent debout et gêné en silence, ne sachant pas quoi dire ou faire. Mais Erin le savait. Elle serra Imani contre son torse, et l’autre fille se brisa dans ses bras.

C’était quelque chose qu’elles seules pouvaient partager. Quelque chose que seules Erin et Imani pouvaient comprendre. Donc Erin serra la fille et parla doucement, jusqu’à ce que cette dernière ne s’endorme et que les autres s’assoient ensemble.

Ils n’étaient pas moins bavards, mais ils étaient plus calmes. Erin vit quand même l’énergie dans les yeux des garçons et de la plupart des filles. Et elle comprit un petit peu de ce qui se passait ici alors qu’ils discutèrent.

« Ils ne sont peut-être pas mort. »

« Quoi ? »

L’un des gars regarda Imani dormir et baissa les voix de nouveau.

« Ils ne sont peut-être pas mort. Je veux dire, Imani les a vu mourir, mais peut-être qu’ils se sont… Réveillés ? Si c’est un jeu, alors… »

Erin n’en croyait pas ses oreilles. Elle le regarda, mais ce fut Rose qui lui adressa la parole, avec froideur.

« Ce monde n’est pas un jeu. »

« Qu’est-ce que tu en sais ? Si c’est une réalité virtuelle… »

Joseph regarda Erin.

« Ce monde, il est fou, tu vois ? Des Niveaux ? Des Classes ? J’ai vu l’une des servantes utiliser une Compétence, et je n’en revenais pas ! Elle était en train de nettoyer un verre renversé, et elle a juste bouger la serpillière et… Tout avait disparu ! D’un coup ! »

Erin hocha lentement la tête. Elle expliqua son auberge et Ryoka brièvement, mais c’était difficile de communiquer tout ce qui était arrivé avec autant de gens. Ils n’avaient pas de référence pour comprendre.

« Des Drakéides ? Tu veux dire des Dragons ? »

« Non, je veux dire comme des lézards qui marchent, sauf qu’ils détestent qu’on les appelle comme ça. Et il y a aussi des Gnolls… »

« Ah ! Je connais les Gnolls. Est-ce que tu as dut les combattre ? Est-ce que tu as des sorts ou des compétences de combats ? »

« Non. Je veux dire, j’ai appris à me défendre, mais je ne suis pas un guerrier. »

« Et tes objets magiques ? »

« Objets magiques ? »

« Comme une épée ou un anneau. Quelque chose de magique ! »

« J’ai un échiquier. »

« Un échiquier ? »

« Oui. C’est… Eh bien, magique. Mais qu’importe. C’est une longue histoire. Mais qu’est-ce que vous aller faire pendant que vous êtes là ? »

Erin voulait savoir ce que Lady Magnolia comptait faire avec eux. Mais aucune personne dans la pièce ne le savait.

« Cela fait plusieurs jours que nous sommes coincé dans la demeure de Lady Magnolia. Depuis qu’elle nous a trouvées. Nous pouvons allons dans le jardin et explorer, mais elle ne veut pas que l’on quitte cet endroit. Elle dit que c’est trop dangereux.

Erin hocha la tête, même si elle remarqua le regard mécontent de Joseph.

« C’est dangereux. Je suis soulagé de voir que Lady Magnolia vous a tous trouvé. »

« Oui, mais regarde dehors ! »

Joseph pointa la fenêtre, frustré. Il leva sa baguette et manqua de renverser le gobelet de vin qu’il avait rempli à ras bord. Erin le regarda.

Tous les étudiants étrangers et Rose étaient en train de manger de la nourriture qui leur avait été présenté. C’était riche, et délicieux, mais ils étaient aussi en train de boire. Beaucoup. Certains étudiants venant d’autre pays, comme les deux garçons venant respectivement de Chine et de Pologne, étaient en train de boire de manière mesurée alors que les autres buvaient sans se retenir, surtout les Américains. Joseph continua d’offrir une coupe à Erin, mais elle ne lâcha pas son jus de fruit.

Maintenant Joseph prit une autre gorgée de vin et pointa par la fenêtre. Au loin, Erin pouvait voir d’innombrable bâtiment répartis dans l’horizon.

« Regardes ça ! Même le ciel est plus grand ici. Et il y a des monstres et des artefacts magiques ! Je veux être dehors et commencer à gagner des niveaux. »

« Des Niveaux ? Dans quelle classe ? »

Joseph haussa les épaules alors qu’il attrapa une saucisse d’une assiette. Rose lui lança un regard dégoûté ; elle utilisée ses couverts, qui étaient faits d’argent.

« Je ne sais pas. Je pensais que je vais prendre une idée pour devenir aventurier. Ou peut-être des sorts. »

« Un aventurier ? Mais c’est très dangereux ! »

Joseph regarda Erin avant de hausser les épaules.

« Ouais, au début peut-être. Mais si j’ai un niveau assez haut et des potions, cela n’aura pas d’importance, pas vrai ? Je pensais qu’on pouvait former une équipe d’aventurier ! Je veux dire, nous sommes six, neuf en te comptant Erin, mais nous ne sommes pas tous obligé d’aller à fond. D’autres pourrons gagner des Niveaux dans d’autres classes de support. »

« Mais pourquoi est-ce que tu voudrais faire ça ? Lady Magnolia veut nous garder ici, pas vrai ? »

Un autre type haussa les épaules. Il venait… D’Espagne ? Non, c’était Joseph qui venait d’Espagne.

« Elle dit qu’elle le considère. Nous espérons qu’elle nous donnera des armes magiques et des armures, de quoi nous donner un avantage. Et peut-être nous apprendre de la magie. Je veux dire, qu’est-ce qu’on pourrait faire d’autres ? Franchement ? »

Erin secoua la tête.

« Ce n’est pas une bonne idée. C’est dangereux dehors. Je veux dire, vous pourriez vous faire tuer. »

Elle voulait ajouter qu’ils allaient se faire tuer, mais elle ne pouvait pas le dire. Tout le monde, à l’exception d’Imani qui dormait et de Rose, ne semblait pas comprendre les risques. Deux des garçons semblaient presque extatiques et commencèrent à argumenter sur la meilleure classe à prendre.

« Et quand est-il de Ryoka ? Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas là ? Je sais que lady Magnolia cherchait une autre personne que toi. Est-ce qu’elle est loin. »

Le cœur d’Erin sombra alors que Rose posa la question qu’elle redoutait. Erin se l’était elle-même posé.

« Je ne sais pas. Elle allait au sud pour rencontrer quelqu’un d’important et faire une grosse livraison. Elle allait gagner huit-cents pièces d’or pour ça, mais je ne l’ai jamais vu. »

« Huit cents… ! »

Cette fois Joseph renversa du vin sur le tapis. Il regarda Erin avec culpabilité alors qu’elle essaya de trouver de l’eau, mais il agita sa main.

« Ne t’en fais pas. Nous avons déjà renversé des trucs avant et les servantes nettoient. Mais huit-cents pièces d’or ? Comment est-ce qu’elle obtenu ça ? »

Erin hésita et se rassit.

« Je ne sais pas trop. Elle, heu, à mentionné un client mais elle s’est en allé avant que je puisse avoir les détails. Elle était pourchassée. Par des Fées de Givre. »

« Des fées ? Tu plaisantes ! »

Erin leur raconta donc toute l’histoire de sa rencontre avec les fées qui apportaient l’hiver. Joseph secoua la tête, souriant, quand Erin termina.

« Des fées. Woah. La prochaine fois faudra prendre des bouteilles et des filets pour gagner des vies supplémentaires, pas vrai ? »

« Non… Il faut du fer froid. Et elles sont dangereuses, pas vrai ? »

Erin hocha la tête.

« J’espère juste que Ryoka va bien. J’ai essayé de demander aux fées de la pardonner, mais elles sont toutes parties il y a peu et je ne les ai pas encore revus. »

« Je suis certain qu’elle va bien. Ne t’en fais pas. Si elle a des niveaux dans cette, heu, classe de [Coursière] et des potions, elle devrait être capable d’échapper à tout ce qui est dangereux et se soigner, pas vrai ? »

Erin secoua la tête.

« Ryoka n’a pas de niveaux. Ou de classes. »

« Pourquoi ? »

Erin haussa les épaules. Elle ne pouvait pas vraiment l’expliquer, pas à ces gens. Elle continua, devenant de plus en plus silencieuse alors que les autres commencèrent à bavarder et à argumenter de plus en plus.

Cela semblait qu’ils avaient déjà discuté du sujet de nombreuses fois, mais Erin sentait que chaque groupe avait son opinion. Rose voulait rentrer en contact avec les autres personnes de leurs mondes, ainsi que deux des autres filles, mais Joseph et les garçons voulaient essayer de combattre des monstres. Avec des objets magiques, bien sûr. Les autres filles voulaient explorer la ville et le monde comme des touristes.

Rose regarda Joseph alors qu’ils argumentaient. Leurs mouvements devenaient de plus en plus exagérés, et ils devenaient de plus en plus bruyant en buvant. Joseph attrapa quelque chose de l’une des tables, et Erin vit avec choc qu’il avait une tablette dans ses mains. Apparemment, ce groupe avait tenu leurs bagages à main, donc ils avaient de nombreux objets venant de leur monde avec eux.

« Tu as un téléphone, et j’ai une tablette. Tout ce dont nous avons besoin de faire est de monter en niveaux dans la classe de [Mage], ou d’obtenir assez d’argent pour payer quelqu’un pour le faire ! Lady Magnolia pourrait-nous aider, et une fois qu’on sera assez fort, nous pourrions probablement voyager de nous-même. »

Un autre type, Leon de Pologne, hocha la tête. Il pointa les meubles coûteux de la pièce pour appuyer son point.

« Nous avons juste besoin de bien partir. C’est comme de la triche d’avoir Lady Magnolia nous aider, si nous arrivons à directement obtenir les artefacts, nous pouvons battre des monstres plus puissant sans risquer de nous blesser. Nous gagnons de l’or, nous montons de niveaux, et ont fait ça jusqu’à obtenir un haut niveau ! »

« Et ensuite ? »

Leon regarda Erin comme si c’était la chose la plus évidente du monde.

« Nous allons trouver un moyen de rentrer chez nous. A travers un portail magique ou quelque chose du genre. Ou un sort. Il doit en avoir un. »

Joseph hocha la tête.

« Si nous sommes arrivés ici, cela veut dire qu’il y a un chemin retour. »

Tout le monde hocha la tête. C’est obligé. Erin regarda ses mains et pensa à Pisces et Ceria. Elle avait plus de soixante ans et elle n’avait pas obtenu son Niveau 30.

Ne connaissant pas les pensées d’Erin, Joseph sourit.

« Il y a tellement de choses que je veux voir. Comme des Gobelins. J’ai entendu dire qu’ils sont les sacrements méchants. Je me demande à quel point, ils sont dangereux ? Erin, est-ce que tu penses qu’on peut battre une tribu avec des épées et des potions ? »

Erin regarda Joseph et l’imagina affronter une cinquantaine de Gobelins chargeant et attaquant. Elle secoua la tête.

« Les Gobelins ne sont tous pas méchants. Certains sons amicaux. Où peuvent l’être. »

« Oh, tu veux dire qu’ils ne sont pas tous dangereux ? Est-ce qu’ils ont des villages pacifiques ou un truc du genre ? »

Erin hésita.

« Non, ils sont… »

Elle laissa tomber. Comment Erin pouvait expliquer Loks à ces gens ? Elle n’avait même pas parlé de comment les Gobelins avaient tué Klbkch, ou quand elle s’était réveillée en voyant Relc tenir les têtes décapitées des Gobelins. Elle n’avait pas parlé de son combat contre le Chef Gobelin ou Écorcheur, ou quoique ce soit.

Elle écouta, devenant de plus en plus silencieuse alors qu’elle sirota sa boisson alors que la discussion continua. Ils comptaient explorer, bientôt quitter la demeure. Erin était supposément la dernière membre de leur groupe car Ryoka restait introuvable. Lady Magnolia leur avait promis des armes, de l’or, et même des leçons sur la magie. Ils allaient trouver un endroit ou rester dans la ville, rejoindre la guilde des aventuriers, du moins les garçons, et obtenir de bonnes classes. Une fille demanda si elle pouvait rester à l’auberge d’Erin pendant quelque temps. Erin l’imagina rencontrer Toren et voir une Crabroche et n’arriva pas à répondre.

C’était comme si quelqu’un avait laissé rentrer une mouche ou un moustique à l’intérieur de la tête d’Erin. Elle pensait entendre un léger vrombissement, ténu mais inévitable. Il devint de plus en plus bruyant alors que la conversation continua, jusqu’à ce qu’elle eût l’impression qu’il essayait de sortir de sa tête. Les voix autour d’elle se fragmentèrent, et devinrent de plus en plus bégayante alors que les autres continuèrent de boire. Ils étaient tellement excités de l’arrivée d’Erin qu’ils mangèrent et burent rapidement, parlant par courte intermittence.

« Nous avons vraiment besoin de trouver un endroit ou rester. Une auberge, comme celle d’Erin, ou nous pouvons rester ici. Mais ce que nous avons vraiment besoin est de potions et… »

« Je veux apprendre de la magie. Tu as vu le Pégase dehors, et ces armures ? Nous pourrions être des [Invocateurs]... ! »

« J’ai joué à Dark Souls. Ce n’est pas la même chose, bien sûr, mais si nous gardons un moyen de nous échapper en toute situation alors… »

« … Des stratégies. Quelqu’un doit être le tank. Nous avons besoin d’équipement défensif… »

« … Élever un monstre… »

« … Je me demande quand est-ce que nous allons pouvoir rentrer chez nous… »

« … Apprendre à faire de la magie… »

« … Rester ici. C’est comme un hôtel, pas vrai ? Bien mieux qu’à la maison… »

« … Dès que Ressa nous laisse tranquille, je veux voir s’ils ont des artéfacts dans l’armurerie que nous pourrions utiliser. »

« Ressa ? »

Erin releva la tête et regarda Joseph.

« Qu’est-ce qu’il y a avec Ressa ? Elle semblait sympa. »

Il eut une expression de mécontentement, qui se retrouva sur le visage des autres.

« C’est une véritable chieuse. Lady Magnolia nous a donné la liberté d’allez ou nous voulions, mais Ressa continue d’insister que nous devons rester dans cette partie de la demeure. »

« Vraiment ? Elle ne me semblait pas être comme ça. »

Mais Rose était en train de hocher la tête.

« Elle et Magnolia, enfin… Elles ne sont pas méchantes… »

« Ressa l’est. »

« Oui, mais généreuse. C’est juste qu’elle est un peu maladroite, tu sais ? »

« Non ? »

Erin n’en n’avait pas la moindre idée, et Rose lutta pour l’expliquer.

« Vraiment maladroite. C’est comme une duchesse venant de Downtown Abbey ou un truc du genre, tu vois ? »

« Oh, elle n’est pas si terrible. Elle est plutôt sympathique ! »

« Ouais, mais c’est gênant de voir tout le monde lui faire la référence, pas vrai ? Et elle continue de rire quand on lui a expliqué les élections et la démocratie. »

« Au moins nous avons du véritable papier toilette et de quoi nous laver les mains ici. J’avais vraiment peur qu’ils étaient tous en train de manger avec de la merde sur les mains ou en étant sale et déprimant comme des Game of Thrones. »

« Je sais, pas vrai ? Et les servants ici n’ont pas d’éducation. Tu sais qu’ils n’ont pas d’école ici. C’est comme si… »

La fille qui avait commencé à parler s’arrêta. Erin se tourna dans son siège et vit que l’une des portes était ouverte. Ressa se tenait là, émanant du… Mécontentement en silence.

Peut-être était-ce l’était de la pièce. De la nourriture était éparpillée sur les sofas, sur les assiettes ou sur les tapis. Plusieurs boissons avaient été renversées, et la moitié des gens étaient allongés ou en train de bidouiller avec les objets électroniques qu’ils avaient. Erin avait été choquée de voir qu’ils pouvaient encore les utiliser leurs appareils grâce à recharges quasi-journalières fait par des sorts de [Réparation].

L'[Intendante] regarda Erin en silence.

« Mademoiselle Solstice ? Lady Magnolia vous recevra quand vous êtes disponible. »

Erin se leva.

« Il semblerait que je vais la rencontrer. C’était, heu, un plaisir de tous vous rencontrer. »

Elle se dirigea vers la porte. Joseph se leva de manière maladroite comme s’il voulait suivre Erin.

« J’ai… J’aimerais venir avec Erin. Pour parler à Magnolia. »

L’expression sur le visage de Ressa se figea alors qu’elle tint la porte pour Erin. Elle ne regarda pas Joseph.

« Lady Magnolia vous parlera plus tard. Pour l’instant, elle souhaite parler à Erin, seule. »

« Oui, mais elle l’est l’une des l’autre. Pourquoi est-ce qu’elle doit être seule ? »

« Car c’est ce que Lady Magnolia souhaite. »

Erin dépassa Ressa. Elle entendit Joseph lever la voix.

« Est-ce qu… ? »

« Non. »

Ressa ferma la porte. Puis elle prit une clef de sa poche et ferma la porte depuis l’extérieur. Erin se demanda si cela était légèrement trop, mais deux secondes plus tard elle entendit la poignée de porte légèrement bougée.

« Mes excuses. Si vous voulez bien me suivre ? »

Erin marcha avec la grande servante dans les corridors silencieusement pendant plusieurs minutes. C’était difficile de rétablir la conversation après cela. Erin racla silencieusement sa gorge, et parla.

« Est-ce que je me suis absenté longtemps ? Est-ce que Lady Magnolia était occupée ? »

Ressa secoua sa tête alors qu’elle marcha avec Erin dans les corridors jusqu’à arriver à une volée d’escalier.

« Lady Magnolia jugea nécessaire que vous vous mêliez avec les autres pendant quelque temps. Elle est désormais libre de ses affaires. »

« Oh. Bien. »

Plus de silence. Ressa marchait de nouveaux plus rapidement que d’habitude. Erin y réfléchit, et parla au dos de la servante.

« Je, uh, suis désolé du bazar qu’ils ont fait. Je suis une [Aubergiste], je sais ce que s’est. J’ai [Nettoyage Avancé]. Peut-être que je pourrais aider… ? »

« Les [Servantes] ont des compétences prérequis. Ne vous inquiétez pas. »

Ressa hésita, et regarda Erin.

« Cependant, merci d’avoir proposé. Ce n’est pas souvent que je reçois de tels visiteurs. »

« Vraiment ? Je pensais qu’elle recevait beaucoup d’invités. »

« C’est vrai, mais ils restent rarement plus de quelques heures. »

Joseph et les autres avaient mentionné que les servants n’étaient pas très utiles pour les diriger ou trouver un mage capable de lancer le sort de [Réparation]. Erin se demanda à quel point cela était intentionnel.

« Est-ce que, heu, vous ne les aimez pas ? Les gens de mon monde ? Ils pensent que vous ne les aimez pas. »

Ressa resta silencieuse. Elle ralentit en passant dans un couloir ouvert. Erin entraperçut l’immense librairie de tomes se faisant dépoussiérer.

« Nous servons Lady Magnolia. Nous pouvons nettoyer, cuisinier, mais nous faisons bien plus que simplement entretenir sa demeure. Nous sommes ici pour l’aider, elle.

Personne d’autre. Erin déglutit se qu’elle s’apprêtait à dire.

« Nous y sommes. »

Ressa s’arrêta devant une double porte. Elle posa une main sur la poignée dorée et regarda Erin.

« Je vous fait confiance pour étendre la même courtoisie dont vous m’avez fait preuve à Lady Reinhart. Elle est ce qu’il y a de plus proche de la royauté sur ces terres. »

Erin hocha sérieusement la tête. Elle hésita alors que Ressa pressa la main sur la poignée.

« Hum. Est-ce que je dois dire quelque chose ? Personne ne m’a dit pourquoi elle voulait que je sois là. Qu’est-ce que je devrais faire ? »

C’était un mystère auquel même les gens de son monde n’avaient pas la réponse. Ressa s’arrêta, et regarda Erin.

« Soyez franche. Soyez honnête. Lady Reinhart n’a que vos meilleurs intérêts en tête, et elle dévouez une conséquente somme et beaucoup de temps pour rassembler vos compagnons en ces murs. »

Erin hocha la tête.

« Merci de votre aide. »

« Ce fut un plaisir. »

Ressa sourit, pendant un court instant, et la porte s’ouvrit. Lentement, Erin marcha dans la grande pièce et s’arrêta.

C’était rose. Il fallait le dire, quelqu’un avait décidé que le thème de la pièce serait ‘luxe élégant’ et que la couleur prédominante devant être le rose. Cela n’était pas déplaisant à l’œil, mais Erin avait l’impression que trop d’attention avait été mis sur cette couleur et rien d’autre.

La pièce était aussi plus petite que ce à quoi Erin s’attendait ; elle s’était préparée à rentrer dans un hall, mais Ressa l’avait mené à une petite salle privée, le genre d’endroit idéal pour s’asseoir et bavarder, avec élégance.

Un grand canapé était au centre de la pièce, et son jumeau se trouvait en face. Une petite table se trouvait au centre, supportant une théière, des tasses et quelques gourmandises.

Et une femme était assise sur le canapé. Elle n’était pas normale. Oh, ce n’était pas une radieuse beauté comme Ressa, mais elle n’était pas moche. Elle était plutôt attirante, mais elle n’était pas jeune. Elle était dans sa quarantaine, plus épaisse que Ressa, plus petite, et habillée d’une robe verte et brillante qui était soit magique soit faite avec de la magie. Ses lèvres formaient un léger sourire alors qu’elle étudia Erin, et Ressa marcha lentement derrière elle alors qu’une autre servante ferma lentement la porte derrière eux.

Elle n’était pas normale. Ce n’était pas qu’elle semblait différente, mais elle se tenait différemment. De la pointe de ses cheveux jusqu’à ses orteils, elle était gracieuse, raffinée, et sereine. Quand elle bougea, parla, et rit, c’était toujours avec un certain quelque chose de classe.

Et elle regardait Erin. Ses yeux étaient la seule partie de son corps qui n’était pas voilé par la politesse. Ils étaient comme des projeteurs, étudiant Erin de la tête a pied, regardant à travers elle, à ce qu’elle était, ce qu’elle avait fait, ce qu’elle ferait. Ils étaient dérangeants, mystérieux, et c’est ce qui, plus que tout, fit s’arrêter Erin.

Lady Magnolia était assise, mais le cœur d’Erin commença à battre la chamade alors qu’elle baissa les yeux vers la femme qui possédant tant. Erin pensa à la reine des Antiniums, assise sur son trône dans les sombres cavernes. Elle avala sa salive, et prit une grande inspiration.

C’était elle. La poursuivante de Ryoka, celle qui avait percé à jour la nature d’Erin. Une femme avec du pouvoir et de l’argent, une [Lady], une légende vivante. La scion de la famille Reinhart, l’héroïne de la première guerre Antinium, et la femme qui aimait les glaces et le jus de fruit bleu.

Lady Magnolia.

Elle sourit à Erin, leva une tasse de thé alors qu’elle fit signe vers le canapé lui faisant face.

« Bonsoir, Miss Solstice. Prenez un siège. Nous avons beaucoup à nous dire. »



 
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2.38 - Première Partie
Traduit par EllieVia

Erin se revoyait encore plonger le regard dans la narine aussi grosse qu’un tonneau du Dragon. Ce n’était peut-être pas la manière la plus glamour ni la plus excitante d’en parler, mais c’était ce qu’il s’était passé.

Elle avait tourné au fond du couloir, pour aller à ce qui lui semblait être ses toilettes, mais elle était tombée nez à nez avec un Dragon, plus grand que la vie, plus grand qu’une maison.

Qui crachait du feu.

Erin se souvenait à peine avoir hurlé et pris ses jambes à son cou, dans sa panique face au feu et au rugissement qui ressemblait presque à une voix. Elle s’était précipitée hors de la caverne, fuyant pour sauver sa peau. Mais elle se souvenait encore du moment où son regard avait croisé celui du Dragon, empli d’arabesques bleues et violettes.

Son cœur s’était arrêté de battre. Le monde s’était tu, et Erin avait ressenti la même émotion que celle qui l’envahissait à présent lorsqu’elle usait de sa compétence d’[Instant Immortel]. Elle avait été submergée par sa présence.

Elle ressentait la même chose à présent. Lady Magnolia Reinhart était simplement assise devant elle. Et elle n’était qu’une femme, pas particulièrement grande ou forte. Mais elle avait une présence.

Puis la femme prit la parole, et l’instant passa. Mais il se grava dans la mémoire d’Erin.

“Venez donc vous asseoir, Miss Solstice. Ou… puis-je me permettre de vous appeler Erin, et de vous tutoyer ? Les titres formels sont tellement assommants, et si j’ai bien compris, votre peuple s’exprime beaucoup plus simplement que le mien, n’est-ce pas ?

Votre peuple. Erin cligna des yeux en s’asseyant, mal à l’aise, sur le fauteuil posé devant le canapé de Lady Magnolia. Elle faillit s’enfoncer dedans, il était tellement moelleux. Et confortable. Et frais !

Un parfum léger de lavande flottait dans l’air, et la pièce était fraîche et agréable, la température idéale pour se poser. Erin avait terriblement envie de se contenter de s’allonger sur le canapé et de se détendre, mais elle ne le pouvait pas. Elle préféra balbutier une réponse à la question de Lady Magnolia à la place.

“Hum, oui. Je veux dire, en effet. Désolée ! Je peux essayer de…”

“Ne t’inquiète pas.  Je trouve cela délicieusement pittoresque. Mais sont mes manières ? Excuse-moi, je te prie. Je suis Magnolia Reinhart. Enchantée de faire ta connaissance.”

“Je suis Erin. Erin Solstice.”

Magnolia tendit la main et Erin la serra. Elle eut une envie des plus étranges de lui embrasser la main comme si elle avait été un chevalier, mais c’était peut-être dû à l’élégance des mouvements de cette femme. Elle n’avait aucun geste inutile, aucune hésitation. Elle était l’image même de la grâce, et de la bienveillance aussi, d’ailleurs. Un sourire léger flottait sur les lèvres de Lady Magnolia et son visage s’abandonnait volontiers au rire et à l’énergie.

“Je dois dire que j’étais terriblement impatiente de te rencontrer”

À la grande surprise d’Erin, la poignée de main de Magnolia était ferme. La femme retira sa main et souleva sa tasse et sa soucoupe de thé.

“J’ai du thé, si tu souhaites le partager avec moi. À moins que tu n’aies envie de quelque chose de plus fort ? Une boisson fruitée, peut-être ? J’ai bien peur de ne pas avoir de café ni de connaître de substances proches pour le moment, mais n’hésite pas à demander si tu veux autre chose.”

“Quoi ? Non, c’est très bien. Le thé, je veux dire. Merci.”

Erin observa Ressa soulever adroitement la théière fumante et remplir leurs deux tasses d’un liquide d’un vert doré. Il s’en dégageait un parfum d’agrumes et le goût ressemblait à…

Du citron vert ?

Lady Magnolia pouffa de rire devant l’expression d’Erin.

“Je te prie d’accepter mes excuses. C’est l’un de mes thés préférés. Je me suis aperçue qu’il faisait des merveilles pour l’esprit inattentif. Mais où en étais-je ? Ah oui, permets-moi de te souhaiter la bienvenue dans mon foyer. Je te demande pardon pour le délai ; j’avais une réunion avec des gens plutôt importants et bien sûr, tu faisais la connaissance des jeunes hommes et jeunes femmes de ton monde. Je m’en serais voulu de t’arracher à cette rencontre, mais à présent que tu es là, est-ce que tu aimerais faire une partie d’échecs ?”

La question surgit au sommet de la vague d’un tsunami de mots et frappa Erin en plein visage. Elle regarda fixement Magnolia pendant quelques secondes.

“Hum… oui ?”

“Merveilleux. Ressa ?”

Lady Magnolia battit des mains, enchantée. Erin regarda Ressa prendre quelque chose sur une étagère - un échiquier et des pièces, déjà mises en place comme si la partie avait été prévue à l’avance. Tout allait un peu trop vite. Erin hésita, la tasse de thé entre ses doigts.

“Hum.”

“Oui ?”

Lady Magnolia adressa un sourire éclatant à Erin. Presque au sens littéral. En quelques instants, elle était passée du statut de personne mystérieuse et presque effrayante dans l’esprit d’Erin à l’aristocrate distinguée et terre-à-terre qui lui faisait face.

“Eh bien… je voulais simplement vous remercier de m’avoir amenée ici. Et d’avoir envoyé le carrosse et, euh, d’avoir aidé les autres gens.”

“De ton monde.”

“Hum. Oui ?”

Lady Magnolia pouffa de nouveau de rire en voyant l’expression sur le visage d’Erin.

Inutile de prendre cet air effrayé, ma chérie. Je t’en prie, détends-toi. Je t’assure que je voulais simplement discuter avec toi, d’où la manière relativement grossière et abrupte par laquelle je t’ai faite venir ici. Je te prie d’accepter mes excuses.

“Comment ? Oh, non, ce n’était pas grossier…”

Erin essaya d’agiter une main d’un air nonchalant tout en tenant la tasse et la soucoupe pendant que Ressa posait l’échiquier sur la table entre elles. Lady Magnolia sourit de nouveau.

“J’ai entendu dire que tu étais une relativement bonne joueuse d’échecs, et je dois avouer que j’espérais que tu me ferais le plaisir de jouer une partie avec moi.”

“Comment avez-vous su… ?”

“Oh, une [Lady] a ses astuces. Ne t’inquiète pas de cela. J’aimerais simplement beaucoup faire une partie avec toi pendant que nous papotons. Il me semble que tu as fait la connaissance d’une Coursière vraiment époustouflante répondant au nom de Ryoka Griffin ? J’aimerais tellement que tu me parles d’elle pendant que nous jouons.

Et c’est ce qu’elles firent. Erin cligna des yeux, au début, mais lorsque Magnolia lui demanda si elle voulait jouer les blancs ou les noirs et qu’elles se mirent à jouer, son instinct d’échecs se mit en route et elle se mit à jouer, tout en poursuivant la conversation.

“Alors ainsi, vous connaissiez Ryoka longtemps avant moi ?”

“Oh, elle est venue livrer de nombreux bibelots chez moi.”

Lady Magnolia répondait sur le ton de la conversation en avançant ses pions. Elle avait appris à jouer quelque part, parce que sa défense répondait parfaitement à l’ouverture d’Erin.

Ressa était debout à côté de la table, et écoutait la conversation en silence, les mains croisées devant elle. On aurait dit une statue, et Erin songea qu’il était un peu étrange que l’intendante fasse le service ici, mais c’était peut-être simplement comme ça qu’elles faisaient les choses ici ?

Elle était beaucoup plus détendue que quelques heures plus tôt, et même encore plus qu’elle ne l’avait été avec les gens de son monde. Le visage ouvert et le charme naturel de Lady Magnolia… invitaient simplement Erin à parler.

Et c’est ce qu’elle fit, au sujet de Ryoka, de son travail d’aubergiste, et des gens qu’elle avait rencontrés et des monstres qu’elle avait dû tuer. Lady Magnolia était une excellente auditrice, et elles étaient à peu près au milieu de la partie lorsque la conversation changea de cap.

“Les morts-vivants et de tribus Gobelines ? Bonté, tu es vraiment aventureuse. J’avais l’impression que tu étais plutôt autonome, mais je n’avais pas compris à quel point tu étais extraordinaire.”

Erin rougit sous le compliment. Lady Magnolia sourit, et elle prit quelque chose sur la table. Un monocle, mais un monocle vraiment étrange. Celui-ci avait une monture gravée dans une pierre noire… de l’obsidienne ? Et on aurait dit que les minuscules runes gravées sur les côtés faisaient miroiter d’étranges couleurs sur le verre.

“Qu’est-ce donc ?”

“Oh, ceci ?”

Lady Magnolia cligna des yeux derrière le monocle pendant quelques secondes, puis le reposa d’une main légère en haussant les épaules.

“Un petit souvenir. Il aide à rectifier la vision. Je dois bien admettre que ma vue n’est plus aussi bonne qu’avant. L’âge, vois-tu ? Je t’en prie, n’y prête pas attention.

“Oh. D’accord.”

La partie se poursuivit. Erin fronça les sourcils. Lady Magnolia était plutôt douée. Erin avait pris plusieurs de ses pions, mais la femme se débrouillait aussi bien qu’elle.

“Vous êtes une excellente joueuse. Je n’ai rencontré que peu de gens qui aient votre niveau.”

“Tu es trop aimable.”

Le visage de Lady Magnolia s’illumina et elle avança délicatement un pion pour bloquer l’un des fous d’Erin. Elle se tourna vers Ressa.

“La jeune Erin a vraiment un sens certain de la formule, n’est-pas Ressa ? J’ai peur de rougir.”

Ressa inclina légèrement la tête. Magnolia se retourna vers Erin, un sourire sur le visage.

“À dire vrai, je ne joue guère autant que ce que je ne le devrais. Mais j’ai appris à jouer à seize ans, et je joue régulièrement avec au moins un bon adversaire depuis lors. Tout de même, je suis ravie de pouvoir affronter quelqu’un de ton calibre sans paraître trop ridicule.”

Erin hocha la tête d’un air distrait. Qu’importe ce que disait Lady Magnolia, elle était une sorte d’experte. Elle ne laissait aucun répit à Erin, et celle-ci devait se concentrer sur la partie, ce qui lui faisait très plaisir.

Mais elle remarqua bel et bien une chose. C’était peut-être parce qu’elle avait eu l’occasion de faire la connaissance de Ressa un peu plus tôt dans la journée, mais lorsque Lady Magnolia avait parlé de jouer aux échecs, la femme avait… légèrement bougé. Ce n’était qu’un infime mouvement de pieds, et si cela avait été qui que ce soit d’autre, Erin aurait pris cela comme un signe de fatigue ou de crampe. Mais Ressa était restée figée comme une statue pendant toute la partie d’échecs et toute la conversation, et cela paraissait étrange à Erin.

C’était parce qu’elle était en train de jouer aux échecs qu’Erin l’avait remarqué. C’était ce sixième sens étrange qu’elle acquerrait parfois, et qui la faisait être à la fois consciente de l’échiquier et de la pièce dans son ensemble. Deux secondes plus tard, Erin avait presque oublié ce qu’elle venait de remarquer.

Lady Magnolia s’éclaircit la gorge.

“Ah, mais ce n’est pas vraiment le moment de parler de mon passé, n’est-ce pas ? Je suis heureuse que tu sois là, Erin. J’avais peur que tu ne refuses mon invitation, si tu ressemblais un tant soit peu à Ryoka.”

“Oui, elle est comme ça, pas vrai ?”

Erin sourit, et Lady Magnolia éclata de nouveau de rire.

“Eh bien, nous avons tous été comme cela, n’est-ce pas ?”

“Je ne pense pas, pour ma part.”

“Ah, mais tu es tellement ouverte d’esprit, c’est une attitude vraiment rafraîchissante. J’espère que le tour de carrosse a été plaisant ? Je te le demande simplement parce que j’ai craint que tu n’aies souffert du manque de compagnie. Un unique [Majordome] aux rênes ne constitue pas vraiment une compagnie suffisante, n’est-pas ?”

Erin cilla. Elle leva les yeux de l’échiquier pour dévisager Lady Magnolia.

“Le majordome ? Vous voulez parler de Reynold ? Non, il a été super. Je l’ai vraiment bien aimé.”

Et là encore, elle aperçut quelque chose d’étrange. Cette fois-ci, ce ne fut pas Ressa qui s’agita, mais la main de Lady Magnolia qui marqua une pause pendant une fraction de seconde lorsqu’elle porta sa tasse à ses lèvres.

“Ah, oui, Reynold. C’est bien que tu saches son nom. Tu sais, tes amis n’ont jamais pris la peine de demander les noms des serviteurs qui s’occupaient d’eux. Mais peut-être qu’ “amis” est un terme un peu trop fort ?”

Les yeux de Magnolia parcoururent le visage d’Erin d’un air scrutateur. Erin ne savait pas trop quoi répondre. Elle n’était pas amie avec Joseph et Rose - elle ne les détestait pas, mais des amis ? Non. Mais comment dire cela de manière polie ? Erin n’en avait aucune idée, et, par chance, Magnolia ne parut pas attendre de réponse. La femme éclata de rire en avançant délicatement un pion de deux cases pour menacer l’un des cavaliers d’Erin.

“Je te prie d’accepter mes excuses, je suis vraiment malpolie, n’est-ce pas ? Bien sûr que tous les gens de ton monde ne se connaissent pas, sans parler d’être amis. D’un autre côté, je serais enchantée de pouvoir me considérer à présent comme ton amie.”

Amie ? Cela lui semblait juste. L’estomac d’Erin se serra légèrement, mais pas sous l’effet de la faim. Elle fronça les sourcils. Quelque chose la turlupinait. Oh oui. C’était important.

“Hum. Lady Magnolia…”

“Magnolia, je t’en prie, Erin. Et tu peux me tutoyer. "Nous sommes entre amies, n’est-ce pas ?

“Oh, bien sûr, désolée… hum, eh bien, tu sais que je viens d’un autre monde, n’est-ce pas ?”

“Je le sais, en effet.”

Erin dévisagea Lady Magnolia, la main flottant au-dessus d’une pièce d’échecs. Elle avait l’impression que cette réponse était beaucoup trop calme. Lady Magnolia remarqua l’expression d’Erin et agita la main.

“Oh, je t’en prie. Je sais à quel point tout cela est extraordinaire, mais j’ai eu suffisamment de temps pour assimiler les faits. Et quel genre de [Lady] serais-je si je n’étais pas tout le temps calme et sereine ? Je sais que tu viens d’un autre monde. Je sais que le reste des charmants jeunes hommes et jeunes femmes en bas viennent d’un autre monde. C’est la raison pour laquelle je vous ai tous réunis ici.”

Elle avança une pièce et prit l’un des cavaliers d’Erin. Erin fronça les sourcils. Elle avait superbement contré le coup de Lady Magnolia, mais elle avait soudain perdu deux pièces dans un habile étau qui l’avait complètement aveuglée.  C’était normal- mais Erin n’arrivait pas à croire que Lady Magnolia l’ait déchiffrée aussi vite.

Incroyable. Elle essaya de se concentrer sur la conversation en continuant de jouer, en se concentrant davantage sur ses pions.

“Uh…. eh bien… en ce cas, pourquoi sommes-nous tous ici ?”

Lady Magnolia étudia le visage d’Erin un instant, puis elle écarta adroitement un fou pour le mettre hors de danger. Pas d’un danger immédiat, mais plutôt d’un piège qui l’aurait mis en danger dans deux coups.

“Eh bien, j’espère que tu vas rester ici. À présent que tu as vu ma petite demeure, j’espérais que je pourrais vous convaincre, toi et peut-être même Ryoka, d’accepter mon hospitalité pendant toute la durée de votre séjour dans ce monde. Tu vas bien accepter, n’est-ce pas ?

Il y avait résolument quelque chose qui n’allait pas. Pas dans la conversation, mais sur l’échiquier. Erin le sentait. Lady Magnolia n’était pas une excellente joueuse. Elle était bonne, mais clairement pas aussi bonne que quelqu’un qui avait mémorisé les ouvertures et les stratégies comme Erin. Son ouverture l’avait prouvé, et elle faisait en ce moment même de petites erreurs qu’aucune joueuse expérimentée ne ferait par la simple vertu de l’expérience.

Et pourtant, elle continuait de frapper Erin pile aux pires endroits, ou se mettait à sortir ses pièces du chemin lorsqu’Erin essayait de l’attaquer ou de poser des pièges. C’était presque comme si elle pouvait lire dans ses pensées. C’était peut-être le cas. Erin leva les yeux. Lady Magnolia lui souriait.

“Hum, désolée. Que viens-tu de dire ?”

La femme et Ressa clignèrent toutes deux des yeux. Erin leur adressa un sourire timide.

“Je suis vraiment désolée. C’est juste que lorsque je joue aux échecs, je suis un peu… désolée !”

“Pas du tout, pas du tout. Je te prie de m’excuser. Je devrais me concentrer sur la partie, moi aussi.”

Lady Magnolia avança un pion, bloquant une avancée d’Erin qui aurait menacé sa Tour. Erin fronça les sourcils. Peut-être que…

Elle avança un pion. C’était une tentative de forcer les pièces de Magnolia à rester à distance pour qu’Erin puisse essayer de viser son Roi.

Lady Magnolia roqua. Erin observa son coup, et toutes les pièces du puzzle se mirent en place. Elle leva les yeux, et vit que Lady Magnolia souriait de nouveau. Elle avait un sourire tellement charmant.

“Je me demandais simplement si tu accepterais de rester ici. Si tu le voulais bien, j’apprécierais grandement que...

“... Excuse-moi. Tu lis dans mes pensées, n’est-ce pas ? Je veux dire, tu es en train de me faire quelque chose, pas vrai ?”

La pièce se figea. Lady Magnolia s’interrompit, la bouche entre-ouverte à mi-mot, et Erin sentit les yeux de Ressa la transpercer. Mais elle dévisagea calmement la [Lady] qui lui faisait face.

Noble et servante. Aucunes des deux n’affichaient ouvertement leurs expressions, mais Erin savait à présent ce qu’elle devait regarder. Magnolia jeta un regard en coin à Erin, puis elle soupira.

“Suis-je vraiment si transparente que ça ?”

Elle se tourna à demi sur son canapé et fronça les sourcils en direction de sa servante.

“Ressa, pourquoi ne m’as-tu pas dit que j’étais si maladroite ?”

“Vous m’aviez l’air d’être relativement subtile, milady.”

“J’en avais aussi l’impression. Ah, tant pis.”

On aurait dit que quelqu’un venait de baisser un interrupteur. Lady Magnolia soupira et reposa sa tasse de thé.

Erin cligna des yeux.

“Et moi qui croyais que j’allais m’en tirer facilement. Oh, baste. J’imagine que tu m’as démasquée. Que vas-tu faire, à présent ?”

Elle dévisagea Erin, dans l’expectative. Erin cligna des yeux, hésita.

“Hum. Huh. J’imagine que je vais te demander de ne pas le faire quand on joue aux échecs ?”

Lady Magnolia resta silencieuse un instant en s’étirant les mains. Elle dévisagea Erin. Ressa faisait de même.

“Quand on joue aux échecs ?”

“Ouaip. Enfin, d’ailleurs, cela ne me dérange pas tant que ça, mais ça aurait été bien de le savoir à l’avance.  Je me demandais d’ailleurs juste si tu étais en train de le faire.”

Ressa et Magnolia échangèrent un regard. Lady Magnolia se réadossa sur son canapé.

“Ah. Je vois.”

Elle marqua une pause. Erin la contempla. Le silence devint inconfortable, puis Lady Magnolia sourit.

“Je te présente mes excuses les plus sincères. Je voulais te voir jouer au maximum de tes capacités, et j’ai donc très honteusement enfreint les règles. Permets-moi d’exprimer et de t’adresser mes plus profonds regrets. Si tu le souhaites, nous pourrions recommencer et faire une autre partie plus équitable…”

Erin secoua la tête.

“Non. En fait, j’aimerais bien refaire une partie comme celle-ci.”

Magnolia cligna de nouveau les yeux. Cette fois-ci, elle croisa le regard d’Erin, et la fille sentit un courant la parcourir.

“C’est intrigant. Pourquoi donc, je te prie ?”

La jeune femme haussa les épaules, mal à l’aise.

“Je pense que ça peut être un peu rigolo. Mais tu lis vraiment dans mes pensées ?”

“... Oui. Ce n’est pas assez avancé pour savoir ce que tu penses, je possède une compétence appelée [Perception d’Intentions] et je suis plutôt douée pour l’utiliser. Je peux sentir les pièces sur lesquelles tu te concentres, ce qui me permet de jouer aussi bien.”

“Cool.”

“Cool ?”

“C’est tellement cool.”

Erin sourit. Elle baissa les yeux sur l’échiquier et se mit à remettre les pièces dans leurs positions initiales.

“Est-ce que tu peux le refaire ? Pendant qu’on joue, je veux dire. Je veux voir si je peux battre quelqu’un capable de savoir ce que j’essaie de faire.”

Pendant un instant, Lady Magnolia contempla Erin, un air de surprise sincère étalé sur le visage. Puis elle sourit réellement à Erin. Tous ses autres sourires parurent alors faux et artificiels en comparaison, car c’était un sourire véritable, merveilleusement empli de joie et de gaité.

“J’en serais ravie. Tu es vraiment une jeune fille inhabituelle, tu sais.”

“Vraiment ? J’imagine. Hmm. J’imagine que je vais reprendre les blancs.”

Le jeu reprit. Erin remit ses pièces en place, et se demanda comment battre quelqu’un qui sentait ce qu’elle voulait faire. Elle remarqua que Ressa la dévisageait avec insistance, et que le regard de Lady Magnolia sur elle avait complètement changé. Moins d’assurance, et beaucoup plus d’intensité, comme si elle essayait de lire en Erin.

Mais Erin avait appris à jouer aux échecs en gardant un visage impassible. Elle adopta sa meilleure poker face, en tentant de ne rien laisser s’échapper de plus que ce que Magnolia pouvait détecter. Erin se mit à jouer, en silence cette fois-ci, et se remémora le passé.

Il était une fois une petite fille qui adorait les échecs. Puis, plus tard, elle avait appris à les haïr. Elle détestait apprendre par cœur, jouer constamment, l’angoisse autour des ratios victoire/défaite, et la manière dont les échecs avaient consumé toute sa vie, ne laissant que peu de place pour le reste.

Elle s’était éloignée du jeu, et avait fini par arrêter de jouer, malgré les nombreuses personnes qui la priaient de ne pas gâcher son talent en abandonnant. Mais Erin avait fini par devenir malade à la vue de ce petit plateau, et elle avait été plus heureuse en tant qu’adolescente ordinaire.

Et pourtant, et pourtant… Erin avait vu défiler les années, et elle avait lentement compris que les échecs l’avaient changée. Même une partie à l’amiable n’était plus la même chose pour elle, parce qu’elle n’était pas une amatrice, tout en n’étant tout de même pas une professionnelle. Personne, à son école ni même au sein de son district, n’était en mesure de lui poser un véritable défi, et pourtant, le sommet de ce monde étrange était encore très loin d’elle.

Erin avait également compris, petit à petit, à quel point les échecs étaient importants pour elle. Sans eux, elle n’avait rien qui ne la distingue des autres, et c’était à la fois une bonne et une mauvaise chose. Elle s’était lassée des échecs, certes, mais sans eux, sa vie était dépourvue de sens.

Et c’est ainsi que, lentement, Erin s’était remise à aimer le jeu. Elle avait joué pour le plaisir, puis avait alors redécouvert le sentiment qu’elle avait eu lorsqu’elle avait appris à jouer pour la première fois. Elle s’était mise à entrer de nouveau dans le monde des échecs, puis elle avait voyagé dans un autre monde.

Et alors…

S’il y avait un dieu des Échecs, ou peut-être, une déesse, c’était un dieu cruel, calculateur qui dispensait ses dons tels des malédictions à ceux qui ne vivaient que pour jouer. S’il y avait un dieu.

Un dieu métaphorique, bien sûr. Non pas les véritables dieux et déesses qui revendiquaient le jeu, mais l’esprit vivant des échecs en eux-mêmes. Erin voyait ceci ainsi. Le Dieu des Échecs était silencieux et souvent cruel, et vivait à travers la pierre froide et les règles statiques qui brisaient les gens à travers les plateaux immuables. Mais elle avait touché ce dieu à travers ses parties, et lorsqu’elle était venue en ce monde, lui, elle, iel… l’avait bénie.

Des parties immortelles. Des adversaires à qui enseigner et de qui apprendre qui aimaient le jeu autant qu’elle. Erin n’était plus la même joueuse qu’autrefois. Elle était peut-être maladroite, et stupide, et n’importe quoi d’autre, mais Erin était bonne à une chose. Une chose où elle se tenait au sommet de chacun des mondes. Et c’était…

“Échec et mat.”

Erin avança son cavalier et acheva son piège. Le roi de Magnolia leva les yeux sur elle, désespérément piégé par plusieurs pièces n’attendant qu’un mouvement de sa part pour lui exploser la cervelle.

“Remarquable.”

Lady Magnolia souffla ces mots en inclinant délicatement son roi. Elle leva les yeux sur Erin, et ils étaient pleins de lumière.

“J’ai rarement perdue une partie d’échecs en utilisant [Perception d’Intentions], Erin Solstice. Et même sans cela, je me considère comme une bonne joueuse. Mais les Compétences n’ont que peu d’impact contre quelqu’un de ton talent, apparemment.”

“C’était une bonne partie.”

C’était tout ce qu’Erin pouvait vraiment répondre. Elle sourit et fit craquer ses doigts avant de réaliser que c’était malpoli et rougit. Lady Magnolia pouffa.

“En effet. Surprenante, aussi, je n’avais aucune idée qu’il était si évident que je lisais en toi.3

“Eh bien, j’imagine que je suis simplement douée avec ces choses-là.”

“En effet. Je me demande si tu arrives à sentir autre chose ?

Autre chose ? Erin se gratta la tête un instant, puis la secoua.

“Pas vraiment. Je ne suis bonne aux échecs que parce que j’y joue autant.”

“Cela est pour le moins évident. En effet…”

Lady Magnolia tapota ses lèvres d’un ongle et soupira.

“J’ai un ami que j’aimerais profondément te présenter. Je pense que tu triompherais si vous deviez tous les deux faire une partie d’échecs, et j’adorerais voir son expression si c’était le cas. Tu es certainement l’une des meilleures joueuses de ce monde, j’en suis sûre.”

Là encore, Erin se sentit rougir. Meilleure joueuse ? Du monde ? Ce serait un horrible et total mensonge dans son monde, mais ici ? Elle n’était pas sûre de devoir être contente ou triste que ce soit le cas.

“Une enfant qui a grandi en étudiant le jeu est… un cas nouveau, en ce monde. Que c’est intrigant. Mais j’imagine qu’il doit y avoir au moins… cinq personnes capables de te battre. Tu ne penses pas qu’ils sont cinq, Ressa ?”

“Je n’en ai aucune idée, milady.”

“Menteuse.”

Magnolia sourit d’un air affectueux à sa servante. Erin en était heureuse ; on aurait dit qu’elle était amie avec ses servantes. Mais Erin était intriguée par ce qu’elle venait de lui dire. La folle d’échecs tapie en elle leva la tête.

“Vraiment ? Tu connais d’autres personnes qui aiment les échecs ? Est-ce que tu pourrais me dire leurs noms ?”

Peut-être que l’une d’entre elles était celle qui lui avait envoyé l’échiquier. C’était possible. Magnolia étudia Erin, puis sourit de nouveau. Elle avait l’air d’aimer ce sourire mystérieux.

“Ils ne jouent pas nécessairement aux échecs, mais ils ont les, ah, compétences et les tempéraments requis pour être les meilleurs dans tous les jeux de ce genre. Mais en ce qui concerne leurs noms… je détesterais gâcher la surprise. Disons simplement que cela inclut un vieux fou, le plus petit stratégiste du monde, un mage reclus, un roi misérable et un seigneur fringant et plutôt charmant. Un génie sur chaque continent - sauf Chandrar, je pense. Je ne pense pas que le jeune [Empereur] ou le Bras Gauche du Roi de la Destruction ne soient suffisamment doués pour te vaincre.”

Erin ne connaissait rien de tout cela, sauf le nom du Roi de la Destruction, et elle n’avait aucune idée de l’identité de son Bras Gauche. Sauf si c’était littéral et qu’il avait un bras droit géant qui jouait aux échecs. Elle avait entendu des choses bien plus farfelues.

“Eh bien, j’aime juste les échecs. Ce n’est pas grand-chose, mais j’adorerais faire leur connaissance.”

“Bêtises que tout cela. Quiconque peut prétendre être la plus grande experte dans un domaine mérite d’être remarquée et admirée.”

Lady Magnolia se pencha en avant et remplit elle-même de nouveau la tasse d’Erin, malgré les protestations tièdes de Ressa.

“C’est tout simplement une autre raison pour laquelle je dois insister que tu restes chez moi. Je serais ravie que tu enseignes les échecs ici, ou si tu consentais simplement à jouer contre quelques-uns de mes invités.”

“Moi ?”

“C’est la raison pour laquelle j’ai demandé une rencontre. Pourquoi donc crois-tu que tu sois ici ? Pour le plaisir de ta compagnie, bien sûr, mais je crois qu’il serait juste de t’offrir la même hospitalité que celle que j’ai offerte aux autres.”

La mâchoire d’Erin se décrocha.

“Vraiment ? Ici ?”

“Est-ce si surprenant que cela ? Je pense que tu apprécierais plutôt ton séjour. Nous pourrions t’installer dans une chambre d’amis, peut-être, jusqu’à ce que nous puissions te proposer des arrangements plus permanents. Qu’en penses-tu ? Ne veux-tu pas accepter ?

Pour une raison qui lui échappait, l’offre paraissait extrêmement généreuse aux yeux d’Erin. Bien sûr qu’elle l’était, mais elle ne pouvait pas accepter, n’est-ce pas ?

Pourquoi pas ?

Parce que…

Erin secoua légèrement la tête.

“Non, mais j’ai… j’ai une auberge.”

Le sourire de Lady Magnolia ne vacilla pas. Elle leva sa tasse de thé à ses lèvres et but une petite gorgée.

“Ah, mais n’est-ce donc pas terriblement dangereux ? Ne serait-il pas plus facile de se détendre ici, dans le confort de ma demeure, plutôt que de risquer ta vie à faire un métier aussi difficile ?3

“Je l’aime bien. Je veux dire, c’est difficile, oui, mais…”

Erin voulait accepter l’offre généreuse de Magnolia. Une partie d’elle, du moins. Mais une autre pensait à tous ceux qu’elle devrait abandonner derrière elle. Ceria, Selys, Krshia qui avait des ennuis, Toren, Pisces, Loks, même Lyonette. Qu’allait faire cette dernière si elle n’était plus là ? Et puis, il y avait Ryoka… Mais Magnolia parlait plus vite à présent, et Erin se surprit à écouter chacun de ses mots avec intensité.

“C’est beaucoup mieux si tu restes ici avec les autres. Ils deviendront d’excellents aventuriers, et vous serez tous en sécurité ici. Tu n’es pas d’accord ?

Erin hésita. Mais une seconde seulement. Pourquoi essayait-elle de discuter ? Lady Magnolia avait été tellement généreuse avec elle et tous les autres gens de son monde. Pourquoi n’acceptait-elle pas ? Elle serait bien ici, heureuse…

Mais ses amis seraient tristes. Erin le savait, et cela lui faisait mal, mais son désir de dire “oui” était beaucoup, beaucoup plus fort.

Et elle hésita donc. Une seconde seulement. Mais cet instant fut une éternité au bord de laquelle Erin se tint, le regard fixé sur la fourche sui interrompait la route de sa vie. Elle tint sa propre destinée entre ses mains, et pesa chacun de ses choix, en se remémorant le passé.

Une seconde devint un moment. Un moment devint un jour, puis une année. L’année devint éternelle. Et dans cet instant immortel, Erin comprit que quelque chose n’allait pas.

Elle ne contrôlait rien. Parce que tandis que son esprit examinait le choix qui se présentait à elle, chaque parcelle de son cœur pointait en direction de son auberge. Et pourtant… quelque chose lui disait de dire oui.

Quelque chose n’allait pas. Erin le sentait. C’était une sensation à l’arrière de son crâne, la même qu’elle avait ressentie pendant toute la conversation. Sauf qu’alors, Erin n’avait pas su qu’elle était là, tellement la sensation avait été insidieuse et discrète. Et pourtant, elle était à présent dévoilée au grand jour, révélée par sa propre Compétences et par le temps implacable.

Une seconde s’écoula. Lady Magnolia regardait Erin avec intensité, tout comme Ressa.

“Alors ?”

Un parfum de lavande flottait dans les airs. Erin frissonna. Sa bouche s’ouvrit pour dire oui. Elle se mordit la langue.

“Mmngh !”

La bouche d’Erin s’emplit de sang, et la douleur fusa dans son esprit, la libérant de ce qui l’enchaînait. Lady Magnolia cligna des yeux, et Erin renversa la table d’un coup de pied, envoyant voler les tasses et les pièces d’échecs.

Lady Magnolia contempla les objets en train de voler, sous le choc. Une théière remplie de liquide chaud vola en direction de sa tête. Elle ne leva pas les bras pour se protéger ni ne tenta de s’écarte. Elle se contempla de regarder fixement la théière d’un air vaguement surpris.

Une main surgit et saisit la théière au vol. Un corps s’interposa, et le liquide chaud s’éclaboussa sur son dos. Ressa jeta la théière et tendit la main vers Erin. La fille vit la main se tendre vers sa gorge, aussi vive que l’éclair…

“Arrête.”

Ressa s’arrêta. Elle recula, et l’échiquier s’écrasa contre un mur, le bois délicat se brisant sous la force de l’impact. Les pièces d’échecs retombèrent en pluie sur le tapis et Lady Magnolia soupira.

“Teriarch m’avait dit que cela arriverait un jour ou l’autre. Mais pourquoi cela devait-il arriver lorsque j’avais sorti ma théière préférée ?”

Erin regarda fixement Ressa. Son [Instinct de Survie] sonnait bruyamment sous son crâne. L’[Intendante] dévisageait Erin, mais son regard n’avait rien de celui d’une servante. Elle avait l’air prête à tuer.

“Ressa. Ton ravissant postérieur est devant mon nez. Écarte-toi, s’il te plaît, et envoie quelqu’un nettoyer tout ça.”

Ressa marqua une pause. Elle se tourna et Lady Magnolia lui tapota le bras.

“Tout va bien. Erin ne va pas essayer de me tuer, je pense. N’est-ce pas ?”

“Hum. Oui ?”

“Très bien, alors.”

Ressa hésita, puis se décala vivement sur le côté. Elle sortit une cloche de sa poche et la fit tinter. Quatre secondes plus tard, la porte s’ouvrit et des servantes se précipitèrent à l’intérieur. Elles stoppèrent net en voyant le bazar, mais Ressa se mit à donner des ordres secs et elles se mirent en action.

“Suis-moi, je te prie. Je pense que nous ferions mieux de les laisser se mettre au travail, et je n’aimerais pas les gêner.”

Lady Magnolia hocha la tête en direction de la porte. Erin se leva et suivit la femme, Ressa se tenant désagréablement près d’elle.

“Ressa ! Arrête de faire ça !”

 
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2.38 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia

Deux minutes plus tard, elles se trouvaient dans un autre petit salon, un peu plus grand et où l’intimité - et le rose - de la première salle avait disparus. Lady Magnolia soupira en s’asseyant. Elle regarda Ressa.

“J’espère que le thé ne t’a pas trop brûlée.”

“Il était tiède.”

“Et ta robe ? Je t’en prie, n’hésite pas à aller te changer.”

Ressa jeta un regard à Erin avant de répondre.

“Je suis parfaitement à l’aise, milady.”

“Têtue.”

Lady Magnolia soupira, mais elle se retourna vers Erin. Cette fois-ci, elle ne sourit pas, mais se contenta de regarder Erin. Tout simplement.

Puis tout recommença. Parce que son regard était comme un feu de projecteur, et il clouait Erin sur place. C’était le même regard qu’elle avait adressé à Erin lorsqu’elle était entrée pour la première fois ; un regard scrutateur qui essayait d’arracher tout ce qui constituait Erin et de voir son moi profond.

Erin soutint son regard. Elle n’était pas très douée pour ça, mais elle s’était grandement améliorée. Et à présent qu’elle savait ce qu’il se passait, la colère alimentait son regard noir et à peu près tout le reste. Son estomac tenta de se contracter, mais même cela n’était rien comparée à la terreur pure qu’Écorcheur lui avait infligée.

C’était comme regarder fixement un moteur à réaction, ou le soleil. Erin avait l’impression d’être presque sur le point d’exploser - son corps tremblait sous le simple effort de rester immobile. Mais elle soutint tout de même le regard de Magnolia.

Puis tout fut terminé. Lady Magnolia cilla, et Erin put détourner le regard. Elle se tourna et vit que Ressa était debout loin d’elles, et regardait le mur. La servante se retourna en direction des deux femmes, et Lady Magnolia soupira.

“Je ne peux plus sous-estimer qui que ce soit dernièrement, apparemment. D’abord Ryoka, puis toi. Je pensais qu’elle était plutôt unique, mais elle n’était peut-être que peu commune.”

Erin ne comprit pas de quoi elle voulait parler. Elle regarda fixement Lady Magnolia et se demanda ce qu’elle devait lui dire.

“Qu’est-ce que tu veux ?”

“Peu inspiré.”

Lady Magnolia fronça les sourcils.

“Excuse-moi ?”

Erin fronça également les sourcils. Lady Magnolia secoua la tête.

“Après toute cette perspicacité, cette force de volonté, et ce talent louable aux échecs, ce n’est vraiment pas une question à ta hauteur, Erin Solstice.”

Un petit gouffre de colère bouillonnait dans l’estomac d’Erin depuis qu’elle avait compris ce qui lui arrivait. Il s’élargit un peu plus.

“Désolée de ne pas être suffisamment intelligente pour poser les bonnes questions.”

“Oh, chut.”

Lady Magnolia tendit la main et donna une pichenette sur le nez d’Erin. La fille cligna des yeux, outrée, et la femme reprit la parole.

“Je suis en train de te complimenter, Miss Solstice. Tu as plutôt brillamment déjoué deux de mes manigances, ce qui arrive tellement rarement que je suis sous le choc. Et pourtant, tu restes plutôt naïve sur d’autres sujets, ce qui est la raison pour laquelle je vais être extraordinairement franche.”

“Merci. QU’est-ce que c’était que tout… ?”

“J’essayais de te persuader de rejoindre le groupe de piètres individus que j’ai réussi à empêcher d’être découpés en morceaux ou battus à mort pour que je puisse te protéger. J’avoue que je testais également tes capacités aux échecs dans l’espoir que tu puisses m’être utile, mais mon objectif principal était de te séquestrer loin du monde où tu ne pourrais plus faire de dégâts.”

Lady Magnolia déclara ceci d’un ton brusque, terre-à-terre, d’une voix d’où avaient disparus tout sourire ou charme. Elle contempla Erin. Erin soutint son regard.

“Pourquoi ?”

“Parce que je pensais que tu n’étais pas comme Ryoka Griffin. À présent, je pense que c’est Ryoka Griffin que je dois mesurer à toi.”

“Je ne comprends pas ce que tu veux dire.”

“Très bien. Je n’aimerais pas que tu sois aussi perspicace pour tout comme tu l’es pour esquiver mes Compétences.”

Erin ne savait pas non plus ce que signifiait le mot perspicace, mais elle se mordit la langue et écouta. Lady Magnolia marqua une pause.

“Du thé, s’il te plaît, Ressa. Framboise, je pense. Glacé.”

Ressa hocha la tête, et Lady Magnolia se retourna vers Erin.

“Lorsque j’ai rencontré Ryoka Griffin pour la première fois, j’ai cru une chose. J’ai cru que j’avais soit rencontré la jeune femme la plus douée et incroyable que je n’avais jamais vue, ou que j’avais rencontré quelqu’un qui possédait des connaissances qu’elle ne pouvait pas possiblement acquérir dans ce monde. Possiblement les deux.”

Lady Magnolia agita les doigts, et Erin vit qu’elle tenait de nouveau son monocle. Elle regarda Erin à travers ce dernier encore une fois en fronçant les sourcils, et poursuivit.

“Je pensais qu’elle était unique, mais j’ai vite appris que ce n’était pas le cas. J’ai rapidement compris qu’elle n’était qu’une parmi tant d’autres, et cela m’a conduite à trouver d’autres comme elle et à les questionner.”

“En les torturant ? Est-ce que vous avez trouvé les autres de manière à les…”

“Non, et non. Je les ai trouvés parce qu’ils étaient en danger. Deux groupes étaient morts, terrassés par les monstres avant même que je ne réalise qu’il fallait faire quelque chose. J’ai failli arriver trop tard pour la pauvre Imani, mais j’ai fini par la sauver. Les autres, y compris la jeune Rose, étaient beaucoup plus faciles à localiser et à récupérer. Et je leur ai demandé des informations sur leur monde, utilisant mon [Charme] pour les persuader de me révéler plus de choses qu’ils ne l’auraient fait d’ordinaire, certes, mais ce n’était pas très difficile. Une boisson et une charmante jeune femme ou un charmant jeune homme à l’écoute font des merveilles.”

Erin voulait bien la croire. Elle essayait de suivre ce qu’il se passait, et c’était difficile parce qu’elle avait encore la nausée après ce qu’il venait de se passer.

D’abord, Lady Magnolia avait été gentille. Puis il s’était avéré qu’elle utilisait une Compétence sur Erin, d’où le renversement de la table. Mais elle ne voulait pas que Ressa lui fasse exploser la cervelle, ce que l’[Intendante] était possiblement peut-être capable de faire. Donc Erin était sauvée. Et il s’avérait à présent que Lady Magnolia voulait trouver tous les gens du monde d’Erin parce qu’elle avait rencontré Ryoka. Parce que… ?

“Pourquoi ? Pourquoi fais-tu tout ça ?”

Lady Magnolia leva les yeux au ciel, mais Erin l’interrompit.

“Je ne suis qu’une fille. D’un autre monde, d’accord, mais pourquoi es-tu si intéressée par nous ? Est-ce que c’est parce qu’on connaît des choses que tu ne connais pas ?”

“Tu viens d’un autre monde. Bien sûr que tu connais beaucoup de choses que nous ne connaissons pas. Je voulais savoir exactement de quoi il s’agissait, et lorsque j’ai compris qu’il y avait une énorme différence technologique entre nous, j’ai immédiatement décidé que toi, Ryoka, et quiconque provenant de ton monde ne devait pas être autorisé à se déplacer librement.”

“Pourquoi ?”

“J’aimerais vraiment que tu cesses de me poser cette question. Tu es suffisamment intelligente pour savoir pourquoi.”

Erin réfléchit.

“Les armes à feu ?”

“Entre autres, oui. Mais l’existence même d’un autre monde rendrait nombre de Rois et d’imbéciles fous ce qui pourrait mener à une guerre que je suis certaine, absolument certaine que mon monde perdrait. Les nations de ton monde possèdent des armes bien trop mortelles pour toutes sauf les plus grandes magies, et le coût serait bien trop élevé, de toute manière.”

Lady Magnolia leva les yeux sur Ressa qui s’approchait avec une théière. Elle accepta sa tasse et Erin refusa la sienne.

“Si j’avais eu l’intention de t’empoisonner ou de te droguer… enfin, peut-être que tout le monde n’aime pas la framboise. Je me délecte des choses sucrées. Mais je digresse ; même en oubliant la connaissance de l’existence de ton monde, n’importe quelle arme de ton monde serait mortelle si la connaissance de leur fabrication venait à s’ébruiter. Heureusement, aucun des enfants que j’ai trouvé ne sait en détail comment les créer, et j’ai encore changé d’avis.”

Sa main se resserra sur l’anse de sa tasse, et Erin réalisa que la voix de Lady Magnolia tremblait légèrement.

“Les technologies dont ils parlent avec tant de légèreté pourrait dévaster ce monde, mais heureusement, aucun d’entre eux ne sait comment fabriquer ce qu’ils prétendent possible.”

Ressa hocha la tête, ce qui était l’un des rares mouvements qu’Erin l’avait vue faire. Magnolia poursuivit.

“Les quelques experts que je connais et un de mes… confidents mondains m’ont assurée que même si ce savoir a été diffusé, ce dont je suis certaine, cela prendra des années et beaucoup de travail pour produire des armes à grande échelle. Et je fouillerai ce monde à la recherche de préparations de ce type et les écraserai où qu’elles soient.”

Cela avait l’air d’être une bonne idée. Et c’était le cas, pas vrai ? Erin ne savait pas trop qu’en penser.

“Et par conséquent, je me retrouve à mon point de départ. Je crois que Ryoka Griffin est une jeune femme extraordinaire, ne serait-ce que parce qu’elle sait quand fermer sa bouche.”

Lady Magnolia contempla Erin en sirotant un peu de thé. Erin croisa les bras.

“Et que vas-tu faire ?”

“Te jeter cette tasse au visage si tu continues à poser des questions de ce genre.”

“Très bien. Que comptes-tu faire au sujet de Joseph, Rose, Imani et tout le reste ?”

“J’ai l’intention d’accéder à leurs requêtes. Tu sais qu’ils m’ont supplié - à plusieurs reprises - de les laisser devenir des aventuriers ? Tous les jeunes hommes paraissaient excités à cette idée, comme c’est souvent le cas chez les jeunes hommes. Les jeunes femmes voudraient voyager de villes en villes, les poches remplies d’or, et faire les magasins, si j’ai bien compris.”

Erin fronça les sourcils.

“Ils m’ont parlé de ça, en effet. Joseph dit que tu vas les aider. Leur donner des armes et des armures magiques.”

“Oui, et ils sont plutôt enthousiasmés par cette perspective. J’ai dans l’idée de les envoyer se promener avec quelques guides et de les laisser s’enrôler en tant qu’aventuriers Bronze, avec peut-être quelques pièces et quelques artefacts choisis. Qu’en penses-tu ?3

Elle n’eut même pas besoin de réfléchir. Erin répondit instantanément.

“Ils mourraient tous en trois secondes.”

Ressa acquiesça. Magnolia sourit brièvement.

“Ce serait amusant, ou peut-être, triste à voir. Je ne crois pas qu’aucun d’entre eux n’ait jamais tué quelque chose dans leur vie, ni même aidé à équarrir un animal. C’est peut-être ce qui a forgé leur opinion. Seule la jeune Imani parait sensée et elle est folle de douleur.”

Erin fusilla Magnolia du regard. C’était donc son plan.

“Est-ce que tu vas me tuer aussi ?”

“Te tuer ? N’as-tu donc rien écouté de ce que je viens de te dire ?”

“Mais tu as dit...”

“J’ai dit que je les enverrai devenir aventuriers. Mais je ne les laisserai pas mourir. Je crois que quelques blessures sans gravité et une saine dose de terreur leur ferait du bien.”

“C’est méchant.”

“Au contraire, c’est plutôt généreux étant donné que je ne leur dois rien et que je leur sauve la vie sur le long terme.”

Erin fronça les sourcils.

“Tu les traites comme des pions ou… ou des gens à manipuler. C’est mal.”

Lady Magnolia soupira, irritée.

“Je cesserai de les traiter comme des pions lorsqu’ils cesseront de traiter mon monde comme un jeu. En l’état, le groupe ivre de jeunes voyageurs en-dessous de nous sont des individus irréfléchis, négligents qui insultent mes serviteurs, font des dégâts, vomissent sur les tapisseries, et ne comprennent pas la gravité de la situation. Je pense que la moitié d’entre eux sont convaincus que ceci est une réalité fictive, ou peut-être un rêve, ou une espèce de jeu grandeur nature.”

Erin se mordit la lèvre. Elle ne pouvait pas le nier. Lady Magnolia marqua une pause, puis reprit la parole.

“Ils ne sont pas tous aussi stupide. Rose, par exemple, semble comprendre la nécessité de rencontrer d’autres gens de ton monde, ce qui est la raison pour laquelle je la surveille au cas où elle tente d’appeler de nouveau avec ce… téléphone. Et Imani a peur, et à raison, de sortir ; je pense que je lui donnerai une chambre loin des autres à présent que tu lui as permis de se livrer.”

Tout cela paraissait encore suspect aux yeux d’Erin. Elle regarda fixement Lady Magnolia et leva la main comme si elle était à l’école. Magnolia lui jeta un regard décontenancé.

“Est-ce que je peux poser une question ? Pourquoi est-ce que je suis ici ?”

“Tu es ici parce que j’ai cru que tu étais comme le reste d’entre eux. J’avais l’intention de te confiner, peut-être après t’avoir enseigné quelques leçons au sujet de ce monde et des dangers dont il regorge.”

“Et à présent ?”

“J’imagine que tu vas devoir retourner à ton auberge. À moins que tu ne souhaites accepter mon offre d’hospitalité. Je ne la retire pas, et je te permettrais de voyager si tu le souhaitais.”

“Pourquoi ?”

Lady Magnolia resta silencieuse. Elle regarda derrière Erin.

“Ressa.”

Une main claqua légèrement Erin à l’arrière du crâne. Erin glapit et se tourna, mais Ressa regardait droit devant elle, le visage dénué d’expression. Lady Magnolia tapota sa tasse d’un ongle pour attirer l’attention d’Erin.

“Je te prie de considérer ma position, Erin Solstice. J’ai trouvé des visiteurs, ou peut-être des réfugiés d’un autre monde. Ils connaissent des armes terribles, mais n’ont pas les connaissances pour les créer. Et pourtant, la seule connaissance du fait que ce genre de choses peuvent être créées est suffisante pour causer la destruction, sur le long terme. Et ces enfants - oui, enfants - sont, pour la plupart, impotents. Ils sont des aimants ambulants à chaos, et je n’aime pas le chaos.”

Erin se réadossa et réfléchit à tout cela.

“Oui. Les armes à feu seraient une mauvaise idée.”

Une main lui talocha de nouveau l’arrière du crâne. Erin se retourna, et Lady Magnolia sourit.

“Je pense que cette jeune femme va te frapper si tu refais ça, Ressa. Et elle a à la fois les compétences [Rixe de Taverne] et [Attaque du Minotaure]. Je ferais attention, si j’étais toi.”

“Comment est-ce que tu le sais ?”

Lady Magnolia souleva le monocle posé sur ses genoux.

“Un petit appareil que m’a créé par un ami. Cela me permet de lire les [Compétences] et les [Niveaux], sauf s’ils sont cachés. J’adorerais savoir l’utilité d’[Instant Immortel] et [Mets Prodigieux], d’ailleurs. Mais pour répondre à ta question… oui, la plupart des technologies décrites par les autres ont l’air incroyablement dangereuses. Je ne souhaite pas que leur existence devienne de notoriété publique.”

Erin se frotta le crâne et acquiesça.

“C’est de ça dont Ryoka avait peur. Elle ne veut pas que qui que ce soit découvre ce que nous savons.”

“Et c’est la raison pour laquelle je veux lui parler. Mais, et c’est ironique, elle est la seule personne qui ne fasse pas confiance, et à raison, aux gens comme moi.”

“Et ce n’est pas malin ?”

“Oh, bien sûr que si.”

Lady Magnolia agita la main. Elle vida sa tasse et la reposa sur la table.

“C’est un excellent postulat. Mais en ce cas précis, je pense que Miss Ryoka et moi-même… et même toi, Erin... sont du même côté.”

“Et quel côté est-… “

Erin se tourna vers Ressa. Ses mais n’avaient pas bougé, mais ses lèvres étaient agitées d’un tic. Erin fronça les sourcils.

“Quel côté est-ce ? C’est une bonne question !”

Ressa haussa les épaules, impassible. Lady Magnolia se frotta les yeux.

“J’imagine que oui ? Erin, nous sommes du côté de celles qui veulent la paix, la prospérité, et l’absence de monstres ou de guerres. Je pense que je peux me permettre d’établir ce fait.”

“C’est juste. Je suis de ce côté.”

Erin acquiesça avec réticence. Lady Magnolia acquiesça à son tour.

“La plupart des gens le sont, mais les problèmes surviennent lorsque des individus égoïstes placent leurs propres désirs au-dessus de cette cause. D’où les guerres intestines et les querelles mesquines que l’on retrouve à la fois chez les Drakéides et les Humains de ce continent, et, dans une moindre mesure, chez les Gnolls.”

Elle soupira.

“Nous perdons du temps et des ressources à nous entretuer alors que le véritable ennemi devient de plus en plus fort. Ah, si seulement les [Lords] et les [Ladies] de ce continent pouvaient voir ce que je vois. Mais bien sûr, certains le voient et d’autres ne font que prétendre le voir. La vision n’est pas héréditaire, j’en ai bien peur. Et l’opinion a plus de valeur.”

“Tu as donc peur que ces nobles causent des ennuis s’ils apprennent ce que nous - je - les gens de mon monde savons ?”

N’importe qui causerait des ennuis avec un tel savoir, Erin. N’importe qui. Mais certains seraient plus dangereux que d’autres, je l’admets.”

Erin fronça les sourcils. Elle avait besoin d’un bloc-notes, ou de quelque chose pour écrire pour tout déchiffrer. Mais elle fit de son mieux.

“Permets-moi de résumer. Tu as trouvé Ryoka, et compris qu’elle venait d’un autre monde.”

“Qu’elle venait possiblement d’un autre monde. J’avais d’autres soupçons au début.”

“D’accord, mais tu l’as trouvée et tu as trouvé les autres. Et quand tu as compris que nous savions tous des trucs nuls…”

Lady Magnolia grimaça au choix des mots d’Erin. Erin la fusilla du regard.

“... Tu as décidé de tous nous garder enfermés ici pour qu’on ne cause pas d’ennuis. Mais tu me laisses m’en aller ?”

“Parce que tu n’es pas aussi irréfléchie que le reste, et de plus, parce que je crois que tu feras plus de bien dehors que derrière un verrou.”

“Et Ryoka ?”

“Pareil, même si ma vie serait tellement plus simple si elle consentait à m’aider.”

“Pour que tu puisses créer des armes à feu ?”

“Non.”

Lady Magnolia répondit d’un ton sans timbre. Elle plongea son regard dans celui d’Erin.

“Je ne créerai jamais ces armes. Sauf si quelqu’un en a déjà tellement produit qu’elles sont devenues monnaie courante.”

“Pourquoi ?”

“¨Pour un millier de raisons, parmi lesquelles le fait que cela détruirait ce monde. Ryoka le sait, ce qui est la raison pour laquelle elle m’a soigneusement évitée de peur que je n’utilise de telles armes.”

Erin hocha la tête. C’était ce que Ryoka avait dit, plus ou moins, et elle pensait donc pouvoir croire Lady Magnolia sur ce point.

“Et où se trouve Ryoka ?”

La femme hésita. Elle regarda fixement Erin, puis secoua la tête.

“Si elle ne te l’a pas dit, j’honorerai sa discrétion de Coursière. Je m’inquiète pour elle, bien sûr, mais nous devons faire des paris, et j’aime assez l’idée de jeter les dés, surtout si mon dé est Ryoka Griffin.”

“Tu paries sur sa vie ?”

Lady Magnolia parut insultée qu’Erin ait l’air mécontente.

“Bien sûr. Toutes les personnes d’importance et de pouvoir du continent sont des joueurs qui parient sur les enjeux les plus élevés, Erin Solstice. Sauf la Grande Reine des Antiniums. J’ai bien peur qu’elle ne prenne que les paris sûrs avec des risques acceptables. Mais jusqu’à ce que je sois certaine de ne jouer que contre elle, je dois me résigner à l’incertitude. Et pour minimiser ce risque, je considère qu’il est important d’apprendre à connaître les gens.”

“Comme moi.”

“Si tu veux. À présent, permets-moi de te rassurer sur certains points. Je ne mettrai pas les autres jeunes gens de ton monde en danger… sans raison. Je ne partagerai pas non plus leurs dangereux secrets, sauf bien sûr s’il s’agit de quoi que ce soit de ton monde qui ait vraiment de la valeur et qui puisse être utilisé dans celui-ci. J’aimerais beaucoup goûter une pizza et un hamburger, tu sais. Tu pourrais peut-être laisser la recette à mon [Chef] avant de partir ?”

“Hum…”

“Je ne souhaite également pas vous gêner, Ryoka et toi, de quelque manière que ce soit. Je ne désire que votre coopération et peut-être votre aide. Ou plutôt, je désire la coopération et l’aide de Ryoka, mais je vais t’inclure aussi.”

“Pour faire quoi, exactement ? Rendre le monde meilleur ?”

“Si tu pouvais faire ça, je t’en serais très reconnaissante. Non… pour m’aider à vaincre l’unique ennemi qui menace réellement ce continent. Les Antiniums.”

Le cerveau d’Erin se figea à ces mots. Elle s’éclaircit la gorge, en se disant qu’elle aurait dû prendre une autre tasse de thé, et prit la parole.

“Les Antiniums… ne sont pas tes ennemis.”

Lady Magnolia leva un doigt en l’air.

“Quelques Antiniums de ta connaissance ne sont peut-être pas mon ennemi. Mais le reste, si. En effet, si leur Reine le leur ordonnait, je ne parierais vraiment pas qu’ils ne te trancheraient pas en morceaux.”

Erin déglutit.

“Pion et Klbkch ne feraient pas ça.”

Lady Magnolia haussa un sourcil incrédule.

“Vraiment ? À quel point connais-tu les Antiniums ? À quel point connais-tu le passé de Klbkch le Tueur ?”

Klbkch le Tueur ? Erin n’avait jamais entendu ce titre. Elle ouvrit la bouche, mais la femme la fit taire d’un geste de la main.

“Je suis Lady Magnolia Reinhart. Je n’ai pas d’ennemis sur ce continent, à ce que l’on dit. Et pourtant, je considère les Reines Antiniumes comme mes pires ennemies. Penses-y un instant, et, pitié, réfléchis avant de répondre.”

Erin ouvrit la bouche, hésita, fusilla Ressa du regard, puis réfléchit. Magnolia l’observa, non pas sans sympathie.

“Les Antiniums se battent de manière très similaire aux soldats de ton monde, si j’ai bien compris.”

Erin cligna des yeux. Lady Magnolia sourit et s’expliqua.

“Je veux dire qu’ils se battent en considérant que tous leurs soldats sont égaux. Ils entraînent leurs guerriers pour qu’ils soient excellents, mais aucun individu n’est meilleur qu’un autre dans leur doctrine. La raison pour cela est que les Antiniums ne gagnent pas de niveaux. Mais les autres armées se battent différemment.”

Lady Magnolia leva sa tasse, laissa Ressa la lui remplir et but une petite gorgée avant re reprendre. Erin vit Ressa jeter un regard à sa maîtresse, et quelque chose passa sur le visage de la servante. On aurait presque dit… de l’inquiétude ?

“En ce monde, un individu peut changer le cours d’une bataille. Un héros peur gagner une guerre à lui seul. Et c’est parce que nous gagnons des niveaux. Les armées protègent leurs guerriers de plus haut niveau, ou prennent le risque de les mettre en danger pour qu’ils fassent des dégâts dans les forces ennemies. Mais une centaine de [Soldats] niveau 15 ne valent pas la vie d’une unique [Avant-Garde] Niveau 30. Nous sacrifions donc le nombre pour le bien de quelques individus, de manière qu’ils puissent devenir encore plus forts. Voilà ce qui différencie nos deux mondes.”

Erin essaya de se le visualiser. Ce n’était pas si difficile que ça, d’ailleurs. C’était comme… des superhéros. Ils pouvaient combattre des armées entières à eux seuls, et c’était un peu comme des guerriers de haut niveau, pas vrai ? Lady Magnolia hocha la tête.

“À présent, réfléchis à ceci. Que se passerait-il si la technologie de ton monde se retrouvait entre les mains des Antiniums ? Ou plutôt, leurs palpes ?”

Erin tenta de visualiser l’image. Son cœur se serra.

“Des armes de guerres. Les tanks, vos avions volants, et, bien sûr, les “bombes”. Des armes terribles qui ne nécessitent pas de niveaux pour être utilisées. Et encore pire, les armes à feu. Des armes avec une portée exceptionnelle, capables de tirer plus vite qu’une arbalète à répétition lorsqu’elles sont correctement fabriquées. De telles armes permettrait à des enfants d’abattre même le plus grand des guerriers. Toutes les races s’arracheraient cette technologie et s’en serviraient pour tuer, mais ce sont les Antiniums qui en bénéficieraient le plus. C’est la raison pour laquelle cette technologie ne doit pas advenir dans ce monde.”

Là encore, Erin leva la main. Elle la baissa en voyant Magnolia la regarder fixement.

“Hum, mais alors pourquoi ne décides-tu pas de simplement utiliser un pistolet ou autre et de ne pas partager son mode de fabrication ?”

“À part le fait évident que n’importe quelle arme peut être utilisée contre sa propriétaire, j’ai pu constater par le passé que rien ne restait secret très longtemps. Dès l’instant où l’on utilisera une arme, elle sera copiée un millier de fois. N’as-tu jamais constaté ce phénomène ?”

Erin songea aux hamburgers et ne put rien répondre. Lady Magnolia soupira de nouveau.

“Si ces ‘armes à feu’ devaient devenir monnaie courante, deux groupes bénéficieraient le plus de leur usage. En moins de dix ans, la Maison de Minos céderait sous les coups de son ancien ennemi et les Antiniums balaieraient le continent.”

Un autre silence.

“Si les choses étaient différentes, et si j’étais moins prudente, je pourrais même songer à produire moi-même ces appareils, qu’importe le risque, pour m’occuper des Antiniums. Avec ces armes, je pourrais créer une armée capable de tuer des Dragons, une force qui humilierait même Flos sur un champ de bataille. Mais je suis un peu plus sage que cela. Avant même que je ne vainque les Antiniums - et cela n’est pas entièrement gagné d’avance - le monde entier serait armé de cette manière, et nous raserions des cités et des espèces entières avant que ne se termine le bain de sang. Non.”

Erin resta silencieuse un moment. Elle ne savait pas quoi penser de Lady Magnolia. Cette dernière sirota son thé en silence en observant Erin. Enfin, Erin leva les yeux.

“Je ne pense toujours pas qu’ils soient vos ennemis. Les Antiniums, je veux dire.”

“Tu ne connais pas leur histoire. Tu n’as pas vu ce dont ils sont capables.”

“Tuer des gens ? Mais les Humains font ça aussi.”

“Et nous sommes une espèce monstrueuse. Mais les Antiniums sont malheureusement plus doués pour tuer que nous, et leurs Reines ont déjà essayé d’éliminer toutes les espèces vivantes de ce continent par le passé. Réfléchis, Erin. Même en temps de guerre, les [Lords] et les [Généraux] épargnent souvent les civils. C’est une règle d’honneur pragmatique. Les [Soldats] eux-mêmes n’apprécient pas ce niveau de violence, et les rares responsables de massacres sont condamnés par toutes les nations.”

Elle leva un doigt en l’air.

“Mais les Antiniums nous ont combattus de cette manière dès le début. Ils ne laissent aucun survivant. Et de plus, ils n’établissent jamais de paix permanente. Je crois qu’ils se contentent d’attendre depuis la dernière Guerre Antiniume, réunissant des forces pour la dernière guerre lors de laquelle ils vaincront et nous massacreront tous jusqu’au dernier.”

Erin ne pouvait pas y croire. Klbkch, faire ce genre de chose ? Mais… elle l’avait vu tuer des Gobelins, une fois. Et pourtant Pion…

“Je ne parle pas des individus, mais de leurs Reines. Elles sont sans cœur et n’ont cure des autres espèces. Si tu ne crois pas les Antiniums que tu connais capables de ça, crois-moi sur ce point.”

Erin en était capable. Elle se souvenait de la Reine, et de sa froideur en parlant de Klbkch, son sujet.

“Alors, c’est ça, ta raison ? Tu es en guerre et tu veux notre aide ?”

“... Si tu veux le dire comme ça, oui. Ou plutôt, j’espère simplement que vous n’aggraverez pas les choses. Je ne m’attends pas à grand-chose de ta part.”

“Hey, c’est… !”

“Juste.”

Erin ouvrit la bouche. Lady Magnolia la dévisagea. Erin referma la bouche.

“Erin Solstice. Une jeune femme qui traite les Gobelins comme des égaux et enseigne aux Antiniums à devenir des individus. Cela fait de toi quelqu’un d’extraordinaire, mais ne permettra pas de gagner la guerre.”

Lady Magnolia tapota ses doigts sur sa cuisse.

“Je n’aimerais rien de plus que les Antiniums ne deviennent tous des individus. Cela signifierait qu’ils sont des gens, et les gens peuvent être manipulés, flattés, achetés, intimidés, ou menacés. Un essaim se contente de tout dévorer sur son passage. Mais cela ne se produira pas, parce que la Reine de Liscor a beau être une visionnaire, le reste des Reines et la Grande Reine n’ont pas les mêmes idéaux qu’elle. Non, cela ne changera pas ce qui doit se produire.”

“C’est-à-dire ?”

“La guerre. Et pas une simple guerre. Une guerre mondiale, comme ce dont me parlaient ton peuple.”

Lady Magnolia était calme. Elle regarda le soleil couchant par la fenêtre.

“Peut-être qu’elle ne commencera pas sur ce continent, mais elle arrivera bientôt. L’idée flotte déjà dans les airs, se murmure d’oreille en oreille.”

Erin sentit un frisson glacé la parcourir.

“Comment le sais-tu ?”

“Les murmures. Les Îles de Minos se sont refermées. Peut-être à cause d’un voyageur d’un autre monde ? Leurs ports sont interdit à tous les vaisseaux sauf les leurs, et tous les espions que j’ai implantés dans leur royaume se sont tus. Un Seigneur Gobelin a émergé au sud, et si un Roi décidait de se déchaîner de nouveau, nous risquons tous de tomber sous les coups de la plus jeune espèce avant que les Antiniums ne décident de mener leur attaque.”

Lady Magnolia commença à faire une liste sur ses doigts.

“Az’Kerash est en train de bâtir une armée de morts, et je prie simplement pour que nous réussissions à l’arrêter. J’enverrais bien des héros le combattra avant qu’il ne déchaîne sa folie, mais ils se font rares. Les Antiniums et lui sont deux de nos ennemis majeurs, bien que l’un soit beaucoup plus dangereux que l’autre. Un individu versus un essaim, vois-tu ? Et puis il y a aussi les fous dangereux chez les Drakéides et les Humains, qui démarreraient un feu pour une brindille. Flos par en conquête, et il est peut-être le moins dangereux de tous. Lui au moins désire créer un royaume plutôt que tout détruire. Et tout ceci est en train de se produire à cause de ton peuple, Erin Solstice.”

La pièce avait l’air plus sombre tout à coup, et le soleil couchant n’en était pas la seule raison. Erin tenta de déglutir, mais sa bouche était sèche.

“Mon peuple ?”

“Nous étions en paix avant votre arrivée, Erin Solstice. Une paix factice, déchirée et pleine de batailles mesquines et de querelles, certes, mais une paix tout de même. Le monde était lentement en train de guérir, mais, trop vite, la paix forgée dans le papier éclatera comme une vieille croûte et la guerre ravagera de nouveau les peuples et leurs terres.”

Lady Magnolia s’interrompit. Le voile autour d’elle se leva, et elle tourna la tête.

“Mmh. C’était pas mal, n’est-ce pas Ressa ? Il faudra que je le rappelle à Teriarch la prochaine fois qu’on se verra. Tu veux bien le noter ?”

“Oui, milady.”

Magnolia se tourna de nouveau vers Erin.

“Je ne veux pas paraître complètement dénuée d’espoir. Il y a des menaces, certes, mais j’espère que les préparations que j’ai faites nous protégerons de certaines d’entre elles. Ce continent est puissant, et j’ai fait de mon mieux pour m’assurer que le nord était plus fort qu’avant. Mais voilà la vérité. La guerre approche. Et vous autres voyageurs êtes empêtrés dedans.”

Erin tenta de respirer mais peina à le faire. Tout paraissait si énorme lorsque Magnolia présentait les choses ainsi.

“Que devons-nous faire, alors ? Je veux dire, est-ce que je peux… ?”

“Rien. Tu peux aider ceux qui viennent à ton auberge, et peut-être que cela changera des choses. Mais à moins que tu ne connaisses une technologie capable de sauver des vies… ? Les jeunes parlent d’un certain nombre de choses curieuses, mais ils restent terriblement vagues sur les détails. Je continuerai de les questionner à ce sujet, toutefois.”

Erin secoua la tête.

“Je ne pense toujours pas qu’il soit une bonne chose de les garder enfermés ici.”

“Et que veux-tu que je fasse ? Que je les relâche ?”

Magnolia fronça les sourcils .Erin haussa les épaules.

“Peut-être pas, mais ils ne sont pas aussi stupides que tu ne le crois.”

“Les imbéciles le sont rarement. Mais ils sont irréfléchis, ce qui est pire. Que peuvent-ils faire qui ne créerait pas davantage de problèmes ?”

“Je ne sais pas. Mais accorde-leur une chance.”

Magnolia marqua une pause en sirotant sa tasse.

“Une chance ? En tant que quoi, aventuriers ?”

“Peut-être. Mais donne-leur simplement une chance de faire quelque chose plutôt que de les enfermer et les laisser être inutiles.”

Erin tenta d’expliquer son point de vue.

“J’ai cette horrible… cette fille, à mon auberge. Elle crée vraiment beaucoup, beaucoup d’ennuis, mais si je la laissais tranquille, elle mourrait.”

“Ah. Lyonette de Marquin. Une fille affreuse. Je ne suis pas certaine que tu devrais t’appuyer sur son exemple.”

“Tu la connais ? Je veux dire, elle a dit qu’elle te connaissait…”

“Je suis sûre qu’elle a dit ça.”

Lady Magnolia grimaça comme si son thé était soudain devenu immonde. Erin se tourna et vit Ressa afficher une expression de dégoût similaire, qui disparut dès qu’elle remarqua qu’Erin la regardait.

“Elle dit qu’elle est quelqu’un de très important et que tu vas l’accueillir. Mais le [Majordome], désolée, je veux dire, Reynold - ne voulait pas la laisser venir avec moi.”

Magnolia soupira en remuant son thé avec une cuillère en argent.

“Elle est certainement… importante, mais j’ai bien peur qu’elle ne surestime sa valeur. Elle m’a écrit nombre de lettres virulentes exigeant que je lui offre l’hospitalité de ma maison. Je n’en ai pas envie.”

“Mais elle a failli mourir seule ! Elle s’est fait exiler et serait morte de froid si je ne l’avais pas trouvée !”

“Dommage.”

Le cœur d’Erin se tut dans sa poitrine un instant. Elle étudia Lady Magnolia.

“Ce n’est pas parce que quelqu’un est vraiment… vraiment agaçant qu’il mérite de mourir.”

“Cela ne signifie pas non plus que je devrais gaspiller du temps et des ressources pour les sauver.”

“Mais cela signifie que tu les tues si tu ne les aides pas. C’est mal.”

Un soupir. Erin serra les dents lorsque Magnolia leva les yeux sur elle.

“Et s’ils représentent un danger ? Et si les tuer permettrait de sauver des milliers de vies ? Ne serait-pas pas alors le choix moral le plus correct ?”

Erin était de plus en plus en colère. Magnolia était… enfin, elle n’était pas une mauvaise personne. Peut-être. Mais elle commençait à sérieusement agacer Erin.

“Ce n’est pas à toi de le décider. Dieu… les dieux savent tout, donc j’imagine que s’ils existaient, ils seraient en mesure de dire si c’est bien ou mal. Mais les dieux sont morts. Tout le monde me le dit. Donc personne ne peut décider si ce genre de chose est moral. Tu peux tuer tous les gens que tu veux, mais tu ne peux pas dire que c’était la bonne chose à faire.”

“D’accord, alors. J’ai choisi de laisser Lyonette mourir. Je ne le regrette pas, pas plus que je ne regrette d’avoir confiné le reste des gens de ton monde. Je ne peux pas les relâcher dans la nature parce qu’ils y mourraient, et je ne prendrai pas le risque de les laisser diffuser des informations dangereuses, ce qu’ils font avec beaucoup trop de désinvolture. Mais ils épuisent largement mes ressources.”

“Et alors ? Tu leur as proposé de les accueillir.”

“Pour leur sauver la vie. Mais je vais peut-être finir par décider de les enfermer dans une maison et leur jeter des sacs de grains plutôt que de les garder ici. Ils ne sont pas à la hauteur de cette maison, des gens qui doivent les supporter. Ils mangent, se disputent, parlent de jeu et rient des monstres comme s’ils n’étaient pas dangereux, et parlent de liberté à mes serviteurs comme s’ils étaient des esclaves.”

“Ils font ça ? Je veux dire, vraiment ?”

Lady Magnolia fronça les sourcils.

“L’une d’eux, au moins. Elle ne paraît pas comprendre la différence entre employer une famille volontaire et les forcer à travailler.”

“Je suis navrée s’ils ont offensé qui que ce soit. Mais…”

“Je vais leur accorder une chance, qu’ils ne méritent sans doute pas. Assez. Il se fait tard, et je souhaite bien te faire comprendre une chose, Erin Solstice.”

“Qui est ?”

“Les chiffres. Ou plutôt… la valeur.”

Lady Magnolia reposa sa tasse et plongea son regard droit dans les yeux d’Erin.

“La plus petite Colonie Antiniume - celle sous Liscor - contient au moins trois mille Antinium à chaque instant. Davantage, en ce moment. Au moins deux mille Ouvriers et mille Soldats sont prêts à partir en guerre à tout moment ; j’estime qu’il y en a au moins mille de plus dans leur Colonie. Et c’est la plus petite des six Colonies, si elles ne sont bien que six. Les autres sont plus grandes, d’un facteur impossible à mesurer.”

Les chiffres firent vaciller Erin. Trois… non, quatre mille Antiniums ? Pourquoi n’avaient-ils pas aidé lorsqu’Écorcheur avait attaqué ? Mais Lady Magnolia n’en avait pas terminé. Elle pointa Erin du doigt.

“Tu vaux deux Soldats Antiniums lors d’une bataille. Ryoka - avec des artefacts, j’imagine qu’elle pourrait en vaincre une douzaine. Deux douzaines. Mais j’en doute sérieusement.”

Elle secoua la tête.

“Tu as beau être dangereuse, tu as beau être unique, tu ne restes qu’une Humaine, seule. Mais j’ai besoin d’une armée. Je cherche des héros. J’ai des enfants, brillantes et munies d’un panel d’armes qui feraient trembler la terre - sans que je puisse en utiliser une seule sans qu’elles ne soient utilisées contre moi dans le futur. Ryoka Griffin et toi êtes extraordinaires, chacune à votre façon, mais vous êtes encore jeune. Et petites.”

Magnolia regarda par la fenêtre.

“Je vais espérer que vous releviez les défis auxquels vous serez confrontées. Si je peux vous aider à encourager la croissance ou à m’aider moi, je le ferai. Mais je joue ici à un jeu contre des titans, et je ne suis qu’une petite Humaine.”

Erin ne savait pas quoi répondre. Magnolia avait l’air grande et petite à la fois - une géante, de par sa propre volonté, emplie de plus de force que qui que ce soit d’autre qu’Erin ait jamais rencontré - mais encore trop petite face aux choses dont elle parlait.

“Si tu en es capable, j’espère que tu persuaderas Miss Ryoka de me rendre visite. J’ai besoin de toute l’aide qu’elle pourra me donner ; tout ce dont elle peut se souvenir. Ces nouvelles potions de défense et les créations alchimiques qu’elle a créées pour moins cher sauveront de nombreuses vies, sur le long terme. Mais convaincre suffisamment de paysans de faire pousser des piments disque d’être compliqué. Les bouteilles sont chères, elles aussi, mais s’il est possible de les transformer en vaporisateur comme me l’assure la jeune Rose…”

Magnolia soupira, et dévisagea Erin.

“Ce qui me ramène à toi. Toi, Erin Solstice, la fille aux nombreux étranges talents. Tu es douée, et tu es intelligente derrière toutes ces bizarreries, mais tu ne fais qu’entretenir une petite auberge et ne fais que peu de choses de tes talents. Est-ce que tu ne feras jamais rien d’autre ?  Est-ce cela que tu souhaites faire en ce monde, Miss Erin Solstice? Est-ce que tu veux rentrer chez toi, dans ton monde ? À moins que tu ne souhaites rester ici ? Ce monde est empli de merveilles, mais je suis certaine que le tien en contient tout autant.”

Ses yeux transpercèrent ceux d’Erin, sans ciller, et la voix de Lady Magnolia semblait être la seule chose présente en ce monde. Erin ne put détourner les yeux sous les coups répétés de ses questions.

“Vas-tu protéger ce monde ? Le sauver ? Est-ce que tu souhaites simplement vivre en paix ? À moins que tu ne cherches à le détruire ? Y accordes-tu seulement la moindre importance ?”

Erin ouvrit la bouche, mais Lady Magnolia la fit taire.

“Je ne crois pas que tu aies une réponse qui ne me donne pas envie de te jeter quelque chose.”

“Si.”

“Vraiment ? Cette théière est plutôt lourde et relativement chère. Je détesterais devoir la gaspiller.”

“Je veux protéger les gens autour de moi. C’est tout. J’ai des amis. Je ne veux pas qu’ils meurent. Je veux les aider, et retrouver un jour le chemin du retour. Et vivre en paix. C’est tout.”

Lady Magnolia contempla Erin pendant un long moment.

“Humph. Très bien, au moins, tu n’as pas de rêves ridicules. En ce cas, Erin Solstice, cette conversation a beau eu être à la fois délicieuse et agaçante, il me semble qu’il ne me reste qu’une chose à faire de toi.”

Erin se tendit. Ressa était allée se placer derrière Magnolia, mais elle était rapide.

“Et qu’est-ce donc ?”

Lady Magnolia sourit.

“Te ramener chez toi.”



***




Un petit groupe se rassembla autour du carrosse. Reynold tint la porte ouverte pour qu’Erin puisse monter, et la fille réalisa que Joseph et Rose la regardaient par la fenêtre. Et essayait de lui crier quelque chose, apparemment.

Elle avait voulu aller leur dire quelque chose, mais Lady Magnolia avait mis son veto. Elle avait prétendu qu’elle n’avait aucune envie d’entendre encore une centaine de plaintes et de plus, Erin n’avait rien à dire aux autres qu’ils ne soient pas sur le point d’apprendre.

Erin avait acquiescé en silence, mais elle fusilla tout de même Lady Magnolia du regard en entrant dans le carrosse. Elle était relativement certaine de ne pas apprécier la [Lady], mais en public au moins, Lady Magnolia était tout sourire.

“Reynold te raccompagnera saine et sauve à ton auberge. J’ai également pris la liberté d’envoyer un repas avec toi, comme j’ai honteusement négligé d’être une bonne hôtesse. Prends soin de toi, je te prie.”

“... Merci.”

La porte commença à se refermer, mais une main fine s’interposa avant qu’elle ne puisse se fermer. Erin se demanda ce qu’il se passerait si elle claquait la porte, mais Magnolia l’ouvrit. Elle baissa la voix pour qu’Erin soit la seule à pouvoir l’entendre.

“Oh, et je voulais te dire, Erin. Bien que je loue ton désir de protéger ceux qui t’entoure, je pense que tu t’apercevras rapidement que cela signifie changer le monde dans son ensemble. Donc ma question demeure : que vas-tu faire ? Est-ce que tu vas essayer de sauver notre monde, ou attendras-tu que d’autres le fassent pour toi ?”

Erin dévisagea Magnolia. Cette dernière souriait.

“Si je te colle un pain, est-ce que Ressa me tuera ?”

Le sourire de Magnolia s’élargit.

“Très probablement. Je t’en prie, tourmente-toi sur ton avenir pendant le trajet du retour. Au revoir.”

La porte se referma. Reynold attendit que Magnolia se soit écartée, puis fit claquer les rênes. Le carrosse se mit à s’éloigner prestement, et Erin se réadossa.

“Je pense que je la déteste vraiment.”

Lady Magnolia. Elle était comme un ouragan piégé dans une bouteille à l’intérieur d’une tornade dans une machine à laver. Elle n’était qu’action, et à la seule pensée de ce qu’elle avait appris, Erin voulait vomir ses pensées.

Et elle était tellement certaine d’avoir raison. Elle avait lu en Erin comme dans un livre ouvert. Ou peut-être…

Erin se tourna et lança un regard noir à travers la fenêtre, où le manoir de Lady Magnolia disparaissait au loin. Elle avait une petite pensée qui lui trottait dans la tête.

Peut-être… qu’elle était vraiment une bonne personne. Une [Lady] riche qui essayait de sauver le monde toute seule.

Probablement pas. Elle restait une harpie. Mais tout ce qu’elle lui avait dit…

Dehors, le monde devint flou à mesure qu’Erin accélérait, loin de la maison de Lady Magnolia, pour rentrer chez elle. Les pensées volaient sous le crâne d’Erin, et parmi celles-ci se trouvait l’idée que Magnolia avait mis suffisamment de nourriture dans le carrosse pour nourrir Reynold et elle pendant une semaine. Mais ce n’était pas aussi important que tout ce qu’elle avait appris.

Tellement de choses. La guerre ? Les Antiniums ? Est-ce qu’ils représentaient vraiment la plus grosse menace ? Est-ce qu’elle pouvait faire confiance à Magnolia ?

Erin voulait désespérément en parler à Ryoka. Mais sans personne à qui en parler - à part Reynold, et il ne pouvait vraiment pas l’aider avec ça - Erin se mit à dériver. Son esprit se mit à faire des boucles, et seules quelques pensées revenaient inlassablement.

Qu’avait dit Magnolia ? Choisis. Erin pensait avoir la réponse, mais la guerre ? Elle ne pouvait même pas imaginer…

Que devait-elle faire ?



Vivre seule.

Sauver le monde.

S’enfuir.

Demander de l’aide.

Vivre en paix.

Se battre pour la liberté.

Apporter la démocratie.

Protéger ses secrets.

Rentrer chez elle.

Sauver le monde.

Protéger ses amis.

Sauver le monde.

Abandonner.

Sauver le monde.

Sauver le monde.

Sauver.

Le.

Monde.

 
Maroti
   
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Livre 2
Interlude
Partie 1
Traduit par Maroti

Après le départ d’Erin, Lady Magnolia et Ressa se retirèrent dans une salle personnelle. Lady Magnolia prouva ses talents de [Lady] en ne semblant pas entendre les appels des jeunes hommes et femmes essayant d’attirer son attention. Ses servantes et un regard de Ressa lui permit de se rendre jusqu’au escalier sans être dérangée.

La vérité était que, même si Joseph et les autres étaient furieux, ils n’osaient pas crier en la présence de Magnolia. Et ils ne pouvaient pas s’imposer en poussant les servantes polies qui les empêcher de passer. Ils étaient retenus par la présence même de Lady Magnolia.

C’est un talent et une Compétence, et Lady Magnolia maîtrisait les deux. Elle laissa Ressa fermer la porte et étouffer les dernières protestations indignées, avant de soupirer.

Même cela fut distingué. Lady Magnolia était connue à travers l’intégralité du continent, du moins par les humains. Tous les Drakéides et Gnolls qui prêtaient attention à ce que les Humains faisaient la connaissaient, mais les Humains étaient en majorité identiques aux Gnolls et aux Drakéides. Mais ceux qui connaissaient Lady Magnolia savait qu’elle était une [Lady]. Constamment distinguée et polie.

Et dans sa salle, loin des yeux du monde, Magnolia ne restait pas moins distingué. Son dialecte ne changeait pas, même en privée. Elle était élégante, intelligente, délibérée, restant respectueuse envers tous ceux qui…

« Ah. Ressa je suis épuisé. Penses-tu que nous étions aussi impudents et agaçants lorsque nous étions enfants ? »

… C’était ce que les gens croyaient. La vérité était différente. Lady Magnolia se laissa presque tomber sur son canapé. Elle s’empara d’une tasse de thé, la vida, la remplit de nouveau, et la vida une nouvelle fois.

Ressa regarda sa maîtresse et amie d’enfance d’un œil désapprobateur. Comme toute bonne servante, elle n’avait rien dit en la présence d’Erin Solstice, mais elle avait déjà vocalisé de nombreuse fois son avis sur le thé que Magnolia buvait.

Du thé à la framboise. C’était délicieux, et même bon pour la santé, et la majorité des gens l’appréciaient. Mais dans ce cas, il avait été tellement sucré que la boisson en était presque devenue empoisonnée. Magnolia la buvait comme de l’eau, autant pour la caféine que pour la sensation du sucre dans ses veines.

« Elle avait de la fougue. »

« De la fougue ? Hah ! J’ai rencontré des Minotaures moins de culot. Mais tout de même, je pense que tout s’est déroulé pour le mieux. »

Ressa haussa les épaules. Elle éloigna habilement un pot rempli à ras bord de sucre de Lady Magnolia. L’autre femme fronça les sourcils, mais n’essaya pas de le récupérer.

« Je pense qu’Erin Solstice retournera à son auberge en toute sécurité. »

« Oh, je le pense aussi. Il n’y a pas de nouvelle mentionnant des bandits sur les routes, pas de présence de monstres, Reynold est là, et si le pire arrive, elle est une jeune femme pleine de ressource. Je t’ai déjà mentionné ses compétences de combats, n’est-ce pas ? Et elle possède [Lancer Infaillible]. Une puissante compétence entre les bonnes-mains. »

« En effet, milady. »

« Arrête ça. »

Lady Magnolia envoya un regard faussement moqueur à Ressa alors que la servante commença à inspecter la pièce à la recherche de terre, poussière, ou manquement de la part de la servante qui avait nettoyé la pièce. Magnolia se redressa sur son canapé et regarda le plafond.

« Seuls les dieux peuvent décider ce qui est bien ou mal ? Une grande conviction. Cela me rappelle notre jeunesse, n’est-ce pas ? »

Ressa haussa légèrement les épaules. Elle agissait de manière bien moins formelle avec sa maîtresse en l’absence de compagnie, mais elle était toujours diligente envers son devoir. Elle souleva un pot et vit que sa base était impeccable.

« Si mes souvenirs sont bons, tu étais encore plus effrénée lors de ta jeunesse, Magnolia. »

« Tout comme toi. Ai-je besoin de te rappeler l’incident du silo à céréales ? »

Ressa ne répondit pas. Magnolia soupira bruyamment. C’était difficile de taquiner Ressa. Soit-elle ne répondait pas, soit elle te frappait en réponse. C’était une défaite dans les deux cas.

« Penses-tu que j’ai été trop dur envers cette fille ? J’ai placé un terrible fardeau sur ses épaules. »

« Je crois qu’elle sera capable de le supporter. »

Ressa prononça ses mots en ouvrant un tiroir. Elle regarda Lady Magnolia.

« Sais-tu que je me suis surpris à discuter avec elle quelques minutes après notre rencontre. Et elle est parvenue à se lier d’amitié avec Reynold lors de leur trajet. »

« Je l’ai remarqué. C’est un talent précieux, et sûrement la raison pour laquelle elle a survécu toute seule. »

Magnolia hocha la tête et s’étira sur le canapé comme un chat. Elle leva les pieds, et Ressa les regarda en plissant les yeux. Ils étaient sur le canapé.

« Cela prouve ce que je disais plus tôt. Les jokers sont bien plus pratiques quand le deck ne t’es pas favorable. Je m’attends à ce qu’elle cause de nombreux problèmes à la Reine de Liscor, ainsi que pour la délégation d’Antinium qui se dirige furtivement vers la ville. »

« En effet. »

Ressa poussa les pieds de Magnolia du canapé d’un mouvement décontracté. La [Lady] du manoir regarda sa servante.

« Ce canapé m’appartiens, tu sais. »

« Il n’est pas enchanté et tu as tendance à donner des coups de pied. Utilise l’autre canapé si tu souhaites t’allonger. Je ne vais pas te laisser causer des centaines de pièces d’or de dégâts. »

Lady Magnolia grommela, mais se rassit.

« Qu’est-il arrivé à celui qui était là avant ? »

« Tu as renversé de la nourriture dessus. Il est en train d’être nettoyé. »

« Ah. Je suppose que nous aurions dû engager un enchanteur pour éviter ce genre de tâche. »

« Il est déjà enchanté contre les tâches. Les servantes sont en train d’essayer de retirer toute la nourriture. »

« Oh. »

Après un instant de silence, l’atmosphère conviviale et bavarde s’en alla. Lady Magnolia soupira et se leva, et Ressa savait qu’elle était de nouveau en train de travailler. Ses pauses n’étaient jamais longues.

« Maintenant que notre invité est parti, dit moi ce qu’il y a à savoir sur le Seigneur des Gobelins. Personne ne s’est assez approché pour me donner une description, mais les rapports précisant que des Gobelins morts font partie de son armée son perturbant. Il doit être puissant pour avoir vaincu Zel Shivertail. »

Ressa hocha la tête. Elle ferma les yeux, et parla en se remémorant.

« Les [Scouts] rapportent que son armée est équivalente à l’armée d’une Ville Emmurées. Son armée possède plus d’une centaine d’Hobgobelin et au moins dix [Mages] ou [Shamans]. »

« Il est déjà si puissant ? »

Lady Magnolia grimaça. Ressa hocha la tête.

« D’autres détails sont en train d’arriver et nous en saurons plus après que Shivertail retourne dans une ville pour faire son rapport. »

« Mais aucun de nos mages ont trouvé quelque chose ? Les [Scouts] ? »

« Ils ne peuvent pas s’approcher et les mages n’arrivent pas à repérer leur location avec précision. Les rares qui savent [Scruter] ne connaisse pas son nom. »

« Et Teriarch ? Il pourrait trouver n’importe qui s’il n’était pas si paresseux. »

« Il a… Ignoré nos messages. »

« Il est probablement en train de bouder. Je lui aie fait comprendre mon avis sur la ridicule livraison qu’il a donné à Ryoka. »

Lady Magnolia fronça les sourcils et soupira.

« Fort bien. Les villes Drakéides prendront cela avec sérieux en entendant le témoignage d’Illvriss et de Shivertail. Mais quand est-il des tribus Gobelines du nord ? Elles ont un chef, mais est-ce que les autres familles ont des informations ? »

Ressa hésita.

« Bien des aristocrates connaissent les dégâts causés par les Gobelins au sud, mais rien de plus. Seuls les espions de Lord Tyrion ont réalisé que les tribus du nord sont en mouvement, et ils ont rapporté qu’ils supposent que les tribus sont peut-être en train de s’organiser. »

Le visage de Magnolia en disant beaucoup sur ce qu’elle pensait de cette idée.

« Ils ‘supposent’ que les Gobelins sont en train de s’organiser ? Ressa, la prochaine fois que tu rencontres Lord Tyrion, fait moi plaisir et donne lui quelques tapes sur la tête. Si cela est tout ce que ses espions peuvent trouver, alors ils sont presque sans valeur. »

« Je le ferai si possible. »

Cela serait son plaisir, même si ses chances de poser la main sur Lord Tyrion étaient faibles. Magnolia soupira en mêlant ses doigts.

« Personne ne fait attention aux Gobelins sauf quand il est trop tard. »

« A l’exception de vous. »

Lady Magnolia rit.

« Oui, enfin, Teriarch m’a bien convaincu. C’est difficile de les ignorer quand tu connais la vérité, n’est-ce pas ? »

« En effet. »

« Bien, nous allons voir comment cela se termine. Le Seigneur des Gobelins n’est pas encore une menace à moins que toutes les tribus du nord ne le rejoignent d’un coup, et je doute que Garen Croc Rouge courbera aussi facilement l’échine. Mais cela nous présente une opportunité. »

Magnolia se releva et se dirigea vers une fenêtre. Ressa la suivit, remarquant une trace sur le verre et fronçant les sourcils. Lady Magnolia parla à la fenêtre alors que Ressa s’empara d’un chiffon et commença à frotter.

« Zel Shivertail est trop important pour être ignoré, mais sa défaite, même si elle venait après une incroyable victoire sur le Seigneur des Murailles Ilvriss, mènera forcement à une période de disgrâce alors que des imbéciles tentent de le rabaisser. C’est une honte de voir que les Drakéides sont aussi étroit d’esprit, mais c’est exactement ce que j’attendais. »

« Cela semble être le cas. »

Magnolia hocha lentement la tête. Elle regarda le soleil se coucher à travers sa fenêtre.

« Maintenant qu’il est disgracieux, ou qu’il le sera bientôt, c’est le moment opportun de le convaincre de venir au nord. J’aimerai simplement que cela soit aussi simple que de lui offrir des richesses ou du pouvoir. »

« Dois-je envoyer un message par [Courrier] ? »

« Non… Je crois que je vais lui envoyer un [Message]. Cela est trop important pour être subtil. Nous avons besoin d’un général du calibre de Zel Shivertail. »

Ressa hocha la tête pour agréer. Magnolia soupira.

« Et Ryoka ? Est-elle en vie, ou vais-je devoir dire à la jeune Erin que cela ne sera pas la peine d’attendre ? »

« Elle est en vie. »

« Parfait. Et quand est-ce qu’elle sera de retour… ? »

« Dans deux jours. Theofore l’a localisé. »

« Vraiment ? J’aurai pensé que les autres [Assassins] et [Scouts] auraient plus de chance. Mais peut-être qu’il comprend mieux Miss Griffin qu’eux. »

« Ou cela peut être de la chance. »

Lady Magnolia lui lança un regard. Le visage de Ressa était complètement dénué d’émotion.

« Rabat-joie pragmatique. »

« Si vous le dites, milady. »

« Assures toi qu’elle arrive à l’auberge saine et sauve. Elle doit survivre jusqu’à ce que j’ai la chance de lui parler, est-ce que cela est clair ? »

Ressa hésita. Elle regarda Magnolia pendant un moment, se demandant si elle devait rajouter ce détail.

« Elle est blessée. »

« Quoi ? »

Magnolia avait été en train de penser à autre chose, mais elle était désormais concentrée sur Ressa.

« A quel point ? »

« Theofore a rapporté qu’il lui manquait deux de ses doigts, et elle semble aller bien plus lentement qu’à son habitude. Et elle n’est pas seule. »

L’expression calme du visage de Magnolia disparut. Elle fronça les sourcils.

« Qui est avec elle ? Un survivant de l’attaque du Seigneur des Gobelins ? Les Esprits de l’Hiver ? Teriarch a dit qu’elles étaient attirées par elle, mais je pensais que c’était parce qu’elles aimaient tourmenter la fille. »

« Une enfant Gnolle. Theofore croit que Ryoka l’a sauvé. »

Lady Magnolia ferma les yeux, et commença à masser sa tempe.

« Bien sûr qu’elle l’a fait. Et elle a perdu ses doigts en le faisant, sans aucun doute. Elle n’est pas une bonne Coursière quand il s’agit de maîtriser ses émotions. Elle est bien trop compatissante. »

Les deux femmes regardèrent la fenêtre en silence pendant quelques instants. Magnolia mit un doigt à ses lèvres.

« Mais une enfant Gnolle… ? Il devait y avoir une tribu Gnoll dans les montagnes. »

« La Tribu des Lances de Pierre passait l’hiver dans cette région. Il est probable que Ryoka est croisé leur chemin. »

« Y-a-t-il des survivants ? »

« C’est possible. La moitié de la tribu campait alors que les guerriers et les mineurs voyageaient plus hauts dans la montagne à la recherche de minéraux précieux et de gemmes. Les [Scouts] et [Assassins] ont rapporté un grand nombre de Gnoll voyageant avec l’armée de Zel, ils ont peut-être été sauvés. »

Magnolia ferma de nouveau les yeux.

« Et les mineurs ? »

Ressa aurait aimé prétendre qu’elle ne le savait pas, mais personne ne pouvait mentir à Magnolia Reinhart. Elle parla doucement.

« L’une des [Assassins] les plus hauts-niveaux s’est faufilé parmi l’armée du Seigneur des Gobelins et a localisé la mine. Elle ne trouva pas de survivants. Il semblerait que les Gnolls aient été pris en embuscade et ai tué plus d’une centaine de Gobelins avant d’être emporté par le nombre de Gobelins. »

« Je vois. »

Plus de silence. Ressa continua.

« L’enfant Gnolle semble être inhabituelle. »

« Comment cela ? Est-ce qu’elle est blessée ? Si cela est le cas, fait que Theofore… »

« Non. Elle a une fourrure blanche. »

Magnolia regarda Ressa. Ses yeux étaient sérieux.

« Un Gnoll avec de la fourrure blanche. Cela n’est pas une coïncidence, Ressa. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? »

« Est-ce un présage particulier ? »

« Il faut demander à un [Shaman] Gnoll ou Teriarch. Ma mémoire est trouble. Mais oui, c’est en un. »

Lady Magnolia y réfléchit pendant plusieurs moments et soupira. Elle laissa retomber ses mains.

« Nous devons nous dépêcher. Tout se déroule trop rapidement. Si nous avions une autre année… Mais bien sûr que nous ne l’avons pas. Fort bien. Les Gobelins attendront un peu plus longtemps. Passons aux armées, je sais que l’armée de Lord Tyrion a affronté deux autres armées dans son accès de colère. As-tu le nombre de soldats qu’il a perdu ? »

« Très peu, d’après les rumeurs. Les témoins ont vu peu de corps après la bataille, donc il possible d’assumer qu’il a totalement écrasé ses ennemis. »

« Ce qui est naturel. Ses soldats sont splendidement équipés et entraînés. Ils sont sans égaux parmi les armées du nord. Un joyau étincelant qui à juste besoin des bonnes conditions pour devenir parfait. C’est fort dommage de savoir que ce n’est pas le cas de leur lord et leader. »

Magnolia soupira avant de sourire.

« Et quand est-il de notre petit projet, Ressa ? Où en sommes-nous ? »

Ressa hocha la tête.

« En retirant les villes-états et leurs armées ainsi que leurs vassaux et les forces disponibles aux autres lords et ladies… »

« Bien sûr. »

« … Alors, nous avons à l’instant la possibilité d’appeler deux mille individus avec des classes de combattant supérieur aux Niveau 20. Plus de six cents d’entre eux sont au-dessus du niveau 30. Six Aventuriers Légendaires et huit Compagnie de rang Or sont disponible, et nous avons au moins trois cent cinquante unités irrégulières à notre disposition. »

Le sourire de Magnolia se fit plus grand encore. Elle regarda Ressa, mais la jeune femme avait terminé. Magnolia demanda poliment à la servante de continuer.

« Et… ? »

Ressa soupira.

« Et une licorne. »

« Excellent. Alors, je crois que nous devrions envoyer une autre lettre à un certain [Stratège]. Si nous parvenons à obtenir les services de Zel Shivertail, alors nous allons avoir une armée sans défaut avec un général à la hauteur. Mais j’ai besoin d’une autre personne de la qualité de Zel Shivertail pour les rendre publics et commencer l’entraînement. »

Ressa soupira. Elle savait à qui Lady Magnolia faisait référence, mais elle pensait que sa maîtresse perdait son temps avec cet individu.

« Toutes les missives restent ignorées. »

Lady Magnolia agita sa main, comme si elle éloignait une mouche.

« Il ne peut pas continuer de m’ignorer. Envoyé quinze autres lettres à l’instant. Si nous continuons de la déranger alors il sera forcé de me parler. »

« C’est ce que vous dites, milady. »

Ressa murmura les mots, mais Magnolia n’était pas en train d’écouter. Elle est douée pour cela, un talent cultivé dés l’enfance. La [Lady] commença à poser d’autres questions, et Ressa continua de répondre.

De retour au travail. La visite d’Erin, même si remarquable, n’était qu’une petite partie des nombreuses choses que Magnolia Reinhart devait faire aujourd’hui. Ressa était tout aussi occupée. Elle devait organiser les servantes, nettoyer le bazar que les gens du monde d’Erin avait mis, parler aux espions et [Assassins] et trouver quelqu’un à blâmer pour cette tâche sur la fenêtre. Elle devait conspirer avec la femme la plus puissante du continent, organiser des gens, remplir des théières, servir le dîner…

Et bien sûr, des lettres à envoyer.





Dernière édition par Maroti le Lun 1 Fév 2021 - 19:49, édité 1 fois
 
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Livre 2
Interlude
Partie 2
Traduit par Maroti

C’était une journée brumeuse et lourde, mais le [Stratégiste] se tenant dans la salle de guerre était en train de regarder la carte de la bataille du lendemain sans ressentir la chaleur. Sa tante était fraîche grâce à la magie tissée dans la toile, une source de réconfort pour les gens rassemblés dans la tente.

Ils étaient tous des [Stratégistes]. Enfin, la vérité était que certains d’entre eux étaient encore des [Tacticiens] à cause de leur bas niveau, mais ils étaient tous concentré sur la même zone.

Et cela était étrange, car la tente contenait tous les officiels hauts-gradés de l’armée. Normalement la pièce était occupée par les [Officiers], [Lieutenants] et [Leaders] plutôt que les [Stratégistes]. Mais cette étrange particularité était liée au leader de cette armée. L’homme menant cette armée était un [Stratégiste] sans le moindre niveau dans une classe de [Général] ou autre. Il était connu pour cela, en réalité, il menait ses armées sans la moindre autre compétence. Il était aussi connu sous le nom du Titan, ce qui était clairement ironique pour quiconque le connaissant.

Et il était en train de préparer une bataille. Le [Stratège] était en train de discuter à un grand homme en armure, ne laissant que sa tête découverte. Il y avait quelque chose d’étrange à propos du cou de l’homme en armure. Mais il acquiesça et sa tête trembla, le [Stratège] leva une main et tout le monde dans la tente se tût. Deux secondes plus tard, quelqu’un toqua contre la toile de la tente.

« Entrez. »

Un [Soldat] passa la tête, l’un de ceux qui gardaient la tente.

« Un Courrier vous demande, monsieur. »

Niers Astoragon, le Titan et [Stratégiste] menant cette armée, soupira et leva les yeux de la carte alors que le Courrier entra dans sa tente. Il savait déjà, ou suspectait, de qui provenait cette lettre.

Le Courrier entra immédiatement dans la tente alors que l’un de ses lieutenants l’ouvrit. La chaleur pesante et humide essaya de s’engouffrer dans la tente, mais l’enchantement de fraîcheur stabilisa rapidement la température.

La jeune Courrière qui tendit les trois lettres à Niers n’était même pas en train de transpirer. Cela devait être une Compétence, ou un item magique. Niers regarda rapidement sa ceinture alors qu’il accepta la première lettre et ouvrit l’enveloppe. Il était tenté de s’acheter un artefact de ce genre lors de telles journées, mais cela serait une dépense inutile et coûteuse au vu du nombre d’objets enchanté qu’il portait déjà. Si seulement la magie ne se…

Niers grogna alors qu’il donna un coup de pied pour ouvrir le sceau de l’enveloppe et remarqua les délicats bords dorés de l’enveloppe. Bien sûr. Cela venait probablement d’elle. Quelle perte de temps.

Et un message envoyé par un Courrier était presque toujours ouvert dans les secondes suivant sa livraison. C’était parce que personne n’envoyait de lettres inutiles par Courrier, vu leurs tarifs. Cette maudite Magnolia Reinhart savait cela, et envoyait donc des lettres constantes à Niers, le forçant à les ouvrir au cas où cette enveloppe contenait des informations vitales.

Il détestait et admirait l’esprit tordu de cette femme. Mais Niers savait ce qu’il allait voir dès l’instant où il sentit la délicate odeur s’échappant de l’enveloppe, et il jeta là sur la table après quelques secondes d’étude.

« Umina, pouvez vous me ramassez et me jeter cela ? Et si d’autre sente la lavande, le romarin, les framboises ou autre arôme floral… Jetez-les. »

La fille lézarde se tenant proche de l’entrée hocha la tête et commença à trier les lettres. Niers soupira et se reconcentra sur la carte, sachant qu’il avait des yeux sur lui. Il se décala sur le côté, permettant Umina de prendre la lettre qu’il venait d’ouvrir. Elle bougea soigneusement, comme si une erreur allait être suffisante pour l’écraser.

Il détestait être traité comme ça. Mais Umina était nouvelle dans son groupe d’étudiant donc elle n’était pas encore habituée à sa stature. Elle allait apprendre ou non. Niers se concentra sur le combat et laissa tomber ce genre d’inutile distraction.

Oui, c’était l’ironie du surnom qui lui avait été donné. Niers avait embrassé le nom, mais cela causait de la confusion, qui était visible dans les yeux du Courrier regardant son dos alors qu’il regarda de nouveau la carte.

En entendant parler du commandant en second de l’une des Quatre Grandes Compagnies de Baleros, il était facile de croire que Niers était en géant dans tous les sens du terme. Il menait ses armées victoires après victoires, utilisant son esprit comme une arme là ou la majorité des [Généraux] utilisaient leurs épées. Il pouvait tendre des pièges à n’importe quel adversaire, vaincre n’importe quelle armée, même celles qui faisaient trois fois la taille de la sienne. Ses Compétences pouvaient changer ses soldats en terrifiants monstres, mais aussi en fantômes s’ils devaient battre en retraite.

Il était un monstre, le [Stratégiste] avec le plus haut niveau du continent, voir du monde. Son niveau était gardé secret pour de multiples raisons, mais son talent était inégalé. Donc ils l’appelaient le Titan, et seul certain comprenait la blague. Et c’était que Niers était petit. Il ne faisait que 15 centimètres de haut.

Niers était actuellement grand pour un individu de sa race, mais cela voulait dire qu’il était minuscule quand la taille moyenne des gens de son peuple était celle d’une paume humaine. Les Korrigans, ou le Petit Peuple comme ils étaient connus, étaient un peuple reclus de Baleros, qui prenait rarement part aux événements continentaux ou mondiaux, préférant rester dans leurs petites communautés et effectuer d’occasionnels voyages dans les villages et villes voisines pour vendre leurs biens et demander de l’aide à des aventuriers.

Mais il y avait, bien sûr, des exceptions. Et il était facile de dire que Niers était le Korrigan le plus fameux de son monde. Ce n’était pas une position qu’il appréciait particulièrement, il aurait préféré être connu pour sa prouesse stratégique que pour ses origines, mais la réputation était la réputation, et il savait qu’il était un héros pour les enfants de son peuple.

Umina hésita alors qu’elle tenait les lettres que le Courrier venait d’apporter. Niers savait qu’elle était capable de magie, mais brûler des missives venant d’un Courrier allait probablement contre tous ses instincts.

« Est-ce que je dois juste… ? »

« Une flamme. Tiens. »

L’un des plus anciens étudiants de Niers intervint avant qu’Umina puisse interrompre son professeur. Il prit les lettres des mains gantelets d’Umina et la laissa conjurer une petite flamme entre ses mains. Les lettres se tordirent et brûlèrent alors qu’elle les tint entre ses mains, sans peur du feu.

Cameral essuya ses mains, laissant les cendres tombées sur le sol de la tente. Niers hocha la tête et soupira d’irritation.

« Le message n’était pas à votre goût, Monsieur ? »

« Il était inutile. C’était de nouvelles lettres de Lady Magnolia. »

« Ah. »

L’ambiance dans la tente changea. Niers avait d’innombrables élèves, même s’il y en avait une douzaine actuellement présents dans la grande tente. Ils avaient tous été accepté grâce à leur incroyable intellect et leur intelligence pour le combat. Mais tout bon [Stratégiste] savait que la politique était aussi un champ de bataille, et Lady Magnolia était sur la courte liste des noms mémorisés dans chaque recoin du monde.

Quelqu’un pouvait dire que Niers brûlant ses lettres était un affront, dangereux connaissant le pouvoir et l’influence des Reinharts. Mais il était suffisamment puissant pour se permettre ce genre de chose. La nature de sa correspondance avec Magnolia Reinhart était un mystère pour ses étudiants, mais Niers savaient déjà qu’ils allaient discuter cet incident ou envoyé l’information à leur propre espion après cette réunion. C’était louable de leur part, mais prévisible.

Cependant, Niers devait admettre qu’il devenait à la fois curieux et agacé des tentatives incessantes de Magnolia de le contacter. Elle envoyait des lettres par Courrier en vague, au point que Niers se trouvait pourchassé par elle.

Ils étaient toujours les mêmes lettres. Une invitation de discuter via sortilège, ou en personne si l’opportunité se présentait. Niers n’avait pas encore fait cela, comme il n’avait pas encore répondu à ses lettres. C’était de nouveau un acte d’impolitesse, mais l’un qu’elle attendait et la seule action logique qu’il devait prendre.

Il n’avait aucune envie de se retrouver prit au piège dans les machinations de cette femme, et était encore moins disposé à lui parler à l’instant. Niers l’avait rencontré deux fois dans sa vie, mais il avait appris à être particulièrement méfiant en son égard.

De plus, il craignait que s’il lui adressait la parole, elle allait lui faire une offre qu’il n’allait pas pouvoir refuser. Et il était loyal envers sa Compagnie et envers son commandant, donc il était bien mieux de ne pas se faire tenter.

« Essayez de ne pas trop être tourmenté par cette femme. L’esprit de Magnolia Reinhart est plus aiguisé que la plupart des [Stratèges] et [Généraux] et nous avons une bataille à gagner. »

Cameral hocha gravement la tête alors que les autres s’agitèrent, comme s’ils étaient des enfants qui venaient d’être surpris avec la main de la jarre de cookies. Ils étaient toujours impressionnés par le fait que Niers semblait être capable de lire dans leurs esprits, mais ce n’était que leur imagination. Il savait simplement ce dont à quoi ils pensaient, car ils avaient déjà été à leur place.

La tête de l’homme en armure bougea alors qu’il acquiesça d’un mouvement de tête et Cameral poussa une main dessus pour la stabiliser.

« Retire-là si elle bouge. Je te l’ai déjà dit, tu n’as pas besoin de ressembler à un humain durant toute la journée et j’aimerais ne pas me faire écraser par ta tête. »

La remarque était pour Cameral. Il était un Dullahan, d’où l’absence de connexion entre sa tête et son corps. L’ouverture de son armure laissait échapper de la lumière orangée après qu’il ai retiré sa tête en s’excusant.

Ce n’était pas une armure vide, Niers le savait. Il y avait une espèce de chair et de sang à l’intérieur, d’où la raison pour laquelle les Dullahan avaient besoin de se protéger. L’armure de Cameral était de bonne qualité, Niers avait déjà vu des Dullahan avec des armures faites de bois ou de métaux récupérés, mais son subordonné portait se protégeait avec une armure de qualité.

Cameral berça délicatement sa tête dans sa main, la tournant pour mieux pouvoir voir Niers et la table. C’était ainsi que les Dullahans voyaient les choses, soit comme ça soit en faisant flotter leur tête à leurs côtés, mais c’était apparemment malpoli et donc il devait porter sa tête sur son cou à chaque fois qu’il était en présence de Niers. C’était un signe de respect, mais cela commençait à agacer Niers.

Mais l’heure n’était pas aux distractions, Niers pouvait enfin se concentrer sur la bataille. Il regarda les plaines verdoyantes et ouvertes que son adversaire avait choisies comme champ de bataille. Il y avait de légères collines, offrant un avantage à l’armée défendant le sommet. Une position à défendre, mais Niers avait déjà encerclé l’armée avec la sienne.

Leur adversaire du jour était un [Général]avec des capacités défensives nommé Grimvol. Niers avait oublié la raison pour laquelle leur Compagnie avait été appelé, mais il avait mené son armée pour vaincre cet adversaire avec le moins de perte possible. Après cela il allait profiter de son salaire et se relaxer jusqu’à son prochain contrat.

Ils étaient un groupe de mercenaire, l’un des meilleurs. Cela faisait plus de cinquante ans que Niers se battaient sur les plaines infinies et les profondes jungles de Baleros et pourtant il savait que chaque combat pouvait être son dernier.

Mais cela n’allait probablement pas être celui-là.

Les petites pièces sur la table étaient familières à tous ceux qui avaient planifié une bataille. Les armées de Niers et Grimvol avaient le même effectif, avec un léger avantage du côté de Grimvol, et leurs guerriers avaient environ le même niveau. Les bannières flottantes au-dessus de chaque pièce marquait leurs niveaux relatifs et Niers marquait avec d’autres pièces l’armée de Grimvol et les guerriers avec des classes uniques ou un haut niveau.

Ce combat semblait direct. L’armée de Niers allait encercler et détruire celle de Grimvol, les empêchant de s’échapper. Niers avait laissé un grand nombre de soldats au nord et au sud alors qu’il était personnellement en train de mener le gros de ses troupes à l’ouest.

Cela avait du sens. Niers était le commandant de son armée et il avait besoin de la protection de ses soldats, sans oublier que ses capacités seraient plus utiles avec plus de soldats. L’est de l’armée de Grimvol était la partie la plus faible de Nier, car c’était là ou la forêt rencontrait les plaines. Cela serait un terrain difficile pour combattre, et si Grimvol essayait de battre en retraite dans la dense jungle de Baleros il prendrait le risque de se perdre ou d’être encerclé dans un environnement hostile.

« Je te laisserai à la tête de l’assaut, Cameral. Prend ton temps et fait croire que nous sommes prêts pour une longue bataille pour qu’il est le temps de lancer son attaque surprise. »

Le Dullahan hocha la tête alors que les autres regardèrent la partie est de la carte. Oui, Grimvol avait prédit que Niers allait faire cela, et il avait capitalisé sur le plan du [Stratégiste]. L’intégralité de cette bataille était un plan désigné pour tuer Niers Astoragon et détruire son armée.

Niers soupira. C’était presque triste. Grimvol n’était pas assez confiant pour se battre sans aide extérieure. C’était évident, donc n’importe qui avec la moitié d’un cerveau aurait vérifié s’il y avait des pièges ou un secret lié à l’endroit que l’autre [Général] avait choisi. Et Niers avait trouvé le piège de Grimvol avec une déprimante facilité.

Il s’attendait à recevoir des renforts d’une bien plus grande armée cachée dans la jungle à l’est. Malheureusement pour lui, Niers avait déjà détruit cette armée et l’avait remplacé par ses forces la journée précédente, et cela faisait que deux de ses armées allaient apparaître au lieu d’une.

« Wil et Yerranola sont déjà en position. Ils arriveront en quelques minutes. Protège tes soldats jusque-là et avance. »

Les autres hochèrent la tête. Niers avait envoyé deux de ses plus vieux étudiants prendre le contrôle de sa force secondaire et ils attendaient le début de la bataille. Grimvol ne le savait pas, mais ils affrontaient quinze [Stratégistes] et [Tacticiens] sans compter Niers. C’était bien trop, mais sa compagnie n’avait pas d’autres batailles à mener et tout le monde allait profiter de cet entraînement.

Normalement, face à de telles probabilités d’écraser son adversaire, la plupart des [Généraux] et [Lords] prenaient congé pour célébrer et se détendre, confiant dans leur future victoire.

Cependant, Niers étaient toujours en train de préparer la bataille des prochains jours avec précision et minutie. Il n’aimait pas les excès de confiance, et, de plus, c’était dans sa nature d’être le plus détaillé possible. Quelques minutes de travail pouvaient sauver des centaines de vies, et il refusait de se reposer sans avoir atteint cet objectif.

Niers pointa la carte et regarda Umina, la jeune femme à qui il avait confié sa division de cavalier pour cette bataille. Elle était une fille lézarde, ce qui voulait dire qu’elle était un membre de la race des Lézarides, qui était différents des Drakéides. Il y avait beaucoup de mauvais sang entre les deux espèces, et malgré leurs différences superficielles, ils étaient des races bien différentes.

« Balaie par la gauche et frappe sa cavalerie avant qu’il ne puisse bouger. Une fois qu’il est épinglé de toute part il devrait se rendre rapidement. »

Elle hocha la tête avec une trace d’incertitude. Cela allait être la première fois que Niers allait mettre Umina dans une position de commandement, et avec l’élite de ses cavaliers. Il la croyait capable de réussir ce challenge, mêle si la fille semblait douter d’elle-même.

Peut-être qu’il allait devoir conseiller Marian de lui parler ? Non, c’était mieux qu’elle le fasse d’elle-même. La Centaure pouvait être susceptible, mais il savait qu’elle et Umina étaient amie.

Cela aurait peut-être été plus facile pour Marian, la plus grande étudiante de la tente, de mener la cavalerie de Niers. Elle était une centaure et naturellement plus adapté aux attaques rapides et les déploiements que son espèce utilisait. C’était pour cela que Niers la faisait coordonner l’unité de mage stationnaire qui s’occupait d’intercepter les sorts et de bombarder l’armée ennemie.

Aucun étudiant de son groupe n’allait combattre dans son domaine de prédilection, c’était ce qu’il voulait. L’hyperspécialisation voulait juste dire que tu avais un plan grand point faible, et donc Niers s’assurait de pousser ses subordonnées à s’améliorer dans tous les domaines.

Sans risquer son armée, bien sûr.

« J’aimerais avoir moins de quarante pertes demain. Essayé d’atteindre cet objectif, même si une victoire sans perte de notre côté serait encore plus appréciable si possible. »

Cela voulait dire qu’il n’y allait pas avoir de charges héroïques. Niers était en train de parler à tous ses étudiants, mais ses yeux s’arrêtèrent sur l’une de ses nouvelles recrues, un grand minotaure qui se tenait avec les bras croisés, les sourcils froncés en regardant la carte. Il hocha silencieusement la tête. Venez était à la tête de son flanc gauche, et voulait sûrement l’impressionner. Il avait été envoyé depuis les Îles de Minos après une rude compétition pour devenir son étudiant, d’après ce qu’il avait compris, et le Minotaure était toujours en train d’essayer de surclasser ses comparses.

Quand avait-il arrêté d’être un leader de soldats et avait commencé à devenir un professeur ? Niers se gratta la tête et fronça les sourcils. Il devait admettre que c’était fatiguant. Mais le monde avait besoin de plus de [Stratège] et ses étudiants étaient persistants.

« Bien, je crois que nous avons terminé. Oh, et une dernière chose. Fait que… Oui, Venaz, fait que ton batteur envoie un signal lors du début du combat. »

Le Minotaure regarda Niers avec curiosité.

« Que dois-je lui faire transmettre ? »

« N’importe quoi. Il faut juste que cela soit complexe, d’accord ? »

« Est-ce que cela a un but. »

Cela montra à quel point il était nouveau. Venaz rougit légèrement alors que les plus anciens étudiants ricanèrent et il frappa le sol de son sabot. Susceptible. Niers soupira.

« Arrête ça. Le but d’utiliser des signaux par tambours, Venaz, est de duper l’ennemi. Le signal complexe ne veut rien dire pour mes soldats. Il n’aurait pas de sens à part pour Grimvol. Il se demandera ce que les signaux veulent dire et si son plan a été découvert. Cela ralentira ses décisions et le rendra encore plus hésitant qu’il ne l’a déjà. »

Et il allait déjà être sous pression car il savait qu’il affrontait le légendaire Astoragon, qui avait percé à jour sa supercherie en un instant. Mais Niers ne le prononça pas à voix haute, car même si cela était la vérité, c’était du l’inutile égocentrisme. Ses étudiants savaient ce qu’il voulait dire, et s’ils ne le comprenaient pas, alors ils n’avaient pas leur place ici.

« Vous avez vos positions. Essayez de ne pas vous faite toucher par un sort ou une flèche. Vous avez le reste de la nuit pour vous. Si vous voulez bien m’excuser, je dois reprendre une partie. »

Presque comme un seul homme, l’attention de ses élèves se dirigea vers un coin de la tente. Niers était tellement petit qu’il dormait dans la tente qu’il utilisait pour ses conseils de guerre, il dormait sur l’une des tables dans un petit lit. C’était juste parce que c’était pratique ; Niers n’avait pas envie de se faire marcher dessus par un soldat mal réveillé au milieu de la nuit ou se trouver attaqué par la faune locale. Ou les insectes.

Mais ce qui restait à côté de son lit et de ses affaires personnelles était un échiquier. Ce qui n’était pas unique dans ce camp ; en tant que l’inventeur du jeu d’Échecs, les étudiants de Niers jouaient se jeu de manière presque religieuse, tout comme le reste de Baleros.

Et pourtant cet échiquier était différent. Premièrement, il était magique. Les pièces fantomatiques brillaient dans l’air frais, légeres comme une plume mais ferme comme l’acier. Les pièces se tenaient là, mais aussi autre part dans le monde, transmettant les mouvements.

Un autre objet qui avait coûté une fortune. Mais celui-ci avait indiscutablement valu le coup. Avec lui, Niers pouvait jouer une partie avec n’importe qui dans le monde. Ou plutôt, une personne.

Il resta dans la tente de Niers, un message que tout le monde pouvait comprendre. Il y avait un adversaire que Niers considérait digne de son temps, un rival pour le Titan lui-même. Ce n’était pas surprenant que ses élèves regardaient l’échiquier avec curiosité dés qu’ils rentraient dans la tête.

« Monsieur. Puis-je demander quel est le score de cette semaine ? »

Niers hocha la tête vers l’un de ses étudiants, un Humain.

« C’est la septième partie. Et, à l’heure actuelle, j’ai gagné deux parties et j’en ai perdu quatre. »

Silence.

Il pouvait le comprendre, vraiment. Combien de personne sur ce continent, non, dans le monde pouvait battre Niers Astoragon aux échecs ?

Ce n’était pas quelque chose d’aussi simple que perdre une partie. Niers avait inventé les échecs, les avaient maîtrisés. Entre ses niveaux en tant que [Stratégiste] et avec ses longues heures d’études et sa passion, il était normal de dire que Niers pouvait gagner la majorité des parties en dormant.

Quand le jeu avait commencé à se populariser, Niers avait voyagé, jouant contre des gens. Il avait apprécié de nombreuses parties, mais il n’avait perdu que deux fois. Plus tard, après que les gens l’ont défié par milliers, il avait perdu une poignée de fois.

Et jamais de manière consistante. Niers n’avait pas un seul rival sur le continent, jusqu’à quelques semaines de cela. Ses meilleurs étudiants pouvaient le battre une fois sur dix dans le meilleur des cas. D’autres [Généraux] et [Stratégiste] pouvaient le battre deux fois sur dix, ou trois fois sur dix, mais jamais plus haut.

Et aucun d’entre eux avait poussé Niers. Il avait été seul, un roi solitaire au sommet du monde regardant les autres gens essayer de gravir la tour qu’il avait construit. Personne ne pouvait l’approcher. Cela avait été terrible.

Et puis, cela n’avait été qu’un caprice. Quelques centaines de pièces d’or pour le distraire. Niers avait envoyé un défi à travers le monde, un test pour allait séparer les bons joueurs des joueurs médiocres. Il ne s’était pas attendu à recevoir beaucoup de réponses, mais l’un était revenu presque instantanément.

Niers sourit en y repensant. Un dessin maladroit d’un échiquier et un curieux système de notation qui était supérieur à celui qu’il avait inventé. Et puis… !

Il avait passé des heures, des jours sur ce puzzle. Il avait lutté pour trouver une réponse entre les combats, ravi par le défi. Il l’avait presque trouvé trop vite, mais il avait été obsédé. Il avait ordonné la création d’un échiquier, dépensant sans compter et payer presque le triple du prix pour la rapidité de la construction et sa livraison.

L’attente avait été presque aussi douce que le fait qu’il y avait quelqu’un, quelque part, égalant ses compétences dans son propre jeu. Niers s’était demandé qui était ce mystérieux créateur de puzzle, s’inquiétant que leur talent ne fût que dans la création de puzzle, et non dans le jeu.

Il avait presque, presque manqué la petite astuce que l’autre joueur utilisait. Après leur première partie, il avait été tellement colérique, tellement frustré ! Comment son adversaire pouvait être si faible à jouer au jeu quand il avait créé un aussi magnifique puzzle ? Mais il vit ce qu’il se passait quand les pièces commencèrent à bouger.

Bien au-dessus de sa tour, le roi solitaire venait de lever les yeux pour voir l’immense poisson nageant à travers les cieux. Il se releva et le vit nager prêt de sa tour, une bête aussi splendide que mystérieuse, qui dépassait les mots. Un terrible, magnifique, créature solitaire attendant que quelqu’un la rejoigne.

Et donc le roi sauta de la tour qu’il avait construit avec sa vanité et essaya d’apprendre à voler. Et il ressentit, pour la première fois depuis des décennies, ce sentiment d’infériorité, ce défi, qui lui avait manqué.

C’était merveilleux. Et Niers l’avait ressenti jusque dans ses os en jouant.

Il n’était pas assez doué pour affronter ce mystérieux joueur. Pas assez doué. Mais il était assez proche pour que les deux ne soient plus seuls.

C’était magnifique.

Le petit homme bondit de sa table de carte jusqu’à la table d’échecs, ignorant ses étudiants. Il se tenait au-dessus de l’échiquier, regardant les pièces en pleine partie.

Deux victoires. Quatre défaites. Cela était inimaginable pour les élèves de Niers, mais c’était aussi un plaisir pour Niers. Il ne pouvait pas leur expliquer, n’est-ce pas ? Ils étaient encore jeunes et essayant d’atteindre leur idée de la célébrité, du succès, ou de la fortune. Mais perdre une partie et enchaîner les défaites…

Cela lui donnait presque envie de pleurer rien qu’en y pensant. Niers secoua la tête. Il ne devait vraiment pas pleurnicher devant ses élèves.

« Avez-vous découvert l’identité de votre adversaire, monsieur ? »

Niers fronça les sourcils. C’était Venaz pour tous, ou plutôt, les Minotaures. Ils n’aimaient pas les secrets et préféraient tout faire à découvert. C’était une faiblesse qu’il avait corrigée dans ses stratégies, mais elle était encore visible dans sa manière de gérer tout le reste.

« Je préfère savourer le mystère. J’ai mes suspicions, bien sûr. »

Il savait ou est-ce que le Courrier était parti. Celui avait pris beaucoup de pièces d’or, mais il avait tracé le trajet de la lettre jusqu’à Izril. Et il savait qu’après avoir quitté le bateau, la lettre avait voyagé jusqu’à Liscor. Liscor. Qui aurait cru qu’une ville qui avait produit un génie comme le General Sserys pouvait cacher une autre gemme ? A moins que cela soit là ou le Courrier avait trouvé le mystérieux joueur.

« … Mais je n’ai pas cherché plus que cela. En vérité, je ne sais pas si je veux le savoir. »

Cela fit froncer les sourcils de Venaz, mais Cameral et Umina hochèrent la tête. Leurs espèces comprenaient mieux l’intimité, même si ce n’était pas entièrement la raison de l’hésitation de Niers.

Le [Stratégiste] sourit en caressant sa barbe.

« Bien, si vous êtes intéressé, pourquoi ne pas me présenter vos théories ? Je crois que vous avez des suspicions sur l’identité de mon adversaire ? »

Ses élèves s’agitèrent. Certains avaient visiblement peur de parler, mais Niers n’avait pas le temps pour l’hésitation sur le champ de bataille. Marian leva donc sa main en quelques secondes.

« Je crois que votre adversaire est un Dragon, Monsieur. »

« Vraiment ? Qu’est-ce qui te fait croire cela ? »

Marian fronça les sourcils. Niers savait qu’elle n’était probablement pas confortable dans sa tente ; les Centaures n’aimaient pas être dans des espaces confinés, tout comme les chevaux, et il y avait trop de gens pour qu’elle puisse bouger librement.

« C’est simplement une observation basée sur les étranges compétences de votre adversaire. Seule une personne dotée d’un esprit vraiment brillant pourrait vous vaincre à plusieurs reprises dans une partie d’échecs. »

« Hmm. Donc tu crois que mon adversaire est un Dragon ? Je ne suis pas d’accord pour une raison. »

Marian semblait découragé, mais Niers secoua sa main.

« Ce n’est rien que tu aurais pu savoir. Mais j’ai observé qu’après ma première victoire, mon adversaire a aussitôt changé de tactique. Il est passé à un style hautement risqué, abandonnant son ancien style. »

C’était comme si son adversaire avait essayé de provoquer Niers. Il avait complètement changé son style, et Niers pouvait presque entendre une voix venant de l’échiquier ’Et voilà. Qu’est-ce que tu en penses ? Qu’est-ce que tu vas faire ?’

Certains des élèves de Niers semblaient confus. Il sourit et expliqua.

« La curiosité. L’autre joueur a pris le risque qu’il allait peut-être perdre une autre partie pour me tester. Les Dragons ne sont pas comme ça. Ils sont, presque toujours, des êtres très susceptibles. Ils détestent perdre et je crois qu’un Dragon aurait essayé de m’écraser plusieurs fois d’affilée pour me remettre à ma place. »

Niers doutait aussi que les échecs se soient propagé au point que les Dragons reclus auraient appris son jeu. Il secoua gentiment sa tête vers Marian.

« Une bonne tentative. Est-ce que quelqu’un à une autre idée ? »

« L’un des Archimages ? »

« Un [Lord] ou une [Lady], peut-être ? De haut niveau ? »

« Probablement pas. Quelqu’un de ce niveau à besoin d’être un [Roi]. Le Roi de la Destruction peut-êt… »

Niers dut rire à cette proposition.

« Je ne pense pas que Flos est intéressé par ce genre de chose à ce moment, Venaz et je l’ai déjà affronté une fois et il n’était pas à ce niveau. »

La pièce devint silencieuse. Niers réalisa qu’il en avait probablement trop dit et grimaça.

« Ne me regardez pas comme ça. Oui, j’ai voyagé dans son royaume alors qu’il sommeillait pour le rencontrer. C’était avant que je révèle l’intégralité du jeu d’échecs, mais je l’ai convaincu de jouer une partie. »

« Et ? »

Comme leurs yeux brillaient. Niers sourit et caressa sa petite barbe.

« J’ai gagné. »

Ils soupirèrent, mais ne semblaient pas surpris. Niers haussa les épaules.

« Sa tête n’était pas dans le jeu. En vérité, je crois qu’il est désormais un bien meilleur joueur, mais même avec cela je pense que je pourrais avoir plus de victoires que de défaites. Son intendant, de l’autre côté… Je crois que son nom est Orthenon ? Était un adversaire bien plus coriace. »

« Mais si ce n’est pas le Roi de la Destruction, alors qui… ? »

« Une question à réfléchir autour de quelques verres, peut-être. Mais je trouverai à ma manière. »

Niers coupa le reste de la conversation. Ses élèves baissèrent la tête en sa direction et quittèrent la tente. La réunion venait de se terminer.

Le fait que la réunion s’était terminé par ce genre de conversation était la preuve qu’ils étaient confiants. Niers soupira. Certains étaient en train de devenir trop confiants. Il allait les séparer après la bataille de demain, leur donner des missions plus difficiles.


Il erra jusqu’à l’échiquier et regarda les pièces. Cela faisait deux jours depuis la dernière fois qu’ils avaient bougé. Cela ne le dérangeait pas ; il était souvent occupé et il respectait le fait que son adversaire ai sa propre vie à mener. Pourtant, il vivait pour les moments où il pouvait jouer.

Un génie des échecs. Quelqu’un qui pouvait vaincre un [Stratégiste] de Niveau 64. Non, pas un [Stratégiste], la vérité était qu’il était un [Grand Maître Stratégiste], une étrange sous-classe qu’il avait obtenue après avoir appris à jouer aux échecs.

Son niveau exact et son changement de classe étaient secrets, bien sûr. Niers étudia de nouveau l’échiquier, préparant son prochain coup, mais son esprit ne pouvait pas s’arrêter.

« Qui es-tu ? »

C’était une question qui le hantait, malgré ce qu’il disait à ses étudiants. Il était tellement curieux que cela le faisait souffrir. Quelqu’un qui jouait mieux aux échecs que lui.

Cela pouvait tout simplement être un autre [Stratégiste] de haut niveau ou quelqu’un avec une classe et des Compétences similaires. Niers connaissaient quelques personnes qu’ils suspectaient d’avoir des niveaux proches voir supérieur au sien. Mais…

Non. Son instinct lui disait que cela ne pouvait pas être le cas. Il avait inventé les échecs ; comment quelqu’un pouvait atteindre ce niveau aussi rapidement ?

Mais là était le secret, n’est-ce pas ? Un continent entier avait déjà accepté le jeu de Niers comme un chef d’œuvre, non seulement comme un très bon passe-temps que comme un moyen de devenir de meilleurs [Tacticiens] et [Stratégiste].

Mais il ne l’avait pas inventé. C’était le grand mensonge, le petit piège qu’il avait tendu dans l’espoir d’attraper une bien plus grande vérité. Et Niers avait sentit la première morsure avec cet adversaire.

« Un Dragon pourrait s’en souvenir… »

Ou peut-être était-ce un autre type d’immortel ? Niers n’en avait pas la moindre idée, mais pour certaine raison il n’arrivait pas à s’imaginer un immortel jouer les parties fraiches et vibrantes qu’il appréciait. Mais qui d’autre aurait pu connaître les échecs à ce point avant qu’il ait prétendu d’avoir inventé le jeu ? Et pourquoi n’avait-il pas contesté sa revendication comme il l’avait espéré ?

Pour ne pas se révéler ? C’était possible. Mais c’était presque aussi flagrant. Peut-être qu’il essayait de lui dire quelque chose ?

Niers tremblait de curiosité. Il vivait pour cela. Les dernières guerres dans lesquelles sa Compagnie avait participé étaient fades en comparaison. Il était déjà riche et il avait entraîné son armée pour qu’elle soit l’une des plus puissantes du continent. Il n’avait pas d’autre ambition en dehors des échecs et de trouver la vérité. La vérité du passé qu’il avait découvert en même temps que ce jeu d’un ancien temps…

« Qui es-tu ? »

Il pouvait toujours le découvrir, bien sûr. Cela prendrait peut-être une semaine, mais assumant qu’aucun idiot ne commençait une guerre après ça… Il pouvait se rendre à Liscor rapidement et commencer ses recherches. Ou avec un sort de [Téléportation] allait lui coûter une fortune, mais il était plus que capable d’en acheter plus que nécessaire. Dans ce cas, il pourrait partir et revenir en une journée et…

Non. Niers secoua la tête. Il ne voulait pas gâcher la surprise. Et il y avait aussi une autre raison, après tout. Il avait à peine monté de niveau lors de cette décennie. Il avait gagné un niveau, et c’est tout. Sa classe avait commencé à stagner, mais après huit parties…

Il avait gagné un niveau. Et Niers avait la suspicion qu’il allait continuer à monter de niveau tant qu’il continuait de pousser son adversaire au maximum. Quels étaient les miracles qui pouvaient arriver s’il atteignait le Niveau 70 ?

Attends. Sois patient. Niers s’assit devant l’échiquier et grimaça. Le départ de ses élèves avait laissé rentrer l’étouffante chaleur.

Il faisait tellement chaud. Niers détestait la chaleur, même si Baleros était presque toujours comme cela. La seule chose qu’il détestait plus encore était les déserts. Les tempêtes de sable étaient encore plus terribles quand les particules individuelles étaient capables d’arracher des morceaux de peau.

Il serait prêt à tout donner contre une épée de glace, ou une boisson fraîche. Il pouvait toujours en demander une, mais quel genre d’exemple allait-il donner en faisait cela ?

Niers Astoragon soupira en s’asseyant dans sa tente, attendant que la nuit se termine pour qu’il puisse gagner une autre bataille. Le monde bougeait, et pourtant il s’était retrouvé à stagner. Peut-être qu’il était temps de quitter la Compagnie. De lire l’une des maudites lettres de Magnolia. Pouvait-il abandonner aussi facilement sa Commandante, son amie de longue date et leader de sa Compagnie ?

Mais il voulait le savoir. Et… Niers le sentait. C’était dans ses os, un sentiment, une prémonition d’un combat. Cela venait de sa classe, mais c’était bien plus grand que tout ce que Niers avait déjà ressenti. Cela semblait avaler le monde, comme si le ciel tirait sur une gigantesque ficelle. De plus grandes batailles allaient bientôt l’attendre, des batailles dont Niers avait rêvé. C’était c’est que son instinct lui disait.

Et tout ce qu’il devait faire était d'attendre. Niers étudia l’échiquier.

« Reviens vite, d’accord ? Je m’ennuie terriblement en ton absence. »

Il s’étira. C’était l’heure de dormir. Il ne pouvait pas se permettre de bâiller devant ses troupes, n’est-ce pas ? Et sa tente recommençait à se rafraîchir. Mais une boisson fraîche serait la bienvenue. Peut-être après la bataille, pour fêter la victoire.

Il se demanda quand est-ce que ces maudits Esprit du Givre allaient arriver, ou s’ils avaient oublié d’apporter l’hiver.

Une nouvelle fois.


***


[Loran Grimnar] – Dans tous les cas, il fait super chaud ici. Comment ça se fait que c’est l’hiver chez vous ? »

[Humble Acteur] – Je ne sais pas. Je crois que c’est parce que les Esprits de l’Hiver ne sont pas encore arrivés sur ton continent. Apparemment, elles apportent l’hiver.

[Loran Grimnar] – Sérieux ?

[Humble Acteur] – Ouais. Et c’est bizarre. Je les ai vues plusieurs fois. Je me suis pris une boule-de-neige dans le visage, mais je jure que ce sont de vraies fées. Personne d’autre ne semble pouvoir les voir, mais je peux.

[aragorn_479] – Je peux le confirmer. J’ai aussi vu les Esprits de l’Hiver. Elles sont horribles. Si tu les déranges, elles commencent des avalanches. Fait attention.

[Humble Acteur] – Des mots pour les sages.

[BlackMage] – Je n’arrive pas à avoir un retour de [batman]. Je suppose qu’on va devoir le faire entre nous, les gars.

[Humble Acteur] – Oh ? C’est la dernière personne que tu voulais contacter ?

[BlackMage] – Ouais. Mais je n’ai pas de réponse.

[Loran Grimnar] – Pourquoi est-ce qu’on veut BATMAN dans le chat ?

[aragorn_479] – Il était clair que [batman] était bien plus intelligent qu’on le pensait. Il ou elle a réussi à trouver qu’il y avait un espion dans le groupe et nous a prévenus en secret.

[Loran Grimnar] – quoi ? Tu déconnes.

[BlackMage] – Non, franchement, c’est vrai. Mais j’ai essayé de le joindre cinq fois, sans réponse.

[aragorn_479] – Quand est-il de [Groupe Américain] ? Pourquoi ne pas l’inviter ?

[BlackMage] – Trop dangereux. Ils sont nombreux, tu vois ? Je veux garder le minimum de personne pour éviter les fuites.

[Loran Grimnar] – Ok, alors commençons ! Nous allons partager des informations, c’est ça ?

[aragorn_479] – En espérant que personne ne vienne nous espionner et sans voix bruyante.

[BlackMage] – Exactement. Laissez-moi introduire [Humble Acteur]. Elle a réussi à rentrer en contact avec moi à Wistram et je lui ai montré la conversation précédente.

[Humble Acteur] – Salut tout le monde.

[aragorn_479] – C’est un plaisir de te rencontrer.

[Loran Grimnar] – Pourquoi aragorn est ici ?

[aragorn_479] – Quoi ?

[Loran Grimnar] – Je viens de m’en rappeler. Tu as donné ton prénom ! Tu pourrais avoir été traqué où être un imposteur !

[aragorn_479] – Premièrement, je ne suis pas un imposteur. Deuxièmement, je suis adopté. Mon nom d’origine est un mystère même pour moi.

[Loran Grimnar] – Oh.

[Humble Acteur] – Coup de chance.

[BlackMage] – Exactement. Je peux le confirmer. Des mages ont essayé de retrouver aragorn mais n’ont pas réussi, donc elle est sûre.

[aragorn_479] – Et les autres ?

[BlackMage] – Nous avons perdu le contact. Nous ne pouvons rien voir.

[Humble Acteur] – Merde.

[Loran Grimnar] – omg.

[BlackMage] C’est pour cela que cela doit rester secret. Je voulais l’opinion de [batman], mais nous pouvons toujours lui montrer le chat.

[aragorn_479] – D’accord. On commence quand ?

[BlackMage] – Faisons ça proprement. Les [Mages] qui sont avec moi sont pratiquement certain que nous n’allons pas être hacké donc dites nous votre classe, location et situation.

[aragorn_479] – Suspicieux.

[BlackMage] – Nous voulons aider. Je suis à Wistram. Ils peuvent venir vous chercher.

[aragorn_479] – C’est quand même risqué. Pourquoi ne pas faire la classe et le continent jusqu’à ce que nous soyons certains de ce qui se passe ?

[Humble Acteur] – Je suis pour.

[BlackMage] – Je suppose… Désolé, je sais que c’est risqué.

[aragorn_479] – T’inquiète. Je vais commencer. [Ranger], comme je l’ai dit. Je suis en Terandria.

[Loran Grimnar] – [Guerrier]. Baleros.

[BlackMage] – Je suis un [Mage] à Wistram.

[aragorn_479] – Ca va les chevilles ?

[Humble Acteur] – [Pop Star]. Terandria.

[Loran Grimnar] – QUOI

[Humble Acteur] – La ferme. Je suis aussi une [Actrice].

[BlackMage] – Tu peux m’expliquer comment tu as eu cette classe ?

[aragorn_479] – Et ce qu’elle fait ?

[Humble Acteur] – C’est une variation de [Chanteuse]. Et je l’ai eut de manière compliquée, d’accord ?

[BlackMage] – Reprenons depuis le début.

[Loran Grimnar] – C’est trop bizarre. Comment est-ce que ça peut être une classe ?

[Humble Acteur] – Va en enfer.

[BlackMage] – Du calme, s’il te plaît.

[aragorn_479] – Pourquoi est-ce qu’on fait ça [BlackMage] ? C’est quoi le but pour nous. »

[Loran Grimnar] – On est pas en train de partager des informations ?

[Humble Acteur] – Non, aragorn à raison. [BlackMage], tu m’as dit que tu avais un plan.

[BlackMage] – C’est vrai.

[BlackMage] – Notre premier objectif est d’échanger des informations. Tout ce qui peut être utile, les indices ou les classes uniques comme la classe de [Pop Star] d’[Humble Acteur] peu être vital. Et ensuite nous avons besoin de travailler ensemble. Et cela veut dire que nous devons nous rencontrer ou trouver un moyen de nous aider. De grands événements sont en marche. Le Roi de la Destruction est réveillé, et il y a plusieurs guerres qui ont lieu en Terandria.

[aragorn_479] – Je confirme.

[Loran Grimnar] – Vraiment ?

[Humble Acteur] – Je l’ai remarqué. C’est chiant.

[BlackMage] – Et tout devient plus dangereux. Nous devons travailler ensemble. Si nous pouvons nous rencontrer et trouver d’autres gens…

[aragorn_479] – Nous avons une armée.

[Loran Grimnar] – Est-ce qu’il y a une guerre ? Je veux dire, autre part que celle en Terandria ? Est-ce qu’on va se battre contre le Roi de la Destruction ? Car c’est sans moi.

[Humble Acteur] – Sis vis pacem, para bellum.

[Loran Grimnar] – Quoi ?

[BlackMage] – Je ne sais pas si nous allons partir en guerre. Mais les mages de Wistram disent qu’ils ne vont pas rester les bras croisés. Nous allons devoir travailler ensemble. L’union fait la force.

[aragorn_479] – C’est mieux qu’être seul. Nous allons pouvoir trouver Kyle l’imposteur ou au moins nous protéger.

[Humble Acteur] – Je suis pour. On commence quand ?

[BlackMage] – Des détails sur votre arrivée serait bien. Qu’est-ce qui s’est passé quand vous êtes arrivé, si vous avez remarqué quelque chose d’étrange… Cela nous permettrait d’identifier si vous étiez victime d’un sort.

[Loran Grimnar] – Donc C’ETAIT un sort ?

[BlackMage] – Pas pour tout le monde. Ils n’en sont pas certains. Mais ils sont en train de travailler dessus ; Nous avons des gens ici qui veulent aider.

[aragorn_479] – Est-ce qu’ils peuvent nous renvoyer ?

[BlackMage] – Peut-être. Mais faire l’inverse du sort serait plus compliqué que de faire venir les gens ici.

[Humble Acteur] – Génial.

[BlackMage] – N’abandonnez pas, les gens. Nous savons que nous ne sommes pas seuls.

[Loran Grimnar] – Oui, et ensuite on peut se retrouver ! Aragorn et Humble sont sur le même continent. Si nous travaillons ensemble nous pouvons gagner !

[Humble Acteur] – C’est quoi ça, un groupe de soutien ? Nous ne sommes pas dans un jeu.

[BlackMage] – Non, mais nous sommes unique. Nous avons été choisis pour une raison, je crois.

[Loran Grimnar] - Nous pouvons faire des choses que les gens de ce monde ne peuvent pas faire. Nous pouvons être des héros.

[Humble Acteur] – Peut-être.

[aragorn_479] – Commençons. Est-ce que vous pensez que [batman] voudra nous rejoindre ?

[Humble Acteur] – Qui sait.

[BlackMage] – Nous sommes tous dans le même camp.

[Loran Grimnar] – Ouais. Nous pouvons sauver le monde.

[Humble Acteur] – Elle est bonne celle-là.

 
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SO2 - Les Guerres Antiniumes Partie 1 - Première Partie
Traduit par EllieVia

(Ce livre a été trouvé en solde à Celum par Ryoka Griffin peu après son arrivée dans ce monde. Elle l’a acheté pour deux pièces d’or et six d’argent et lu ces pages avant de faire la rencontre d’un chariot à pleine vitesse.”

Introduction

Bien que de nombreux récits des célèbres Guerres Antiniumes (ou Guerres d’Incursion, comme on les retrouve parfois citées) aient été écrites, et que de nombreuses classes de [Tacticiens], de [Stratégistes] voire de [Commandants] aient analysées en détails les batailles qui s’en sont ensuivies, aucun récit cohérent n’a été compilé à ce jour. Le modeste [Écrivain] que je suis espère que le patchwork historique qui va suivre puisse servir de base pour compiler les futurs comptes-rendus.

Nombre de rapports sur la Première Guerre Antiniume ont été fondés sur des ouï-dire et les souvenirs souvent inexacts de [Soldats] et d‘[Aventuriers] qui se sont battus au front. ces témoignages, bien qu’instructifs, seront omis de manière que le récit soit fondé uniquement sur des comptes-rendus écrits.

Cela étant dit, ces comptes-rendus, concis, n’ont pas vocation à enseigner le mode de vie ou la nature des Antinium, ni même de servir de base pour de futures stratégies ou tactiques. Il ne s’agit ici que de faits historiques, dont nous devons nous souvenir.

Issrysil a survécu à deux guerres contre les Antiniums et la paix ténue que nous avons forgée persiste depuis presque une décennie alors que j’écris ces mots. Mais nous ne devons jamais baisser notre garde. Car si les Antiniums étaient assez téméraires pour déclencher une troisième guerre, j’ai bien peur que ce continent et tous ses habitants ne se fassent exterminer sous leurs nombres écrasants.


Krysyl Forgemots

Les Premières Guerres Antiniumes

Nous devons tout d’abord noter que malgré l’issue des Premières Guerres Antiniumes, la défaite des Antiniums n’a pas tant été due à une mauvaise performance de leur part ou à une quelconque force opposée en particulier. On pourrait débattre du fait que les Antiniums n’ont fait qu’une seule véritable erreur pendant la guerre, et se sont sinon battus au maximum de leurs capacités, faisant preuve d’un niveau d’organisation et de ruse face auxquels les nations Drakéides, Gnolles et Humaines qui ont failli échouer à les vaincre n’avaient aucunes chances.

En effet, si les Antiniums ont fait une unique erreur majeure, c’était avant la guerre. C’est une erreur qui leur a coûté le continent, et peut-être même le monde. Il s’agit de ceci :

Les Antiniums ont sous-estimé la mer.


***

Nous sommes en l’an 5 avant T.P, et le monde tremble encore sous les coups des nouvelles provenant de Rhir. Les armées du Roi Maudit ont été décimées de défaites en défaites, et chacun de ses Murs ont été rasés, sauf le dernier qui protège la capitale. Toutefois, le Roi des Démons a lui aussi été repoussé jusqu’aux confins de son territoire, et cette nouvelle espèce, surnommée “Antiniume”, a soudain disparu de la surface de ce continent.

Ni les  [Mages] de Wistram, ni aucune autre nation ne parvient à localiser l’espèce par magie, et tous les pays ayant ne serait-ce qu’une fraction de littoral exposé à la mer a fermé ses frontières et guette attentivement l’horizon, de peur que la Marée Noire ne rase leurs terres mal protégées.

Mais nulle attaque ne survient. Les océans sont silencieux, et après plusieurs mois d’attente, la tension se relâche. Où que soient les Antiniums, ce n’est pas ici. Et la paix revient, et le Roi Maudit reconstruit, et ses armées reprennent déjà son royaume perdu.

Et c’est à ce moment-là que les Antiniums débarquent. Non pas avec une vaste armée prête à recouvrir le monde, mais seulement quatre vaisseaux sur les deux cents qui ont largué les amarres des côtes de Rhir. Quatre petits bateaux qui jettent l’ancre à la pointe la plus au sud-ouest d’Issrysil, pendant les derniers mois de l’hiver. Voilà comment les Antiniums débarquent sur le continent, et ils demeurent cachés de nombreux mois. Pour se reposer. Reprendre des forces.

C’est la raison pour laquelle les Antiniums ont perdu la guerre avant même de l’avoir commencée. Voilà leur unique folie.

***

D’après les rares témoins à avoir vu le départ des Antiniums, ou, d’après les dernières théories, leur fuite de Rhir, nous savons que plus de deux-cents grands navires ont été aperçus, chacun grouillant d’Antiniums et de leurs précieuses Reines. Ce nombre n’est pas exagéré ; de nombreux comptes-rendus en atteste l’authenticité.

Et pourtant, seuls quelques navires sont parvenus à atteindre les côtes d’Issrysil. Étant donné qu’aucune flotte n’a rapporté avoir croisé le fer avec les Antiniums et qu’aucun monstre marin remarquable n’ait été repéré, nous ne pouvons que supposer que les Antiniums aient perdu la quasi-totalité de leurs vaisseaux face aux orages et aux eaux encalminées.

Les Antiniums ont beau être de féroces guerriers, ils restent de bien piètres marins pour un certain nombre de raisons évidentes. De plus, nous pouvons supposer qu’ils n’avaient pas correctement appréhendé le temps nécessaire pour traverser une étendue d’eau aussi grande que l’océan, ou les difficultés liées à la navigation, l’approvisionnement, etc. C’est la raison pour laquelle ils ont failli être entièrement annihilés, ou, peut-être plus exactement, c’est un miracle que certains navires soient parvenus à atteindre Issrysil.

Nous ne saurons peut-être jamais si les Reines avaient prévu de venir sur ce continent ou non ; nous ne saurons pas non plus ce qu’ils firent pendant ces quelques mois, même si nous pouvons imaginer qu’ils aient principalement concentré leurs efforts sur la création d’une Colonie et sur le réapprovisionnement de leurs stocks d’Ouvriers et de Soldats. Le deuxième affrontement avec les Antiniums qui ait été documenté est celui de la cité portuaire de Nasserous, où la Capitaine de la Garde* détailla plusieurs événements inhabituels presque huit mois après leur départ de Rhir.

* Les Capitaines de la Garde ont une position hiérarchique plus élevés que chez les Humains. Parmi les Drakéides, le Capitaine de la Garde partage généralement le même rang que les membres d’un Conseils de dirigeants, et il a d’ordinaire les pleins pouvoirs en ce qui concerne les décisions militaires locales.

Extrait du journal de la Capitaine de la Garde I’sl

“... ne sais pas où ils sont partis. La deuxième patrouille n’a pas retrouvé de cadavres, mais a mentionné la présence de quatre épaves le long des plages. D’après eux, les navires avaient l’air vide, mais j’enverrai d’autres hommes en éclaireurs plus tard. S’il y a des Krakens ou d’autres monstres capables de faire couler des bateaux dans les parages, nous devons le savoir immédiatement.”


Plusieurs jours plus tard, Capitaine I’sl écrivit un autre paragraphe.

... ne sont pas revenus. Je suis à présent certaine qu’il y a quelque chose là-bas, mais j’ai peur d’envoyer d’autres gardes pour vérifier. Ma dernière patrouille contenait cinq [Gardes] d’un niveau supérieur à 20 ; un [Éclaireur] solitaire n’a retrouvé aucunes traces d’eux ni même de signes de violence. Je poste une double garde aux portes et dépose une requête pour des aventuriers Argent ou plus pour investiguer l’affaire.”

C’est ce qu’elle fit, mais ni les aventuriers, ni les patrouilles suivantes ne parvinrent à trouver une trace de ces mystérieux agresseurs. Il est probable que les Antiniums levèrent le camp de la plage et évitèrent d’autres accrochages en se rendant au nord, vers les hauts plateaux rocheux. Là, ils continuèrent de se cacher jusqu’à ce que le hasard ne les fasse combattre de nouveau deux mois plus tard.

À l’intention du Maître de Guilde Jekra de Talvasor

“Je t’écris pour te raconter un événement inhabituel qui s’est produit dans ma guilde aujourd’hui. Moins d’une heure plus tôt, un [Ranger] Or est entré dans ma guilde en traînant une litière où reposaient quatre cadavres qui ont mis la guilde en émoi. Il dit qu’il a trouvé ces monstres en train de chasser ensemble sur une colline rocheuse et qu’ils l’ont tiré à vue.
J’ai inspecté personnellement les corps, et je dois avouer que leur vue m’a bouleversé. Ces nouveaux monstres ne ressemblent à rien de ce que j’ai connu en tant qu’aventurier ou Maître de Guilde. Il s’agit d’une espèce d’insecte, avec des corps noirs et un exosquelette très résistant, mais qui pourtant ont quatre bras et deux jambes et sont apparemment bipèdes comme les Drakéides et les Gnolls. Leur sang est vert, et leurs yeux ont de multiples facettes comme les insectes, et ils possèdent des mandibules vicieuses avec lesquels ils peuvent sans doute mordre.

Je n’ai jamais vu ce genre de monstre. Je ne sais pas si c’est une sorte d’éclosion de donjon ou un genre de nouvelle espèce. Je t’écris dans l’espoir que tu connaîtras leur espèce et la récompense appropriée pour les aventuriers. Il prétend que ces créatures se sont battues avec une férocité peu ordinaire, sans s’arrêter tant qu’il n’eut pas tiré une flèche dans la tête de chacun avant de les décapiter. Je te prie de me conseiller au plus vite,

        -   Maître de Guilde Pessia



Heureusement, le Maître de Guilde Jekra put relier les cadavres des Antiniums avec les rumeurs provenant de Rhir et il donna immédiatement l’alarme à chacune des Cités Emmurées, les pressant de mener une action immédiate et de mobiliser les armées de chacune des cités-État.

C’est là que commencent les multiples comptes-rendus écrits des événements suivants, et les décisions prises par les dirigeants de chacune des Cités Emmurées* ne peuvent pas être mises en doute. Pendant presque un mois, les autorités ont débattu et argumenté contre la présence des Antiniums sur Issrysil. Comme ils n’avaient pas de preuves de la présence des Antiniums autre que celles apportées par les témoins visuels (les cadavres des Antiniums terrassés avaient été éliminés depuis trop longtemps pour vérifier cette affirmation), et que les conflits n’avaient pas continué, les dirigeants n’ont pas réussi à mener d’action décisive.

* Les célèbres Cités Emmurées ne sont pas dirigées par les mêmes méthodes gouvernementales. Certaines adoptent un fonctionnaire élu, tandis que d’autres sont gérées par un corps d’individus influents ou, dans certains cas, par un meneur héréditaire.

Quelques dirigeants de Cités Emmurées déposèrent une récompense coquette pour que des Aventuriers Or explorent la zone où les Antiniums avaient été aperçus; mais là encore, les Antiniums préférèrent éviter les combats lorsque c’était possible, et les aventuriers revinrent bredouilles, ce qui renforça l’idée d’une fausse alerte.

En bordure de la civilisation, près des montagnes et dans les hauts plateaux, d’autres rapports au sujet de monstres mystérieux et de gens étranges qui se déplaçaient la nuit ne cessaient d’apparaître, décrivant des nombres croissants et de plus en plus proches des villes et des cités. Les [Stratégistes] pensent qu’il s’agissait des premiers groupes d’éclaireurs envoyés en amont de l’attaque principale.

Toutefois, la rumeur de l’arrivée des Antiniums n’avait circulé que parmi un nombre très restreint de personne, comme les dirigeants des Cités Emmurées ne souhaitaient pas créer de panique. Seuls une poignée d’autres individus notables étaient au fait de la présence des Antiniums, avec entre autres la jeune Lady Magnolia Reinhart, Lord Tyrion Veltras, et le Général Sserys.

Nous ne savons pas comment Lady Magnolia et Lord Tyrion ont appris la nouvelle de l’arrivée des Antiniums, mais nous pensons que les deux Humains avaient accès à de puissants sortilèges qui les a alertés du problème. Lord Tyrion était au courant de la présence des Antiniums, mais il partit du principe que n’importe quel conflit ne ferait qu’affaiblir à la fois les populations Antiniumes et les populations Drakéides et Gnolls, ce qui permettrait aux cités Humaines d’écraser aisément tous ses opposants à la fin de la guerre.

En revanche, Lady Magnolia accueillit la nouvelle de l’arrivée des Antiniums plus sérieusement que les deux autres, et se mit immédiatement à contacter le reste des lords et des dirigeants importants des cités-États Humaines. Ses actions allaient avoir un impact sur le cours de la guerre, mais à l’époque, la parole de la jeune Reinhart ne put convaincre que les plus prudents de ses auditeurs septentrionaux.

Enfin, le Général Sserys de Liscor prit immédiatement la situation en serre lorsqu’il fut alerté de la présence des Antiniums, et il mena des actions décisives. C’est là aussi la première fois que le journal personnel du Général Sserys mentionne une rencontre avec les Antiniums, lors d’une mission de garde de routine avec l’Armée Liscorienne*. Il y note une patrouille inhabituelle et des pertes parmi ses hommes.

* L’armée de Liscor est réputée comme étant l’une des forces les plus puissantes du continent, et notamment pour louer ses services à n’importe quelle nation prête à l’embaucher. Par conséquent, les soldats et leurs commandants sont rarement proches de la ville et se battent au contraire constamment sur les champs de batailles comme mercenaires.


Extrait du Journal du Général Sserys de Liscor -

“Aujourd’hui, nous aurions dû passer une journée ordinaire de patrouille autour de la cité d’Ussls. Notre combat contre les forces du Seigneur Gobelin local a été sanglant et nous avons gagné de justesse, mais je crois à présent que nous avons réussi à écraser le dernier de ses Cheftains et fait s’éparpiller ses dernières tribus Gobelins. Tout étant normal, je ne m’attendais à rien d’autre que quelques monstres locaux, mais l’une de mes patrouilles a été attaquée et à présent six de mes soldats sont morts sous les coups d’un ennemi inconnu.

Pour résumer : une patrouille de vingt Drakéides et Gnolls est tombée sur un groupe de quinze individus noirs dans une forêt ; occupés à couper des arbres à l’aide d’armes rudimentaires. Lorsqu’ils se sont rendu compte qu’ils étaient découverts, cet étrange groupe a immédiatement attaqué mes soldats avant qu’ils n’aient pu repérer d’ouverture. Avant qu’ils n’aient eu le temps de battre en retraite, ils ont tué six de mes soldats - fonçant
tout droit sur la barrière de lances que mes soldats avaient formée pour détruire leurs premières lignes. Ensuite, les créatures noires se sont repliées, emportant leurs morts avec elles. Le chef de la patrouille n’a pas cherché à les poursuivre et est immédiatement venu me rapporter les événements.

J’ai envoyé trois détachements de soixante guerriers chacun pour aider les patrouilles à localiser de nouveau ces créatures, mais ils sont revenus les serres vides jusqu’à présent et je ne suis pas sûr qu’ils retrouveront leurs traces. Ces créatures semblent disparaître facilement, et sans cette rencontre de hasard, une armée aurait pu passer devant sans s’en apercevoir.

Je suis profondément troublé par ces événements. Des pertes égales contre un ennemi en infériorité numérique ne sont pas acceptables, étant donné la force de nos soldats. De plus, la volonté de ces étranges ennemis de se jeter sur nos lances puis leur désir d’emporter leurs compagnons morts avec eux sont également inquiétants.

Je vais voir si nos forces peuvent travailler encore dans la région, même si la paie doit être amoindrie. Mes commandants ne vont pas apprécier cette décision, mais mon instinct de [Stratégiste] me souffle que je ne dois pas ignorer ce qu’il vient de se passer.


Le Général Sserys resta en effet plusieurs jours dans la région, et ses inquiétudes s’avérèrent bientôt extrêmement fondées : cinq jours après cet accrochage, soit près de six mois et demi après l’arrivée des Antiniums, quinze villages et une petite ville furent tous détruits en une nuit.

Les attaques se produisirent presque simultanément, et ne laissèrent aucun survivant. Des marchands, des aventuriers et une patrouille de Cité Emmurée trouvèrent les bâtiments déserts et donnèrent l’alerte. Toutes les zones habitées à cent milles à la ronde furent mis en état d’alerte, et cela permit à quelques survivants de s’échapper lorsque la deuxième vague d’attaques arriva.

Plus d’une trentaine de petits villages furent attaqués deux jours après la première attaque, et plusieurs aventuriers et groupes de soldats de haut niveau parvinrent à retenir les Antiniums suffisamment longtemps pour que les civils et les Coursiers sonnent l’alarme. Mais lorsque les armées arrivèrent, tous les villages étaient déserts, et cadavres comme Antiniums avaient disparus.

Toutefois, de nombreux témoins oculaires confirmèrent les plus grandes craintes des dirigeants Drakéides. La magie avait beau ne pas pouvoir localiser leurs colonies, ces attaques correspondaient à celles dont avait souffert le Royaume Maudit de Rhir, et les rapports précédents de repérage d’Antiniums ne faisaient que confirmer ce fait.

Devant la conclusion indéniable que les Antiniums avaient débarqué sur leurs côtes, les dirigeants des Cités Emmurées se mirent à discuter avec réticence de la création d’une armée coalisée, même si plusieurs d’entre eux avaient encore l’espoir qu’une équipe d’aventuriers seraient en mesure de chasser les Antiniums tout seuls. Comme il n’y eut pas d’autre attaque grave, les négociations traînèrent jusqu’au printemps, 3 ans avant T.P, lorsque les Antiniums lancèrent une attaque virulente contre les cités d’Ys, Beresslars et Lavhavre.

Chaque cité était en état d’alerte maximale et les soldats des Gardes locales patrouillaient les murs avec vigilance. Toutefois, à ce stade, les Drakéides et les Gnolls n’avaient pas encore beaucoup d’expérience de combat contre les Antiniums et se préparèrent comme s’ils étaient menacés par des forces conventionnelles plutôt que par le style de tactiques uniques des Antiniums.

Les Cités Emmurées les plus proches des trois cités reçurent un sort de [Communication] paniqué juste après l’aube, puis plus rien. Bien qu’une armée de cavaliers se mit immédiatement en route pour aider les cités, il était trop tard. Les Antiniums attaquèrent puis se replièrent avant que la cavalerie n’atteigne la ville, et le [Capitaine] en tête décida de ne pas mener de poursuite.

Et moins de deux heures, les Antiniums parvinrent à tuer ou mutiler plus de 80% de la population de chacune des villes. Les murs et les défenses conventionnelles qui rendent les cités-États tellement difficiles à prendre lors de sièges conventionnels tombèrent en quelques secondes lors de l’attaque.

Les témoignages des quelques survivants parlent d’une horde de Soldats noirs et même d’Ouvriers escaladant les murs à toute vitesse, bâtissant des échelles vivantes et écrasant les aventuriers et la Garde de la Cité par la seule force du nombre. L’assaut fut si féroce que la moitié des forces de la ville furent cueillis dans leurs lits où elles furent massacrées.

Ce fut le déclenchement réel de la guerre. Les cités-États se déclarèrent immédiatement l’état d’urgence et se mirent à former le plus de soldats et de guerriers possibles. Toutefois, chaque cité préférait monter ses propres armées et conserver les alliances déjà formées que s’allier avec tout le monde.

Voilà la deuxième erreur des Drakéides. À l’origine, la force de frappe Antiniume était en sous-nombre face aux nombreuses armées Drakéides du continent. Mais les armées isolées et la réticence des cités à travailler serre dans la serre permirent aux Antiniums d’attaquer localement en surnombres, et de rapidement envahir les cités qui entouraient leurs Colonies.

Les Cités Drakéides ont beau avoir existé dans un état de guerre et d’escarmouches incessantes les unes contre les autres, l’un des facteurs qui empêchait la plupart d’être conquises fut la difficulté à prendre une ville avant l’arrivée des renforts. Les armées, même les plus puissantes, prenaient du temps pour franchir les murs et le reste des défenses magiques qui protégeaient chaque cité, délai dont profitaient à coup sûr une autre armée pour attaquer les attaquants ou leur ville d’origine.

De cette façon, une cité-État pouvait facilement rester autonome, ou pour le moins, conserver au maximum son indépendance en s’alliant avec les villes ou les Tribus Gnolles adjacentes. Toutefois, le style d’attaque des Antiniums consistait à prendre les murs par la seule force du nombre et de leur vitesse implacable. Les renforts n’arrivaient que pour trouver une ville pleine de morts ou s’apercevoir que les Antiniums étaient déjà partis avant leur arrivée.

En moins d’une semaine, huit cités étaient tombées et les cités-États des Drakéides avaient compris l’étendue de leur erreur. Mais toutes avaient beau s’accorder sur le fait qu’une armée coalisée était nécessaire, aucune ville ne voulait envoyer son armée par-delà ses murs, de peur que les Antiniums ne les attaque alors qu’elles étaient sans défense. Et les Antiniums profitaient de cette hésitation pour prendre leurs murs et les décimer sans égards pour leurs armées.

Seules quelques armées parvinrent à décrocher quelques victoires contre les Antiniumes pendant ces quelques assauts initiaux. Quelques cités-États avec des forces supérieures parvinrent à repousser les Antiniums et l’armée du Général Sserys réussit à décrocher de véritables victoires avant de se replier devant leurs nombres écrasants.

Une [Tacticienne] Drakéide nota plusieurs observations initiales après une bataille, qu’elle transmit immédiatement à chacune des cités-États par [Message] et Courrier. Elle y décrivit les Antiniums comme une menace extrêmement dangereuse, malgré leur manque apparent de guerriers de haut niveau et de magie :

”... Bien que ces ‘Antiniums’ ne paraissent pas avoir d’individus aux Compétences uniques dans leurs rangs, je pense que leurs guerriers valent n’importe quel [Guerrier] de Niveau 15, voire même plus lorsqu’ils se battent en binôme.

J’ai observé deux types d’Antiniums : les gigantesques Soldats et les Ouvriers, plus petits. Des deux, les Soldats sont largement les plus dangereux. Ils se battent main dans la main et foncent sur les pieux et les pièges magiques sans égards pour leurs vies. Ils continuent d’attaquer même lorsqu’ils sont mortellement blessés, et ils peuvent tuer un guerrier en armure à coup de massue si on leur en laisse le temps.

Leurs carapaces sont aussi dures qu’une armure de cuir et les Antiniums combattent et se déplacent comme une unité professionnelle. Notre armée n’a pu les vaincre qu’en utilisant notre angle d’attaque supérieur et les nombreuses zones de sorts d’attaque pour décimer leurs formations. Nos soldats d’élite ont tué de nombreux Antiniums, et il apparaît que leur seule faiblesse réside en leur manque de magie et de guerriers de haut niveau.

Les Antiniums n’ont pas de mages, et leurs armes longues portée sont des arcs primitifs et des flèches de pierre rudimentaires. Toutefois, leurs nombres et leur efficacité compense largement cette faiblesse. Apparemment, même la classe ‘Ouvrière’ peut tirer des flèches, et leurs rangs d’archers sont donc capables de faire face à nos meilleures divisions simplement en termes d’envoi de missiles.

Toutefois, soyez prévenus : nos guerriers ont été attaqués par
derrière leurs lignes à de nombreuses reprises ,et notre groupe de mage a été attaqué lorsque les Antiniums sont sortis d’un tunnel. Je recommande de poster des sentinelles pour surveiller ces attaques surprises ,et de se battre sur du socle rocheux ou dans des marais si c’est possible.”

L’avantage le plus troublant que possédaient les Antiniums par rapport aux Drakéides ou aux Gnolls étaient leur capacité à creuser des tunnels. Des positions retranchées contenant des éléments vulnérables comme des quartiers généraux de commandement ou des zones à haute concentration en [Mages] ou en [Archers] se retrouvaient soudain attaqués par des équipes de Soldats et d’Ouvriers sous terre qui infligeaient le plus de dégâts possibles avant de battre en retraite.

Ces attaques surprises menèrent à une diversification des soldats de valeur, et à une règle au sein des armées Drakéides de ne jamais avoir plus d’un soldat de niveau supérieur à 30 dans un escadron à la fois. Cette règle est encore d’actualité dans les armées Drakéide à ce jour.

Toutefois, même en dissimulant et en protégeant leurs mages, les armées n’en avaient jamais suffisamment, et avec assez de niveaux, pour changer le cours d’une bataille. Les Antiniums sacrifiaient volontiers des milliers de Soldats et d’Ouvrier pour ne tuer même qu’un seul individu de haut niveau. Lentement, les armées mercenaires reculèrent, forcées d’abandonner leurs cités clientes en voyant leurs forces s’amenuiser petit à petit.

Sserys envoya plusieurs appels pendant cette période aux cités locales, leur demandant d’envoyer leurs soldats pour repousser l’avancée des Antiniums, mais il fut rabroué et finit par mener ses soldats loin à l’est, pendant que les cités tombaient tout autour de lui. Grâce à ses efforts pour ralentir l’avancée des Antiniums, plusieurs villes furent en mesure d’évacuer tous leurs civils et leurs soldats, mais si l’on regarde la carte de la guerre dans sa globalité, les Antiniums furent à peine ralentis pendant qu’ils saccageaient Izril.

Un mois après le déclenchement de la Première Guerre Antiniume, les Antiniums s’arrêtèrent. Nous pensons qu’ils ont passé une semaine à remplacer leurs troupes perdues et à renforcer leurs armées, et, peut-être, à creuser pour construire davantage de Colonies. Aucune armée n’osa lancer d’assaut, et les rares endroits où les Antiniums avaient été arrêtés restèrent englués dans des combats semi-constants.

La Marée Noire des Antiniums se remit en marche, balayant l’est, le sud et le nord à une vitesse tellement implacable que tout espoir de réunir une armée pour les contrer fut perdu. En un instant, les Antiniums avaient capturé presque trente pour cent de la moitié australe d’Issrysil, et semblaient prêts à balayer le reste. Toutefois, ils rencontrèrent leur premier obstacle lorsqu’ils encerclèrent et se mirent à assiéger la Cité Emmurée de Zérès.

Les Antiniums avaient aisément réussi à traverser quatre des Murs construits par les Royaume Maudit de Rhir, mais les constructions supérieures des Cités Emmurées leur posèrent un nouveau défi*. Une armée gigantesque se mit à assiéger Zérès, mais après une semaine de combat de jour comme de nuit, les Antiniums furent repoussés, avec des pertes extrêmement élevées de leur côté tandis que leurs opposants n’avaient quasiment souffert d’aucun dégât.



* Les célèbres Cités Emmurées possèdent des fortifications tout à fait différentes de celles des autres cités Drakéides. Leur date d’origine est antérieure à l’histoire écrite, et la magie qui permet aux murs de cent mètres de haut de tenir debout renforce la pierre et lui permet même de se réparer avec le temps. Aucune armée n’a jamais réussi à prendre l’une des six Cités Emmurées restantes en les assiégeant, bien que les célèbres cités aient pu tomber sous le coup des coups d’État et des trahisons au cours du millénaire.


Les échelles vivantes qu’utilisaient les Antiniumes étaient bien trop courts pour atteindre les créneaux de la Cité Emmurée, et les Antiniums s’aperçurent qu’il leur était impossible d’atteindre les défenseurs, qui avaient un meilleur angle d’attaque, avec leurs flèches.

L’un des Seigneurs des Murailles de Zeres nota avec jubilation l’échec des Antiniums dans son journal personnel :



”Ils ne peuvent pas franchir nos murs, ni détruire leurs fondations ! Leurs sapeurs ont beau être forts, ces insectes ignobles n’ont pas la magie nécessaire pour détruire les enchantements qui protègent les Cités Emmurées. Nous sommes en sécurité, tant qu’ils ne trouvent pas de moyen d’escalader nos murs ou de construire une tour de siège suffisamment grande.

En effet, le sol autour des Cités Emmurées était impénétrable avec les outils et les équipements conventionnels à cause des enchantements qui irradiaient des murs. Ceci frustra les Antiniums, et plusieurs observateurs sur les murs virent les Ouvriers creuser le sol jusqu’à ce que leurs membres se brisent et que leurs doigts soient sanglants et à vif.

Zeres resta debout, et les Antiniums ne purent l’abandonner de peur que l’armée ne les attaque par derrière. Ce siège, tout comme celui d’autres Cités Emmurées, permit d’occuper une grande partie de l’armée Antiniume, ce qui ralentit leur avancée.

Le désavantage de cette situation fut que bien que les Antiniums souffrent de lourdes pertes pendant leurs assauts initiaux, ils se replièrent rapidement hors de portée et maintinrent un siège passif, dans l’espoir d’épuiser les provisions des Cités Emmurées.

Ceci aurait pris des années, étant donné les stocks gigantesques que maintiennent chaque Cité Emmurée et leur capacité à cultiver des champs et même élever des troupeaux à l’intérieur de leurs gigantesques fortifications. Mais tant que les Antiniums maintenaient leur siège, les armées de chacune des Cités Emmurées restaient forcées de demeurer derrière leurs murs, forçant le reste des cités-États à se défendre seules.

Les légions Antiniumes auraient pu raser toute la moitié australe du continent sans rencontrer de résistance, si deux groupes n’avaient pas vaincu leurs armées avec une efficacité sans précédent.

Pendant que les cités-États étaient lentement évacuées et tombaient sous les assauts des Antiniumes, une autre force pénétra dans les marais et les plaines herbeuses appartenant aux tribus Gnolles, brûlant et tuant tout sur leur passage. Toutefois, les Gnolls d’Issrysil ne bâtissaient pas de cités comme les Drakéides, et contrairement à leurs rivaux écailleux, leur opposition contre les Antiniums fut bien plus couronnée de succès.

Les tribus Gnolles des plaines et des marais réagirent beaucoup plus rapidement que n’importe laquelle des cités-États conformistes des Drakéides, et plus d’une centaine de tribus envoyèrent leurs guerriers pour former une armée gigantesque - semblable à celles qui repoussèrent même les plus grandes des avant-gardes lors des guerres entre Gnolls et Drakéides pendant les siècles précédents.

Pendant leur premier véritable combat contre une vaste force de presque quatre-vingt mille Antiniums, une armée de vingt-mille Gnolls parvint à mettre en déroute leur armée entière dans une bataille sanglante qui ne dura qu’une journée. Nous supposons que cette armée n’était pas composée de [Chasseurs] et de [Guerriers] Gnolls ordinaires, mais d’élites choisies dans chacune des tribus.

Il y eut de lourdes pertes des deux côtés, mais l’armée Antiniume fut presque entièrement détruite et une force bien supérieure de près d’une centaine de milliers de Gnolls se rassembla pendant la semaine qui suivit. Cette armée principale, complétée par plusieurs “meutes de chasse” de dizaines de milliers de Gnolls, parvint à repousser chacune des avancées Antiniumes dans les territoires Gnolls.

La résistance Gnolle est probablement l’une des raisons principales pour lesquelles les Antiniums furent incapables de submerger un seul front plus tard pendant la guerre. Ils continuèrent de combattre les Tribus Gnolls dans des batailles de plus en plus coûteuses pour les deux côtés, mais ne parvinrent jamais à pénétrer de plus de cinquante milles en territoire de cœur des Gnolls. Toutefois, les Gnolls n’envoyèrent jamais d’armées pour contre-attaquer les Antiniums, préférant protéger leurs tribus éparpillées et leurs possessions.

Avec le temps, il est possible que les Antiniums auraient pu prendre les villes des Drakéides et encercler les Gnolls avec leurs nombres écrasants, mais leur avancée à l’est fut stoppée à la Passe des Chutes Frissonnantes par la première armée coalisée à s’être formée pendant la guerre.

Général Sserys avait emporté l’armée Liscorienne loin à l’est, dans l’espoir de rallier les villes. Au début, il n’avait trouvé aucun soutien, étant donné que les cités ne faisaient pas confiance à la nature mercenaire de son armée et avaient peur d’être trahies. Mais lorsqu’il devint évident que les Drakéides mourraient s’ils restaient seuls, de plus en plus de soldats et d’officiers haut gradés se mirent à s’engager dans des communications privées avec Sserys, défiant directement les ordres des dirigeants de leurs cités.

Lorsque les sièges des Cités Emmurées débutèrent, la Marée Noire se sépara en deux et envoya une force gigantesque en direction de la Passe des Chutes Frissonnantes, l’une les zones stratégiques séparant les moitiés Est et Ouest du continent. Cette armée d’avant-garde était composée de plus d’une centaine de millier d’Antiniumes, et toutes les cités qui se dressaient en travers de sa route évacuèrent leurs populations, fuyant en direction des Cités Emmurées qui se retrouvèrent enlisées sous la masse des réfugiés.

Un seul [Général] refusa de battre en retraite. Sserys était convaincu que la perte de la Passe des Chutes Frissonnante permettrait aux Antiniums de s’implanter de manière permanente. Il préféra appeler tous les [Commandants] en tête d’une armée de plus de mille soldats aux alentours à le rejoindre pour défendre la passe. La réputation de l’Armée Liscorienne et le niveau personnel de Sserys convainquirent de nombreux groupes de mercenaires et de petites armées d’accepter son pari et de rejoindre ses forces qui engagèrent le combat avec les Antiniums au centre de la passe.

Sserys s’exprima brièvement à l’attention de ses soldats lorsque sa petite force se prépara à repousser les Antiniums qui avançaient vers la passe. Il s’adressa à son armée quelques minutes avant la rencontre des deux armées :

“Le temps nous manque pour les discours la serre sur le cœur, pour les puissants serments ou les vœux solennels. Voilà l’ennemi. Nous voilà, nous. Je ne reculerai pas d’un seul pas. Qui protégera mes arrières ?”

L’armée coalisée de Sserys et les Antiniums croisèrent le fer au milieu de la passe, combattant entre les limites étroites du canyon rocheux pendant que le [Général] Drakéide au front menait ses soldats.

Il mena en personne quinze charges contre les Antiniums. Fidèle à sa promesse, General Sserys refusa de reculer. Il plaça au contraire ses premières lignes au centre des formations Antiniums, préférant repousser leurs soldats plutôt que de leur permettre de se regrouper.

Sa stratégie globale consistait à former des rangs solides de soldats avec des classes défensives en assignant des [Tacticiens] et des [Stratégistes] à chaque colonne, en utilisant leurs capacités actives pour renforcer leurs positions. Les archers se battaient contre les Antiniums à distance et les mages faisaient exploser les regroupements d’Antiniums, qui n’avaient pas la possibilité de renvoyer ce genre de force destructrice.

Fort de son expérience des batailles passées, Sserys fit systématiquement effondrer les tunnels qui apparaissait derrière ses lignes, mais son succès fut également dû à son inéluctable avancée ; les Antiniums n’eurent jamais le temps de creuser sous son armée tandis qu’ils décimaient leurs formations, reprenant largement la stratégie des Antiniums lors de batailles précédentes.

Sserys envoya des équipes de choc constituées de guerriers de haut niveau décimer les lignes Antiniumes avant de se retirer avec peu voire point de pertes tandis que ses guerriers d’un niveau inférieur repoussaient les Antiniums toujours plus loin. Les Soldats Antiniums avait beau être plus forts que le [Soldat] moyen fraîchement recruté, les Drakéides et les Gnolls d’un niveau supérieur à 20 restaient capables de tuer un nombre incalculable d’Antiniums avant d’être forcés à battre en retraite.

Après presque deux jours de combat incessant, la gigantesque armée Antiniume se replia avec moins d’un quart de son nombre d’origine. Les forces de Général Sserys ne subirent que peu de dégâts en comparaison ; les grandes quantités de potions de soin, les [Soigneurs], et les compétences dues aux classes de [Commandants] combinés à la rotation des soldats blessés permirent de sauver des milliers de vies sur le champ de bataille.

Cette victoire fut la première défaite majeure d’une armée Antiniume sur le continent. Les nouvelles se répandirent instantanément à chaque cité-État et avec elles, le moral des Drakéides et des Gnolls remonta en flèche. Les Antiniums pouvaient être vaincus. Ils pouvaient être arrêtés.

La défaite des Chutes Frissonnantes n’était pas significatives pour les colonies Antiniumes en termes de soldats ou d’importance stratégique, mais cet échec surprit les Reines qui menaient la guerre. Même à Rhir, les Antiniums avaient rarement été vaincus avant leur départ, et cet échec décisif a dû inquiéter la Grande Reine.

Bien que plusieurs armées supplémentaires auraient pu venir rejoindre le combat contre l’armée de Sserys une nouvelle fois, la Grande Reine décida de n’en rien faire. Au lieu de cela, elle envoya d’autres armées au nord pour assaillir Liscor tandis que le reste se repliait pour maintenir leurs sièges et protéger le territoire qu’ils avaient conquis.

Ceci s’avéra être une erreur, car l’armée victorieuse de Sserys se mit à attirer des soutiens et de nouvelles recrues à une échelle inégalée jusqu’alors. Le [Général] rallia l’est, sollicitant le soutien des Cités Emmurées qui n’étaient pas directement sur le chemin de l’avancée des Antiniums. Comme elles cherchaient désespérément un leader capable de vaincre les Antiniums, elles envoyèrent toutes les armes et tous les soldats qu’ils purent rassembler.

Les communications des Sserys avec les dirigeants des deux cités restent d’une nature largement diplomatique ; ses mots rassurants à leur attention restent surtout personnels et il est probable qu’il ait évité de faire référence à sa stratégie globale, sauf pour un échange. Les requêtes initiales des deux cités voulaient que Sserys reste en position de défense et empêche l’avancée des Antiniums plutôt qu’il n’avance pour attaquer selon ses souhaits.

Face à la pression croissante tant à travers ses correspondances que de la part des émissaires envoyés par les Cités Emmurées, Sserys envoya une réponse brève par lettre magique qu’il écrivit comme suit :

Nous ne battrons pas en retraite.

La victoire ne peut être décrochée qu’en faisant face aux Antiniums. La lâcheté ne fera que précipiter notre chute. Nous allons les assaillir et rallier les nôtres ou mourir en combattant. C’est notre seule chance.

N’essayez plus de me dissuader de prendre cette voie. Un Drakéide ne prend pas la fuite.

  - Général Sserys de Liscor


Le jour suivant, la Première Armée Coalisée de Liscor lança une contre-attaque à grande échelle sur les forces Antiniumes en train d’assiéger les Cités Emmurées.


 
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SO2 - Les Guerres Antiniumes Partie 2
Traduit par Maroti

La Première Guerre Antinium continua pendant quatre mois après l’assaut initiale et la résistance des armées Drakéides fit réaliser aux Antiniums que le continent ne tomberait pas aussi facilement.

La Marée Noire avait balayé Issyril comme Rhir, mais contrairement au Royaume Maudit, les Drakéides et Gnolls n’avaient pas de grands ennemis à affronter comme le Roi Démon. Et devant la menace de l’invasion Antinium, les tribus Gnolls et villes Drakéides guerroyantes mirent leurs anciennes rivalités pour s’unir contre un ennemi commun.

L’éventuelle alliance des villes et tribus qui se forma sous le commandement du Général Sserys prit plusieurs mois pour se concrétiser, période de temps durant laquelle la conquête des Antiniums resta incontrôlée. Si l’alliance s’était rassemblée au début de la Guerre Antinium, voir au bout de quelques mois, la machine de guerre Antinium n’aurait peut-être jamais atteint une telle ampleur.

Sserys parvint éventuellement à unifier toutes les villes Drakéides et à forger une alliance ténue avec le collectif des Tribus Gnolles, ce qui était essentiellement un pacte de non-agression qui permettait aux Drakéides et Gnolls de se concentrer sur les Antiniums. Et donc, Sserys fut nommé Haut-Général et prit le commandement de la guerre contre l’ennemi Antinium.

Il est nécessaire de dire que malgré son niveau élevé et son expérience de stratège, même Sserys et les meilleurs [Stratégistes] du continent peinait à ralentir les Antiniums. Les Reines réagissaient avec une telle vitesse et sans la moindre hésitation qu’il était difficile de surprendre leurs armées, et sans de perte de morale possible ou d’erreur de communication, les Antiniums possédaient encore moins de faiblesse qu’une armée conventionnelle.

Et pourtant, même si la Marée Noire était implacable, il y avait encore des bastions que même le nombre sans fin des Soldats Antiniums ne pouvaient pas faire tomber.

Les Tribus Gnolles, les Villes Emmurées, et l’armée de Sserys étaient des piliers indomptables qui ne pouvaient pas être vaincus malgré les nombreuses attaques des Antiniums. Mais des villes brûlaient et des marées de Drakéides et Gnolls épuisés fuyant vers l’est, une autre cible que les Antiniums exploitaient.

General Sserys ne pouvait pas abandonner les civils aux griffes des Antiniums, et les Drakéides étaient obligés de se battre sur la défensive. L’un des rares points positifs semblait être la limite du nombre d’armée que les Antiniums pouvaient déployer à la fois ; avec les quelques Reines de chaque Colonie, ils étaient incapables d’éparpiller leurs armées pour effectuer les attaques foudroyantes et instantanées qui avaient dévasté Rhir.

Cependant, les forces Drakéides étaient clairement désavantagées, et alors que les Antiniums continuaient de pousser vers le nord, vers le dernier bastion entre les terres Drakéides et Humaines, Liscor. Sserys connaissait l’ampleur du danger et dirigea encore plus d’armées au nord pour tenir les Antiniums en respect alors qu’il essayait d’évacuer les terres, mais ses armées cédaient lentement du terrain à l’ennemi.

Deux événements d’importance changèrent la balance durant la Première Guerre Antinium. Alors que les [Stratégistes] et [Tacticiens] ont constamment argué sur les implications de chaque engagement, l’histoire a retenu que les Antiniums n’avaient pas subi de défaites. Mais l’émergence d’un second leader qui allait se montrer vital durant la guerre et le fameux accord de Liscor aida à faire pencher la balance du côté de Drakéides.

La ville-état de Geir se tenait directement sur le chemin de la Marée Noire, mais avait échappé aux conflits majeurs avec les Antiniums. Cependant, après que l’une des armées de Sserys souffrit d’une écrasante défaite, les Antiniums avancèrent soudainement vers la ville, frappant quelques heures après la dernière bataille avec la vitesse qui avait causé tant de problèmes aux [Stratégistes] Drakéide.

Les quelques [Scouts] surveillant le front Antinium virent les Antiniums se précipiter sur les murs, ignorant les pertes que les sorts de défenses causaient sur leur armée. Comme biens d’autre avant-poste, les défenseurs se mobilisèrent trop lentement pour repousser les Antiniums et leurs portes furent détruites lors de la première heure de combat. Après cela, les rapports s’arrêtèrent alors que les scouts furent forcés de battre en retraite alors que de nouveaux Antiniums commencèrent à avancer.

Les communications cessèrent alors que l’armée Antinium continua d’avancer, et il fut décidé que la ville venait d’être perdue. Cependant, deux jours après l’attaque, une Courrière humaine, Mihaela Godfrey, brisa les lignes des Antiniums de l’intérieur pour délivrer le message suivant au Général Sserys. Il venait d’un jeune [Lieutenant] Drakéide stationné dans la ville :

« A la personne lisant ce message,

Mon nom est Zel Shivertail. Je suis un [Lieutenant] de Niveau 15 à la tête de ce qu’il reste des forces de Geir, je crois que tous mes supérieurs sont morts…

Nous avant été attaquées par une vaste armée Antinium qui a fait tomber nos murs. L’attaque est arrivée à une telle vitesse que la majorité de nos guerriers furent perdus lors des premiers instants. Je suis parvenu à rallier quelques soldats, gardes et civils pour battre en retraite au plus profond de la ville.

Les Antiniums ont brisé les murs de pierre, mais la ville a été bâtie sur un ancien donjon. Nous nous sommes barricadés et les Ouvriers ne sont pas encore parvenus à creuser à travers les enchantements…

Ils sont inépuisables. De nouveaux soldats attaquent notre position à chaque instant. Nous avons formé un couloir de la mort et nous utilisons les quelques [Mages] que nous avons alors que nos guerriers font des quarts. Tout le monde, Drakéide, Gnoll ou Humains avec moi sont en train de se battre.

J’ai envoyé cette Courrière dans l’espoir qu’elle puisse trouver quelqu’un qui portera ce message au Général Sserys. S’il vous plaît, dites-lui que nous sommes encore vivants et de ne pas envoyer de renfort. L’ennemi est désormais trop bien retranché ici. Nous savons tous que nos vies sont perdues, mais nous continuerons de nous battre et de distraire les Antiniums le plus longtemps possible.

Cet endroit ne tombera pas tant que l’un d’entre nous est encore debout. Je supplie une seule et unique chose après notre départ : vengez-nous. Déraciné l’ennemi de ces murs et exterminé une centaine d’entre eux pour chacun d’entre nous.

Nous sommes là. Nous continuerons de nous battre jusqu’au bout.



Au départ, beaucoup pensant que le message de Shivertail était un piège des Antiniums. Mais les archives indiquaient que Geir avait bien été construit sur un donjon d’une considérable taille et de puissance magique. Le fait qu’il y ait encore des survivants choqua ceux qui étaient à la tête de l’armée, et Sserys commença immédiatement à explorer les options pour pouvoir aider les survivants de Geir.

Des rapports écrits suggèrent qu’’un assortiment d’environ trois cents [Soldats], [Gardes] et civils avec différentes classes s’enfuirent dans le donjon, grâce à la rapidité de Zel Shivertail. Les Soldats attaquent en priorité ceux avec une classe de combattant, permettant à un grand nombre de civils de prendre la fuite durant l’attaque.

Peut-être que les Antiniums croyaient qu’ils allaient facilement vaincre les survivants, et en effet, cela aurait put être le cas si cela n’avait pas été par les gains de niveaux explosifs que les survivants venaient de subir alors que les gens désespérés luttèrent dans une position défensive devenant de plus en plus meurtrières pour les Soldats Antiniums, qui se trouvèrent incapables d’avancer dans l’étroit couloir qui empêcha les Antiniums d’utiliser leur supériorité numérique.

Ceci, combiné avec les murs magiques impénétrables, donna une chance de combattre aux survivants. Leurs situations n’étaient pas moins désespérées, mais ils pouvaient éviter de se faire emporter par le nombre lors de la première journée, et la seconde. Et alors que le combat continua, un miracle se produisit.

Forcés de combattre avec leurs queues au mur contre des forces les dépassant sur tous les points, les défenseurs de Geir montèrent de niveaux de manière presque journalière en obtenant des classes inhabituelles telle que [Vaillant], [Défenseur] et [Teneur de Ligne] parmi les guerriers et [Survivant], [Combattant] et [Protecteur] parmi les civils. Certains gagnèrent même quelques rares classes comme [Massacreur], [Berserker Sanglant] et ainsi de suite.

Cette progression explosive est généralement connue et prit en compte par les [Tacticiens] Drakéides, Humain et occasionnellement Gnoll quand un siège prend place dans un endroit bien protégé, mais les Antiniums n’étaient clairement pas préparé à cette éventualité. Ils envoyèrent de plus en plus de leurs Soldats jusqu’à ce que le combat durât assez longtemps pour que les morts servent de barricade aux défenseurs.

Pendant plus d’un moins, Zel Shivertail mena ces défenseurs de haut-niveaux contre les Antiniums, jusqu’au jour où il parvint à repousser les Antiniums hors du donjon et reprendre le bâtiment.

C’était le moment que Sserys avait attendu. Il mena personnellement un groupe de soldat d’élite pour les secourir, lançant un assaut dans Geir alors que deux armées retenaient les Antiniums suffisamment longtemps pour secourir les survivants.

L’audacieux succès des actions de Sserys et le sauvetage de plus de quarante Drakéides et Gnolls du niveau 30 ou plus fit décrite comme une victoire héroïque à travers le continent. En tant que leader des défenseurs de Geir, Zel Shivertail fut récompensé par de multiples accolades pour son succès dans une situation aussi désespérée. Il passa d’un [Lieutenant] de Niveau 15 à un [General] de Niveau 39, l’un des plus incroyables gains de niveau de l’histoire.

Shivertail fut immédiatement donné une unité ; il assembla une armée autour des survivants de Geir et mena ses soldats sur plusieurs victoires notables, l’une des plus mémorables étant sa victoire sur la seconde défense des Cascades Frémissantes ainsi que la reprise de Geir plus tard dans la guerre.

Ses capacités défensives, provenant de ce siège mortel, permit à son armée de combattre des forces numériquement supérieures que les siennes et même de repousser les Antiniums dans de nombreuses batailles clef. Shivertail commença à être appelé le ‘Brise-Marée’, en référence à l’échec de la Marée Noire de le vaincre.

Plus important que ses talents de général fut le fait qu’un groupe de gens avait survécu aux assauts mortels des Antiniums. L’histoire de Geir devint un cri de ralliement et apporter de l’espoir aux citoyens qui en avaient désespérément besoin.

Sserys fut connu pour avoir été ému par cet événement, et commença à considérer Shivertail comme l’un de ses généraux de confiance. Il écrit ceci dans son journal :

«… Longuement discuté avec lui. Je n’arrive pas à croire que le jeune Shivertail est parvenu à accomplir cet exploit avec si peu de soldats. Mais j’ai vu sa force mentale et son audace sur le champ de bataille et je crois qu’il est parfaitement capable de devenir un général d’importance si cette foutue guerre continue…

Cela m’a pris du temps, mais je suis finalement parvenu à commander une armure pour lui. Mais il a refusé mon cadeau, disant qu’elle serait plus adéquate pour quelqu’un ayant un niveau inférieur au sien. Il n’utilise pas d’arme magique, car ses Compétences lui permettent de se battre avec ses griffes de manière bien plus efficaces que des guerriers expérimentés.

Je dois l’admettre, j’admire son humilité, mais je ne peux pas perdre un jeune [Général] avec autant de valeur. Il est une icône parmi les soldats, et il me donne l’espoir que nous pouvons peut-être gagner cette guerre…


L’optimisme prudent de Sserys allait bientôt être récompensé, car les Antinium choisirent cet instant pour lancer leur plus audacieuse attaque. Ils utilisèrent toutes les armées qui n’étaient pas utilisées au nord vers Liscor, l’un des deux seuls point de passage vers le territoire Humain, dans l’espoir de couper toutes formes de renforcement et d’encercler les forces de Sserys.

L’attaque sur la ville natale du Général Sserys aurait normalement provoqué une écrasante réponse de la part de l’armée de Liscor et du General, mais d’innombrable armée Antiniums furent envoyé pour ralentir l’immense force que Sserys essaya d’utiliser pour sauver la ville.

Liscor se trouva assiégé par une gigantesque armée Antinium, mais étonnamment, ne tomba pas immédiatement sous les assauts. Comme les Villes Emmurées, Liscor possédait des défenses magiques suffisamment puissante pour repousser les attaques Antiniums d’innombrable fois. Et pourtant les Antiniums envahirent la totalité de la région, remplissant les alentours avec tellement de Soldats que les habitants avaient l’impression que le sol était véritablement de l’eau.

Sserys, désespéré de sauver Liscor, continua d’avancer avec ses armées, affrontant d’innombrables combats désespérés pour se trouver à l’entrée sud de Liscor. Mais son avance s’arrêta. La Marée Noire rencontra son armée avec un écrasant avantage numérique et l’encercla, le coupant de tous moyen de battre en retraite. Sserys était soudainement pris au piège alors que son armée et Liscor furent encerclé par les forces Antiniums.

Aucun autres commandants Drakéides étaient suffisamment proche pour l’aider, et Zel Shivertail, à la tête de la majorité des forces Drakéides, était en train de combattre au nord pour repousser le front des Antiniums et ne pouvaient pas se permettre d’envoyer des troupes.

Les armées Drakéides furent repoussées et éloignées, et Liscor était sur le point de tomber alors que les Antiniums continuaient leur impitoyable siège. De dire que le destin des Drakéides tournait autour du fait que Sserys devait battre en retraite n’est pas une exagération. Sans cette armée, les Antiniums allaient pouvoir renverser le front déjà précaire des Drakéides.

Mais les Antiniums n’avaient aucune intention de laisser Sserys battre en retraite. Ils attaquèrent de toutes leurs forces et Sserys les affronta au pied d’une des montagnes.

***

Les Drakéides venaient d’endurer un autre assaut destructeur de plusieurs dizaines de milliers d’Antinium chargeant leur ligne de défense sans se soucier de leur perte tandis que l’aube se leva.

Sserys était en train de préparer ses troupes pour une dernière charge. Il avait été repoussé six fois auparavant, mais il considérait que la seule chance de survie de son armée était de pousser vers les portes de Liscor. C’est ici qu’ils allaient peut-être parvenir à tenir assez longtemps pour que Zel Shivertail lève des troupes pour venir les aider, mais les Antiniums avaient littéralement former un mur de cadavre qui continuait de s’épaissir.

Alors que Sserys prépara son dernier ordre, il entendit une corne retentir. Il parle de ce moment dans son journal :


« … Et au milieu de ce désespoir. Je l’entendis. Une corne de combat, un appel aux armes. Ne venant pas de mon camp ou des forces Antiniums, mais au-delà, au nord. C’est quand j’ai vu les Humains. Ils descendirent la passe, une armée aussi grande que celle que nous avions affronter avant cette guerre. Des [Chevaliers] et des [Aventuriers] chevauchant des montures de guerre, des rangs de [Soldats], et d’innombrables mages faisant pleuvoir le feu sur l’arrière garde des Antiniums.

C’était glorieux. Et en cet instant, j’ai vu une jeune femme à leur tête, levant une épée. Et je savais que nous allions remporter cette bataille, et donna l’ordre de charger. Non vers Liscor, mais vers le centre de l’armée Antinium.

J’étais prêt à mourir pour Liscor. Mais ce n’était pas le bon jour. Et nous avons brisé la Marée Noire à nous deux. Drakéides, Gnolls et Humains liés par le même objectif pour une glorieuse victoire. »


L’arrivée des forces Humains fut une surprise pour Sserys et les Reines Antiniums. La longue histoire d’animosité entre les Drakéides et Gnolls indigènes et les Humains qui avaient débuté lorsque les premiers Humains ont posé le pied sur le continent en venant de Terraria voulaient dire que, même alors qu’ils affrontaient les Antiniums, les Drakéides s’attendaient à ce que les Humains les attaquent plutôt que leur venir en aide.

De plus, les cités-états Humaines étaient tout aussi dispersé que leurs équivalent Drakéides. Les Humains refusaient de travailler ensemble à moins qu’une armée Drakéide marche vers le nord. Le fait qu’une aussi grande armée, plus de cent soixante milles soldats, venait d’arriver au moment le plus désespéré ne pouvait être qu’attribuer à une seule personne : Lady Magnolia.

La jeune Reinhart n’était pas restée silencieuse lors des nombreux mois qui s’était déroulés depuis le début de la Guerre Antinium. Même si ses avertissements initiaux ne s’étaient pas fait entendre, le scion de la famille Reinhart avait lentement rassemblé support et influence, renversant sa famille pour prendre le pouvoir sans verser la moindre goutte de sang et utilisant sa nouvelle influence pour persuader les villes de prendre les armes pour créer une armée.

La menace grandissante des Antiniums alarmait de nombreux Humains dans les hautes sphères, et avec la puissance des Reinhart derrière l’effort, une armée Humaine avait été formé et envoyé au sud avant que Liscor ne puisse tomber.

La somme que la jeune Magnolia Reinhart a investie dans l’effort de guerre est inconnu, mais tous les Aventuriers Légendaires ou de Rang Or du nord furent offert une somme exorbitante pour intervenir en tant qu’avant-garde et d’unité spéciale, et les guerriers élites de chaque ville furent envoyé avec un lourd investissement sous la forme d’arme et d’équipement, indiquant que cela n’était pas une armée temporaire. Les Humains comptaient renvoyer les Antiniums dans la mer, et Liscor allait être le début de cette campagne.

L’attaque Humaine arriva cachée par d’immenses sorts de camouflage qui utilisèrent la quasi-totalité du mana des mages de l’armée. Cependant, leur attaque surprise fut si dévastatrice que d’innombrables milliers d’Antiniums moururent dans les premières minutes alors que l’armée laissa tomber ses enchantements et chargea dans le dos.

Alors que les tactiques Humains et Drakéides avaient plusieurs similarités, il y avait une différence dans la composition de leur armée. Les Humains préféraient grandement des assauts menés par une cavalerie lourde alors que l’armée Drakéide préférait utiliser des régiments montés plus léger. De plus, les armées Humaines préféraient attaquer en masse avec des bombardements magiques avant de charger.

Donc, les Antiniums se trouvèrent pris au piège sous le feu d’innombrable sort avant que les Ouvriers et Soldats confus observèrent un flot de cavaleries lourdes charger dans leur dos. Au même moment, Sserys envoya une redoutable contre-attaque, et les lignes Antiniums commencèrent à se briser sous le double-assaut, en plus d’une troisième attaque venant de la ville de Liscor.

Le siège de Liscor fut brisé alors que l’armée Antinium se trouva écraser sur deux fronts. Les armées du Général Sserys bloquèrent l’échappatoire au sud alors que les armées Humaines de Lady Magnolia firent un carnage dans les rangs des Antiniums, pulvérisant leurs lignes avec de la magie alors que leur cavalerie continua de charger à travers les rangs de Soldats.

De nombreux [Lords] Humain et la petite noblesse furent présents lors de cette bataille à la tête de leur force respective, mais étrangement, Lady Magnolia en personne fut repérer sur le champ de bataille, inspirant ses troupes derrière sa garde d’élite. Alors que Lady Reinhart ne participa pas directement au combat, sa présence sur le champ de bataille fut une notable différence comparée au comportement aristocrate que les nobles ont habituellement.

La bataille de Liscor durant pendant plusieurs heures, mais l’équilibre pencha inévitablement en faveur des Drakéides et des Humains. Les Antiniums battirent en retraite de manière chaotique, laissant d’innombrables morts derrière-eux et deux armées fêtant leurs victoires.

Les soupçons que les Drakéides auraient pu avoir envers cette intervention furent mis de côté devant le timing de leur arrivée. Magnolia Reinhart fut une nouvelle fois instrumentale en servant d’émissaire pour les deux forces et en décidant de la marche à suivre alors que les commandants des deux armées débattaient de ce qu’il fallait faire.

Le résultat de la bataille de Liscor fut un terrible coup aux forces Antinium et un nouvel allié sous la forme de l’armée Humaine, qui allait se distinguer avec plusieurs victoires sur les Antiniums. Cependant, Lady Magnolia Reinhart retournerait un nord après la bataille, ayant perdu son coup pour la guerre dans son premier combat. Cela soulagea grandement nombre de son personnel et ceux affilié avec la maison Reinhart, mais aussi le General Sserys.

« J’ai cherché la jeune Lady Reinhart après les discours et célébrations. Je voulais personnellement la remercier, mais à ma grande surprise, je l’ai trouvé errante avec les morts. Beaucoup d’Humains ont perdu la vie, et je les vis longuement regarder leurs cadavres parmi les Antiniums.

Je crois qu’elle pleura, et vomit, et je ne l’ai rejointe que plus tard. Tout ce que je savais était que, même si elle se montra aussi courtoise que sa Classe l’exigeait, son visage était pâle et elle semblait avoir du mal à se tenir debout. Je ne l’ai pas longuement dérangé, et j’ai attendu qu’elle se remette pour pouvoir discuter avec elle.

Je dois l’avouer, alors que je ne prenais que peu de plaisir dans le malaise de la jeune Reinhart, je suis soulagé de la voir ainsi. Si elle avait ne serait-ce que la moitié de son intelligence, de sa bravoure et de ses talents sur le champ de bataille qu’en politique… Je crains que nous saurions bientôt plus en danger par la présence des Humains que par celle des Antiniums. »



Malgré les peurs de Sserys, Magnolia Reinhart joua encore un rôle important pendant le reste de la guerre Antinium, non pas en tant que guerrière ou commandante, mais en tant que diplomate. Elle convaincue des alliés hésitants à continuer de combattre et d’aider les armées et fit campagne pour que la pression soit maintenue sur les Antiniums.

Il semblait que la guerre était gagnée, du moins c’est ce que les [Messagers] et [Coursiers] hurlaient depuis les toits. Drakéides et Humains s’étaient alliés, et même les Tribus Gnolles avaient envoyé leurs forces pour repousser les Antiniums. Cette coalition de force, nommée l’Alliance Australe, s’allia pour repousser les Antiniums à mainte reprise. Les sièges de deux Villes Emmurées furent brisés, et le front Antinium fut de plus en plus pousser jusqu’à ce que leurs Colonies soient en danger.

Cependant, ce n’était pas la fin de la Guerre Antinium, seulement un creux dans le combat. Les Reines avaient décidé de retirer leur force, mais pas de battre en retraite. À la place, elles lancèrent une massive contre-attaque alors que les trois armées se regroupèrent vers leur position. Les Reines déployèrent leur arme secrète dans cette guerre : les Prognugators.

Peut-être que les Prognugator n’étaient pas encore ‘nés’ dans les Colonies Antiniums, peut-être que le fait qu’ils étaient au front démontrait que les Reines étaient désespérées. Cependant, les forces Drakéides, Gnolles et Humaines s’approchant des Colonies se trouvèrent soudainement attaquées par d’innombrable Antiniums, soudainement mieux organisé et encore plus dangereux.

Soudainement, les armées Antiniums étaient en train d’utiliser des stratagèmes jamais vu durant la guerre. Les Antiniums avaient toujours employé des tactiques basiques et des formations simples, mais ils utilisaient désormais des attaques surprises, des tactiques de contournements, et posaient des pièges ou feintaient, tout comme un bon leader aurait fait.

Et pourtant, les Antiniums n’avaient pas de commandant visible sur le front, pas de [Général] qui avait besoin d’être abattu par des archers ou des mages. Ce ne fut qu’après une bataille décisive durant laquelle une avant-garde Antinium brisa les linges Humaines et massacre le [Général] que les témoins dirent avoir vu un Antinium qui semblait ressembler à un Ouvrier, mais qui maniait des épées et se battait un guerrier de haut niveau.

Ce fut la première fois que les élusifs Prognugator furent aperçus, l’un des sous-commandants des Antiniums. Ils apparaissaient comme des Ouvriers ordinaires jusqu’à ce qu’ils dévoilent leur capacité unique sur le champ de bataille. Cela incluant de fortes capacités de combat, au moins au niveau d’un aventurier de rang Argent, et une grande perspicacité stratégique. Ils prétendaient être des Antinium ordinaire tandis qu’ils menaient secrètement leurs armées, uniquement pour révéler leur vraie nature lorsqu’ils étaient en danger ou à des moments clé.

Une fois que Sserys et les commandants Humains apprirent leur existence, ils concentrèrent tous leurs efforts pour les pourchasser et les détruire. Mais malgré les avoir tués plusieurs fois, il semblait que les Prognugators étaient immortels.

Lors d’une bataille, un Antinium maniant une lance serait tué par une flèche, mais une semaine plus tard ce dernier réapparaissait pour se battre avec la même vigueur, sans son arme. C’était comme si les Prognugators n’avaient pas de fin, et les soldats confus commencèrent à craindre ces Antiniums immortels, les considérant comme des cauchemars.

Cependant, les Prognugators pouvaient mourir. Des témoins, incluant Sserys en personne, décrivaient le [Général] et d’autres tuer les Prognugators en combat singulier, juste pour les voir réapparaitre de nouveau, apparemment affaiblit. Même si ce n’était pas clair de loin, les rapports de Sserys précisent qu’après avoir premièrement affronté un Prognugator maniant avec des épées doubles et des dagues, il l’affronta une seconde fois et remarqua qu’il était notablement plus faible lors de ce second duel, et qu’il évita Sserys lors de leur troisième rencontre.

Il semblait que l’immortalité des Prognugator n’était pas infinie. Des morts à répétition menaient à une ‘mort’ finale, et leur rang commença à décliner petit à petit alors qu’ils furent pourchassés et détruits.

Des six Prognugators, seulement ‘trois’ ont survécut à la fin de la guerre. Klbkch le Pourfendeur, Wrymvr le Sans-Mort, et la Petite Reine Xrn furent repéré après la Première Guerre Antinium et même durant la Seconde Guerre Antinium*. Il est spéculé que leurs morts répétés, voir leurs échecs de concrétiser des victoires est peut-être ce qui a pousse leurs Reines à les tuer. D’autres théories incluent qu'il y a une limite sur le nombre de fois ou ces individus peuvent être effectuée, mais dans tous les cas, l’éventuel mort de la moitié des Prognugators fit qu’ils devinrent bien plus précautionneux dans leurs déploiements.


*Au moment de l’écriture, Klbkch est le seul Prognugator confirmé vivant, il réside dans la sixième Colonie d’Antinium à Liscor après le traité de paix qui a suivi la fin de la Seconde Guerre Antinium.


Et pourtant les dégâts causés par la seconde avance des Antiniums força la coalition des Humains, Gnolls et Drakéides à s’arrêter. Les Antiniums se battirent de manière désespérée pour empêcher les armées de prendre une Colonie, et éventuellement le véritable pouvoir des Antiniums commença à faire pencher la balance en leur faveur.

Les Soldats Antiniums, malgré leur faiblesse, sont extrêmement efficaces et impossibles à démoraliser. L’épuisement ne semblait pas être un facteur pour les Antiniums ; certains se battaient jusqu’à littéralement mourir d’épuisement, mais la même chose ne pouvait pas être dite des forces non-Antiniums.

L’épuisement des combats journaliers commença à fatiguer les Drakéides, Humains et Gnolls, les menant à plusieurs défaites alors que les soldats épuisés perdaient pied sous l’incessante avance de la Marée Noire. Soudainement, même l’avantage fournit par les trois races commença à s’éroder alors que plus et plus d’Antiniums commencèrent à marcher des Colonies après chaque semaine, une conséquence de leur haut taux de natalité.

Les lignes de combats se stabilisèrent de nouveau, mais cette fois au détriment des Drakéides. Sserys devint de plus en plus inquiet alors que son armée commença à subit plusieurs défaites, écrivant dans son journal sa peur qu’il refusait de partager avec ceux sous son commandement.


« Encore, et encore, ils viennent pour nous. Sont-ils sans fin, ou est-ce que ces ‘Reines’ pondent leur progéniture si rapidement qu’elles peuvent remplacer leurs armées en quelques semaines ?

Les Humains se battent avec plus de bravoure que je ne l’aurai cru, mais même avec leur armée, nous n’arrivons pas à tenir le rythme. Dans un mois, peut-être moins, nous allons perdre cette guerre.

Cela est inacceptable. Nous devons agir sans hésitation pour finir cette guerre ou nous résigner à mourir. C’est le moment de tenter le tout pour le tout. Je mènerai la charge par moi-même jusqu’au cœur d’une de leurs Colonies si cela est nécessaire. Si nous devons sacrifier une armée pour tuer une Reine… Alors cela vaudra le coup.



La proposition d’attaque suicide de Sserys fut rejetée à l’unanimité par le conseil de guerre, mais il devenait de plus en plus clair que la guerre allait être perdu sans une action décisive.

Neuf mois après le début de la Guerre Antinium, la véritable faiblesse, la faiblesse cruciale des Antiniums fut découverte par chance dans un engagement avec une patrouille d’Humains qui avaient été pris en embuscade par une cinquantaine de Soldats et Ouvriers.

Les Humains tombèrent rapidement sous les coups des Soldats, mais une [Hydromancienne] lança un sort de [Pluie] désespérer. Elle mourut, mais des renforts trouvèrent la zone de l’embuscade, une vallée naturelle, n’était pas que remplie des cadavres de la patrouille, mais aussi des Antiniums. Ils s’étaient tous noyés en essayant de grimper les pans boueux et avaient coulés sous l’eau.

Cela ne fut pas remarqué jusqu’à ce que le [Stratégiste] assigné à l’armée vit le rapport de la patrouille. Elle envoya rapidement un message au mage de plus haut-rang dans l’armée, et l’expérience fut reproduit sur une plus grande échelle dans la même journée.

Les résultats furent immédiats et décisifs, et cela mena à la défaite totale des armées Antiniums ainsi qu’un grand changement dans la totalité de la guerre. C’était une simple, mais vitale découverte :

Les Antiniums ne peuvent pas nager. Ils ne peuvent pas flotter, et même s’ils peuvent garder leur respiration pendant une longue période de temps, ils meurent d’asphyxie comme toutes les autres espèces.

Au début, General Sserys rejeta les rapports des Humains et les considéra invraisemblables, une erreur de jugement. Lui et les autres Drakéides devaient voir les Antiniums se noyer en personne pour le croire.

En y réfléchissant, la faiblesse des Antiniums semblait évidente, mais pas pour ceux qui les avaient combattus. À Rhir, les Antiniums avaient combattu les armées du Roi Maudit dans des lieux proches de l’eau, et leur traversée de la mer fit croire au monde qu’ils pouvaient nager. Quelles créatures sensées s’aventureraient dans l’océan sans pouvoir flotter ?

Et pourtant la vérité était là : les Antiniums ne pouvaient pas nager. Et après cette découverte, leur nombre sans fin devint non seulement possible à prévoir, mais aussi une faiblesse.

Les armées Drakéides et Humains se retirèrent soudainement de leur charge offensive pour devenir uniquement défensives. Ils placèrent des groupes de lanciers et des soldats défensifs vers le front, tout ça pour faire gagner assez de temps à leur [Mages] pour lancer des sorts de [Pluie] et autre sort de manipulation de météo sur le champ de bataille. Des [Géomanciens] et [Excavateurs] créèrent des barrages pour contenir l’eau, et formèrent des vallées naturelles pour noyer les Antiniums.

Cette stratégie générale nécessita des changements constants car les armées Antiniums essayaient d’éviter ce genre de scénario, mais les résultats furent dramatiques. Des armées entières d’Antiniums périrent en se trouvant incapable d’avancer dans certaines zones de peur de se faire noyer. Les armées Drakéides commencèrent même à créer des lacs artificiels pour ralentir la progression des Antiniums.

Même si les Ouvriers pouvaient drainer l’eau avec suffisamment de temps, la capacité des Drakéides et Humains à changer le champ de bataille força les Antiniums à se mettre sur la défensive. En l’espace de quelques semaines, les Antiniums avaient été repoussés jusqu’à leur Colonie par les armées attaquantes, et c’est ici, pour la première fois, que les Reines furent directement en danger.

Sserys mena la première attaque sur une Colonie Antinium. Il écrit ceci dans son journal :

« Le premier assaut fut la plus traumatique expérience de ma vie. Des Antiniums remplissaient les tunnels, se battant sauvagement dans cet espace reclus. Les murs des tunnels continuaient de s’ouvrir autour de nous alors que des Ouvriers creusaient pour attaquer nos flancs et notre arrière-garde, ils nous attaquer incessamment, désespérés de défendre la Reine qui devait sûrement rôder sous nos pieds.

… Nous ne pouvons pas les affronter. Non. J’ai retiré mes forces et donner l’ordre à tous les mages de mon armée de lancer le plus de sort aquatique possible. Nous allons noyer ses monstres.



C’est exactement ce que l’armée de Sserys fit. Pendant quatre jours et quatre nuits, les mages lancèrent d’innombrables sorts de [Pluie], [Déluge] et d’autre sorts pour noyer la Colonie.

Il est cru que les Ouvriers de la Colonie travaillèrent désespérément pour drainer l’eau dans des tunnels secondaires et d’autre passage, mais même leurs efforts fut vain. Les Antiniums lancèrent d’innombrables attaques sur les Drakéides, mais à la fin du quatrième jour l’eau avait atteint l’entrée de la Colonie, et après trois jours d’attente, des [Plongeurs] furent envoyé. Ils trouvèrent la Colonie remplie d’Antiniums morts et la Reine noyée au plus profond de sa demeure.

Une Colonie avait sombré, et le continent fêta cette victoire. Mais le coût de cette bataille ne passa pas inaperçu. Les mages spécialisés dans ce type de magie prévinrent que les sorts pouvaient avoir des effets secondaires sur la météo, et Sserys lui-même bannit cette stratégie sauf en dernier recours.


« Par les dieux morts, je n’ai jamais vu quelque chose d’aussi horrible. L’intégralité de la Colonie est morte. Nous le savons. Ils se sont tous noyés et sont en train de pourrir… Plus de cent mille Antiniums, possiblement deux ou trois fois ce nombre. Tous morts.

Nous avons réduit le sol en cendres, et nous avons noyé leurs tunnels. Nous avons fait pleuvoir jusqu’à ce que le monde ne devienne qu’un bourbier. Et nous allons en payer le prix.

Je me souviens de cette terre. Elle était verdoyante et pleine de vie, mais le sol n’est plus qu’un marécage de mort, et il n’y a plus un nuage dans le ciel. Les mages me disent que la magie à interférer avec la météo. Il ne pleuvra pas ici pendant des décennies. Cette terre va bientôt devenir un aride désert, digne des morts qu’elle a entombés.

Plus jamais. Pas si nous pouvons nous en empêcher. Cette guerre me rend malade, et j’en suis las. Terminons cela une fois pour toute.


La prédiction des mages fut correcte, le site de la mort de la Colonie Antinium est désormais un aride désert, et il n’y a plus de faunes et de flores dans un rayon de cinquante kilomètres autour de l’ancien emplacement de la Colonie.

Et pourtant, cette victoire sur l’une des Colonies fut à la fois décisive et le début du dernier chapitre de cette guerre. Enhardie par la destruction de l’une des quatre Colonies que les Antiniums avaient battit, les Villes Emmurées et l’alliance Humaine décida de former une grande armée commune, nommé la Première Armée Unie, pour attaquer la Colonie principale et termina la guerre d’un seul coup.

Presque la totalité des commandants et leader de cette armée était pour ce plan, car chaque côté commençait à s’épuiser. Sserys en personne se porta volontaire pour mener cette armée, et seul quelque rares dissidents s’opposèrent à cette stratégie.

L’un d’entre eux fut Zel Shivertail. Le second argumenta en disant que les Antiniums étaient trop dangereux pour combattre, même en exploitant leur faiblesse. Mais sa voix fut perdue et son avis refusé par Sserys en personne, et la Première Armée Unie marcha vers la Colonie Antinium presque un an après le début de la Guerre Antinium, l’une des plus grandes armées ayant marché sur Issyril.

Ce fut à cet instant que les Antiniums firent quelque chose d’inattendu. Ils tentèrent de faire la paix. Des [Ouvriers] Antiniums marchèrent avec des drapeaux blancs en approchant l’armée en marche. Ils avaient beau être souvent massacré, beaucoup parvinrent à survivre et les lettres qu’ils apportaient étaient identiques. La Grande Reine des Antiniums, une position entièrement nouvelle aux leaders Drakéides et Humains, demandant un traité de paix entre les Antiniums et le reste du continent.

Ces termes furent refusés de manière unanime par les leaders, qui pensaient avoir l’avantage. Il était préférable de tous les exterminés que de faire la paix avec eux, et donc l’armée de Sserys eut la totale liberté de détruite l’armée.

Des [Mages] et [Courriers] gardèrent l’armée en contact presque permanent avec les autres villes alors que l’armée s’approcha de la Colonie principale qui semblait contenir la majorité des Reines et la Grande Reine des Antiniums. Seules quelques forces Antiniums tenta d’arrêter l’armée, et elles furent rapidement détruite.

Sserys encercla la Colonie avec son armée et monta le camp, assurant les villes qu’ils allaient détruire la Colonie le lendemain. Ses forces s’installèrent…

Et avaient disparu quand le soleil se leva.

Dans une nuit presque totalement silencieuse, ponctuée de quelques rares sorts de [Messages] qui semblent avoir été lancé par accident. Mais alors que les leaders Drakéides et Humains attendirent le rapport de Sserys à l’aube, ils trouvèrent qu’aucun mage de l’armée ne pouvait être atteint, et qu’aucun des [Courriers] envoyé durant la nuit était revenu.

Beaucoup de sorts furent lancés, des témoins furent interviewé, et des Antiniums furent même questionnés, mais à ce jour, il n’y a pas d’archives, pas de preuve de ce qu’il s’est déroulé durant cette nuit. Aucun sort de fut lancé, et aucune alarme sonna dans les villes. Mais chaque membre de cette armée, y compris le personnel non combattant comme les [Cuisiniers] et [Bagagistes], disparurent sans laisser de traces, ne laissant pas un cadavre derrière eux.

Le seul document de cette nuit est le journal du General Sserys. La dernière entrée racontant l’arrivée de la Première Armée Unie, la stratégie préparée par Sserys pour le début du siège, et une dernière entrée.

« C’est l’heure de ma mort.

Nous avons été attaqués pendant la nuit. Nous étions préparés, mais pas pour le nombre d’Antiniums qui nous a attaqués. Nos défenses étaient solides, et nous les avons repoussés pour commencer le siège.

Les Antiniums sont venus à nous, un nombre sans fin de Soldats et Ouvriers, mais nous les avons détruits par milliers.

Nous les avons affrontés dans les tunnels et les avons repoussés. Des Ouvriers et Soldats sortaient… Nous les avons fondus, réduit en pièce… Nous étions en train de gagner. Je crois qu’il était minuit quand les Antiniums ont battu en retraite et que nous nous préparions pour une ultime charge.


Ils sont arrivés alors que nous avancions vers la Colonie. Nous scouts ont rapporté du bruit… Puis le silence. Lentement, tous les camps autour de mon campement arrêtèrent de faire des rapports, même avec des forces dépassant les dizaines de milliers de soldats. Mais alors que j’envoyais des [Coursiers] et des sorts pour demander des rapports, je ne recevais que le silence. Personne n’est revenu.

Quelque chose bougea dans les tunnels. Quelque chose sous nos pieds. Ils attendaient, détruisant systématiquement mon armée sous le couvert de la nuit. Ils sont déjà en train d’attaquer les abords de mon camp.

Je ne sais pas quelle sorte d’ennemi que nous affrontons. Je sais juste qu’ils sont des Antiniums, mais différents de ceux que nous avons déjà affronté. Ils sont une nouvelle espèce d’Antinium, une espèce d’arme secrète des Reines.

Nous ne sommes pas encore parvenus à récupérer un corps pour que je puisse le décrire. Il faut démembrer cette nouvelle espèce d’Antinium pour les vaincre. Ils ne s’arrêtent pas.

Zel doit le savoir.
Il y a d’autres types d’Antiniums différent des Soldats et Ouvriers. Nous ne pouvons pas les vaincre. J’entends mes guerriers se battre et périr. Nous allons mener une ultime bataille en ces lieux, mais je sais que je ne vais pas survivre pour voir l’aube.

Je regrette d’avoir mené tous ces bons soldats vers leur mort. J’espère que nous allons causer assez de dégâts aux Antiniums pour qu’ils continuent de demander la paix.

… Je suis fatigué. Je peux les entendre venir pour moi.

Ceci est le lieu où nous nous séparons. Si je pouvais revenir chez moi une dernière fois… Mais non. Au revoir. Que ma mort est un sens. Je périrai comme j’ai vécu : comme un soldat.


‘Oh ciel ensoleillé, laisse-moi chevaucher à nouveau sur le champ de bataille dans une autre vie. À Liscor, et au monde, battez-vous. Puissions-nous un jour connaître la paix.’


- Sserys de Liscor


Le journal et le corps du Haut General Sserys furent retrouvés quatre jours plus tard dans les restes du camp de la Première Armée Unie vingt-quatre jours plus tard. Après l’initiale perte de contact, les cités-états attendirent avec une grandissante inquiétude jusqu’à ce que, sept jours plus tard, il devint clair que la Première Armée Unie avait été détruite, et qu’aucun survivant ne serait témoin de leur défaite.

Après que les cités-états aient acceptées le fait que Sserys et son armée avaient échoué, ils commencèrent immédiatement à monter une armée encore plus impressionnante pour aller enquêter sur les lieux de l’affrontement. Cette seconde armée fut confiée aux mains de Zel Shivertail avec pour ordre de ne pas attaquer la Colonie, mais de rassembler des informations et de battre immédiatement en retraite. Un contact constant fut maintenu entre l’armée et les villes-états alors qu’ils s’approchèrent de la Colonie supposément inactive.

La Seconde Armée Unie trouva le camp de la première presque intact, il n’y avait pas de dégâts visibles sur les fortifications et les tentes. En effet, même les [Scouts] de haut niveau ne pouvaient détecter que de faible trace de violence et des pistes menant vers la Grande Colonie.

Aucun soldat, à l’exception du Général Sserys, ne fut retrouvé. Il y a de nombreuses spéculations sur ce qu’il leur est arrivé, mais il est probable que les soldats furent tués avant d’être utilisé comme matière première pour nourrir les Antiniums.

Seul le cadavre du General Sserys était encore présent, gisant dans sa tente, en armure, l’épée à la main. Le [Général] était mort en combattant, son épée recouverte de sang d’Antinium. La cause de sa mort fut un unique coup qui traversa son armure et ses os pour atteindre son cœur.

La Seconde Armée Unie récupéra le corps et le journal de Sserys et battit aussitôt en retraite. Les ville-états arguèrent sur ce qu’il fallait faire devant ces nouvelles informations et cette mystérieuse espèce d’Antinium. La peur d’une troisième offensive qui ferait durer la guerre était présente, mais cela n’arriva pas.

A la grande surprise de tous, la Grande Reine des Antiniums continua de vouloir faire la paix malgré les immenses pertes que venait de subir l’Alliance Australe. Les [Stratégistes] spéculent que ce fut un choix pragmatique ; même si les Antiniums avaient détruit la Première Armée Unie, la Seconde allait sans doute coûter plus de vie et de ressources, laissant les Antiniums affaiblit au cas ou la Coalition Humaine entrait dans un nouvel assaut.

Qu’importe le cas, la Première Guerre Antinium se termina par un accord signé par les Villes Emmurées, la Grande Reine des Antiniums et la Coalition Humaine mené par Magnolia Reinhart. De nouvelles hostilités furent limitées à quelques rares instances ou des aventuriers s’aventurèrent trop près des Colonies jusqu’au fameux carnage du Roi Gobelin coïncidant avec l’assaut sur Liscor et la région alentour par Az’Kerash le Nécromancien…

(À ce point, Ryoka Griffin arrêta de lire. Elle laissa le livre derrière elle pour se diriger vers les Hautes Passes, et ne l’a pas rouvert depuis.)


 
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2.39 - Première Partie
Traduit par EllieVia

Elle dormit pendant le chemin du retour. Erin se rendit compte que sa rencontre avec Magnolia l’avait épuisée, et bien que le crépuscule se soit à peine installé, elle dormit comme un bébé.

Elle se réveilla lorsque Reynold fit ralentir le carrosse devant son auberge. Erin cligna des yeux, regarda autour d’elle d’un air paniqué, et comprit qu’elle était rentrée à la maison.

La maison. C’était étrange d’y penser de cette manière, et encore plus étrange que la vue de la silhouette squelettique de Toren dressée devant son auberge la rassure, mais c’était ainsi.

Erin était de retour à la maison.

Il fallut quelques minutes à Erin pour s’extirper de la calèche. Non pas parce qu’elle était si lente que ça ; Reynold insista pour l’aider à empaqueter l’énorme repas que Lady Magnolia avait envoyé avec elle. Il y avait beaucoup trop pour qu’Erin soit en mesure de tout manger, mais elle pensait que Lyonette apprécierait sans doute la riche nourriture.

“Merci mille fois de m’avoir ramenée ici, Reynold.”

“Tout le plaisir était pour moi, Miss Solstice.”

“Erin. Hum, est-ce que tu veux rentrer manger quelque chose ? Ou je peux te préparer un lit. Il se fait tard.”

Le [Majordome] sourit.

“J’ai bien peur de ne pouvoir accepter. Je vais bientôt retourner aux côtés de Lady Magnolia, mais je vous remercie pour votre offre.”

“Oh, ce n’est ri… si jamais tu as un peu de temps, passe donc et je t’offrirai un repas, d’accord ?”

“J’en serais ravi.”

Erin regarda l’homme remonter dans la calèche et les chevaux se mettre à galoper. Elle se tourna et vit Toren descendre la colline. Ils se dévisagèrent.

“Salut.”

Il hocha la tête. Erin le dévisagea encore quelques secondes.

“Est-ce que Lyonette est ici ?”

Il acquiesça, et pointa l’auberge du doigt. Les portes s’ouvrirent à la volée à point nommé et Erin entendit une voix stridente.

“Est-ce qu’il vient de partir ? Reviens ! J’insiste… !”

La fille se mit à dévaler la pente à toute vitesse puis s’arrêta en faisant des grands gestes et en criant en direction du carrosse. Elle se tourna vers Erin, furieuse.

“Comment ose-t-il ? Quel toupet… est-ce que tu as informé Magnolia Reinhart de ma détresse ? Quand enverra-t-elle quelqu’un me chercher ? Tu peux me faire passer directement toute lettre qu’elle aurait pu m’adresser.”

Elle regarda Erin, dans l’expectative. Erin cilla.

“Hum. Elle sait que tu es ici.”

Et ?

“Et c’est tout. Je ne crois pas qu’elle va envoyer qui que ce soit d’autre. Hey, Toren, aide-moi à porter toute cette nourriture à l’auberge. Tu peux prendre ce panier. Et ce baluchon. et je vais prendre ça… c’est plein de bonnes choses, là-dedans, donc ne le lâche pas.”

Erin monta d’un pas décidé vers son auberge et entra, sans écouter le monologue outragé de Lyonette. L’aristocrate se calma légèrement en voyant le festin qu’Erin avait rapporté.

“Humpf. Au moins, elle a eu la décence de m’envoyer un repas digne de ce nom en guise de récompense. Je vais faire ce que je peux en attendant sa réponse.”

Erin songeait que Lyonette risquait d’attendre longtemps, mais elle garda sagement cette pensée pour elle.

“Si tu mets la table, on va pouvoir manger, Lyonette.”

La fille dévisagea Erin. Erin soutint son regard. L’arrogance irritée de Lyonette n’était rien par rapport aux regards noirs de Ressa et à la simple présence de Lady Magnolia. Quelques secondes plus tard, la fille déguerpit dans la cuisine.

Elle était juste en train de finir de mettre la table - mal - et Toren venait de sortir avec un pichet de lait froid lorsque la porte s’ouvrit à la volée.

“Saletés d’Humains !”, beugla Relc en entrant. Lyonette hurla, lâcha les fourchettes et se précipita dans les escaliers. Erin éclata de rire.

“Relc ! Et Klbkch ! Et Selys ?”

La [Réceptionniste] passa par la porte que lui tenait Klbkch et sourit à Erin.

“Salut Erin. J’espère que je ne te dérange pas, mais j’ai vu la calèche arriver et comme tout le monde venait ici...”

Klbkch referma la porte et salua Erin d’un hochement de tête.

“J’espère que nous ne te dérangeons pas aujourd’hui, Miss Solstice ?”

“Non, c’est super, entrez donc !”

Erin accueillit joyeusement ses trois convives dans son auberge. Elle détestait être seule, ou plutôt enfermée, que ce soit avec Lyon ou Toren. Relc gloussa avec délices en voyant l’étalage de nourriture que Toren avait posé sur l’une des tables.

“D’où est-ce que ça vient, tout ça ?”

“Oh, ça ? C’est, euh… un cadeau. Je ne vais pas pouvoir manger tout ça avec Lyon, donc servez-vous donc ! Lyonette… apporte-nous d’autres assiettes ! Et des fourchettes. Et des cuillères, et des couteaux. Et des verres !”

La fille leva les yeux d’un air dégoûté, mais Toren la fit retourner à la cuisine. Relc regarda fixement la fille s’éloigner et se gratta la tête, l’air décontenancé, mais Klbkch s’adressa à Erin tandis que Selys inspectait joyeusement les plats.

“Je regrette que Pion n’ait pas pu venir te voir. Il est très occupé dans la Colonie.”

“Et je n’ai pas pu trouver Olesm. Je crois qu’il a du boulot à la Guilde des Coursiers. Je l’ai vu y ramener un énorme tas de parchemin tout à l’heure.”

Selys contempla les plats qu’Erin avait disposés sur la table. Magnolia avait beau avoir un caractère particulier, elle était généreuse en termes de nourriture. Comme Erin s’était endormie avant d’avoir pu y toucher, elle avait ramené deux faisans rôtis, plus de dix tranches de viande, des fromages, deux bouteilles de vin, des fruits à peine trop mûrs, du pain, une espèce de sauce épicée, une sauce sucrée, des olives, et même un crabe…

“C’est vraiment cette Reinhart qui t’a offert tout ça ? Tu lui as tant plu que ça, Erin ?”

“Je crois qu’elle a simplement été… généreuse. Elle est très riche, je crois.”

“Wow. Tu sais, je savais qu’elle était quelqu’un depuis que Ceria m’avait parlé de sa messagère, mais je ne savais pas qu’elle était aussi importante.”

“Tu n’en avais jamais entendu parler ?”

Erin était curieuse. Selys se gratta la joue d’un air embarrassé et sa queue tressailla.

“Eh bien, c’est juste que… c’est une Humaine, tu vois ? J’imagine que je ne me suis jamais vraiment intéressée aux Humains célèbres. J’ai déjà dû entendre son nom une ou deux fois… elle a peut-être joué un rôle, historiquement parlant ? Elle a quel âge ? Bref, je dois connaitre quelques aventuriers et quelques compagnies célèbres, mais pas plus.”

“Donc personne ne connaît Lady Magnolia Reinhart ?”

“Reinhart ? C’est elle qui a envoyé la calèche ?”

Relc leva le nez de sa nourriture au même moment où Lyonette et Toren ressortaient de la cuisine. Klbkch dévisagea lui aussi Erin.

“Ouaip. Elle voulait discuter. Tu la connais, alors, Relc ?”

Il haussa les épaules.

“La Fleur Mortelle ? Ouaip, j’en ai entendu parler.”

“Oh ! Pendant les Guerres Antiniumes ! C’est elle ?”, s’exclama Selys. “Mais c’est une héroïne ! Et elle a aidé deux fois à battre les Antiniums. Je ne savais pas qu’elle s’appelait comme ça !”

Elle jeta un regard à Klbkch et se figea.

“Enfin…”

Klbkch hocha la tête en consommant délicatement une tranche de bœuf.

“Je n’ai jamais rencontré personnellement Magnolia Reinhart, mais je suis parfaitement au fait de ses accomplissements. Je suis curieux de savoir la raison pour laquelle elle voulait s’entretenir avec toi, Erin,”

Il se tourna vers Erin, et elle comprit qu’il connaissait probablement cette raison. Relc se gratta les épines et haussa les épaules.

“On s’en fiche, non ? Je veux dire, tu peux nous raconter, mais de la bouffe gratuite, c’est de la bouffe gratuite, pas vrai ? Est-ce que je peux prendre tout ça ?”

“Bien sûr.”

“Super !”

Relc se mit à entasser le plus de nourriture possible sur son assiette, au grand dam de Lyonette. Le Drakéide ignora joyeusement les dagues qu’elle lui lançait dans ses regards. Lyonette essaya de remplir le plus possible sa propre assiette tout en restant le plus loin possible des non-Humains. C’était relativement impossible, mais elle préféra graviter autour de Selys que de Klbkch ou Relc, gardant un maximum de distance possible entre l’Antinium et elle.

“C’est vraiment super bon !”

Selys posa son assiette à la table d’Erin en lui souriant. Relc hésita, mais Klbkch lui tapota l’épaule et ils allèrent s’asseoir à une table un peu plus loin. Erin avait remarqué que Selys ne leur avait pas proposé de les rejoindre, et qu’elle lui avait donné un coup de pied lorsqu’elle avait ouvert la bouche pour les inviter à leur table.

“Pourquoi est-ce que tu ne veux pas manger avec Relc ?”, murmura-t-elle à Selys lorsqu’elle fut certaine que le Drakéide était occupé à inspecter les tonnelets qu’elle avait posés sur le comptoir au fond. Selys grimaça.

“Il flirtait avec moi en chemin, Erin. Je ne veux vraiment pas qu’il se fasse des idées juste après.”

“Oh.”

Erin avait discuté les différents aspects des relations plus… intimes… de chaque espèce avec Selys auparavant, mais elle ne lui avait jamais vraiment posé de questions sur ses histoires de cœur. Mais d’après l’expression de Selys, Relc n’était pas vraiment son genre.

“Tu ne l’aimes pas ? Moi je l’aime bien.”

“En tant qu’ami si, sans doute. Je veux dire, je ne le connais pas aussi bien que toi. Mais je ne vais pas sortir avec lui, Erin !”

“Pourquoi ? Je veux dire, il n’est pas pire que ça, si ?”

Selys se tourna en direction du Drakéide qui se versait joyeusement une chope de bière et grimaça.

“Eh bien, non, mais… il est vraiment musculeux, et arrogant, et égoïste, aussi. Je sais que c’est un Garde Vétéran vraiment haut gradé et de très haut niveau, mais je détesterais être la Drakéide qui devrait le supporter dans une relation. Dans tous les cas, j’aime les mecs qui sont un peu plus… beaux, tu vois ce que je veux dire ?”

Erin contempla Relc en fronçant les sourcils.

“Vraiment ? Il ne m’a pas l’air mal, à moi.”

“C’est parce que tu es Humaine.”

Selys soupira. Elle fouetta le sol de sa queue.

“Écoute, il n’y a pas que ça. Il est plus vieux que moi, tu sais ? Je veux dire, j’ai presque le même âge que sa f…”

Elle s’interrompit en voyant Relc approcher. Il tenait une chope en agitant la queue.

“C’est de l’alcool, pas vrai ? Tu sers enfin de l’alcool ?”

Il en avait presque les larmes aux yeux. Erin hocha la tête et sourit.

“J’en ai acheté un peu… j’ai même fait une espèce de boisson spéciale super bizarre, mais c’est, euh, encore en phase de test. Elle fait des trucs bizarres aux gens qui la boivent.”

“Vraiment ? Je veux bien essayer, tant que je ne vomis pas après.”

Selys avait l’air intriguée. Relc hocha la tête.

“Moi, je veux bien goûter, même si je vomis après. De l’alcool !”

Il retourna s’asseoir à sa table. Erin se retourna vers Selys.

“Bref, c’était top de rencontrer Magnolia. Elle m’a raconté tellement de choses…”

“Alors raconte-moi tout !”

Erin prit une grande inspiration, puis jeta un œil en direction de la porte. Une seconde plus tard, Halrac l’ouvrit. L’[Éclaireur] grogna en voyant la nourriture étalée sur la table avant d’apercevoir Erin.

“C’est ouvert ?”

Relc se tourna et se figea, mais Klbkch paraissait être à l’aise. Selys s’était figée sur place, mais le sourire d’Erin ne fit que s’agrandir.

“Entre donc, Halrac ! Prends une assiette et sers-toi… on fait un buffet ce soir !”

L’homme contempla l’étalage sans faire de commentaire. Il avait l’air perturbé, possiblement parce que la nourriture lui paraissait trop raffinée pour l’auberge, mais il remplit son assiette et alla s’asseoir loin des autres convives.

Erin se promit d’aller lui parler plus tard, après le repas. Il était tellement silencieux, sauf lorsqu’il la harcelait pour avoir un peu plus de sa boisson de fleurs de fées. Mais elle était sûre de pouvoir le dérider si elle lui parlait suffisamment .Elle se tourna et vit Selys en train de la regarder, bouche-bée.

“Quoi ? J’ai de la salade entre les dents ?”

“Erin ! C’est Halrac ! Halrac, du genre Halrac de la Chasse aux Griffons ! L’[Éclaireur] classé Or !”

“Hum. Ouaip ?”

Erin le savait. Elle ne savait plus si c’était Halrac qui le lui avait dit ou si elle en avait entendu parler ailleurs, mais Selys avait l’air époustouflée par la nouvelle.

“Qu’est-ce qu’il fait ici ? Je croyais qu’il dormait à l’auberge de Peslas !”

“Vraiment ? Eh bien, il vient ici tous les soirs. Je crois qu’il préfère mon auberge.”

Erin en était plutôt fière, mais Selys secoua la tête.

“Mais il est célèbre, Erin ! Comment est-ce que tu as pu le rencontrer ? Je veux dire, il n’est peut-être pas aussi connu que Magnolia Reinhart…”

“Que tu ne connaissais pas.”

“... la ferme. Je connais les aventuriers parce que c’est mon boulot, d’accord ? Halrac est un vétéran. Il a tué des Griffons tout seul et c’est probablement l’aventurier le plus susceptible de devenir Légendaire de Liscor en ce moment.”

“Eh bien, c’est un bon client. Silencieux. Qui ne jette pas des trucs. Et il laisse de bons pourboires.”

“Il est riche.”

“Vraiment ? Eh bien, je crois qu’il n’arrête pas de revenir à cause de cette boisson que je lui ai faite. Tu sais, les fleurs dont je t’avais parlé ? Il y a quelques jours, j’ai…”

Erin s’interrompit de nouveau. Selys la dévisagea.

“D’autres invités ? Comment tu le sais ?”

“Je ne sais pas. Je le… sens, c’est tout.”

Et sans surprise, quelques secondes après qu’Erin se soit retournée, la porte s’ouvrit.

“Loks !”

Erin se leva à demi de sa chaise, souriant à la petite Gobeline qui venait d’entrer en enlevant sa capuche. Mais la jeune femme hésita en voyant que Loks avait de la compagnie.

Elle était avec un ami. Ou un sous-fifre ? Erin ne voyait pas d’autre relation possible entre elle et le deuxième Gobelin qui venait de passer la porte. Il était encapuchonné, lui aussi, et Erin n’eut qu’un bref aperçu de sa peau verte lorsqu’il ramena la capuche sur son visage et regarda autour de lui. Mais ce n’est pas ceci qui la fit hésiter.

“Un Hob !”

Relc bondit de sa chaise et se précipita sur sa lance. Klbkch intercepta son bras, mais Lyonette hurla et Selys s’étouffa à moitié sur sa fourchette. Erin dévisagea le grand Gobelin.

Il ne ressemblait pas du tout à la Cheftaine Gobeline. Qu’avait dit Relc ? Un Hob ? Du genre, Hobgobelin ? Mais il avait l’air si… si… Humain.

Ou plutôt, humanoïde. Il était à peu près aussi Humain qu’un Drakéide et Erin devina les crocs derrière le sourire qu’il lui adressa.

Le Hobgobelin la mettait mal à l’aise. Mais Erin remarqua que Loks la dévisageait avec intensité. Dans l’expectative. Et Erin comprit que Loks attendait de voir ce qu’elle allait faire.

Et pourtant, Erin avait la certitude que ce mystérieux Hobgobelin n’était pas comme Loks. Il était dangereux, et tous dans la pièce le sentirent. Surtout les guerriers.

De l’autre côté de la pièce, Relc et Klbkch dévisageaient le Hobgobelin en silence. L’atmosphère autour de Relc était glaciale et l’une de ses mains était serrée. Halrac s’était figé dès que le deuxième Gobelin était entré, et l’une de ses mains était posée sur sa ceinture. Même Toren regardait fixement le nouveau Gobelin.

L’atmosphère était tendue. Erin sentit son [Instinct de Survie] tinter au fond de son crâne, mais elle l’ignora et se força à sourire. Qu’avait dit Lady Magnolia au sujet des Gobelins ? Non… elle avait parlé d’Erin. Une fille qui traitait les Gobelins comme des gens. Parce que les Gobelins étaient des gens. Souviens-t ’en.

“Loks, entre donc ! J’ai plein de choses à manger, et tu es toujours la bienvenue. Toi et n’importe quel Gobelin. Et je vois que tu as un ami. C’est super. Eh bien, c’est un invité et il ne va pas se faire attaquer, d’accord ?”

Erin ne se tourna pas vers les autres convives, mais elle haussa la voix et sentit l’atmosphère changer. Klbkch hocha silencieusement la tête, et Halrac se détendit lentement sur son siège et retourna à sa boisson. Seul Relc resta debout, le regard noir, jusqu’à ce que Klbkch lui tapote doucement l’épaule et le pousse à se rasseoir.

Erin s’approcha précautionneusement des deux Gobelins. Loks avait l’air… changée. Il lui semblait qu’il y avait des lustres qu’elle n’était pas venue à l’auberge, et son attitude avait changé.

Elle avait l’air plus grande. Physiquement - elle avait l’air d’avoir pris quelques centimètres, mais c’était aussi la manière dont elle se tenait. Elle leva les yeux sur Erin sans une once de crainte, mais de la curiosité et quelque chose d’autre brillaient dans ses yeux vermillon.

“J’ai à manger. Hum, et on pourra faire une partie d’échecs plus tard. Où est ta tribu ?”

Elles échangèrent un regard. Erin se tourna vers l’autre Gobelin. Il lui sourit de toutes ses dents aiguisées.

“Tu me présentes ton ami ?”

Le Hobgobelin ouvrit la bouche et Loks lui donna un coup de pied. Il baissa les yeux sur elle en fronçant les sourcils et elle le fusilla du regard. Erin se gratta la tête.

“Tout va bien ?”

Loks haussa les épaules. Elle s’approcha de la table du buffet et prit une assiette. Le grand Gobelin la suivit. Erin les regarda commencer à empiler de la nourriture dans leurs assiettes en marmottant dans leur langue incompréhensible, puis elle retourna voir Selys.

“Erin. Qui est l’autre Gobelin ?”

“Je ne sais pas.”

“D’accord, qu’est-ce qu’il fait ici ?”

“Il a… faim ?”

Erin écarta les mains et Selys lui donna un coup de pied.

“Aïe ! Je ne sais pas ! Quel est le problème ?”

Selys baissa la voix et lui siffla :

“Le problème, c’est que c’est un Hobgobelin ! Ils ne sont pas comme les Gobelins normaux. Ils sont dangereux ! L’aventurier Argent lambda ne fait pas le poids contre eux !”

“Eh bien… il est avec Loks ! Ce qui veut dire qu’il est peut-être sympa !”

“Ce n’est pas le seul problème, Erin. Après ce groupe de raid Gobelin… ça sent mauvais.”

“C’est mon auberge. Quel est le problème ?”

Selys hocha la tête.

“Lui.”

Erin se tourna et vit Relc. Ce n’était pas qu’elle avait oublié la dernière rencontre entre Relc et Loks, mais elle voyait à présent l’expression meurtrière de Relc. Selys affichait un air sinistre.

“Il ne va pas se tenir tranquille, Erin. Il va déclencher une bagarre.”

“Il ne va pas faire ça.”

Selys lui adressa le regard le plus fixe qu’Erin ait jamais vu. Si la Drakéide avait eu des sourcils, elle les aurait levés tous les deux. Erin hésita.

“Pas vrai ?”

Loks et son mystérieux ami choisirent une table à l’autre bout de l’auberge, loin de Relc et du reste des invités. Erin en fut soulagée, et elle espéra réussir à maintenir la paix le temps de la soirée. Après tout, les Gobelins ne faisaient rien de particulier, et Relc n’était pas si fou que ça, si ?

Son optimisme dura dix minutes. Puis Relc retourna chercher à manger. En chemin, il s’arrêta devant la table et renifla l’air d’un air théâtral.

“Il y a un truc qui pue ici ou c’est moi ?”

Le cœur d’Erin se serra dans sa poitrine. Elle vit Relc se tourner vers les Gobelins, et son rythme cardiaque accéléra. Relc ouvrit la bouche et Erin prit la parole.

“Arrête, Relc.”

Il se tourna pour la dévisager. Les yeux de Relc étaient fumants, et il avait l’air encore plus grand qu’à l’accoutumée. Le cœur d’Erin tambourinait dans sa poitrine. Elle ne voulait pas être ici. Elle ne voulait pas que cela arrive. Mais elle devait le dire.

“Ils ne font rien de mal. Laisse-les tranquilles.”

“Moi ? Je n’ai pas dit que c’étaient les Gobelins qui puaient…”

“Relc.”, lâcha Klbkch depuis sa table. Sa voix était basse, mais les épaules de Relc s’affaissèrent. Le Drakéide ne fit pas d’autre commentaire mais retourna à sa table d’un pas lourd.

Les deux Gobelins avaient levé les yeux lorsque Relc avait pris la parole, mais ils étaient retournés à leur repas comme si rien ne s’était passé. Le plus grand regardait tour à tour Erin et Relc avec intérêt, mais aucun des deux n’avait l’air peiné.

Si cela s’était arrêté là, Erin aurait considéré qu’elle avait eu de la chance. Mais à peine Relc eut-il posé son assiette qu’il leva sa chope dans les airs.

“Hey, Klb, portons un toast à nos amis. Tu sais, ceux qui sont morts en défendant ce village des monstres, tu te souviens ?”

Il leva sa chope et s’adressa à la salle d’une voix de stentor.

“À Byssa, Invrss, et Olivis, qui sont morts pour nous protéger de la véritable menace. Ces bâtards de Gobelins.”

L’auberge resta silencieuse pendant que Relc engloutissait sa chope. Il la jeta avec nonchalance sur sa table et regarda fixement Loks. Elle soutint son regard.

“Arrête ça.”

Erin s’était levée. Ses genoux tremblaient, mais elle se força à rester debout. Elle s’avança vers Relc et le regarda droit dans les yeux.

“Pourquoi est-ce que tu fais ça ?”

Relc croisa son regard et Erin eut un choc. Il y avait quelque chose de sombre dans les yeux du grand Drakéide.

“Parce que je ne peux pas supporter que tu les laisses entrer ici. Parce que tu les laisses manger alors que mes amis pourrissent sous terre.”

“Ce ne sont pas les Gobelins qui ont tué tes amis. Loks est ge…”

“Ça n’a aucune importance. Ce sont tous les mêmes !”

Relc ramassa sa chope et la jeta par-dessus Erin. Elle tressailla et Selys hurla lorsqu’elle se brisa.

De l’autre côté de la pièce, Toren se mit en mouvement. Il était resté immobile jusque-là, mais il saisit son épée et ses yeux violets s’enflammèrent.

“Toren ! Reste tranquille !”

Il se figea sur place. Relc jeta un regard méprisant au squelette.

“Excellente décision. Ton petit monstre de compagnie ne m’arrêtera pas. Et toi non plus.”

Il avança vers Erin.

“Drakéide.”

Halrac se leva à moitié de sa table. Relc le pointa du doigt.

“Te mêle pas de ça, Humain.”

Il se retourna vers Erin et Halrac hésita. Il était armé, mais Erin ne voulait pas déclencher de bagarrer. Elle le regarda en secouant la tête et Relc dévisagea les deux Gobelins.

“J’ai vu ces choses tuer un nombre incalculable de gens bien. Ce sont des assassins sans cœur qui ne méritent pas qu’on leur accorde ce genre de chance.”

“Tu as tort.”

Quoi ?”

Erin croisa les bras. Elle avait l’impression d’être un tout petit insecte face à Relc. Sa rage avait l’air d’émaner de lui comme de la chaleur. Il se pencha au-dessus d’Erin, mais elle refusa de reculer.

Elle revit les petits corps, se remémora les têtes décapitées des Gobelins morts entre ses mains. Elle vit l’enfant lever des yeux pleins de haine sur elle. Plus jamais.

“Tu ne leur feras aucun mal. Ni ici, ni ailleurs. Tu comprends ? Ils sont sous ma protection. Si tu leur fais du mal, tu deviendras mon ennemi.”

La poitrine d’Erin lui paraissait comprimée. L’air était brûlant, mais elle avait l’impression que tout son être était en train de se déverser dans ces mots. Elle dévisagea Relc et sentit quelque chose de vivant autour d’elle. Elle poussa, et il plissa les yeux.

“Tu vas le regretter, Humaine.”

“Peut-être, oui. Mais en attendant, je vais faire ce que je crois être juste.”

L’air était brûlant. Erin croisa le regard de Relc pendant un long moment, une éternité. Enfin, il détourna les yeux.

“Okay, tu sais quoi ? C’est bon.”

Relc leva les mains. Il se rassit. Il attrapa une tranche de viande et retourna à son assiette comme si de rien n’était.

L’absence soudaine d’hostilité faillit faire trébucher Erin. Elle regarda fixement le dos de Relc et la colère l’envahit soudain. Juste comme ça ?

Elle ne pouvait pas laisser passer ça. Pas comme ça. Le pouls d’Erin tonnait dans ses veines, mais elle se sentait étrangement calme, comme si elle se tenait au bord du précipice.

“Non. Dégage.”

Relc hésita en tendant la serre vers une autre tranche de viande.

“Quoi ?”

“Tu m’as entendue. Dégage. Tu n’es pas le bienvenu ici en ce moment.”

“Je ne vais plus embêter tes petits amis Gobelins.”

“Ça n’a pas d’importance. Tu as dit… tu as été très clair.”

Erin mordit sa langue en s’empêtrant dans ses propres mots. Ils avaient l’air stupides à ses oreilles, mais sa poitrine était toujours serrée.

“Tu as été gentil avec moi. Mais si tu ne peux pas tolérer mes invités, alors tu n’es plus le bienvenu dans mon auberge. Va-t’en, et je te laisserai peut-être revenir plus tard. Mais pas maintenant. Pas ce soir.”

Relc plissa les yeux.

“Tu es sûre de vouloir faire ça ? Je suis un garde de la ville. Tu ne peux pas…”

“Relc.”, l’interrompit une autre voix. Klbkch prit la parole. Sa voix était aussi sèche et calme qu’à l’accoutumée, mais aussi plus tranchante.

“N’utilisa pas ta position de garde ici. Erin Solstice a parlé. Elle est dans son bon droit. Je témoignerai si besoin.”

La tête de Relc pivota. Sa queue resta parfaitement immobile lorsqu’il se tourna vers son ami.

“Te mêle pas de ça, Klb.”

“La parole de l’[Aubergiste] fait loi ici, garde. N’insiste pas.”, déclara Halrac. Il dévisagea Relc de sa chaise. Ses mains n’étaient pas tout à fait à sa ceinture mais Erin voyait une dague à sa taille. Relc le dévisagea.

“Tu crois que ta dague me fait peur ? Je vous prends tous les deux, Klb et toi. Tu veux essayer ?”

“Pas de bagarre.”, déclara Erin. Elle sentit la pression s’intensifier lorsque Relc se tourna vers elle. Mais elle poussait, elle aussi, et elle sentit l’air autour d’elle se solidifier. On aurait dit qu’elle appuyait sur l’auberge.

“Tu ne m’as pas entendue, Relc ? Sors.”

Il se leva vivement. Erin ne bougea pas, mais Klbkch et Halrac se levèrent. Ils s’avancèrent mais Relc avança vers Erin.

“Tu crois que j’ai peur de toi ?”

“Non.”

Leurs regards étaient verrouillés. Elle sentit son pouls accélérer, sentit toutes les planches, toutes les chaises de son auberge. Elle poussa davantage et Relc grinça des dents.

“C’est mon auberge, Relc. Sors d’ici ou accepte les conséquences.”

“Tu n’es qu’une stupide Humaine comme les autres. Tu ne comprends rien à rien, pas vrai ?”

“Je comprends le bien et le mal. Tu ne peux pas tuer des gens, Relc.”

“Ce sont des monstres !”, rugit-il sur son visage. Erin sentit des postillons atterrir sur ses joues. Elle sentit Halrac bouger, mais elle refusa de reculer. Relc prit une autre inspiration puis Erin entendit une voix chevrotante.

“Erin a raison, Relc.”

Le Drakéide se tourna, incrédule, lorsque Selys se leva. La jeune Drakéide avait l’air très petite et elle tremblait de peur, mais elle trouva le courage de le regarder dans les yeux lorsqu’elle prit la parole.

“Erin a raison. Tu dois partir. Ce n’est pas juste. J’ai vu Loks et elle n’a jamais…”

Relc fit volte-face et Selys tressaillit. Il regarda autour de lui. Ses yeux furibonds ne croisèrent que des regards froids, et deux paires d’yeux cramoisis. Loks dévisagea Relc d’un regard plein de haine silencieuse, et l’autre Gobelin… sourit.

Le garde Drakéide se retourna vers Erin. Mais à présent, Halrac et Klbkch lui barraient tous deux la route, et le Hobgobelin était toujours assis à la table de Loks. Et souriait. Tout simplement.

La paupière de Relc tressaillit. Il prit une grande inspiration, puis se détourna. Lentement, il se dirigea vers la porte. Relc l’ouvrit, et se retourna. Ses yeux… Erin sentit son cœur se briser lorsqu’elle vit son regard.

“J’espère que vos queues vont tomber. À vous tous !”

Il claqua la porte tellement fort qu’Erin sentit la vibration là d’où elle se tenait. Elle vacilla, incertaine, puis entendit Relc rugir de rage en rentrant à la ville.

Ses jambes se trouvèrent soudain dépourvues de fores. Erin s’assit, et s’aperçut que Selys avait mis une chaise sous ses fesses juste à temps. La Drakéide lui fit un petit sourire triste.

“C’était excitant, pas vrai ?”

Erin se retourna. Le sourire de Selys s’effaça. Au bout d’un moment, Erin posa sa tête sur la table. Elle ne pleura pas, mais elle était terriblement, terriblement triste.


***


Un long moment passa avant que qui que ce soit ne se remette à manger. Halrac et Klbkch retournèrent à leurs chaises en silence, sans piper mot, et seule Selys essaya de remplir de mots l’affreux vide qui emplissait la pièce.

Erin dut monter à l’étage pour trouver Lyonette. La fille s’était cachée dans sa chambre, sous son lit. Elle ne redescendit que lorsqu’Erin l’assura que Relc était parti, puis elle prit une assiette de nourriture et se barricada dans sa chambre.

Il fallut aussi un moment à Erin pour se souvenir qu’elle avait dit à Toren de rester tranquille. Le squelette était figé sur place et il ne se remit en mouvement que lorsqu’elle lui dit qu’il pouvait bouger de nouveau. Il prit alors un seau et sortit de l’auberge. Erin faillit se demander s’il était en colère… mais Toren ne ressentait aucune émotion, n’est-ce pas ?

À leur table, les deux Gobelins discutaient à voix basse. Aucun des deux ne paraissait perturbé ; Loks avait d’ailleurs l’air contente, et son compagnon ne cessait de jeter des regards en coin à Erin.

Et Erin ? Elle se sentait terriblement mal.

“Il était gentil avec moi. C’est la première personne que j’aie jamais rencontrée. La première qui n’aie pas essayé de me tuer, je veux dire.”

“Je sais.”

Selys lui tapota le dos d’un air compatissant. Les deux femmes contemplaient leurs repas, et aucune des deux n’avaient faim.

“Quand même, c’est incroyable comme tu l’as confronté. Personne ne cherche la bagarre avec Relc en ville lorsqu’il s’énerve. Même Zevara, la Capitaine de la Garde, fait attention dans ces cas-là. Relc a déjà battu quarante personnes pendant une bagarre, tu savais ?”

“Non.”

“Et cette Compétence ! C’était une Compétence, pas vrai ? Quand tu l’as regardé, tout est soudain devenu très lourd. On aurait dit que l’air essayait de m’écraser.”

“C’est juste sorti comme ça. Je ne sais pas comment j’ai fait.”

“Eh bien, il est parti.”

“Oui. Mais il ne reviendra peut-être jamais.”

Selys ne savait pas quoi répondre à ça. Au bout d’un moment, Erin se leva et alla voir Klbkch et Halrac pour les remercier de leur aide. Klbkch acquiesça et dit à Erin qu’il parlerait à Relc, même si elle n’était pas certaine que ce soit une bonne idée. Halrac se contenta de hocher la tête.

“Tu es une personne bien étrange. Courageuse.”

Erin songea que c’était sans doute un compliment.

Le dîner fut calme, mais au moins il fut à peu près plaisant. Erin papota avec Selys et Klbkch, et s’approcha occasionnellement de la table des deux Gobelins. Ils se contentèrent de la dévisager lorsqu’elle s’approcha pour la première fois, et Loks se contenta de hausser les épaules lorsqu’Erin s’excusa pour Relc.

Ils manigançaient quelque chose. Ils ne cessaient d’observer Erin, mais ils étaient apparemment trop occupés à discuter dans leur propre langue et Erin les laissa tranquilles.

Au bout de quelques heures, Selys partit. Elle devait aller travailler le lendemain, et Klbkch partit lui aussi, pour l’escorter. Halrac resta encore une heure avant de partir lui aussi, en marmonnant quelque chose au sujet de sites d’excavation et de mages.

Loks et son mystérieux ami Hobgobelin partirent eux aussi. Erin sentit ses yeux posés sur elle lorsqu’ils partirent, mais elle ne savait pas si c’était une bonne ou une mauvaise chose.

Puis Erin se retrouva seule. Elle resta assise dans son auberge, écoutant Lyonette qui marchait à l’étage et se demandant où était parti Toren. Son cœur était encore douloureux.

Que devait-elle faire ? Des Gobelins. Elle se sentait mal d’avoir jeté Relc à la porte, mais… non, elle avait pesé chacun de ses mots. Mais les paroles de Magnolia résonnaient toujours dans son esprit.

Elle était faible. Toutes ces choses extraordinaires dont elle lui avait parlé… Erin ne pouvait vraiment rien faire sans aide. Elle ne pouvait même pas faire face à Relc sans l’aide de tout le monde.

Alors. Du coup. Que pouvait-elle faire ?

“Gagner des niveaux.”

Elle n’avait pas d’autre choix, pas vrai ? Erin soupira. Plus forte. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Elle devait créer quelque chose. D’une manière ou d’une autre.

“Eh bien, j’ai une idée.”

Demain, elle pourrait…

Quelqu’un frappa à la porte. Erin fronça les sourcils. Un visiteur nocturne ? Elle se demanda si elle pouvait dire qu’ils étaient fermé. Elle alla à la porte d’un pas chancelant et la déverrouilla. Erin ouvrit la porte et se figea. Puis elle sourit, son visage s’illuminant de joie et de soulagement.

“Ryoka ?”



 
EllieVia
   
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2.39 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia

***


Je suis en colère.

Je crois que j’ai toujours été en colère. Depuis que j’ai été déçue par les gens que j’admirais. Depuis le jour où j’ai cessé de croire aux héros.

C’est une longue histoire. Et j’imagine qu’une grande partie était de ma faute. Il était une fois, une fille en colère qui s’en prenait à tout le monde. Qui se rebellait.

Nous passons tous par cette phase. Mais je n’ai jamais vraiment réussi à dépasser la furie qui m’a envahie lorsque j’ai compris que le monde était injuste. Que, bien que l’on m’ait offert une vie extraordinaire, il restait encore tellement d’injustice.

Parfois, j’oublie. Je cours et cours pour oublier, et j’ai fini par courir dans un autre monde où je croyais pouvoir être heureuse.

Mais à présent, elle est de retour. La même vieille furie, une bête grondante dans mon estomac, une rage tambourinante couvant dans mon cœur.

C’est le genre d’émotion qui pourrait me mener au meurtre. Et il y a des gens dans ce monde qui valent la peine d’être tuée. Non… pas des gens.

Des monstres. Des monstres, tout simplement.

La neige crisse sous mes pas. J’avance, et une petite Gnolle trottine maladroitement à mes côtés. Mon estomac est vide, et j’ai des étourdissements.

Je suis au bout du rouleau. Je l’ai dépassé depuis longtemps, à vrai dire. Les deux moignons sur ma main droite me lancent Je suis épuisée, affamée, blessée.

Et tellement en colère.

Même maintenant, la rage menace de me consumer. Je…

Je n’ai jamais été aussi en colère auparavant.

Je me suis déjà sentie en colère. Une colère brûlante, bouillonnante. Et j’ai ressenti la furie profonde lovée dans mon estomac, s’accumulant comme la pression dans une cocotte-minute, prête à exploser devant une bonne étincelle. Et j’ai senti la rage qui consume tout, qui brûle un trou dans mon esprit, éradiquant le bon sens. Mais ceci… c’est différent. Ce sentiment m’effraie moi-même.

C’est une colère noire, une folie terrible qui m’empoigne. Et avec elle, j’entends une petite voix que je croyais avoir enterrée. Elle me murmure des choses.

Tue tout. Tue tout le monde. Poignarde-les. Arrache-leur les yeux. Réduis leur peau en lambeaux.

Laisse ce maudit monde bruler.

Je ne peux m’empêcher de regarder ma main. L’endroit où devraient se trouver mes doigts. Et mes souvenirs. Je me souviens d’Urksh et de la tribu des Lances de Pierre.

Tous morts.

Tous morts à cause de moi.

Les Gobelins. Je me suis réveillée en hurlant deux nuits d’affilée, ma main brûlante, infectée. J’ai fait peur à Mrsha. Même maintenant, la petite Gnolle me suit, mais à une certaine distance. Elle a peur de moi et peut-être, me déteste pour ce que j’ai fait.

Le prix qui a été payé pour sa vie, et la mienne, d’ailleurs.

Je baisse les yeux vers elle, et la Gnolle me regarde. Sa fourrure est tellement blanche à présent, la couleur de la neige fraîche. Elle est presque invisible lorsqu’elle s’arrête, et la seule couleur sur son corps hormis ses griffes et son nez sont ses yeux bruns Elle est… silencieuse.

Elle a toujours été silencieuse. Mais à présent, Mrsha marche comme un fantôme. Elle a perdu sa tribu. Sa famille, ses amis…

Tout ça à cause de moi.

Même maintenant, je vois la fée perchée dans les airs. J’entends Urksh, j’entends sa voix au-dessus des sons de sa tribu en train de mourir autour de lui.

“Nous offrons tout.”

Est-ce qu’il y a eu des survivants ? N’importe qui ? Ou est-ce que toute la maudite armée est morte elle aussi ? Quel a été le prix ?

Mrsha chancelle, trébuchant sur quelque chose dans la neige. Je m’arrête, et elle se relève lentement.

Elle est fatiguée. Et elle a faim. Aucune de nous deux n’a mangé.

“On n’est plus très loin. Est-ce que tu peux marcher ?”

Elle acquiesce. Je hoche la tête. Il n’y a rien d’autre à dire. Si je la portais, je tomberais dans un mille.

“Je suis désolée.”

Combien de fois lui ai-je dit ces mots ? Combien de fois ai-je revu la scène en me la remémorant à mon réveil ? Mrsha se contente de me regarder en silence, ses jeunes yeux me jugeant. Mais elle ne peut pas me dire ce qu’elle ressent.

Cela n’a aucune importance. Je le sais .Je sais ce que c’est, de perdre la foi en quelqu’un que tu admires. J’ai trahi Mrsha. Je lui ai apporté des histoires puis la mort. Je lui ai donné un petit rêve puis je lui ai pris tout ce qu’elle possédait.

Je… tout est de ma faute*.

*Bien sûr que non. Je sais que non. Je ne suis pas responsable de la totalité de ce qui s’est passé. Je n’ai pas forcé les armées à combattre ni les Gobelins à tuer. Mais c’est ma faute. Ma faute à moi seule.

Trop tard pour faire demi-tour. Trop tard pour offrir autre chose. Elle est tout ce qui reste, et je dois m’occuper d’elle. Je me détourne donc et contemple les plaines enneigées.

Quelque chose entre dans mon champ de vision. Un corps fait de cristal et de glace. L’immortalité figée dans la silhouette d’une petite fée. Elle me regarde.

“Ta ville n’est plus qu’à une heure de voyage. Ne t’arrête pas ici.”

Je manque de peu éclater de rire. Les fées s’inquiètent pour nous. Pour moi. Je la regarde.

“Quel a été le prix ? Qu’a-t-il été payé, et qu’a-t-il été perdu ?”

Elle me regarde en silence. C’est la même question que j’ai posée à chaque fée qui est venue me voir. Silencieusement, la fée retourne voler avec les autres.

Elles m’évitent, dernièrement. Sont-elles incapables de répondre ? Je crie à leur intention.

“Qu’a-t-on payé ? Le prix était-il donc si élevé ?”

Mrsha se tapit dans la neige et se couvre les oreilles de ses pattes. Les fées me regardent, en juges silencieuses.

“Ne nous le demande pas, mortelle. Ce qui est fait est fait. Savoir ce qui aurait pu être n’apporterait que des regrets.”

J’explose alors. Je ne me souviens pas d’avoir prix un caillou dans la neige et de l’avoir jeté sur les fées. Je leur hurle dessus, ma voix à vif et pleine de rage.

Allez vous faire enculer ! Répondez-moi franchement pour une fois bande de putes ! Dites-moi ! Espèce de sales démons sournois et traîtres ! Quel a été le prix ? Dites-le moi ou…”

Quelque chose. J’aperçois une petite boule de fourrure en train de trembler par terre à côté de moi pendant que je jette de la neige et que je crie sur les fées en train de battre en retraite. J’hésite, m’arrête.

Mrsha est roulée en boule dans la neige, loin de moi. Elle tremble tellement fort qu’on dirait qu’elle vibre.

D’un seul coup, la colère m’abandonne.

“Mrsha. Je…”

Je m’avance vers elle. Elle s’écarte légèrement. Je m’arrête.

“Je suis désolée.”

Je m’assieds dans la neige, toutes flammes envolées. Les braises demeurent, mais elles couvent encore. Et pourtant, la culpabilité et la tristesse m’assaillent à présent, trop fortes pour que je puisse les ignorer.

J’ai vraiment foiré cette fois-ci, pas vrai ? Je pensais que quelques potions et une poignée de tours d’alchimistes pourraient changer les choses. Mais je…

J’étais arrogante. Et à présent, cette arrogance a coûté la vie à plusieurs personnes. Si j’avais des niveaux, peut-être que j’aurai réussi à retrouver Mrsha plus tôt, ou peut-être que j’aurais pu me battre. Peut-être…

Mais il est trop tard à présent. Bien trop tard.

Depuis cette nuit, la voix du système ou qu’importe ce que c’était a cessé de me parler. D’habitude, toutes les nuits, vraiment, j’entendais une espèce de notification dans ma tête et je l’annulais. [Coureuse Va-Nu-Pieds Niveau 1 !], ou [Disciple Niveau 3 !] après le combat que j’avais eu contre Calruz. Et pourtant, à présent que je l’attends, je n’entends rien.

Rien du tout.

J’imagine qu’ils ont fini par abandonner la lutte. Ou est-ce que ça a fait partie du prix que j’ai payé ? Je n’en sais rien, je sais simplement que je me suis éloignée d’une mort certaine et payé pour ce miracle avec deux doigts. Et je sais que Mrsha a survécu au prix de la vie de toute sa tribu.

Peut-être qu’ils étaient destinés à mourir, et que cela a permis à l’une d’eux de vivre plutôt qu’à d’autres. Ou peut-être que les fées ont altéré la destinée pour que la tribu meure à la place de Mrsha. J’imagine que je ne le saurai jamais.

Mais je me souviens du Seigneur Gobelin. Je me souviens de ses yeux, et de sa maudite armée.

Je serre les poings. Mrsha cesse lentement de trembler et lève les yeux sur moi. Je me force à lui sourire d’un air peu convaincant. Mais à l’intérieur de moi, la folie rugit de nouveau.

Je ne leur pardonnerai jamais. Ils mourront. Je le jure.

Je ne suis pas une tueuse. C’est ce que m’a dit Erin. Mais ces monstres méritent de mourir. Et je les tuerai, même si cela signifie que je ne pourrai plus jamais redevenir celle que j’étais.

Pour le moment, je regarde Mrsha et essaie d’adoucir ma voix. De la rassurer. J’aimerais savoir comment. Ce n’est qu’une enfant. Elle a besoin d’une experte pour l’aider à surmonter le traumatisme et la perte de ses proches. Mais je l’ai faite marcher sans relâche.

“Je suis désolée d’avoir crié, Mrsha. On est presque arrivées. Une fois qu’on aura atteint la ville, on pourra manger et dormir, d’accord ? On y sera en sécurité.”

Je pointe du doigt et Mrsha plisse les yeux. Liscor se distingue au loin, de l’autre côté de l’étendue de plaines enneigées. Elle paraît incertaine.

“On y sera en sécurité, je te le promets.”

Quel mensonge. Et comment puis-je promettre cela à une enfant qui vient de voir sa famille se faire tailler en pièces autour d’elle ? Mais Mrsha acquiesce. Elle me fait confiance, et nous reprenons donc notre route pendant que des lames de culpabilité déchirent mon estomac en lambeaux.

Nous avançons, dans un silence gourd.

On dirait qu’il ne s’est écoulée qu’une seconde entre le moment où nous avons repris la marche et le moment où je fais face à une porte en bois. Je regarde autour de moi et cligne des yeux. C’est la nuit. Mrsha est appuyée contre ma jambe, trop fatiguée pour faire quoi que ce soit d’autre. Les fées sont parties. Je regarde autour de moi, mais je ne vois pas leur lueur dans la nuit.

Bien. J’imagine. Ma tête est embrumée. Je lève ma main gauche, ma main valide, et toque à la porte.

Pendant un instant, je crains que personne ne vienne nous ouvrir. Mais il y a de la lumière derrière les fenêtres. Pitié, faites qu’elle soit là. Puis j’entends les verrous grincer dans la serrure et la porte s’ouvre.

De la lumière et de la chaleur débordent dans la nuit glacée. Je cligne des yeux.

“Ryoka ?”

Un visage familier se tient dans l’embrasure de la porte. C’est étrange, mais elle n’a pas changé.

“Salut, Erin.”

Elle m’adresse un large sourire. Je peux à peine lever la tête. Je suis rentrée.

Mes jambes cèdent soudain sous mon poids. Je m’écroule en avant, sur Erin.

Elle glapit et me rattrape juste à temps.

“Ryoka ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Je suis rentrée.”

“Tu es blessée ? Tu es fatiguée ? Attends, laisse-moi juste… qui est-ce ?”

J’essaie de me redresser pendant qu’Erin essaie d’attraper la porte. C’est presque comique et un sourire m’échappe, mais je vois alors Mrsha dans la neige jeter un regard inquiet à Erin.

“Mrsha.”

“Qui ?”

La confusion se peint sur le visage d’Erin et je me retourne pour appeler la petite Gnolle. Elle hésite, mais elle pénètre dans l’auberge chaleureuse et renifle l’air.

“Oh ! Elle est si mignonne !”

Erin se penche en avant et Mrsha bondit dehors comme un animal sauvage. Je soupire.

“Tout va bien. Erin… je te présente Erin Solstice, Mrsha. C’est une amie.”

Une amie. Je tiens la porte ouverte. Mrsha hésite, mais elle revient en trottinant. Cette fois-ci, Erin garde une distance respectueuse.

“D’où vient-elle, Ryoka ?”

Comment lui expliquer ? Je me contente de soupirer.

“C’est une longue histoire. Elle s’appelle Mrsha. Ce n’est qu’une enfant. Je l’ai amenée ici parce qu’elle ne peut aller nulle part ailleurs.”

Mrsha avance un peu dans la pièce, ses ongles cliquetant sur le plancher. Elle est à quatre pattes - apparemment, les Gnolls alternent entre la marche à deux ou quatre pattes et elle est encore habituée à marcher à quatre pattes. Elle renifle et contemple fixement les braises rougeoyant dans l’âtre, mais elle reste à côté de moi.

Erin regarde Mrsha et ses yeux s’écarquillent lorsqu’elle comprend ce que je veux dire.

“Oh non. Est-ce que tu as… elle était perdue ? Ou… abandonnée ?”

“Ni l’un ni l’autre. Sa tribu n’est plus là, Erin.”

C’est tout ce que je peux dire pour le moment. Et même cela me blesse. Erin écarquille les yeux, mais elle ne met que quelques secondes à comprendre. Elle a vécu dans ce monde aussi longtemps que moi. Possiblement plus longtemps que moi. Elle sait de quoi je parle.

“Je suis tellement désolée. Hé, ma puce, comment tu te sens ?”

Erin se penche en faisant un grand sourire à Mrsha. Mais Mrsha se contente de s’écarter. Elle se cache derrière une table en dévisageant Erin. Je ne peux pas lui en vouloir d’avoir peur.

“Mrsha. Tout va bien. Erin n’est pas dangereuse. Elle est gentille. Elle va m’aider à prendre soin de toi.”

Mieux que moi. Mrsha regarde Erin de derrière la table et je remarque à quel point elle a perdu du poids. Elle a à peine mangé après cette première nuit, et sans nourriture…

Erin laisse Mrsha lui renifler la main, mais Mrsha reste timide. Elle regarde Erin avec de grands yeux, et je réalise soudain que c’est probablement seulement la deuxième Humaine qu’elle ait jamais rencontrée.

Dommage. Si elle avait rencontré Erin en premier…

Je ferme les yeux. Tout est douloureux.

Je m’appuie contre une table d’Erin, épuisée. Ma main se déploie et Erin baisse les yeux. Elle pousse une exclamation.

“Ta main...”

Je grimace. C’est encore difficile pour moi de regarder les moignons. Je les ai enrubannés dans des bandages, mais…

“C’est sans importance. Je te raconterai plus tard.”

“Me raconter plus tard ? Ryoka, que s’est-il pass... “

“Donne-lui d’abord à manger. Elle n’a rien mangé aujourd’hui.”

Je pointe Mrsha du doigt. Mon estomac est vide, et je suis sur le point de m’évanouir de faim. Mrsha doit être dans un état pire encore. Ses oreilles pointent lorsque je dis le mot “manger”.

Erin hésite encore. Elle regarde ma main, et cela… m’agace. Je sais que c’est grave. Est-ce que je n’ai pas moi-même passé mon temps à la regarder, tous les jours ? Mais ce n’est pas l’important.

“Erin. À manger.”

Mon amie sursaute et Mrsha bondit en arrière. Erin regarde autour d’elle d’un air affolé.

“À manger ? On a à manger. Il y a des restes de viande… euh… où est-ce que Toren l’a mise ?”

Elle hausse la voix pour appeler ce maudit squelette.

”T…”

“Stop.”

Je suis obligée de crier à moitié et j’effraie à la fois Erin et Mrsha. Elles se tournent toutes les deux vers moi.

“Quoi ?”

“N’appelle pas Toren. Tu vas lui faire peur.”

Je n’arrive pas à croire qu’il faut que je lui explique ça. Ma colère… s’enflamme puis s’éteint. Ce n’est pas la faute d’Erin. Erin cligne des yeux, puis regarde Mrsha.

“Oh, c’est vrai !”

Je grince des dents. Erin se précipite dans la cuisine pour nous trouver à manger. Pourquoi est-ce que je suis en colère ? Je veux dire, pourquoi contre elle ? Ce n’est pas la faute d’Erin si elle est irréfléchie…

Contrôle-toi. Je ne peux pas me fier à mes émotions en ce moment. Je prends quelques grandes inspirations et sens le froid quitter mon corps, l’épuisement remplir mes membres. Tout va bien. Tout va bien à présent.

Pas du tout, en réalité, mais je me raconte ça jusqu’au retour d’Erin. Elle a de la nourriture enveloppée dans un tissu dont elle époussète la neige. Apparemment, elle a de la viande - de la volaille rôtie et quelques tranches de viande, du pain froid, et du fromage.

Elle a dû mettre tout ça dans la neige pour que ça se conserve. Ne sait-elle donc pas que ça risque d’attirer les charognards et les monstres ? Si elle se posait une minute pour réfléchir...

Calme-toi.

Erin rajoute du bois dans le feu et déballe la nourriture.

“Désolée… vous pouvez réchauffer tout ça près du feu. Et ,euh, je ne crois pas que Toren soit à l’auberge. Il a dû sortir.”

“Très bien.”

La viande est froide et dure d’être restée dehors. Je la savoure à peine et l’engloutis. Mrsha mange aussi vite que moi. Erin nous regarde nous empiffrer et va chercher d’autres choses à manger.

“Ça suffit.”

Je déclare ceci au bout de quelques minutes de gloutonnerie. Mrsha lève les yeux sur moi.

“Ne mange pas trop ou tu vas être malade.”

De la nourriture riche dans un estomac vide. Je me sens déjà un peu nauséeuse, mais je suis vivante. Vivante.

Erin s’approche de Mrsha et moi, un pichet de lait chaud dans les mains. Je sais qu’elle veut poser des questions, et je ne veux rien raconter. Je veux juste dormir. Dormir et ne pas avoir à m’occuper de tout ça. Mais il faut que je m’en occupe.

“Pourquoi est-ce que vous n’avez rien mangé ? Je veux dire, tu n’avais plus de provisions ?”

Non, on s’est affamées pour le plaisir. Je me mords la lèvre. Calme-toi.

“On est tombée à court de provisions il y a un jour.”

C’était soit s’arrêter pour chercher de quoi manger, soit continuer la route. Je n’étais pas certaine de pouvoir trouver quoi que ce soit - ni de pouvoir nous mettre hors de danger si nous croisions un monstre - donc nous avions continué d’avancer.

Mrsha frissonne. Elle tend la patte vers un verre de lait et l’engloutit avec avidité. Je la contemple et sens mon cœur se serrer de nouveau. Voilà encore une chose pour laquelle je dois payer.

Erin me voit la regarder. Je ne sais pas ce qu’elle voit sur mon visage. je ne veux pas le savoir. Voir son expression est déjà bien assez douloureux.

“Ryoka, que s’est-il passé ?”

Erin finit par poser le pichet sur la table et s’assied à côté de moi en me dévisageant. Mrsha hésite, mais la Gnolle se contente de s’éloigner un peu d’Erin en mâchonnant quelques morceaux qui restaient dans son assiette. je soupire.

“C’est une longue histoire.”

“Raconte-moi. S’il te plaît ? Je sais juste que tu étais partie pour une longue livraison, mais que les Fées de Givre t’ont pourchassée. Est-ce que ce sont elles qui t’ont fait ça ?”

“Non.”

Peut-être que si. Mais... elles sont malveillantes, fourbes, hostiles… et pourtant, je sais qu’elles aiment les enfants. Non, elles n’auraient jamais orchestré ça, même si elles le pouvaient.

Et Erin me dévisage. Elle me dévisage, tout simplement. je veux lui raconter, mais je me tais. Je veux enterrer ces souvenirs à jamais, et pourtant une part de moi veut avouer mon échec.

J’hésite. Mrsha est encore assise avec nous. Mais elle ne va pas me laisser la mettre au lit si facilement. Et il faut que je raconte. Je lève donc les yeux sur Erin.

“D’accord.”

Personne d’autre n’a besoin de savoir. Je ne raconterai peut-être plus jamais la totalité des événements. Mais Erin me connaît. Je connais Erin. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps, mais je lui fais confiance. Plus qu’à n’importe qui d’autre dans ce maudit monde. Elle m’a aidée à sauver Ceria. Elle…

Peut peut-être comprendre.

Lentement, je commence à parler. Je raconte à Erin tout ce qu’il s’est passé depuis que je me suis enfuie de son auberge avec les fées à mes trousses. Je lui raconte certains détails sans importance. Les longues journées pendant lesquelles elles m’ont tourmentées - aucune importance, à présent. Ce sont presque des souvenirs heureux par rapport à ceux qui arrivent.

Et je ne peux pas décrire ce qu’il s’est passé dans le campement Gnoll. J’explique simplement à Erin que j’ai diverti les fées avec des histoires et m’arrête à ça. Ce que j’ai ressenti alors est trop précieux pour le découper avec de simples mots.

Vient alors le récit de la bataille entre les deux armées. Et le Nécromancien. Erin m’écoute, pose des questions auxquelles je ne réponds pas, étonnée, et émet des suppositions. Mais tout cela n’est qu’un prélude.

Lorsque je parle de la nuit où Mrsha a tout perdu, l’enfant Gnolle s’écrase par terre et se couvre les yeux de ses pattes en tremblant. Des larmes coulent le long de ses joues. Erin la regarde mais je continue.

Il faut que ce soit dit. Et c’est tellement facile, finalement.

“J’ai passé un marché avec les fées. Elles ont aidé à nous sauver, Mrsha et moi, mais la tribu des Lances de Pierre - tous les membres… on les a abandonnés derrière nous avec les Gobelins. L’armée était en train de battre retraite et j’ai couru avec les fées. Elles ont tout gelé sur notre route. Je ne sais pas ce qu’il est advenu des autres.”

Les souvenirs effacent presque le monde vivant à mes yeux. Je vois des fantômes, du sang, et la mort. Mais le monde revient dans mon champ de vision lorsque j’entends Erin pleurer.

Elle pleure. Mes yeux sont secs. Les épaules d’Erin sont agitées de sanglots et elle me regarde. Ça fait mal. Sa compassion me fait mal. Je détourne le regard.

Erin essuie ses larmes. Elle tente de caresser Mrsha, mais la Gnolle se dérobe. Elle se faufile sous une table et se roule en boule.

Cœur brisé. Mes yeux sont secs, et mon âme saigne. Je regarde Erin.

“Nous sommes revenues. Les fées sont toujours dans le coin. Mrsha n’a nulle part où aller. Est-ce que tu peux prendre soin d’elle ici, dans ton auberge ?”

“B… bien sûr. Absolument. Aucun problème.”

Erin cherche quelque chose pour se moucher. Elle finit par se précipiter à la cuisine et ressortir avec un torchon sale. Je la regarde essuyer la morve de son visage.

“Je suis tellement, tellement désolée.”

“Tu l’as déjà dit. C’est arrivé, c’est comme ça.”

Rien ne peut changer ça. Je m’assieds à la table et contemple mes doigts. C’est tant et pourtant si peu. Un prix bien dérisoire, et pourtant…

Ils sont partis. Pour toujours. Aucune potion ne les ramènera. Pas même l’amie guérisseuse de Magnolia ne peut régénérer des membres, elle ne peut que réparer ceux qui sont endommagés.

Partis pour toujours. Un maigre prix à payer.

“Le Seigneur Gobelin est toujours dehors.”

Je serre le poing, sans me préoccuper de la douleur. Je sens Erin s’immobiliser à côté de moi. Je me tourne vers elle.

“Il faut que tu fasses attention. Son armée est à plusieurs jours de marche au sud d’ici, mais il pourrait venir au nord. Si c’est le cas…”

“Si c’est le cas, nous verrons. Mais pour le moment, tu es en sécurité. Je vais verrouiller les portes et Toren devrait être rentré. Je lui dirai de monter la garde.”

“Très bien.”

Erin s’agite sur sa chaise. Je la regarde. Pourquoi est-elle si facile à déchiffrer ? N’a-t-elle donc aucun…

“Qu’est-ce qu’il y a, Erin ?”

Elle hésite.

“Hum. Loks est dans le coin. Avec un autre Gobelin.”

Silence. Dans mon cœur. Je sens mes doigts pulser.

“Ne la laisse pas entrer. Si je vois un Gobelin, là, je vais le tuer.”

Je croise le regard d’Erin. J’ai l’impression que mes yeux sont en feu. Elle paraît surprise, mais pas effrayée. Est-ce que j’ai déjà vu Erin avoir peur ? Mais son expression s’assombrit et je vois… de la déception.

Cela me met en colère. Comment peut-elle me juger, alors que je viens de lui expliquer ce qu’il s‘était passé ? Comment peut-elle laisser des Gobelins venir ici ?

Comment peut-elle…

J’ai besoin d’elle. J’essaie d’étouffer la folie qui enfle dans ma poitrine, mais elle ne cesse de remonter à la surface. Des bulles de folie.

“Qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?”

Je pose la question pour me distraire. Je ne suis pas sûre que cela m’intéresse vraiment. Erin hésite. Elle a l’air inquiète, à présent.

“Oh, rien. Rien de… trop important.”

“Erin.”

“Eh bien… okay, il s’est passé quelques trucs.”

“Raconte.”

Elle hésite. S’agite. Elle regarde Mrsha, puis ses mains. Je la dévisage. Enfin, Erin abandonne et se met à raconter d’un air nerveux.

“Oh, j’ai rencontré un aventurier Or après avoir accueilli cette fille. Elle est un peu agaçante mais ils allaient la laisser mourir dans le froid si je ne l’aidais pas. Et du coup, il y a eu une bagarre puis je me suis rendu compte que les fleurs de fées étaient utiles et j’ai jeté Relc dehors après qu’il se soit emporté contre l’ami de Loks et peut-êtrequejesuisalléevoirLadyMagnoliaaujourd’hui et…”

On dirait que quelqu’un vient de m’électriser la colonne vertébrale au taser. Mes yeux s’ouvrent en grand, et mon cœur se remet à battre. La colère bouillonne dans ma poitrine, une chose sombre qui se tortille.

“Qu’est-ce que tu viens de dire ?”

“J’ai rencontré Lady Magnolia. Écoute, elle a envoyé une calèche à mon auberge, Ryoka, et j’ai pensé…”

“Tu y es entrée, pas vrai ? Juste comme ça, sans réfléchir une putain de seconde ?3

“Je…”

Erin ouvre les mains d’un air impuissant. Comme pour dire ‘que voulais-tu que je fasse ?’. Cela m’énerve encore plus. Je hausse la voix, et Mrsha, à moitié en train de s’assoupir, lève les yeux.

“Qu’est-ce que tu lui as raconté ?”

“Hum.”

Erin se gratte la tête. Elle ne s’en souvient même pas.

“Rien de particulier… ? Mais elle sait que je suis de notre monde. Je veux dire, d’un autre monde. Et, euh, elle a d’autres gens.”

“D’autres gens de notre monde ?”

Maudite femme. Mon cœur bat de plus en plus vite. Erin acquiesce.

“Ouaip, elle a un tas de filles et de mecs. Ils sont plus jeunes que nous, mais ils veulent devenir aventuriers. Mais, euh, Magnolia ne veut pas qu’ils partent. Elle a peur qu’ils répandent les secrets de notre monte.”

“Et elle connaît ces secrets ? Elle sait tout ?”

Erin n’arrive pas à croiser mon regard.

“... Ouaip. Elle sait pour les armes à feu, ce genre de choses.”

Merde.”

Je cogne la table de ma main valide. Erin a l’air inquiète. Elle essaie de poser sa main sur mon épaule, mais je la balaie d’un revers de la main.

“Je ne lui ai rien raconté d’important, Ryoka ! Elle voulait juste savoir si on pouvait me faire confiance. Elle a essayé d’utiliser une Compétence contre moi, mais ça n’a pas marché…”

Tu n’aurais pas dû te trouver près d’elle pour commencer !”

Je plante un doigt dans les côtes d’Erin. Elle a l’air indignée.

“Pourquoi pas ? Tu l’as rencontrée, toi !”

“Avant de savoir à quel point elle était dangereuse. Mais toi… tu aurais dû réfléchir avant d’aller lui parler ! Est-ce que tu as seulement hésité ? Ou est-ce que tu as vu une jolie calèche et tu as simplement décidé d’entrer dedans ?”

“Ryoka, ce n’est pas ce qu’il s’est passé. Écoute-moi.”

Erin fronce les sourcils, mais j’en ai assez d’écouter. La bête dans ma poitrine, et la furie consument mon esprit. Trop tard.

“Non. C’est toi qui va m’écouter. Elle ne voulait que ça, que tu ailles la voir. Elle sait que tu viens d’un autre monde à présent, espèce d’idiote ! Elle n’avait aucun moyen de le savoir, mais tu lui l’as révélé - probablement dès l’instant où elle a suggéré qu’elle le savait ! Et à présent elle sait que je te connais, et elle va t’utiliser contre moi !”

“Elle ne ferait pas…”

Erin hésite. Même elle reste incapable de finir cette phrase. Je la fusille du regard. Quelque chose est tapi dans ma poitrine et a pris le contrôle de ma langue.

“Tu ne réfléchis pas. Tu te contentes de danser sous ses ficelles comme une putain de marionnette, espèce de crétine.”

La fille fronce instantanément les sourcils.

“Ne dis pas ça comme ça. Je n’ai rien fait de mal ! Je crois que Magnolia est de notre côté.”

“De nôtre côté ?”

Quelque chose se brise en moi. Toute la haine, la colère, la frustration, la peur et la peine… tout jaillit hors de moi, comme un poison.

“Putain d’idiote. Tu ne réfléchis jamais ? Non. Jamais. Tu te contentes de foncer tout droit et de faire tout ce qui passe dans ta tête creuse sans réfléchir un seul instant aux conséquences. À cause de toi, l’une des personnes les plus dangereuses du monde connaît ton secret et elle ne te lâchera jamais. Tout est de ta faute, espèce de morveuse sans cervelle.

Je n’arrive pas à endiguer le torrent. Je n’en ai même pas envie. Erin me dévisage, tout d’abord sous le choc, blessée, puis outrée.

“Je ne suis pas une idiote ! Ryoka, écoute-moi…”

“La ferme.”

“Non ! C’est toi qui vas la fermer et m’écouter !”

“Pour pouvoir entendre le reste des mensonges que Magnolia t’a fourrés dans la tête ? Mais tu as gobé tout ce qu’elle t’a dit sans rien remettre en question. Tu es idiote ou quoi ?”

Je vais trop loin. Je le sais, mais je suis incapable de m’arrêter. Le visage d’Erin se fige.

“Ne me traite pas d’idiote.”

“Pourquoi pas ? Tu es la personne la plus conne que j’aie jamais rencontrée.”

“Ryoka. Je te préviens…”

“Oh ? Et qu’est-ce que tu vas faire ?”

“Arrête juste de m’insulter ! Écoute-moi une seconde !”

“Non. Va te faire mettre. Tu es une bouffonne incompétente.”

Je cogne Erin en pleine poitrine, fort. Je vais trop loin. Arrête. Erin m’attrape la main.

“Ne me touche p…”

Je la pousse. Erin s’écrase sur la table et je comprends que je suis allée trop loin. Elle se relève d’un coup. Je lève les mains.

Je veux me battre. Je veux cogner quelque chose. Mais le reste de mon esprit veut arrêter. Une voix hurle sous mon crâne, la même voix qui a crié lorsque je me suis battue contre Calruz.

Mais il y a trop de bruit. Tout me fait mal. Mon cœur est en pièces. Je veux juste cogner quelque chose, et prendre des coups en retour. Peut-être qu’alors…

Erin me lance un coup de poing. Lent. Maladroit. Je recule et la cogne. De ma main blessée. Mes moignons entrent en collision avec sa poitrine et j’attrape ma main tant la douleur est forte.

Pendant que je suis pliée en deux, Erin serre le poing. Elle vise ma poitrine. Je vois le coup venir à des kilomètres. Je lève les bras pour la bloquer…



***



Vlam.

L’impact était tellement fort que le monde de Ryoka disparut un instant. L’impact la fit s’envoler. Ryoka renversa la table et atterrit au sol. Elle resta étendue là pendant quelques secondes, silencieuse, le souffle coupé, avant de prendre une grande inspiration et rouler sur le côté.

Erin était debout, tremblant en dévisageant Ryoka. [Attaque du Minotaure]. Elle n’avait pas prévu de l’utiliser. Elle hésita. Est-ce qu’elle devait aller l’aider…

Quelque chose de pointu s’enfonça dans la cheville d’Erin. Elle hurla de douleur lorsque l’objet mordit dans sa chair, comme des aiguilles en train de s’enfoncer dans sa peau.

”Aaaah !”

Erin hurla et agita les bras, paniquée, en essayant de faire tomber la chose qui était en train de la mordre. Elle parvint à lui faire lâcher prise et vit Mrsha s’envoler dans les airs. La petite Gnolle s’écrasa sur une table et tomba au sol, gémissant de douleur.

“Oh non, je suis tellement désolée...”

Sans se préoccuper de sa cheville ensanglantée, Erin se précipita vers Mrsha. Cette dernière cligna des yeux en se mettant à quatre pattes, puis ses yeux se focalisèrent sur Erin. Elle claqua des mâchoires et Erin faillit perdre un doigt. Mrsha bondit sur Erin, et la fille hurla de douleur lorsqu’elle se mit à essayer de lui griffer le visage.

Mrsha ! Arrête !

La Gnolle hésita. Elle se tourna et vit Ryoka se relever. La fille se tenait la poitrine en grimaçant, mais elle n’était pas blessée. Elle pointa Erin du doigt.

“Lâche-la.”

La Gnolle hésita. Puis elle s’écarta d’Erin d’un bond, ses griffes acérées plongeant une dernière fois dans la chair d’Erin. Elle se précipita vers Ryoka et fit un tour autour d’elle d’un air inquiet.

Lentement, Erin se releva et dévisagea Ryoka. Cette dernière croisa son regard. La colère qui avait couvé dans ses yeux avait soudain disparu, douchée par le bref combat. Elle baissa les yeux sur Mrsha, puis les ramena sur Erin.

Aucune des deux filles ne paraissait savoir quoi dire. Erin se leva et dévisagea Ryoka, la poitrine encore douloureuse du coup que cette dernière lui avait porté. Ses oreilles étaient encore rouges, et elle était en colère…

Jusqu’à ce qu’elle regarde les doigts de Ryoka. Et la furie de Ryoka était passée aussi. Elle s’affaissa, et parut soudain avoir cent ans.

“Je suis désolée, Erin.

“Non, je suis désolée moi aussi.”

Mal à l’aise, Erin s’approcha et aida Ryoka à s’asseoir. La jeune Asiatique grimaça en s’asseyant et toucha sa poitrine.

“C’était quoi, ça ?”

“Euh, [Attaque du Minotaure]. C’est… une compétence. Je n’aurais pas dû l’utiliser. Je suis désolée.”

“C’est une attaque puissante. Si je n’avais pas bloqué, j’aurais eu les côtes fêlées. Ça a quand même failli être le cas.”

Ryoka prit quelques grandes inspirations en grimaçant. Elle indiqua Mrsha qui tournait autour de ses jambes d’un signe de tête0

“Désolée que Mrsha t’ait attaquée.”

“Non… c’était de ma…”

“C’était de ma faute. Je n’aurais jamais dû dire ce genre de choses.”

Ryoka regarda la table d’un air vacant. Erin ne savait pas quoi dire. Enfin, Ryoka leva les yeux.

“Puissant. J’imagine que c’est ce qu’offrent les niveaux, pas vrai ? Du pouvoir.”

“Oui ?”

Erin ne voyait pas ce que voulait dire Ryoka, mais la fille acquiesça. Elle contempla de nouveau la table, puis ses mains.

“Si j’avais des niveaux, j’aurais pu les sauver. Peut-être.”

D’une armée ? Erin ouvrit la bouche et la referma. Les yeux de Ryoka s’embuèrent lorsqu’elle regarda Mrsha. La Gnolle était en train de la regarder. Lentement, la fille se pencha en avant et lui caressa la tête. Elle se lova autour des pieds de Ryoka. Frissonnante.

Le silence s’abattit de nouveau sur le duo assis à la table. La respiration saccadée de Mrsha ralentit lorsqu’elle s’enroula autour de Ryoka, et, avec le temps, son corps se détendit. Sa respiration ralentit encore, puis devint régulière. Mrsha s’endormit.

Ryoka baissa les yeux sur le corps endormi de Mrsha. Elle regarda Erin, et vit que la jeune fille était à peine blessée. Mais Ryoka sentait encore ses poumons peiner à trouver de l’air, et sentait encore la douleur du coup qu’elle lui avait porté dans sa poitrine. Elle sourit amèrement.

“J’imagine que je suis faible, hein ?”

Tellement faible. Même Erin était plus forte qu’elle. Ryoka contempla ses mains. Elles tremblaient. Le bandage ensanglanté qu’elle avait enroulé autour de ses moignons se défaisait. Erin la regarda lever les mains.

“Je suis tellement faible. Je n’ai pu sauver personne. Je les ai juste regardé mourir, Erin.”

“Je sais.”

Erin savait ce que voulait dire Ryoka. Cette dernière la regarda. Elle tremblait de partout, à présent. Ryoka était en train de s’effondrer. Ses yeux étaient pleins de liquide. Des larmes.

“J’ai essayé…”

“Je sais.”

“J’ai vraiment essayé...”

“Je sais, Ryoka. Je sais.”

Ryoka saisit le bras d’Erin. Sa poigne était ferme, mais elle tremblait.

“Je n’ai rien pu faire, Erin. Rien. Ils sont tous morts par ma faute.”

“Ce n’est pas de ta faute, Ryoka. Vraiment pas.”

“Si. C’est moi qui ai causé tout ça.”

“Non.”

“Je n’ai rien pu faire.”

Erin serra Ryoka dans ses bras. Elle la sentit se figer, puis Ryoka s’écroula. Elle se mit à sangloter, lentement, puis dans le t-shirt d’Erin. Erin serra Ryoka et les larmes coulèrent enfin, le barrage se brisa, les chagrins retenus s’écoulèrent enfin, en sécurité dans l’auberge d’Erin.

Dans le silence de la nuit, Erin tint Ryoka contre elle et Ryoka pleura dans ses bras. Les larmes coulèrent sur les joues de la jeune fille. Elle serra Erin contre elle, s’agrippant à son t-shirt comme s’il s’était agi d’une bouée de sauvetage.

“Je n’ai rien pu faire, Erin. Je n’ai rien…”

“Je sais. Chut. Je sais.”

Du haut des escaliers, une autre fille contempla les deux filles assises dans la salle commune. Elle ne dit rien. Dehors, dans le paysage enneigé, un squelette rôdait, chassait, tuait. Il faisait cela pour se sentir vivant.

Et sur le sol de l’auberge, une petite Gnolle dormait. Elle n’entendit pas l’agonie dans la voix de Ryoka et ne remarqua pas non plus les larmes qui tombèrent sur sa fourrure d’un blanc de neige. Elle dormit, sans se soucier de vivre ou de mourir lorsqu’elle se réveillerait.

Ryoka sentit le monde tournoyer autour d’elle. Rien n’allait. Mais il y avait quelqu’un qui la tenait dans ses bras, une ancre dans un monde empli de douleur. Elle pleura dans les bras d’Erin, laissant jaillir toute sa douleur, sanglotant en priant pour que les quelques jours qui venaient de s’écouler ne soient jamais arrivés. Priant pour avoir le pouvoir de changer le passé. Priant pour être plus forte. Se remémorant les morts.

Dehors, la neige se remit à tomber. Toujours plus, jusqu’à ce que le monde paraisse pouvoir être englouti sous les flocons. Sur Izril, Terandria, et même Baleros et Chandrar. La neige tomba et Ryoka pleura.




 
EllieVia
   
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2.40 - Première Partie
Traduit par EllieVia

Erin se réveilla en entendant des reniflements. Elle ouvrit rapidement les yeux ; lorsqu’on entend quelque chose de gros et d’inconnu bouger autour de son visage, on a tendance à moins se préoccuper de son sommeil.

À son grand soulagement, Erin vit qu’elle n’était pas en train de se faire attaquer par des monstres cochons chenilles mutants. Au lieu de cela, elle vit Mrsha, la petite Gnolle à la fourrure blanche, fouiller dans ses placards. Elle baladait ses pattes sur les étagères méticuleusement organisées d’Erin, et reniflait ses trouvailles.

“Coucou.”

Erin n’avait pas parlé fort, mais Mrsha fit tout de même un bond. La Gnolle fit volte-face et s’enfuit de la cuisine, les poils au garde-à-vous.

“Non, attends, je ne voulais pas…”

La jeune femme se dégagea de ses couvertures, essaya de se lever, trébucha, et s’écrasa l’orteil contre le placard.

Lorsqu’Erin eut terminé de gémir, elle trouva Mrsha dans la salle commune, en train de se cacher sous une table en observant Erin. Elle avait l’impression d’avoir un animal sauvage dans son auberge, sauf que les yeux de Mrsha étaient beaucoup plus intelligents que ceux de n’importe quel animal qu’Erin avait jamais vu. Elle regarda Erin avec méfiance et la fille s’immobilisa.

“Salut Mrsha. Tu es réveillée, hein ? Tu as faim ? Tu veux à manger ?”

Erin parlait d’une voix douce et calme. Mrsha ne fit pas mine de se lever, mais elle recula légèrement lorsqu’Erin avança. La fille s’immobilisa.

Que pouvait-elle faire ? Ryoka dormait à l’étage en ce moment, et Erin n’avait aucune envie de la réveiller. Erin retourna à la cuisine sur la pointe des pieds et chercha de quoi faire un petit déjeuner.

Le nez de Mrsha tressaillit lorsqu’Erin ressortit quelques minutes plus tard avec des saucisses grillées et des œufs brouillés. Elle regarda fixement la nourriture, mais alla se cacher sous une autre table en essayant de se dissimuler derrière les pieds de chaise pendant qu’Erin s’approchait d’elle.

Doucement, sans faire de gestes brusques, Erin posa l’assiette par terre. Mrsha regarda l’assiette, puis Erin qui retournait dans la cuisine. Erin se cacha derrière la porte et attendit.

Mrsha resta quelques secondes à regarder l’assiette et la tête à moitié visible d’Erin, puis elle se mit en mouvement. Elle se précipita de dessous la table et s’arrêta devant l’assiette. Elle se mit à dévorer la nourriture, en se léchant les pattes avec avidité tout en engloutissant son plat.

Erin trouva adorable la façon dont Mrsha lécha son assiette et se nettoya le visage et les pattes. Adorable, et à fendre le cœur. Ryoka lui avait raconté ce qui était arrivé à la tribu de Mrsha. Elle était toute seule à présent.

Que devait-elle faire à présent ? Mrsha rota et Erin décida d’essayer de nouveau d’établir un contact. La morsure que Mrsha lui avait faite la veille à la cheville lui faisait encore mal, mais elle avait été en train de cogner Ryoka à ce moment-là.

Lorsqu’Erin s’approcha de nouveau, cette fois-ci avec un verre d’eau à la main, Mrsha se tendit, mais ne s’enfuit pas.

“Coucou ma puce. Voici un verre d’eau. Tu as soif ?”

Mrsha jeta un regard soupçonneux à Erin. Elle accepta le verre d’eau et but en s’en mettant de partout. Elle était encore maladroite et renversa beaucoup d’eau par terre, mais Erin n’en avait cure. Mrsha tressaillit légèrement lorqu’Erin s’assit à côté d’elle, jusqu’à ce qu’Erin lui tende la main.

“Désolée de t’avoir donné un coup de pied hier soir. Ryoka et moi nous disputions juste. Mais je ne suis pas méchante, d’accord ?”

La petite Gnolle cilla en regardant la main tendue d’Erin. Puis elle la renifla. Erin resta très immobile lorsque les moustaches de Mrsha lui chatouillèrent la peau. La Gnolle attrapa la main d’Erin dans ses pattes, et Erin fut rassurée de sentir non pas ses griffes tranchantes, mais plutôt les doux coussinets des pattes de la Gnolle sous sa peau.

Mrsha inspecta chacun de ses doigts avec un vif intérêt, les plia, joua à les écarter puis à les coller, et les caressa même un peu. Puis elle hésita, et lécha la peau d’Erin.

“Hey ! Ça chatouille !”

Erin éclata de rire et retira sa main. Mrsha eut l’air inquiète, mais lorsqu’elle vit Erin rire quelque chose changea dans son regard. La Gnolle posa ses pattes sur la jambe d’Erin et la regarda d’un air inquisiteur.

“Vas-y. Je ne bougerai pas.”

Erin fit de son mieux, mais elle n’était pas prête pour la curiosité de Mrsha. La Gnolle tourna autour d’elle, tâtant le corps d’Erin, ses flancs, et lui caressa même les seins, ce qui lui tira un glapissement surpris. La petite Gnolle finit carrément par grimper sur Erin, et cette dernière riait en peignant la fourrure de Mrsha aux doigts lorsque Ryoka descendit les escaliers.

Ryoka Griffin était encore sous le choc, mais elle allait mieux. Incomparablement mieux que la veille, pour dire la vérité. Elle se souvenait de la tristesse vide qui avait envahi son âme comme s’il s’était agi d’un cauchemar. Elle se sentait encore creuse, à présent, mais il y avait quelque chose en elle. Quelque chose de chaud qui provenait d’une bonne nuit de sommeil dans un lit douillet et d’un repas chaud.

Elle descendit doucement les escaliers et vit Mrsha assise sur les genoux d’Erin qui faisait courir ses mains dans la douce fourrure de Mrsha. Erin fredonnait une chanson, et Mrsha se balançait au rythme de la mélodie.

Ryoka s’arrêta pour contempler la scène un petit moment. Erin chantait la chanson Do-Ré-Mi.

Mi, c’est la moitié d’un tout. Fa, c’est facile à chanter…

Mrsha avait fermé les yeux. L’enfant ne souriait pas, mais son visage était… paisible. Ryoka s’essuya les yeux et attendit qu’ils aient cessé de piquer avant de descendre les dernières marches.

“Ryoka !”

La Gnolle ouvrit brusquement les yeux en entendant le nom de Ryoka. Elle sauta des genoux d’Erin et galopa à quatre pattes autour de Ryoka.

“Mrsha. Salut.”

Ryoka leva les mains en l’air en voyant Mrsha bondit autour d’elle comme un chien surexcité. Mrsha se leva et tendit les bras. Ryoka hésita.

“Tiens.”

Erin souleva Mrsha. La Gnolle se tortilla, mais se mit alors à lécher le visage de Ryoka et à la renifler. Ryoka eut un mouvement de recul, mais resta debout devant le regard d’Erin.

“Bonjour, Erin.”

“Bien dormi ?”

“Ouaip. Merci.”

Ryoka se gratta les cheveux. Elle évita le regard d’Erin. Elles se tinrent ainsi, mal à l’aise, jusqu’à ce que Mrsha se dégage en tortillant des mains d’Erin. Le charme fut rompu.

“Tu veux manger ? J’ai plein de bonnes choses.”

“Je veux bien.”

Ryoka s’assit à une table, un peu gênée, et Erin disparut dans la cuisine. Mrsha essaya de suivre Erin, mais Ryoka la rappela. Mrsha s’assit par terre et s’agita jusqu’à ce qu’Erin revienne, à la grande surprise de Ryoka, avec des crêpes. Ryoka regarda fixement les crêpes fumantes jusqu’à ce qu’Erin ramène du beurre et un bol de sucre.

“Comment… ?”

Ce n’était pas qu’Erin ait fait les crêpes qui la perturbait, mais plutôt le fait qu’elle soit resté moins de vingt minutes en cuisine et qu’elle en ait déjà fait suffisamment pour Ryoka, Mrsha et elle-même. Et elle avait réussi à griller quelques rondelles de saucisse supplémentaires qu’elle avait mises dans une autre assiette.

“Oh, j’ai [Cuisine Avancée] et j’ai trouvé comment faire les pancakes un peu plus tôt. Essaie-les, ils sont super bons !”

Erin tendit une fourchette à Ryoka et attaqua sa propre assiette. Mrsha était déjà en train de tapoter l’une de ses crêpes chaudes d’une patte, et attendait qu’elle soit suffisamment refroidie pour qu’elle puisse la manger.

“Non, tiens, ma chérie.”

Erin enroula délicatement la patte de Mrsha autour d’une fourchette et lui montra comment couper et manger ses crêpes. Mrsha était maladroite, mais elle se mit rapidement à transpercer d’énormes morceaux de crêpe, de les tremper dans le beurre et le sucre avant de les transférer dans sa bouche.

Normalement, ce genre de gloutonnerie excessive aurait fait lever quelques sourcils - ou du moins dans la maison de Ryoka. Mais Erin faisait exactement pareil et Ryoka elle-même enfourna un sacré nombre de crêpes avant de commencer à être rassasiée.

“C’était bon. Vraiment bon.”

“Je suis contente. Vous en avez mangé plus que prévu, mais on a des restes. J’imagine que Lyon pourra les manger.”

Erin couvrit l’assiette avec un torchon et Ryoka fronça les sourcils.

“Lyon ? C’est qui ?”

“Oh… oh, c’est vrai ! J’avais oublié que tu n’avais pas encore fait la connaissance de Lyon ! Elle dort probablement encore à l’étage.”

Ryoka jeta un regard furtif en direction des escaliers. Elle n’avait même pas remarqué qu’il y avait du monde à l’auberge. Mais à présent que son cerveau fonctionnait de nouveau, des centaines de questions et d’idées se pressaient sous son crâne.

Elle ne pouvait pas s’en empêcher. C’était dans sa nature. Mais une petite partie de Ryoka avait l’impression qu’elle ne devrait pas être en train de se poser des questions, de tout planifier. Tout ce qu’elle faisait finissait par blesser quelqu’un. À quoi servaient donc son avis ?

Mais Ryoka regarda alors Erin qui était en train de rire devant les tentatives de Mrsha de voler du sucre dans le bol. Elle avait ses défauts, certes, mais elle pouvait toutefois aider Erin qui ne réfléchissait pas toujours à tout.

“Alors comme ça, Lyonette est une nouvelle employée ? Est-ce que tu as aussi embauché Ceria, ou est-ce qu’elle est en ville ?”

Erin marqua une pause.

“Hum. Non. Ceria est partie au nord. Elle est retournée à l’aventure.”

Ryoka se tint très immobile et son train de pensée s’interrompit. Elle ne poussa pas de juron, et elle étouffa la première réponse qui lui vint en tête. Parce Mrsha était assise sur sa chaise, joyeuse et le ventre rond. Ryoka préférait se couper les doigts qui lui restaient plutôt que de troubler la paix de l’enfant.

“J’imagine qu’il s’est passé pas mal de choses. Il vaudrait mieux que tu me racontes tout ça, Erin.”

“Oh… bien sûr. Mais, euh…”

Erin jeta un regard en coin à Mrsha. La petite regardait fixement une miette sur la table.

“Hum, qu’est-ce que tu vas faire d’elle, Ryoka ?”

“Je n’en sais rien.”

“Tu as dit qu’elle était toute seule ? Elle n’a… elle n’a personne… ?”

Ryoka ferma les yeux. Quelque chose de sombre lui serra le cœur.

“Je n’en sais rien. J’en… j’en doute. Et je ne vois pas à qui demander.”

Des souvenirs surgirent sous son crâne.

“Et ton amie Gnolle ? Krshia, c’est ça ? Est-ce qu’on pourrait lui demander de l’aide ?”

Les oreilles de Mrsha se redressèrent lorsqu’elle entendit le mot “Gnoll”. Elle se tourna vers les deux humaines .Elles échangèrent un regard.

“Hum, eh bien, c’était bien bon, hein, Ryoka ?”

“En effet.”

“Et si je trouvais une activité pour Mrsha ? Hey, Mrsha, tu dois t’ennuyer. Est-ce que tu veux jouer avec, euh, des trucs, ma puce ?”

Mrsha regarda Erin, la tête penchée sur le côté. Ryoka la dévisagea elle aussi, haussant les sourcils en silence. Erin hésita, puis se précipita dans la cuisine. La Gnolle et l’Humaine l’entendirent toutes deux faire des bruits de casserole et de portes qui claquent, puis elle ressortie, armée de louches, de rouleaux à pâtisserie, et d’autres ustensiles de cuisine.

Ryoka songea que cela n’allait jamais réussir à distraire Mrsha. Mais elle avait oublié que Mrsha n’était pas une enfant née dans l’un des premiers pays du monde, et qu’elle avait probablement été interdite d’accès aux casseroles de la tribu des Lances de Pierre. Elle se précipita immédiatement sur les ustensiles de cuisine et se mit à les inspecter avec intérêt.

Erin soupira et elle alla se poser à une table un peu plus loin avec Ryoka. Elles continuèrent de parler à voix basse, au cas où la jeune Gnolle décide de les écouter.

“Bonne idée, Erin.”

“J’imagine qu’elle va s’amuser avec un petit moment. Mais je ne sais pas quoi faire, Ryoka. Elle a besoin que quelqu’un s’occupe d’elle, de vrais jouets, de trucs comme ça. Pas de…”

“Je sais.”

“Et elle est tellement triste, Ryoka.”

“Tu arrives à t’en rendre compte ?”

Ryoka contempla Mrsha. La petite Gnolle était en train d’inspecter les différents ustensiles de cuisine qu’Erin avait ramenés. Elle ressemblait à moitié à une bambine ordinaire car elle portait tout à sa bouche, mais elle était clairement plus vieille et plus petite. C’était peut-être une caractéristique des Gnolls de tout vouloir humer et goûter.

Erin hocha la tête.

“On dirait une enfant. Je veux dire, une enfant Humaine. Elle est très curieuse, mais de temps en temps, quand je jouais avec elle, elle… c’était affreux à quel point ?”

“Affreux affreux.”

Ryoka revit les Gnolls tomber autour d’elle, et les Gobelins hurler en démembrant Drakéides et Gnolls à tours de bras. Elle frissonna. Erin la dévisagea, puis regarda Mrsha.

“Que doit-on faire d’elle ?”

On. C’était bien Erin, de se mettre immédiatement au cœur du problème et de chercher une solution. Ryoka esquissa un demi-sourire.

“J’imagine qu’on va devoir parler à Krshia. Elle va probablement accepter d’aider, non ?”

Elle se souvenait vaguement qu’Erin entretenait de bonnes relations avec la Gnolle, mais elle paraissait hésiter, à présent. Erin regardait la table en jouant avec ses pouces.

“Hum. J’ai un petit souci avec Krshia.”

“C’est-à-dire ?”

“Eh bien…”

Erin se mit à expliquer une histoire plutôt confuse au sujet de Gnolls et d’échoppes en flammes lorsque Ryoka entendit quelque chose bouger à l’étage. Elle se retourna, et Lyon apparut.

La jeune femme regardait la pièce du haut des escaliers. Mrsha avait cessé de s’agiter lorsqu’elle était apparue en haut des escaliers, mais Lyonette regardait fixement Ryoka et Erin. Elle dévisagea les deux filles puis s’adressa à elles d’un ton hautain.

“Je suis réveillée. Où est le petit déjeuner ?”

Ryoka vit l’expression d’Erin changer en un instant. Son sourire lumineux disparut et elle soupira. Ryoka regarda la deuxième fille qui venait de faire irruption.

“C’est qui, cette fille ?”

“Oh… c’est Lyon.”

La fille l’avait entendue. Elle descendit les escaliers, le menton levé.

“Je m’appelle Lyonette du Marquin, pouilleuse.”

Elle portait une tenue de voyage passablement élimée, et ses mains étaient sales car elles avaient travaillé. Mais elle se conduisait quand même comme l’une de ces filles hautaines qu’Erin avait parfois croisées, nées avec une cuillère d’argent dans la bouche.

“Ryoka, je te présente Lyonette du… machin. Elle est, euh, une employée que j’ai embauchée.”

“Je suis ravie de faire ta connaissance, Ryoka. J’espère que tu te conduiras de manière appropriée en ma présence ?”

Ryoka dévisagea Lyon et Erin fronça les sourcils. Elle haussa les épaules.

“Peut-être.”

Lyonette fronça instantanément les sourcils, mais avant qu’elle n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, Erin l’interrompit.

“J’ai mis des crêpes à la cuisine, Lyonette. Tu peux te servir, ou prendre un peu de porridge. Ou des céréales. Sers-toi.”

La fille hautaine renifla, mais elle partit sans un mot. Ryoka regarda fixement Erin.

“Une employée ?”

“En quelque sorte. Je veux dire, oui, mais elle n’est pas très douée.”

Erin se frotta les yeux et Lyonette pointa la tête dans l’embrasure de la porte de la cuisine.

“Où sont les fourchettes ?”

“Dans le tiroir à côté de la planche à découper.”

“Fort bien.”

“Bon, c’est une espèce de noble, c’est ça ?”

“Oui, elle dit ça…”

“Où sont les verres ?”

L’œil gauche d’Erin tressauta.

“Je te l’ai déjà dit, dans le placard au-dessus des fourchettes.”

“Ah.”

Ryoka regarda Lyonette repartir. Mrsha avait cessé de jouer avec la louche et regardait la cuisine avec intérêt.

“Elle me fait penser à Pisces, en fille.”

“Même lui n’était pas aussi fatigant.”

“Donc pourquoi ne l’as-tu pas encore renvoyée ?”

Erin haussa les épaules d’un air impuissant.

“Parce que je ne peux pas. Elle n’a nulle part où aller, Ryoka. Et si je l’envoie au nord, elle se fera manger par un monstre. Et elle ne peut pas aller en ville parce que les Gnolls veulent la tuer.”

Ryoka haussa les sourcils. Erin secoua la tête.

“C’est une longue, très longue histoire. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je ne parle plus avec Krshia.”

“Alors raconte-moi. Commence avec… non, raconte-moi depuis le début. Faisons ça comme il faut.”

Il fallut un long moment pour qu’Erin raconte toute l’histoire, mais pour une fois, Ryoka parvint à l’écouter sans trop l’interrompre. Lyonette revint avec son petit déjeuner et le mangea dans un coin. Mrsha abandonna son jeu pour regarder fixement Lyon. Les deux jeunes filles se tendirent lorsque Mrsha vint renifler les jambes de Lyonette et qu’elle se figea, mais, étonnamment, Lyonette laissa Mrsha la tâter sans crier ni afficher ouvertement de dégoût.

“... et donc à présent, je ne peux rien acheter chez des Gnolls, et je n’ai pas reparlé à Krshia. Je voulais, mais ensuite, tous ces aventuriers ont débarqué et Magnolia voulait papoter…”

Erin écarta les mains d’un air impuissant. Ryoka hocha la tête d’un air absent en regardant Lyonette. Elle ne lui avait pas vraiment fait bonne impression dès le départ, mais la jeune fille se trouvait à présent juste au-dessus de Persua sur la liste des gens que Ryoka n’aimait pas.

“Et elle est comme ça tout le temps ? Juste…”

Ryoka désigna Lyon d’un geste de la main. Cette dernière regardait Mrsha et la Gnolle lui rendait son regard. Erin hocha la tête d’un air misérable.

“Erin…”

“Je sais. Mais je ne savais pas qu’elle était comme ça !”

Les deux filles regardèrent Mrsha se rapprocher de Lyonette. Elle hésita, mais elle finit par lui caresser gentiment la tête. Elle se mit à la gratter derrière les oreilles et l’enfant s’adossa contre ses jambes. Pour une fois, Lyonette ne fronçait pas les sourcils.

“C’est bizarre. D’habitude, elle part en courant dès qu’il y a quelqu’un avec de la fourrure ou des écailles. Ou des mains sales.”

Ryoka hocha la tête. Puis elle dit tout haut l’idée qui s’était formée dans sa tête depuis qu’Erin lui avait décrit sa rencontre avec Lyonette.

“C’est une princesse.”

Erin marqua une pause. Puis elle se retourna et dévisagea Ryoka.

“Quoi ?”

Ryoka indiqua Lyonette d’un signe de tête.

“C’est une princesse qui a fugué. C’est obligé.”

“Eh bien, je sais qu’elle dit être noble, mais une princesse ?”

Ryoka ne se démonta pas devant son regard incrédule. Elle secoua la tête.

“C’est une princesse. Tu ne le vois pas ?”

“Comment tu vois ça, toi ?”

La fille se mit à faire une liste sur les doigts de sa main.

“S’enfuit d’une famille royale, traite les gens de pouilleux, possède un nombre incalculable d’artefacts magiques, attitude hautaine.”

Elle regarda Erin.

“Tu connais combien d’histoires où une princesse prend la fuite ? Regarde ses manières… sans parler du fait qu’elle pensait croire que Magnolia allait l’accueillir juste comme ça. Nous sommes dans un monde de dragons et de magie, Erin. Lyonette est une princesse de Terandria. Ils ont plein de familles royales là-bas.”

Une véritable leçon d’expressions faciales se déroula sur le visage d’Erin. L’incrédulité laissa place à un air pensif et contemplatif, puis à une suspicion gênée qui tourna au choc et de réalisation, qui finirent par se mélanger pour devenir une expression d’acceptation réticente et de profond regret.

“Oh mon dieu.”

Ryoka tapota l’épaule d’Erin qui venait de s’écrouler sur la table.

“Elle n’est peut-être pas une princesse. Mais elle fait probablement au moins partie des hautes sphères de l’aristocratie.”

“Comment ai-je pu ne pas le voir ?”

“Ce qui compte, c’est ce qu’il se passe maintenant.”

Erin leva les yeux.

“Comme quoi ? La renvoyer chez soi ? Comment suis-je censée… ? Tu as dit qu’elle vient probablement de Terandria ? C’est un autre continent. Je ne peux pas la renvoyer là-bas !”

“Je ne propose pas que tu fasses ça. Mais il faut que tu fasses quelque chose à son sujet. Elle te met en danger en restant ici.”

“Parce que quelqu’un va venir la chercher ?”

Ryoka acquiesça. Son esprit réfléchissait déjà à toutes les possibilités.

“Pour la ramener chez elle… ou la tuer. Ou la prendre en otage. Dans tous les cas, tu seras le témoin à éliminer. Elle n’est peut-être pas si importante que ça, si Magnolia ne s’intéresse pas à elle, mais elle est clairement une fille de riche.”

Nooooooooooooon…”, gémit Erin en enfouissant son visage dans ses mains.

“Pourquoi faut-il que ma vie soit si compliquée ? Je fais quoi, maintenant ? Je n’ai pas besoin de ça !”

Elle baissa ses mains ses regarda Ryoka droit dans les yeux.

“Je fais quoi ? Qu’est-ce qu’on peut faire ?”

“Réfléchis.”

“Quoi ?”

Ryoka tapota la table.

“Calme-toi. Réfléchis. Lyonette est un problème, mais de ce que tu m’as raconté, elle n’est pas le seul. Tu as beaucoup de problèmes.”

Erin baissa les yeux.

“Je sais.”

“Et je vais t’aider à les résoudre.”

Il y eut une pause, puis Erin leva les yeux. Ryoka ne croisa pas vraiment son regard. Elle s’éclaircit la gorge, mal à l’aise. Son visage était bouillant, mais elle savait ce qu’elle devait dire. C’était juste difficile.

“J’ai dit… beaucoup de choses que je n’aurais pas dû dire hier soir, Erin. Je suis désolée.”

“Quoi ? Non, Ryoka, je sais que ça a été très dur. Je suis désolée de t’avoir frappée.”

Ryoka se frotta la poitrine. Elle avait toujours mal aux côtes.

“Non, c’était de ma faute. C’est juste… il s’est passé beaucoup e choses. Cette armée de Gobelins est une véritable menace. Mais d’après ce que t’a raconté Magnolia, c’est peut-être la chose la moins dangereuse qui s’apprête à frapper le continent. Et nous sommes sur le point de nous faire happer par tout ça.”

Erin retint son souffle. Lorsque Ryoka disait cela comme ça, tout avait l’air tellement insolvable. Elle n’avait aucune idée de quoi faire, et elle le dit.

“Que devons-nous faire, alors ? Je veux dire, tous ces problèmes… que vas-tu faire, Ryoka ? Tu as un plan ?”

Elle n’avait rien qui ressemble à un plan. Ryoka regarda sa main. Elle n’avait rien. Elle ne savait pas quoi faire. Mais à présent, Erin comptait sur elle, elle aussi. Elle devait continuer. Elle ne pouvait pas flancher. Pas maintenant.

“Ensuite ? J’imagine qu’il faut que j’aille chercher ma récompense chez Teriarch. Une fois que ce sera fait, il faudra que je règle l’histoire avec Lady Magnolia. Ensuite… je ne sais pas.”

Ryoka garda les yeux baissés sur sa main mutilée.

“Il faut que je termine cette livraison. Quand ce sera fait, je reviendrai t’aider.”

Elle regarda Mrsha. Mais elle sentit quelque chose, alors. Erin toucha délicatement ses doigts valides.

“N’y vas pas. Reste un peu ici.”

La grande fille secoua la tête. Ses jambes étaient de plomb et son esprit était encore embrumé. Mais elle devait terminer ça. Elle n’avait pas raconté à Erin qui était vraiment Teriarch. Un Dragon. Il aurait peut-être des réponses à tout ça. Peut-être…

“Il faut que j’y aille. J’ai un boulot, Erin.”

“Oui, mais tu n’es pas obligée de partir aujourd’hui. Ni même demain. Ryoka, tu avais l’air à moitié morte lorsque tu es rentrée ! Et puis, il y a Mrsha, et tout ce qu’il se passe en ce moment… reste ici.”

Ryoka hésita. Elle regarda de nouveau Mrsha. La Gnolle était appuyée contre la table où était assise Lyon, les yeux clos. Pouvait-elle vraiment laisser Mrsha ici et reprendre sa course ?

Non. Bien sûr que non. Ryoka ferma les yeux et acquiesça.

“C’était stupide de ma part. Je vais rester. Au moins pour une journée.”

“Bien ! Alors on peut aller faire un truc ensemble !”

Ryoka ouvrit un œil et dévisagea Erin.

“Du genre ?”

“Quelque chose. N’importe quoi !”

Erin regarda Ryoka. Elle sourit d’un air excité.

“Nous n’avons jamais vraiment fait quoi que ce soit ensemble. Je veux dire, on est allées en ville la dernière fois et j’ai chanté sur le toit de l’auberge, mais à part ça…”

Ryoka hocha lentement la tête. Elle regarda Mrsha, puis l’auberge. Cette auberge. Ce lieu où elle se sentait en sécurité. Un endroit où elle pouvait rentrer. Lentement, elle se mit à comprendre ce qu’elle devait faire.

“Okay. Allons faire un truc.”

L’[Aubergiste] sourit.

“Super ! Que devrions-nous faire ? On pourrait aller prendre un bain. Toi et Mrsha, vous, euh, sentez un peu. Ou on peut aller visiter la ville. Ou…”

“Allons voir Krshia.”

Erin se figea.

“Quoi, maintenant ? Mais…”

“Tant que Lyonette reste ici, elle sera un problème. Ces Gnolls ne lâcheront pas l’affaire après une seul tentative. Ou du moins, pas ce Brunkr. Je veux m’assurer que tu sois en sécurité. Et… je dois leur raconter ce qu’il s’est passé.”

Erin hocha lentement la tête. Ryoka se leva, et regarda par la fenêtre. Le ciel était dégagé, mais il y avait eu beaucoup de neige dans la nuit. Son corps était fatigué, mais elle resta en mouvement. Il fallait qu’elle reste en mouvement.

Elle avait un devoir, à présent. Une mission.

Ryoka se leva, et endossa sa dette. Elle l’alourdit et lui donna un objectif. Elle regarda Mrsha et sut ce qu’elle devait faire.


***


Erin descendit la Rue du Marché de Liscor en ayant l’impression que rien n’avait changé. Et pourtant, elle avait le sentiment, au fond, d’être une voyageuse qui revenait chez elle après de nombreuses années.

Depuis combien de temps n’avait-elle pas parcouru ces échoppes à la recherche de cette fourrure brune familière et de sa voix ? Trop longtemps. Il ne s’était passé qu’une semaine ou deux et pourtant…

Son amie lui manquait.

Il fallut un moment à Erin pour repérer l’échoppe de Krshia. C’était aussi parce qu’elle marchait avec Ryoka et Mrsha ; Ryoka pouvait facilement soutenir le rythme, mais Mrsha n’était pas aussi rapide. La petite Gnolle ne cessait de s’arrêter pour regarder le marché ou se précipiter à la suite d’une odeur ou d’un objet intéressant, et Ryoka et Erin ne cessaient de devoir aller la chercher. Ryoka finir par traîner une Mrsha réticente par la patte.

Mais elles avaient enfin traversé le marché et se trouvaient à l’intersection lorsqu’Erin vit deux silhouettes familières. Krshia était derrière le comptoir de son échoppe, et se disputait avec son neveu Brunkr.

Rien n’avait changé. Et pourtant, ce n’était plus pareil. Plus du tout.

Erin se souvenait que Krshia avait toujours été au centre de la Rue du Marché, avec l’une des plus grandes échoppes et beaucoup de clients. Mais à présent…

À présent, elle avait un petit étal, avec peu de marchandises. La vision était tellement loin de l’échoppe bien remplie qu’elle avait toujours maintenue approvisionnée que le cœur d’Erin se serra. Et la Gnolle ne souriait pas, ne riait pas avec ses clients. Ses oreilles étaient plaquées contre son crâne et elle sermonnait Brunkr.

“... partir si tu es tellement impatient ! Va leur raconter, oui, va leur raconter mon échec ! Mais je reste encore la cheffe ici, non ? Si tu vas à l’encontre de mes désirs, c’est la Cheftaine que tu défies !”

“Tu n’es pas la seule à diriger ici, Tante !”

Brunkr ne portait pas son épée et son bouclier, mais il restait plus grand que Krshia. Il serrait les poings, et les Drakéides et les Gnolls qui passaient à côté de lui gardaient leurs distances. Erin s’arrêta à la vue du duo d’un air incertain.

Quelqu’un lui rentra dedans. Ryoka poussa un juron étouffé lorsque Mrsha essaya de l’attirer dans une file de gens en train de faire la queue à un stand de viande grillée qui sentait merveilleusement bon dans l’air glacé.

“Mrsha, non ! Tu ne peux pas... .Erin ! Est-ce que tu peux la tenir ?”

Ryoka se retourna et vit Krshia et Brunkr. Elle s’interrompit, mais ne lâcha pas Mrsha qui était pratiquement en train de baver.

“C’est Brunkr ?”

Krshia était en train de gronder sur Brunkr, et il faisait le même bruit. On aurait dit qu’ils étaient sur le point de s’attaquer. En somme, ce n’était pas l’ambiance idéale pour des retrouvailles, selon Erin.

“Ouaip. Est-ce qu’on… ?”

Ryoka hésita un instant. Puis elle fourra la patte de Mrsha dans la main d’Erin. Erin souleva la Gnolle dans ses bras et regarda Ryoka. La jeune femme se dirigea droit au cœur de la dispute entre les deux Gnolls.

‘Krshia Silverfang ? Je m’appelle Ryoka Griffin. Il faut qu’on parle.”

Les deux Gnolls se turent et dévisagèrent Ryoka. Erin retint son souffle et Mrsha regarda fixement la scène. Ryoka faisait face aux deux Gnolls sans une once de peur. Elle avait beau être grande, les deux Gnolls étaient encore plus grands et larges qu’elle.

Brunkr fusilla Ryoka du regard.

“Encore une Humaine ? Va-t’en. Nous sommes occupés. C’est une affaire entre ma Tante et moi.”

“Je suis une amie d’Erin Solstice.”

Ryoka montra Erin d’un pouce. Krshia écarquilla les yeux lorsqu’elle aperçut Erin et Mrsha, mais Brunkr se contenta de gronder;

“Je m’en fous. Va-t’en.”

Il essaya de se pencher d’un air menaçant sur Ryoka, mais elle ne cligna même pas des yeux.

“Et tu es censé être qui ?”

“Je suis Brunkr, guerrier de la Tribu des Crocs d’Argent. Et je…”

“Okay. Dégage. Il faut que je parle avec quelqu’un de haut placé.”

La mâchoire d’Erin se décrocha. Les oreilles de Mrsha s’aplatirent et c’était soudain elle qui s’accrochait à Erin. Brunkr plissa les yeux et ouvrit la bouche.

“Tu oses ? Tu oses m’insulter ? Toi ?”

Une sueur froide coula le long du dos d’Erin. Elle avait cru que Ryoka s’était améliorée - ou du moins qu’elle n’était plus folle de rage comme avant. Mais elle ne présentait pas beaucoup de signes qu’elle était saine d’esprit en ce moment. Que devait-elle faire ?

Mais Ryoka avait l’air d’avoir un plan. Elle dévisagea calmement Brunkr qui retroussait les lèvres pour dénuder ses dents.

“J’ose. J’ose parce qu’il y a des choses plus importantes que toi, petit Gnoll. Krshia Silverfang. La tribu des Lances de Pierre a été massacrée.”

La rue se tut. La voix sonore de Ryoka avait engendré un silence et une pause lorsque tous les Gnolls à portée de voix - et cela représentait un sacré rayon - tournèrent la tête pour la dévisager. Brunkr avait pris une grande inspiration pour rugir, mais il se figea, les yeux écarquillés.

Krshia dévisagea Ryoka. Ses yeux passèrent brièvement sur Erin, et ne semblèrent remarquer Mrsha que maintenant. Elle recula d’un pas, et pendant un instant, ses yeux furent emplis de peur.

Puis l’instant passa. Elle regarda Ryoka, et secoua la tête.

“Tu dis la vérité ?”

“À ma connaissance. J’ai été témoin de leur fin.”

Krshia hocha la tête. Elle se tourna vers Brunkr.

“Ferme le magasin. Je dois entendre ça.”

Il ne discuta pas. La rue était emplie de silence lorsque Krshia fit un signe de tête à Ryoka. Cette dernière la suivit en silence. Erin hésita, mais se précipita derrière elles, Mrsha dans ses bras. Elle sentit des Gnolls la suivre. Et à présent que tous les regards étaient focalisés sur Ryoka et elle, ils virent Mrsha aussi. Elle entendit des murmures, et sentit un pincement de malaise serrer son cœur.

C’étaient tous des Gnolls, et Krshia était son amie, même après l’incident avec Lyonette. Elle n’avait pas l’air d’être en colère contre Erin, même si Brunkr était un imbécile. Mais alors pourquoi les Gnolls dévisageaient-ils donc Mrsha ? Et pourquoi serrait-elle si fort Erin ? Et pourquoi…

Pourquoi avaient-ils tous l’air si effrayés ?


 
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2.40 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia
***

Je crois que j’ai compris. Je suis Ryoka Griffin. Je suis une Coursière, et une jeune femme arrogante qui se croyait meilleure que ce qu’elle ne l’était. Des gens sont morts à cause de ma stupidité.

Je n’aurais peut-être pas pu les sauver, dans tous les cas. Mais j’aurais pu être plus forte, et cela aurait peut-être fait la différence. Qu’importe, toutefois, ils sont morts. Les gens qui m’ont aidée sont morts. Ce n’est peut-être pas de ma faute, mais j’ai une dette à honorer.

Une dette envers les morts.

Une personne a survécu. Une gamine, une enfant. Je vais la garder en sécurité. Mais je rembourserai également ma dette. Et pour ce faire, je dois tout d’abord me confesser.

Je suis assise dans l’appartement de Krshia Silverfang, une tasse de thé étrangement amer dans les mains. Il y a un bol de morceaux de viande sur la table, mais je pense qu’elle est peut-être crue donc je n’en prends pas. Erin et Mrsha ont déjà mangé plusieurs cubes.

Krshia est assise en face de moi, Brunkr à ses côtés. C’est clairement elle qui dirige : elle a été la seule à poser des questions pendant que je lui racontais les événements. Qu’importe leurs querelles, Brunkr est clairement son subordonné en ce qui concerne tout ça.

Et il y a des Gnolls dehors. Je jette un regard par la fenêtre et aperçois un bout de fourrure disparaître derrière un mur. Des Gnolls se tiennent devant l’appartement, peut-être même sur les toits, et je doute que ce soit pour nous tendre une embuscade. Je crois qu’ils écoutent notre conversation.

Ce n’est pas étonnant. J’apporte de mauvaises nouvelles, les pires qu’il soit. Je le sais rien qu’en regardant l’expression de Krshia et Brunkr.

“Un Seigneur Gobelin.”

Voilà ce que dit Krshia à la fin de mon récit. Elle baisse les yeux sur sa tasse de thé, qu’elle n’a pas touchée, et son neveu serre les poings. Elle me regarde avec gravité, et je hoche la tête.

“Un Seigneur Gobelin. Et il a une armée.”

Une armée suffisamment puissante pour vaincre Zel Shivertail. C’est atroce. Pire encore, il a massacré la tribu des Lances de Pierre jusqu’au dernier.”

Krshia lance un regard furtif en direction de Mrsha. Mrsha est assise à côté d’Erin, mais elle n’a pas l’air à l’aise avec Krshia. Mais pas plus que Krshia et Brunkr n’ont l’air mal à l’aise avec elle, toutefois. Ils ne cessent de lui jeter des regards en coin.

À cause de sa fourrure ?

“Ce sont de bien sombres nouvelles que tu nous apportes, Ryoka Griffin. Mais je te suis reconnaissante de nous en avoir parlé plutôt que d’avoir laissé le soin à d’autres que toi de répandre la nouvelle.”

Je hoche la tête, et me concentre de nouveau sur Krshia. À vrai dire, je ne connais pas du tout cette Gnolle. Je connaissais Urksh, plutôt bien pour quelqu’un qui n’a passé que quatre jours en sa compagnie. Mais Krshia m’est étrangère, même si Erin dit qu’elle est sympa. Il faut que je la surveille, et en même temps, il faut que je l’aide. Pour bien commencer, autant être honnête.

“Je leur suis redevable. La tribu des Lances de Pierre m’a sauvé la vie. Leur Cheftain a été gentil avec moi.”

Krshia hoche la tête. Elle ferme brièvement les yeux, et je vois un éclair de douleur traverser ses traits.

“Je connaissais Urksh. Il n’était pas le plus puissant des Cheftains, ce n’était pas un guerrier, mais il était sage. Sa mort est une véritable perte.”

“Que la tribu ait disparu est un désastre.”, gronde Brunkr en serrant le poing. Pas de thé pour lui. Il me regarde, ses yeux emplis de passion et de furie.

“Et l’expédition minière ? Ils sont peut-être encore en vie. Les Gnolls ne meurent pas si facilement sous les coups des Gobelins.”

Je m’agite et secoue la tête.

“J’ai pensé la même chose. Mais il y avait plus d’une centaine de Hobgobelins dans cette armée. Même si l’expédition minière n’a pas été trouvée…”

Krshia hoche la tête. Son visage est sombre.

“Ils se seraient jetés sur les Gobelins plutôt que de vivre sans leur tribu. Ils ne sont plus de ce monde, Brunkr.”

“Tous, sauf une.”

Je montre Mrsha d’un signe de tête. Elle cligne des yeux sous le poids des regards des deux Gnolls. Erin lui caresse l’épaule d’un air rassurant, mais Mrsha se contente de se rapprocher d’elle pour s’éloigner de Brunkr.

“Hrr. Oui. La jeune Mrsha.”

Krshia se lève de sa chaise. Elle se penche et Mrsha recule, mais le visage de la Gnolle n’est que gentillesse. Elle gronde quelque chose d’une voix basse et rassurante et Mrsha relâche petit à petit sa poigne de fer sur le bras d’Erin.

Mrsha ne parle pas - elle en est incapable - mais elle lève une patte. Krshia laisse Mrsha poser une patte sur sa joue, puis elle lui touche gentiment le nez. La fourrure blanche effleure la fourrure d’un brun sombre et je détourne le regard.

“Humaine.”

Brunkr me dévisage d’un air sérieux. Je soutiens son regard. Je n’aime pas Brunkr. C’est probablement un type solide, sérieux, mais il ne m’a pas vraiment l’air malin. Et j’ai besoin de gens malins, en ce moment. Malins, et prêts à discuter et à faire des compromis.

“Et les autres tribus ? Est-ce que tu as couru les prévenir ? Ou sont-elles à la merci de cette armée de Gobelins ?”

Krshia s’écarte un peu de Mrsha et regarde son neveu d’un air désapprobateur.

“Si c’est Shivertail, il aura dit aux Gnolls de son armée de hurler, oui ? Les tribus seront prévenues. Cette armée de Gobelins ne les aura pas si facilement.”

Elle secoue la tête.”

“Non, elles ont été prévenues, mais il faut organiser une réunion. Les tribus doivent soit s’enfuir, soit s’allier pour détruire cette menace avant qu’un Roi Gobelin ne soit créé.”

“Je vais mener les guerriers au sud, pour défendre notre tribu…”

Brunkr se lève, mais Krshia le fait rasseoir d’un regard noir.

“Et faire quoi ? Une poignée de lances ne fera aucune différence face à une telle horde. De plus, tu es à des semaines de voyage et notre tribu est en sécurité. On a besoin de toi ici.”

“Pour faire quoi ? Protéger des cendres ?”

Brunkr dévisage sa tante et ses poils se dressent autour de son cou. Elle lui renvoie un regard noir, et l’humeur de la salle tourne de nouveau au vinaigre. Mrsha s’écarte légèrement, et Erin parait soucieuse. Elle n’a pas dit grand-chose - j’imagine qu’elle a peur de faire une bourde.

Mais moi ? Je m’en fiche que l’ambiance ne soit pas au beau fixe. Je veux juste résoudre tout ça. Je m’éclaircis donc la gorge et force donc les deux Gnolls à abandonner le concours de regard.

“C’est la deuxième chose donc je voulais te parler, Krshia Silverfang…”

Elle agite une patte.”

“Tu es une amie d’Erin. Appelle-moi Krshia.”

Je hoche la tête.

“Krshia, Mrsha se retrouve sans toit. Je ne connais rien aux coutumes des Gnolls, mais tu es la seule Gnolle qu’Erin connaisse. Est-ce qu’il serait possible qu’elle vive ici ?”

Je n’étais pas préparée au regard horrifié de Mrsha. Elle essaie de se dégager de l’étreinte d’Erin pour se précipiter sur moi, mais la fille la retient. Elle me regarde bizarrement, elle aussi. Quoi ?

Krshia hésite. Elle jette un regard à Mrsha, et je vois son expression lorsqu’elle avise sa fourrure blanche.

“Brunkr. Est-ce que tu veux bien aller donner quelque chose à manger à Mrsha ? J’ai quelques goûters de chez nous qu’elle aimera peut-être.”

C’est le plus vieux tour du monde, mais les oreilles de Mrsha se dressent sur sa tête lorsqu’elle entend les mots “à manger”. Le regard de Brunkr s’assombrit, mais il se lève et se dirige vers la cuisine. Erin est la seule à protester.

“Mrsha a eu un gros petit déjeuner, et elle a mangé plein de cubes de viande. Elle devrait peut-être…”

Je la fusille du regard et montre la cuisine d’un signe de tête. Son visage se fige et je m’empêche à grand-peine de me frapper le front en la voyant comprendre l’astuce.

“Oh. Je, euh, allons manger un truc, Mrsha !”

Elle guide Mrsha à la cuisine. Mais l’enfant me regarde toutefois deux fois par-dessus son épaule en s’y rendant, et je la vois jeter un dernier coup d’œil pour s’assurer que je ne suis pas en train de partir.

Bordel. Je ne voulais pas dire que j’allais juste partir en courant. Je voulais juste dire que…

Krshia s’approche de moi et baisse la voix. Je me concentre de nouveau sur elle, cessant mes récriminations internes pendant un instant.

“Ryoka Griffin. La situation est plus compliqué qu’il n’y paraît, oui ?”

“En effet.”

Je parle à voix basse et la Gnolle s’assied à côté de moi pour discuter. Je sens sa chaleur corporelle, et sa fourrure me donne l’impression d’être assise à côté d’un ours. Mais ses yeux… ses yeux ressemblent à ceux de n’importe qui. Je me concentre là-dessus.

“Tu apportes de terribles nouvelles. Mon cœur saigne pour Mrsha. Et pourtant, la situation ici est compliquée.”

Je hoche la tête.

“Je sais. Ton peuple veut tuer Lyonette, qui est sous la protection d’Erin.”

Krshia acquiesce.

“Entre autres. Lyonette a fait quelque chose de terrible.”

“Elle a détruit ton échoppe, oui. Et elle a fait beaucoup de dégâts aux autres échoppes Gnolles. Mais il y a autre chose, n’est-ce pas ?”

Tout cela avait l’air affreux lorsqu’Erin me l’avait raconté, mais je ne vois pas vraiment en quoi cela justifie que les Gnolls envoient un groupe tuer Lyonette. Krshia hésite, et je la dévisage.

“Je ne suis pas Erin, Krshia. Parlons franchement.”

Ses lèvres se relèvent en un sourire amer.

“J’aurais aimé le faire avec elle. Mais les circonstances ont conspiré contre moi, et je n’ai pas pu discuter plus tôt, oui ? Tu dis la vérité. La voleuse a détruit plus que mon échoppe. Elle a détruit quelque chose de… précieux, pour mon clan. Quelque chose que nous avons travaillé dur pour accumuler toutes ces années.”

Merde. Ce n’est pas ce que je voulais entendre. Mais je rassemble les pièces du puzzle. Je hoche la tête.

“Et Erin, en sauvant Lyonette, vous a aussi empêchés de vous venger.”

“Elle a endossé la dette, oui.”

Krshia hoche la tête. Je fronce les sourcils.

“C’est n’importe quoi. Ce n’était pas de sa faute. Elle n’a rien fait qui justifie une attaque.”

Krshia croise calmement mon regard.

“Non, en effet. C’était mal. Mais la dette de la voleuse ne peut être effacée que dans le sang, et Erin Solstice en assumera le coût tant qu’elle la protégera.”

Les coutumes Gnolles. Pendant mon séjour dans la tribu des Lances de Pierre, Urksh m’avait expliqué quelques-unes de leurs coutumes. Ils prennent les dettes de ce genre très sérieusement, et l’idée qu’ils se font de la culpabilité est transférable. Je fronce les sourcils en regardant ma tasse de thé, et en bois une gorgée. Pas mauvais, et ça me laisse une seconde pour réfléchir.

“Est-ce que tous les Gnolls de Liscor pensent comme ça ?”

“Certains. Les jeunes. Nous qui sommes plus vieux comprenons Erin Solstice. Mais même là, cela reste difficile à accepter. La voleuse doit être punie. La dette doit être payée.”

“Mais elle n’a rien.”

“Rien d’autre que sa vie.”

Les vieilles coutumes. Le sang règle toutes les dettes. La plus ancienne des coutumes. Parfois, j’ai l’impression que les Gnolls sont exactement comme nous… mais enfin, qu’est-ce que je raconte ? Ils sont exactement comme nous.

Bordel. Très bien. Regardons à quel point on est dans la merde.

“Et combien vous a coûté Lyonette ? Combien de pièces d’or équivaudrait à ce que vous avez perdu, par exemple ?”

“Cinquante mille pièces d’or.”

Je cligne des yeux, et regarde fixement Krshia. Elle soutient mon regard. J’ouvre la bouche, et la referme. Si je disais quelque chose du genre “tu n’es pas sérieuse” ou “ça doit être une erreur”, il faudrait probablement que je me poignarde pour cacher ma honte.

Krshia est sérieuse. Et je vais donc lui répondre. Je plonge mon regard dans le sien.

“Tant qu’Erin portera cette dette, tu ne l’aideras pas, n’est-ce pas ?”

“Ce sera… plus difficile pour moi, oui. Nous avons déjà aidé Erin Solstice par le passé, et nous t’avons aidée aussi.”

Je me souviens des Gnolls qui nous avaient aidées à combattre Scruta et hoche la tête.

“Tu sais qu’elle vient d’un autre monde. Et tu voulais qu’elle t’offre quelque chose d’utile. Quelque chose que tu puisses rapporter à ta tribu.”

Krshia inhale doucement. J’entends Brunkr gronder quelque chose à Mrsha qui entrechoque des objets dans la pièce voisine.

“Tu comprends vite, n’est-ce pas ? Tu réfléchis différemment d’Erin.”

“Pas forcément mieux.”

“Non. Mais tu as raison. Nous avions espéré. Nous avons offert beaucoup dans l’espoir de recevoir davantage. Mais…”

Krshia haussa les épaules.

“La voleuse nous a coûté trop cher. C’était un coup de malchance, mais ma tribu va devoir en payer le prix. Je ne crois pas qu’Erin soit capable de m’offrir quelque chose de suffisant pour payer cette dette.”

“Et c’est pour ça que tu essaies d’empêcher Brunkr de tuer Lyonette.”

Le regard de Krshia devient fuyant.

“Très intelligente. Cela anéantirait des années de travail à Liscor et ferait plus de mal que de bien. Mais la dette demeure.”

“Très bien. Je crois que je comprends le problème.”

Je soupire, et repose la tasse de thé. Puis je fais face à Krshia, et hausse la voix de manière à ce que les Gnolls qui écoutent aux portes et aux fenêtres puissent m’entendre.

“J’endosse la dette d’Erin. Et je la paierai.”

La Gnolle cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Je souris, du large sourire de l’idiote qui parie tout sans un seul atout dans sa main.

“Tu es confiante, oui ? Est-ce que tu possèdes quelque chose de valeur ?”

Huit cents pièces d’or, que je n’ai pas en ce moment. 1.6% de la dette d’Erin. Je ne le dis pas à voix haute, cela dit.

“Je trouverai une solution. Je viens d’un autre monde, comme Erin.”

Krshia me regarde en cillant. Mais elle n’a pas l’air surprise.

“Mm. Mais cela ne veut pas dire que tu aies quoi que ce soit de plus qu’Erin Solstice, oui ? Et cela n’est-il pas censé être un grand secret ?”

“Les choses ont changé.”

Un certain groupe d’imbéciles sous la tutelle de Magnolia en atteste.

“Je rembourserai la dette. Je trouverai quelque chose qui effacera la dette d’Erin. Je le promets.”

Krshia m’examine.

“Tu es confiante, oui ?”

“Oui.”

Je soutiens son regard. Elle finit par hocher la tête.

“Vite. Si tu veux effacer la dette, alors tu dois le faire vite.”

“Très bien.”

Je suis tellement foutue. Mais ce n’est qu’une partie de la dette que je dois. Je jette un regard vers la cuisine où j’entends Brunkr gronder et Erin rire.

“Et Mrsha ?”

Krshia hoche la tête.

“Nous allons l’accueillir. Ma tribu est loin au sud, mais nous l’élèverons ici jusqu’à ce que nous y retournions.”

J’hésite. C’était ce que j’avais prévu, mais je me souviens du regard de Krshia et de Brunkr.

“Et elle sera en sécurité ?”

“Oui.”

Ce n’est qu’un éclat bref dans son regard. Mais il est là. Je regarde fixement Krshia.

“Sa fourrure est blanche. Je croyais que c’était à cause des Fées de Givre qui nous ont sauvées, mais est-ce que cela a une signification particulière dans la culture Gnolle ?”

Le regard de Krshia vacille. Elle prend un cube de viande et le met dans sa bouche avant de l’avaler sans me regarder.

“Il y a… une signification.”

“Tu veux dire qu’une superstition y est associée. Ou un mauvais présage.”

“... Oui.”

“Et cela signifie quoi, exactement ?”

Krshia marque une pause.

“Ne me mens pas, Krshia Silverfang.”

Elle me fusille du regard. Je lui renvoie un regard noir. Krshia soupire et se gratte le cou.

“Trop intelligente. Tu es épineuse, comme un buisson de ronce, oui ? Mais tu as raison. La fourrure blanche a une signification pour mon peuple. Aucun Gnoll ne possède de fourrure blanche, sauf ceux qui ont été frappés par le désastre.”

“Le désastre ?”

“Ceux qui ont perdu leur tribu. Ceux qui ont survécu à la catastrophe. Et, parait-il, ceux qui l’apporte.”

Ma gorge se serre. Je suis soudain très, très contente que Mrsha soit dans une autre pièce.

“Rien de ce qu’il s’est passé n’a été de la faute de Mrsha.”

Krshia trace un motif sur sa jambe.

“Je suis sûre que tu dis la vérité. Mais mon peuple croit en ce genre de choses. Est-ce que tu peux être certaine que rien de tout cela n’a été causé par elle ?”

Les Fées de Givre. Je serre le poing et sens mes ongles plonger dans ma peau et la transpercer.

“Non. Mais elle reste innocente.”

Krshia m’observe et finit par hocher la tête.

“Je vais la prendre avec moi. Elle sera en sécurité à mes côtés.”

Je secoue la tête. La situation a de nouveau changé.

“Non. Elle va rester avec Erin. J’ai vu la manière dont Brunkr la dévisageait.”

“Il est jeune.”

“Mais s’il agit ainsi, d’autres Gnolls le feront aussi. Est-ce que Mrsha serait vraiment en sécurité à Liscor ?”

Krshia acquiesce, mais seulement au bout d’un moment. Je suis abattue. Littéralement abattue.

“Si tu ne peux pas être absolument certaine qu’elle sera en sécurité, elle restera avec Erin. Et quiconque tentera de lui faire du mal devra me passer sur le corps, et sur celui de tous les gardes que je pourrai trouver.”

“Elle ne sera pas mise en danger, Ryoka Griffin. Mais c’est peut-être préférable, en effet, qu’elle reste à l’auberge.”

“D’accord.”

Je secoue la tête. C’est vraiment la merde, mais au moins je peux me concentrer sur quelque chose. Que diable vais-je pouvoir offrir aux Gnolls ? Je sais que je peux trouver quelque chose.

Si on oublie la poudre à canon, il y a forcément quelque chose. Des avancées en termes d’archerie ? J’ai vu les Gnolls utiliser des arcs courts et longs, mais qu’en est-il des armes composites ou des arcs à poulies ? Est-ce qu’on peut en fabriquer, d’abord ?

Une espèce d’avancée médicale ? D’éducation ? Mais il faut que ce soit quelque chose qui ait vraiment de la valeur. Bordel, comment vais-je faire pour protéger Mrsha ? Je n’ai pas vu le squelette d’Erin - elle va devoir le garder aux alentours de l’auberge non-stop. Et “vite” à quel point ?

Krshia interrompt le tourbillon de pensées sous mon crâne.

“Pourquoi proposes-tu de reprendre la dette d’Erin Solstice, Ryoka ? Est-ce qu’il s’agit simplement d’amitié ou y a-t-il autre chose ?”

Je la regarde. La réponse brûle dans ma poitrine. C’est tout ce que je peux faire. Ce que je dois faire.

“J’ai une dette personnelle envers la tribu des Lances de Pierre. C’est la raison pour laquelle j’aide Erin et que j’offre quelque chose de valeur à ta tribu. Toutefois, ma dette envers Mrsha est bien plus grande. Souviens-t ’en.”

“Et que dois-tu à Mrsha ?”

Les yeux bruns de Krshia sont fixés sur moi. Je crois son regard avec gravité.

“Tout.”

***

Un autre événement survint avant qu’Erin et Ryoka ne quittent la maison de Krshia. Ryoka était juste en train de terminer sa discussion avec Krshia lorsqu’elle entendit un glapissement, puis un hurlement en provenance de la cuisine. Elle bondit du canapé et se précipita vers la cuisine sans réfléchir.

Brunkr était en train de secouer son bras et de hurler de douleur. Ryoka vit Mrsha en train de lui mordre la main, ses dents d’enfonçant dans sa chair alors qu’il essayait de la faire lâcher prise. Erin le retenait.

“Mrsha !”

“Enlevez-la moi !”

“Mrsha, lâche-le !”

Je me précipite sur Mrsha et aide Brunkr à la faire lâcher prise. Sa bouche est pleine de sang et elle se débat comme un chat sauvage dans mes bras, grognant silencieusement sur Brunkr.

“Ça fait mal !”

Il rugit sur elle et dénude ses dents. Je pousse Mrsha derrière moi, mais Erin et Krshia sont en train de lui bloquer le passage.

“Cesse, neveu.”

“Elle m’a mordu jusqu’au sang !”, gronde Brunkr à Krshia, mais Erin se dresse devant lui. Elle lève le poing.

“Si tu t’approches d’elle, je te cogne.”

À ces mots, Brunkr hésite. Il lui jette un regard méfiant, et je pousse Mrsha dans l’autre pièce. Je suis prêt à lui crier dessus lorsque je vois son visage.

Les dents de Mrsha sont couvertes de sang et elle est toujours en train de gronder. Mais elle pleure, aussi. Les larmes roulent sur ses joues alors qu’elle se débat dans mes bras pour essayer de se libérer.

Au final, Brunkr retourne dans le salon et Erin et moi restons avec Mrsha. je ne sais pas ce qu’a dit Krshia, mais quelques mots de sa part dans la langue grondante des Gnolls et Mrsha a cessé d’essayer d’attaquer Brunkr.

“Que s’est-il passé ?”

“Je ne sais pas !”

Erin accepte le linge humide que lui tend Krshia et elle essuie le visage de Mrsha. La Gnolle commence d’abord par essayer de se dégager, mais elle finit par la laisser nettoyer le sang qui lui couvre le visage. Elle crache sur le linge et je lui propose un peu de thé pour faire passer le goût du sang.

“Tout ce que je sais, c’est que Mrsha allait bien, et d’un coup Brunkr lui a grondé quelque chose et… et elle l’a attaqué !”

Brunkr a l’air sur la défensive lorsqu’Erin s’interrompt pour le fusiller du regard. Krshia lui jette un regard lourd de menaces et ses oreilles s’aplatissent sur son crâne.

“Brunkr. Qu’as-tu donc fait ?”

Il regarde le sol d’un air sombre en marmottant sa réponse.

“Je lui ai juste dit que… sa tribu a disparu. Qu’elle a disparu, et qu’elle ne reviendra jamais. Disparu, parce qu’elle a apporté le désastre avec elle. Parce qu’elle est maudite.”

Silence. Je regarde Erin, puis Mrsha. Elle s’est remise à pleurer.

Erin se lève. Elle ne dit rien. Elle se contente de cogner Brunkr suffisamment fort pour l’envoyer s’écraser contre un mur. Krshia hocha la tête d’un air approbateur.

“Je te présente mes plus sincères excuses, Erin Solstice.”

“Je pense qu’on devrait y aller.”

Erin baisse tristement les yeux sur Mrsha. Elle pleure, et s’accroche à moi. Je sens ses griffes transpercer ma peau, mais je ne la lâche pas. Krshia nous contemple avec tristesse, et ses yeux s’attardent sur la fourrure blanche de Mrsha.

Aussi blanche que la neige. Une couleur pure. Le blanc, la couleur de la pureté, de l’innocence.

Mais aussi de la mort.


***

Nous rentrons lentement. Je porte Mrsha sur mes épaules, bien qu’elle soit lourde. Elle pleure toujours. Je dois m’arrêter deux fois pour qu’elle puisse vomir. Elle régurgite tout ce qu’elle a mangé et se contente de s’accrocher à moi encore plus fort.

Encore un échec de ma part. Je ne mérite même pas de rester à ses côtés. Mais si Krshia ne peut pas la protéger, il faut que je trouve un moyen.

N’importe lequel.

Erin et moi ne parlons pas beaucoup sur le chemin du retour, nous pataugeons juste à travers la couche épaisse de neige. On dirait qu’il va encore en tomber ce soir.



“Haha ! Je vois que la mortelle imbécile a rencontré celle qui sert à manger ! C’est une bonne chose !”

“Mais elles vont si lentement ! Comme des fourmis ! Comme des insectes !

“Est-ce qu’on devrait leur faire tomber plus de neige sur la tête ? Une avalanche ? De la grêle ?”





Les Fées de Givre descendent du ciel. Je lève les yeux sur elles. Ce n’est pas le moment, mais elles rigolent et sourient comme si tout allait bien.



“Ho, voyageuses ! Donnez-nous votre or ou nous vous ensevelissons !”

“Nous sommes des bandites ! Vous, nos victimes !”






Erin grimace, mais elle ne répond pas aux provocations des fées. Je n’ai pas ce genre de scrupules.

“Dégagez. Ce n’est pas le moment.”

Ryoka !”, me siffle Erin, mais je me contente de regarder les fées. Elles marquent une pause.



“Ooh, la mortelle a des crocs ! Est-ce qu’on vous dérange ?”



Je pointe Mrsha du doigt. Elle a enfoui son visage dans mes vêtements et ne bouge plus. Je sens ses larmes me mouiller la peau à travers les épaisseurs de tissu.

“Vous la dérangez, elle. Allez-vous-en.”

Les fées de givre hésitent un instant. Elles regardent fixement Mrsha et paraissent se concerter. Puis, sans un mot, elles s’envolent.

Erin me regarde, bouche-bée.

“Comment est-ce que tu as fait ça ? Elles ne m’écoutent jamais, moi !”

Je hausse les épaules, et ajuste ma prise sur Mrsha.

“Mets le doigt là où ça fait mal. Elles aiment bien les enfants.”

Comme pour me contredire, je sens quelque chose me frapper gentiment à l’arrière de la tête. Erin essuis la neige et je serre les dents.

“Petits monstres.”

Une autre boule de neige me cogne légèrement le dos. Erin secoue la tête.

“Je crois qu’elles t’aiment bien.”

“Nous sommes arrivées à un… accord.”

“C’est tellement… euh, eh bien, tant mieux, non ?”

“Qui sait ?”

Nous poursuivons notre route. Quelques minutes plus tard, nous apercevons la porte de l’auberge d’Erin au sommet de la colline, et quelque chose d’autre.

“Il y a une foule devant ton auberge.”

“Oh ! J’imagine que tout le monde se disait que j’allais y être !”

Erin se précipite en avant, et je l’entends appeler les gens devant moi. Je ne reconnais presque aucune des personnes devant l’auberge. Une Drakéide… Selys ? Et l’Antinium, soit Pion, soit Klbkch - non, Klbkch est le seul avec deux bras, donc ça doit être lui. Et il y a un mec plus vieux, dans la trentaine, que je sais que je n’ai jamais vu. Il porte une armure de cuire et il a l’air d’un combattant. Et…

Des Gobelins. Je m’arrête et mon cœur se glace dans ma poitrine. La petite Gobeline - Loks est debout à côté d’un Hobgobelin dans la neige, à l’écart du reste. Je jette un regard furtif à Mrsha, mais elle est encore déconnectée du monde, et s’agrippe à ma poitrine.

Erin se retourne un grand sourire aux lèvres.

“Tout le monde est là ! On dirait qu’on va être complet, ce soir… qu’est-ce qu’il y a ?”

Elle ne voit mon expression que maintenant. Je pointe les Gobelins du doigt.

Eux. Fais-les partir d’ici.”

“Qui ?”

Erin se retourne. Puis elle me jette un regard troublé.

“Ryoka. Ce sont des clients. Je…”

“Je ne te pose pas la question !”

Je pointe Mrsha du doigt et Erin change d’expression. Elle remonte la colline avec réticence. Je la vois discuter avec les deux Gobelins en nous pointant du doigt, Mrsha et moi. Je ne sais pas ce qu’elle leur dit, et je m’en fiche. Je gravis la colline, en me tenant loin des Gobelins. Lorsque j’atteins le sommet, ils n’y sont plus.

Erin a l’air déçue, mais je m’en fiche. Je pousse la porte de l’auberge en ignorant les gens qui essaient de me saluer. Je ne regarde autour de moi qu’une fois que j’ai reposé Mrsha.

“Salut ! Tu es… Ryoka, c’est ça ?”

J’entends une voix amicale et me retourne. Selys, la Drakéide, me sourit. Elle baisse les yeux sur Mrsha. Elle est roulée en boule sur une chaise.

“Aw ! Qui est-ce ?”

“Mrsha. Elle a passé une mauvaise journée.”

Selys acquiesce, et s’éloigne doucement de Mrsha pour pouvoir me parler.

“Je sais que nous avons à peine eu le temps de discuter, mais Erin m’a brièvement raconté ce qu’il s’était passé.”

“Oh, vraiment ?”

Je pousse un juron silencieux en entendant les mots franchir mes lèves. Je suis encore d’humeur massacrante à cause des deux Gobelins, mais Selys me sourit.

“Ne t’inquiète pas. Je comprends. Erin n’a pas beaucoup de tact, mais si tu veux en parler, je veux bien t’écouter.”

Je la dévisage. Ça alors.

“J’imagine que les [Réceptionnistes] doivent gérer pas mal de merde, hein ?”

Elle pouffe de rire.

“Ça fait partie du boulot. Et maintenant que j’ai entendu parler de ce Seigneur Gobelin… Par mes ancêtres, quelle horreur. Est-ce que cette petite Gnolle… ?”

“C’est la seule survivante, oui.”

Les yeux de Selys sont remplis de pitié.

“Pauvre gamine. Dis-moi si je peux aider, d’accord ?”

Est-ce que ça peut vraiment être aussi facile ? Est-ce qu’on peut vraiment offrir son aide comme ça ? J’hésite, puis hoche la tête d’un air gêné.

“Merci.”

“Tiens-moi au courant. Et je crois qu’elle - comment s’appelle-t-elle ? Mrsha ? - que ce dont elle a vraiment besoin, en ce moment, c’est de sommeil et de calme.”

Mais lorsque nous essayons toutes les deux de monter Mrsha à l’étage, elle se met à essayer de nous griffer. Elle me mord même lorsque j’essaie de m’asseoir à côté d’elle. Et apparemment, ses griffes font mal même lorsqu’on possède des écailles. Nous n’avons pas d’autre choix que de la laisser tranquille. Selys et moi battons en retraite au même moment où Erin passa à côté de nous en discutant avec Klbkch et l’Humain.

“Oh. Ryoka ! Est-ce que tu as déjà rencontré Halrac ? Non ? Voici Halrac. Hum, c’est un aventurier Or.”

Je salue d’un signe de tête l’homme grisonnant. Il me salue à son tour. Type peu sympathique*. Il jette des regards en coin à Mrsha en s’asseyant à une table.


*Attends, qu’a dit Erin à son sujet ? Un aventurier Or ?


“Ryoka Griffin. Je te présente toutes mes condoléances.”

Je me retourne. Klbkch, l’un de ces maudits Antiniums… non. C’est un ami d’Erin et il est mort une fois pour la sauver. Je le salue d’un signe de tête.

“Klbkch ?”

“Oui. Permets-moi de te promettre que je conduirai personnellement des patrouilles au sud de Liscor dès que ce sera possible pour assurer la sécurité de Mrsha et de cette auberge.”

“Vraiment ?”

Voilà qui est… suspect. Pourquoi Klbkch s’intéresse-t-il tant à Erin ? C’est sans doute lié à cette histoire d’individus Antiniums et de Pion. Bordel, Erin.

Mais toute aide est la bienvenue, et je hoche donc la tête. Klbkch regarde Mrsha. Elle s’est remise à pleurer. Son petit corps est agité de tremblements, et je sens mon cœur se serrer.

“Je regrette ce qu’il s’est passé. Je te promets que si l’armée du Seigneur Gobelin passe devant l’une des Colonies, elle sera détruite.”

Il n’y a rien à répondre à ça. Je hoche donc la tête. Mais les pleurs de Mrsha assombrissent même l’humeur solaire d’Erin. Elle fait de son mieux, fait à manger et insiste pour que nous nous asseyions tous ensemble à table, mais elle ne peut pas faire bouger Mrsha et Lyonette nous apporte donc à boire - de l’eau chaude pour Klbkch et moi et de la bière pour Selys - en silence.

Je jette un regard en coin à Halrac. Il est assis seul, mais il ne cesse de jeter des regards à Mrsha. Est-ce qu’elle le dérange ? Enfin, bien sûr qu’elle le dérange. Il attrape Erin qui passe devant une table et pointe Mrsha du doigt. Puis, pour une raison qui m’échappe, je le vois pointer du doigt un pot de fleur sur une table devant une fenêtre.

“Des fleurs ? Pourquoi diable y a-t-il des fleurs ici ?”

Selys se tourne en prenant une bouchée de spaghettis aux boulettes de viande.

“Oh, celles-là ? Je crois que ce sont des fées qui lui les ont données. C’est ce que dit Erin, en tout cas.”

Klbkch et moi la dévisageons fixement.

“Les Fées de Givre les lui ont données ? Pourquoi ?”

“Je n’en sais rien. Un dîner qu’elle leur a préparé. Ça avait un peu énervé Erin à l’époque.”

Oh mon dieu. Elle n’a pas fait ça. Elles n’ont pas fait ça. Je regarde les fleurs, frappée d’horreur. Erin s’approche du pot. Des fleurs dorées. Est-ce que ce serait tirer des conclusions hâtives que de croire que… ?

“Est-ce qu’elle les a prises pour des pièces d’or ?”

Klbkch me regarde comme si j’étais folle, mais Selys acquiesce. Elle aspire une nouille.

“C’est ça, oui ! C’est ce qu’avait dit Erin ! Comment as-tu su ?”

J’enfouis mon visage dans mes mains et gémis. Est-ce qu’Erin avait tout simplement oublié toutes les vieilles histoires sur les fées ? J’espère qu’elle n’a pas trop gaspillé de nourriture pour ces bâtardes*.

*Est-ce que bâtardes est le bon terme à utiliser, ici ? Putes est peut-être un peu trop genré, mais cela ne résume pas vraiment à quel point je déteste parfois ces maudites fées.

“Excusez-moi. Est-ce que je dois comprendre que ces fleurs avaient été enchantées pour ressembler à des pièces d’or ?”

Je fais signe à Klbkch que oui. C’est vraiment bizarre d’être assise en compagnie d’un Antinium et de papoter avec lui, sans parler du fait qu’il s’agisse ici de Klbkch le Tueur. Je veux lui parler, mais pas quand Selys est dans le coin.

“C’est le genre de choses que font les fées. Elles piègent les gens pour qu’ils acceptent de l’or qui se transforme en fleurs ou disparaît le jour suivant. Erin s’est faite avoir.”

“Je vois. C’est regrettable.”

“Oui, mais Erin dit que les fleurs sont utiles, en fait.”

“Quoi ?”

Nous nous tournons tous les trois vers les fleurs. Erin est en train d’en cueillir et de les… presser ? Oui, elle les presse dans une chope et Halrac la regarde avec une expression pleine d’intensité. Que se passe-t-il, bon sang ?

Mais Erin s’avance alors vers Mrsha avec une chope de bière mélangée à quelques gouttes de ce nectar de fleurs. Je fronce les sourcils lorsqu’elle touche doucement l’épaule de Mrsha.

“Mrsha ? Ça va, ma chérie ?”

Mrsha essaie d’écarter Erin, mais elle se tient à distance. Erin touche de nouveau l’épaule de Mrsha.

“Écoute, je ne veux pas te déranger, ma puce, mais j’ai une boisson pour toi. Ça va t’aider à te détendre, d’accord ?”

“Qu’est-ce qu’elle fout, bordel ?”

Est-ce qu’Erin essaie de soûler Mrsha ? Je me lève en fronçant les sourcils, mais Klbkch me tire sur le bras.

“Je t’en prie, attends, Ryoka Griffin. je crois qu’Erin Solstice est en train d’essayer de faire quelque chose de bénéfique.”

J’hésite. Mais là encore, c’est Erin. Je regarde de nouveau les fleurs, et la manière dont Halrac regarde fixement la chope. Des fleurs. Des illusions.

Des hallucinogènes ? Ce ne serait pas la chose la plus étrange que j’aie entendue.

Sous mes yeux, Erin cajole Mrsha jusqu’à ce qu’elle se déplie. La Gnolle renifle la chope mais, curieuse comme à son habitude, elle goûte la boisson. Je la regarde avaler quelques gorgées de la boisson avec des papillons dans le ventre. Mrsha écarquille les yeux, puis elle pousse un soupir. Elle ferme les yeux, puis se détend d’un coup.

“Mrsha ?”

Erin se tourne vers moi à mon approche. Elle me laisse prendre Mrsha. Je la tâte avec inquiétude.

“Elle est juste endormie, Ryoka. Ou… en transe. Halrac dit que la boisson peut l’aider. Je l’ai déjà testée, et en effet, on se sent mieux après.”

“Je confirme.”

Je me retourne. Halrac, l’aventurier Or, se tient derrière nous. Il me fait un signe de tête.

“Miss Griffin ? Erin Solstice a une boisson unique. Il s’agit de souvenirs liquides.”

“Des souvenirs ? Une espèce de drogue, tu veux dire ?”

Je fusille Erin du regard. Elle lève les mains, sur la défensive.

“Ce sont juste des fleurs avec un peu d’alcool ! Cela fait partie des compétences que j’ai apprises, Ryoka ! Ça s’appelle [Mets Prodigieux] et Halrac dit qu’on se sent mieux après ! Il en a eu plein !”

Erin se tourne vers lui et l’aventurier hoche la tête. Il regarde fixement la boisson sur la table.

“Ça… ramène des souvenirs heureux. Pour un temps. J’imagine que la petite Gnolle va dormir après avoir bu, dans tous les cas.”

Je regarde fixement Erin. Les fleurs de fées peuvent servir à faire une boisson magique ? Pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Non… Erin est-elle un génie ou est-elle juste folle ?

“Tu es sûre que ça ne risque rien ?”

“Essaie, si tu veux ?”

Erin me tend le vers. Je le prends et regarde à l’intérieur. Halrac contemple le liquide couleur pisse comme si c’était de l’or liquide, mais je ne suis pas sûre que ce soit vraiment buvable.

“Ce n’est pas mauvais ?”

“C’est de la piquette, mais je me porte garant des effets. Je vais en prendre un aussi, et je te paierai ce que tu veux.”

“Vraiment ? Ooh, qu’est-ce que je pourrais bien te faire payer ?”

“Est-ce que c’est une boisson pour tout le monde ? J’aimerais bien tester si tu fais tourner des échantillons.”

Selys se lève et regarde fixement la chope, imité par Klbkch. Erin va cueillir d’autres fleurs pendant que je continue de regarder le liquide au fond de mon verre.

Ce n’est pas comme si je n’avais jamais testé…. certaines herbes médicinales… par le passé. Mais ça n’a été qu’une fois, et je n’ai jamais fumé ni pris de drogues dures. J’adore courir, pas foutre mon corps en l’air. Mais si Erin avait suffisamment confiance pour en donner à Mrsha…

Je devrais au moins voir quel effet ça a. J’hésite, mais Erin est déjà en train de préparer trois autres chopes. Je goûte prudemment ma boisson.

Yep. C’est vraiment de la piquette. Est-ce qu’Erin a acheté l’alcool le moins cher du marché ? Je fronce les sourcils et avale. Je ne sens aucun goût particulier, mais elle n’a mis que quelques gouttes. Combien de temps faut-il attendre avant que ça ne fasse eff…


Le monde se dissout autour de moi. Devient un courant d’air. De la brume, de la fumée qui s’élève d’un feu.

Je regarde fixement Urksh. Mrsha est assise à côté de moi et me regarde. Les Gnolls dans s’affairent dans le campement, rient, discutent, et je le dévisage. Il lève les yeux de son morceau de poisson chaud et me sourit.

“Tu as l’air choquée, Ryoka Griffin. N’est-ce donc pas cela que tu souhaitais voir ?”

“Non. Non, je…”

J’hésite. Mrsha me regarde d’un air inquisiteur, sa fourrure brune luisant à la lumière du feu. Urksh éclate de rire.

“Tant mieux. Repose-toi ici un moment avant de reprendre ta route.”

“Oui. Je voulais juste…”

Un morceau de poisson chaud - du maquereau, peut-être, est posé sur ma main. Suffisamment chaud pour que cela me brûle presque la peau, mais tout juste. Tellement chaud et tendre que mordre dedans permet de chasser le froid de la nuit. Le feu devant moi me réchauffe la peau, et Mrsha soupire en se blottissant contre moi.

Je regarde Urksh. Il me sourit, assis dans l’air froid de l’hiver. Les Gnolls rient en se préparant pour aller se coucher.

“Je voulais juste dire que je suis désolée. Je suis tellement désolée.”

Il acquiesce.

“Je sais. Mais ce n’est pas à toi de t’excuser, oui ? Nous avons payé le prix comme nous l’avions souhaité.”

“Oui. C’est juste que…”

Il secoue la tête.

“Mange, Ryoka Griffin. Et ensuite, peut-être, raconte-nous une autre histoire. Celle avec le [Roi] à l’épée était particulièrement à mon goût.”

Mrsha hoche la tête. Elle se redresse, impatiente, et je lève le poisson ç mes lèvres. L’odeur me met l’eau à la bouche, et je vois des Gnolls s’approcher du feu. Ils s’asseyent tous ensemble, chauds, heureux, rassasiés. L’air froid souffle sur nous, mais la chaleur qui nous entoure le chasse. J’ouvre la bouche, et mes dents mordent dans la nourriture chaude…


“Ryoka ? Tu as les yeux dans le vague. Ça va ?”

“Oh.”

La vision s’efface. Je dévisage Erin. Elle me sourit d’un air nerveux.

“Ce n’est pas bon ? Tout le monde s’est tu. J’ai testé, mais je n’en ai bu qu’un tout petit peu et je me suis juste senti heureuse en me rappelant une partie d’échecs avec Pion. est-ce que c’est trop fort ou est-ce que ça va comme ça ?”

Je regarde fixement la boisson. Mon verre est encore à moitié plein. Je le porte à mes lèvres et avale le reste. Le monde tourne autour de moi, et je me sens tomber à la renverse. Et alors, pendant quelques instants, je suis de nouveau assise autour du feu de camp. Je ris. Je suis heureuse. Et je leur demande pardon et je connais la paix.

Jusqu’à mon réveil.


***

À l’extérieur de l’auberge, les Fées de Givre virent Ryoka Griffin tomber à la renverse et Erin se précipiter pour la rattraper. Elles flottèrent dans le froid, regardant par une fenêtre. Ce n’était pas qu’elles ne pouvaient pas entrer ; c’était simplement qu’elles ne craignaient pas le froid et qu’elles ne voulaient pas qu’on entende leur conversation.



“La boisson est conçue à base de fleurs. C’est l’aubergiste qui l’a concoctée.”

“Ce n’est pas censé se passer comme ça. Les mortels n’utilisent pas les fleurs qu’on leur offre ! Ils sont censés les jeter !



Les fées regardèrent Erin allonger Ryoka par terre puis observèrent le reste des clients de l’auberge. Ils avaient tous la même expression vacante.




“Est-ce qu’on devrait lui enlever les fleurs ?”

“Mais c’était un cadeau ! On ne peut pas le reprendre !”

“Et si on lui offrait vraiment de l’or à la place ? Est-ce que ça suffirait ?”





À l’intérieur de l’auberge, Erin frôla Klbkch. L’Antinium était devenu parfaitement immobile après avoir bu sa chope, comme Selys et Halrac. La légère poussée le fit tomber à la renverse, et, comme des dominos, la Drakéide et l’Humain tombèrent eux aussi. Les fées virent Erin se mettre à paniquer.




“C’est rigolo.”

“Oui.”




Les fées marquèrent une pause. Elles se dévisagèrent.






“Je me demande quel goût a cette boisson ?”

“C’est de la piquette, d’après ce que j’ai entendu dire.”

“De la bonne piquette ?”






Il n’y avait qu’une seule manière d’en avoir le cœur net. Les fées se précipitèrent dans l’auberge.





“Aubergiste ! Une chope de ta meilleure piquette !”



Et Ryoka et Mrsha dormirent à poings fermés, rêvant à des temps meilleurs. C’est-à-dire, jusqu’à leur réveil. Mais le rêve eut beau se dissiper, une petite partie de sa chaleur resta en elles. Réparant les fissures de leurs cœurs. Comme une fleur, poussant dans la neige.


 
   
    
                         
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