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 The Wandering Inn [Fan-traduction] [Fantastique] [Aventure]

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Maroti
   
    Masculin
   Nombre de messages  :  121
   Âge  :  27
   Date d'inscription  :  28/09/2019
    
                         
Maroti  /  Barge de Radetzky


3.05 L – Partie 1

Traduit par Maroti

5200 mots


La journée suivant la rencontre entre Ryoka et Persua et avant que tout cela n’arrive, un [Message] fut envoyé à Celum pour Ryoka et Erin. Deux sorts, en fait. Ils furent dûment enregistrés et c’est quand Ryoka se rappela qu’elle devait passer par la Guilde des Mages qu’ils furent livrés aux deux filles au comptoir sans incident.

Erin et Ryoka regardèrent le petit morceau de papier et l’écriture précise et lisible du scribe. C’était un message court, mais qui toucha tout ce dont Erin s’inquiétait en privé.

Erin, Mrsha est avec moi et Olesm garde un œil sur ton auberge. M est inquiet, mais s’adapte. Tout va bien ; pas de coup de poignard par un Gobelin. J’ai prévenu Klbkch et Relc. Soit prudente,

— Selys.

Erin laissa échapper un soupir de soulagement en voyant le message pendant que Ryoka regarda la courte réponse de Krshia.

Nous attendrons ta livraison. Les autres n’agiront pas avant.

L’autre fille ne soupira pas de soulagement, mais cela la rassura. Les deux jeunes femmes quittèrent la Guilde des Mages sans envoyer de message en réponse, et se retrouvèrent avec Yvolethe et Garia pour le reste de la journée. La situation n’était pas idéale, Erin et Ryoka étaient d’accord pour dire qu’elle n’allait pas pouvoir rentrer de sitôt.

Cependant, tous ceux qui se trouvaient à Celum et Liscor avaient omis une personne dans leurs échanges. Selys l’avait complètement oublié, occupée par une Mrsha colérique et déboussolée, et Krshia était trop occupée à prendre en charge son neveu Brunkr, qui gisait dans son lit en se plaignant de sa patte. Erin était distraite après ce qui s’était passé avec Toren pour s’en rappeler, et Ryoka s’en fichait. Donc, personne n’avait mentionné le dernier détail encore irrésolu de l’auberge d’Erin.

Ils avaient complètement oublié Lyonette.  

***

Lyonette s’assit dans l’auberge vide qui appartenait à Erin Solstice et regarda les volets fermés. Il faisait sombre. La pièce était vide et silencieuse et la neige tombant à l’extérieur ne perturbait pas l’étouffante immobilité du bâtiment. Mais Lyonette resta immobile, refusant de bouger. Elle n’était pas en train de pleurer, ou de devenir hystérique. Elle n’avait pas les mêmes réactions que la plèbe.

Mais elle avait peur. Elle pouvait voir des flocons s’engouffrer par l’ouverture d’un volet mal fermé. C’était l’une des fenêtres qui n’étaient pas couvertes par une vitre de verre. Elle savait qu’elle devait se lever pour le fermer, mais elle ne voulait pas le faire. La peur la retenait.

Lyonette, ou Lyon quand elle y répondait de manière désagréable, regarda la neige lentement tomber à l’extérieur. Des flocons tombaient du ciel nuageux, disparaissant dans le paysage blanc. Elle regarda la neige et se demanda quand allait-elle s’arrêter. Une partie d’elle voulait qu’elle ne s’arrête jamais, comme si le temps était lié à la neige. Tant qu’il continuait de neiger, le temps ne s’écoulerait pas et elle n’aurait pas à affronter la vérité.

Erin Solstice avait disparu. Elle avait soudainement quitté l’auberge et n’était jamais revenue. Elle avait disparu, tout comme la mignonne petite enfant Gnolle nommée Mrsha. La hargneuse Coursière de ville, Ryoka Griffin, avait aussi disparu et les clients avaient arrêté de venir. L’auberge était désormais déserte, à l’exception de Lyonette. Et si les Gobelins revenaient, un cadavre allait être la dernière chose dans cette auberge. Ou pire.

Lyonette frissonna à cause du froid grandissant. Elle n’avait pas osé allumer un feu, même si le froid hivernal la forçait à se recroqueviller dans tous les vêtements qu’Erin lui avait donnés. Elle avait même traîné une couverture depuis l’étage, mais cela ne l’empêchait pas de trembler. Elle pouvait parfois voir sa respiration après avoir retenu son souffle.

C’était une découverte pour Lyonette. Elle ne s’était jamais retrouvée dans un endroit aussi froid. Des servants qui écoutaient le moindre de ses ordres l’avaient toujours aidé, être exposé à un froid potentiellement mortel était impensable.

Mais ses servants étaient sur un autre continent et Lyonette était seule. Et Erin, l’unique personne qui avait pris soin d’elle, avait disparu. Elle avait peut-être été tuée par l’armée Gobeline. Ils étaient partis au nord, pas vrai ?

Lyonette frissonna de manière incontrôlable et manqua de tomber de sa chaise. L’armée Gobeline. Une immense armée qui avait traversé la passe de Liscor, comme celle menée par les Seigneurs des Gobelins du passé. Elle n’avait jamais vu un Seigneur des Gobelins, mais l’armée avait été suffisante pour lui donner des cauchemars.

Elle se rappelait clairement cette nuit. Elle avait été dans son lit après que Selys ne parte avec Mrsha. Lyonette avait mal dormi ; elle était à peine sortie du lit après que la Drakéide ne traîne la petite Gnolle hors de l’auberge, ignorant les hurlements de détresse que l’enfant Gnolle avait poussés. Et puis elle avait entendu le cri perçant, la tirant hors de son sommeil. Une minute plus tard, Lyonette réalisa que ce n’étaient pas des cris qu’elle entendait, mais des Gobelins.

Une armée était en marche dans la pénombre, à travers les flocons de neige, des centaines, des milliers d’entre eux. Certains tenaient des torches, mais la majorité d’entre eux n’avaient été que des ombres, traversant rapidement la neige, riant et hurlant tandis que le métal de leur arme reflétait la lumière des torches.

Une armée Gobeline. Le fléau de la civilisation. Lyonette avait été trop terrifiée pour les compter et vérifier s’ils étaient vraiment des milliers comme dans l’armée du Roi des Gobelins. Elle barricada la porte et monta à l’étage quand elle réalisa qu’il se dirigeait vers Liscor.

Lyon s’était caché dans sa pièce à l’étage, se cachant sous le lit avec son cœur battant la chamade en écoutant les Gobelins passer. Sa première pensée fut que les Gobelins allaient attaquer Liscor. Mais ils ne l’avaient pas fait. Ils avaient contourné la ville par l’est. Ils se dirigeaient au nord, vers les terres Humaines, et avaient été forcés de passer par Liscor.

Les Gobelins avaient passé par les murs en un seul groupe, envoyant des flèches sur les protecteurs de la ville tandis que les [Gardes] tinrent les remparts. Plusieurs volées de flèchent furent tirer sur la ville, et la contre-attaque apparut sous la forme d’un orbe luisant et craquelant de foudre. Le sort avait envoyé plusieurs éclairs dans les rangs des Gobelins, qui s’était dispersé et avait battu en retraite.

Lyonette avait reconnu l’enchantement. Elles étaient standards dans toutes les grandes villes courant le risque de se faire attaquer par des monstres. Et elles étaient suffisantes pour convaincre l’armée Gobeline de ne pas attaquer, car la masse de monstres ne s’arrêta pas et disparut en prenant la route vers le nord. Lyonette avait regardé les formes noires disparaitre et avait attendu que le dernier hurlement ne s’éteigne dans le silence. Mais elle resta cacher jusqu’au petit matin, et plusieurs heures après cela.

Puis, ce fut le silence. Lyonette resta dans l’auberge pendant deux jours, n’ouvrant la porte qu’à l’étrange Drakéide qu’elle reconnaissait vaguement quand il essaya de rentrer. Il ne dit pas grand-chose, son nom était Okresm ou quelque chose du genre, et il s’en alla dès qu’il réalisa que Lyon était toujours là. Ou plutôt, elle dut le faire partir.

Lyonette était en train de le regretter, légèrement. Cela faisait des jours que l’armée était passée, et la jeune femme n’avait pas entendu de nouvelles d’Erin. Elle avait totalement disparu.

Qu’est-ce qui s’était passé ? Ryoka était partie avec quelques mots en disant qu’elle allait la chercher. Puis Selys avait décidé de prendre Mrsha en ville. Et puis…

Rien. Où était Erin ? Est-ce que Ryoka l’avait trouvée, ou est-ce qu’elle était encore en train de chercher ? Lyonette n’en avait pas la moindre idée, et ses peurs étaient les seules personnes qui s’adressaient à elle, la rendant de plus en plus paranoïaque.

Erin n’allait jamais revenir. Elle allait peut-être revenir, mais elle pouvait être blessée. Qu’est-ce qui se passerait si un monstre l’avait tué ? Ou son squelette ? Peut-être qu’il avait dévoilé sa véritable nature et l’avait poignardé dans le dos, ou l’avait simplement abandonnée au milieu de nulle part. Elle pouvait avoir été tuée ! Ou dévorée ! Ou…

Lyonette imagina les Gobelins faire toutes les horribles choses que sa [Gouvernante] lui avait dit, ou ce qu’elle avait entendu en écoutant les conversations du palais. Erin avait peut-être croisé le chemin de l’armée. Elle était peut-être en train de mourir à cet instant même.

Cela ne donna pas le courage nécessaire à Lyon pour qu’elle parte à la recherche d’Erin comme cette malpolie de Ryoka avait fait. Elle ne savait même pas par où commencer, et les Gobelins l’avaient probablement mangée. De plus, Lyon ne lui devait rien. Erin Solstice était une grossière paysanne qui ne traitait personne avec le respect nécessaire et qui faisait trop facilement confiance. Tout ce qui lui arrivait était probablement sa faute.

Mais Lyonette devait l’admettre, l’auberge n’était jamais aussi sombre quand Erin Solstice était là. Elle n’avait jamais été aussi…

Vide.

C’était comme si la vie de l’auberge s’en était allée avec Erin. Les clients avaient arrêté de venir le lendemain de son départ. Cela était peut-être dû au passage des Gobelins et au manque de lumière, Lyonette avait arrêté de nourrir le feu dans la cheminée, mais toute l’agitation s’était totalement éteinte.

Lyonette avait d’abord été impatiente, attendant le retour d’Erin. Puis effrayée. Maintenant, après plusieurs jours, elle était… Silencieuse. Lyonette s’assit dans l’auberge, jour après jour, ne se levant que pour trouver quelque chose à boire ou aller aux toilettes. Mais plus elle restait assise dans ce bâtiment mort, plus elle se rendait compte que quelque chose devait changer.

Elle mit du temps à s’en rendre compte. Une réalisation qui venait de ses longues nuits à observer la porte sans trouver le sommeil, à tressaillir au moindre bruit. Ou quand elle trouva la petite réserve de pièce d’Erin en réalisant que la majorité de ses pièces d’or avaient été données aux Cornes d’Hammerad ou se trouvaient sur Erin. Et quand elle regarda les placards vides et sentit le petit creux dans son estomac qui n’avait jamais connu la faim.

Lyonette s’était endormi en pleurant la première fois qu’elle s’était couchée sans avoir mangé. Puis elle avait arrêté de pleurer la nuit suivante, l’épuisement empêchant les larmes de couler. Six jours après la disparition d’Erin, Lyonette savait ce qu’elle devait faire. Elle regarda l’Auberge Vagabonde devenir encore plus glaciale. Elle le savait.

Erin Solstice n’allait pas revenir. Ou si elle le faisait, cela pouvait être demain, dans une semaine, ou dans des mois. Dans tous les cas, il serait bientôt trop tard. Donc. Lyonette savait ce qu’elle devait faire pendant l’absence d’Erin.

Elle devait travailler. Ou mourir de faim.

C’était un concept étranger pour elle, et quelque chose qu’elle détestait. Mais cela ne changeait pas les faits. Elle allait bientôt être à court de pièces, et il y avait encore moins de nourriture dans l’auberge. Elle devait travailler. L’auberge d’Erin marchait en servant de la nourriture aux clients, elle devait faire la même chose.

Il n’y avait pas d’autre option à laquelle Erin pouvait penser. Elle ne pouvait pas s’imaginer faire la route vers le nord à travers la neige…. Et avec les Gobelins… Non. Et elle était bannie de la ville, donc il ne lui restait plus que l’auberge.

Ce n’était une conclusion qu’elle accepta facilement, mais après deux jours passés à manger les derniers morceaux de fromage gelés et de pain dur qui restaient au fond du garde-manger, Lyonette était désespérée.  Et elle se trouva donc à attendre à la porte quand Olesm, le Drakéide, tailla un chemin à travers la neige jusqu’à l’auberge.

« Toi ! Toi là-bas, le Drakéide ! »

Il sursauta quand Lyonette claqua la porte pour l’ouvrir. Elle avait vu le Drakéide venir tous les jours ou presque. Il se contentait généralement de regarder à travers l’une des fenêtres pendant quelques minutes avant de partir. Elle savait qu’il partait encore plus vite quand il la voyait à travers la fenêtre.

« Oh. C’est toi. Hum, Lyon, c’est ça ? »

Lyonette fit un grand sourire au Drakéide et se retint de le corriger sur son nom.

« C’est bien ça. Et tu es… Olesm, correct ? »

« Oui, c’est ça. »

Le Drakéide toussa et regarda l’auberge sombre avec espoir.

« Est-ce, heu, est-ce qu’Erin est de retour ? »

« Non. Elle n’est pas là. »

« Ah. Je vois. »

Le Drakéide hésita.

« Alors, je ne vais pas te déranger. Je, heu, reviendrai demain. »

« Non ! Ne fais pas ça ! Enfin, pourquoi est-ce que tu ne restes pas ? »

« Quoi ? »

Lyonette ouvrit un peu plus la porte. Le Drakéide cligna des yeux en voyant la porte sombre, et Lyonette réalise qu’il ne pouvait probablement pas voir ce qu’il y avait à l’intérieur.

« Il fait un peu sombre, mais je vais démarrer un feu. Tu peux rester et… Commander quelque chose ! »

Le Drakéide la regarda, dubitatif, tandis qu’elle lui fit un sourire désespéré.

« Mais Erin n’est pas là. Et elle est l’aubergiste. »

« Oui, mais je suis là, n’est-ce pas ? »

« Je suppose que c’est vrai. »

« Alors, pourquoi ne pas rentrer ? L’auberge d’Erin… C’est toujours son auberge même pendant son absence, pas vraie ? »

« C’est… Peut-être vrai ? »

Olesm fronça les sourcils. Il regarda vers la ville comme s’il considérait partir, puis haussa les épaules avec réluctance.

« Je suppose que je peux rester quelques instants… »

« Bien ! »

Lyonette manqua de laisser échapper un soupir de soulagement. Elle ouvrit la porte et le Drakéide entra. Il frissonna ; l’intérieur de l’auberge était à peine plus chaud que l’extérieur.

« C’est glacial là-dedans ! Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas de feu ? »

« J’ai… Oublié. »

Lyonette fit semblant de raviver quelques braises. Puis elle frappa quelquefois le briquet et créa quelques étincelles et le feu se ralluma. Olesm regarda les petites flammes dévorer le bois sec et attaquer les plus grosses buches que Lyonette avait mises dans l’âtre et il regarda le bâtiment vide.

« Il fait si sombre et maussade. Heu, ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Je suppose que lorsqu’Erin est absente… »

Il racla sa gorge.

« Tu… Tu as dit qu’il y avait quelque chose à manger ? J’ai un petit creux. »

« À manger ? Maintenant que tu le dis… »

Lyonette se tourna aussi désinvolte que possible et donna sa meilleure expression contrite à Olesm.

« Je suis désolé, mais j’ai oublié… Il n’y a plus rien dans le garde-manger. Erin était la seule capable de faire les courses. »

« Pas toi ? »

Le Drakéide fronça les sourcils en regarda Lyon. Elle hésita.

« Je ne peux pas aller en ville. Je suis bannie. »

« Oh, c’est vrai. Tu es la voleuse. »

« Je… »

Lyonette hésita. Puis ferma lentement la bouche. Elle était la voleuse, même si elle n’avait pas la classe de [Voleuse]. Elle ne s’était pas vue ainsi, mais les Drakéides et Gnolls l’avaient désignée comme telle. Elle devait jouer dans leur jeu.

« C’est vrai. Je suis la voleuse. »

Elle essaya de paraitre le plus désolée possible.

« C’est ma faute, bien sûr. J’irai bien faire des courses, mais ce n’est pas possible. Donc il n’y a plus rien à manger. »

« Ah. »

Le Drakéide regarda Lyonette. Elle racla de nouveau sa gorge. 

« Je ne sais pas ce que je vais faire sans nourriture. Si je ne peux pas servir à manger aux clients, comment est-ce que je vais garder l’auberge d’Erin ouverte ? »

« Toi ? Tu vas garder l’Auberge Vagabonde ouverte ? »

Le regard qu’Olesm fit à Lyon était incrédule. Elle serra les dents, mais hocha la tête.

« C’est mon travail. Je suis une [Serveuse] après tout. Et employée par Erin Solstice. C’est ce qu’elle a dit. Et quelle sorte d’employée je serais si je ne… Gardais pas l’auberge ouverte sans lui apporter de l’argejt durant son absence ? »

« Je suppose que ça a du sens. »

Olesm fronça les sourcils et se gratta le menton. Lyonette hocha la tête, le sourire désespéré toujours sur son visage.

« Donc j’ai besoin d’aide pour livrer de la nourriture à l’auberge pendant l’absence d’Erin. Je payerai, bien sûr, et tu pourras manger ici ! »

« Attends, quoi ? Tu veux que je fasse tes courses ? »

Le Drakéide se leva de sa chaise et fronça les sourcils. Elle hocha la tête, le fixant du regard.

« Tu dois le faire. Pas des plats déjà faits ; je vais vendre ce qu’Erin faisait d’habitude. Mais tu dois me ramener les ingrédients pour que je puisse les cuisiner. Ou je vais mourir de faim. Et ce n’est pas ce que tu veux, pas vrai ? »

Le Drakéide regarda Lyonette d’un air qui était moins rassurant qu’elle le souhaitait. Mais il accepta finalement de trouver un moyen d’apporter de la nourriture à Lyonette.

« Je suppose que je peux faire quelques voyages… Mais comment est-ce que tu vas garder l’auberge ouverte ? Est-ce que l’endroit ne va pas perdre son, ah, attraction sans Erin ? Pourquoi est-ce que quelqu’un irait aussi loin ? »

« Parce que je peux bien cuisiner, et servir les clients avec finesse et raffinement ! »

« Vraiment ? Toi ? »

Olesm ne semblait pas convaincu. Lyonette serra les dents, mais lui fit un sourire.

« J’ai une Compétence de cuisine. »

« Vraiment ? »

« Absolument. Et cela fait un mois que je m’occupe de table. Apporte les ingrédients, et je vais les cuisiner. En réalité, pourquoi est-ce que tu ne m’en rapportes pas maintenant ? J’ai de l’argent et une liste… »

« En fait, il fait un peu froid dehors… Dès maintenant ? Et qu’est-ce… »

Olesm cligna les yeux lorsque Lyonette lui tendit un morceau de parchemin et quelques pièces dans ses griffes et le jeta presque dehors. Elle le regarda de manière anxieuse lorsqu’il se retourna vers l’auberge, et puis le regarda repartir vers la ville, le cœur battant la chamade.

Elle l’avait fait ! Mais la véritable épreuve allait être quand il allait revenir. Lyonette regarda la forme lointaine d’Olesm par la fenêtre tandis qu’il se dirigea vers la ville, et s’assit à la fenêtre pour observer la ville tandis que l’air commença à se réchauffer.

Elle eut l’impression qu’une éternité et demie passa avant qu’elle ne voit une silhouette alourdie quitter la ville et se diriger vers elle. Elle eut l’impression que cela dura encore plus longtemps lorsque le Drakéide lutta pour gravir la colline et posa les sacs remplis de course de manière épuisée sur le pas de la porte tandis qu’elle l’ouvrit en grand.

« Merci d’avoir tout ramené ici ! »

« Quoi ? Ce n’est rien. Enfin c’est un peu lourd, est-ce que tu as quelque chose à boire ? »

« Je dois d’abord cuisiner. »

Lyonette était déjà occupé à ouvrir les sacs. Olesm hocha la tête et s’affaissa dans une chaise.

« Dans ce cas, je pourrais définitivement manger quelque chose. Quelque chose de chaud. »

« Oh. Maintenant ? »

L’Humaine regarda le Drakéide qui lui rendit son regard.

« Oui. Je veux dire, tu vas faire à manger, pas vrai ? »

« Bien sûr. Mais… »

Lyonette hésita.

« … Je dois travailler sur quelques recettes d’abord. Pourquoi est-ce que tu ne reviendrais pas dans deux jours ? J’aurai probablement besoin de nouveaux ingrédients. Ou, tu pourras revenir ce soir si tu veux acheter quelque chose. »

Le Drakéide regarda les sacs qu’il avait achetés de manière outrée.

« Quoi ? Mon repas n’est pas offert par la maison ? »

« Non ! »

Lyon le regarda, le Drakéide lui rendit son regard.

« D’accord, je crois que je vais revenir plus tard. Je veux dire, si tu n’es pas occupé. »

« Je ne vais pas te retenir. Et souviens-toi, faudra bientôt refaire les courses ! Et passe le mot à tes… Amis. L’Auberge Vagabonde est de nouveau ouverte ! »

Lyon entendit à peine Olesm claquer la porte en sortant. Elle était trop occupée à regarder le splendide contenu du sac. Des œufs, enroulé avec précaution pour ne pas les casser, du fromage frais, de la farine, son estomac gargouilla de manière incontrôlée et les mains de Lyonette tremblèrent.

Une partie d’elle voulait engloutir tout sans prendre le temps de cuisiner, mais elle traîna le tout dans la cuisine et rangea d’abord les ingrédients. Elle devait le faire.

De manière presque mécanique, la fille sortit les ingrédients et les posa sur le comptoir lorsque le feu qu’elle avait allumé dans la cuisine commença à réchauffer l’air à son tour. Elle souffla sur ses mains, ignorant son estomac vide tandis qu’elle se préparait. Elle allait cuisiner. Elle, Lyonette du Marquis, s’apprêtait à cuisiner.

De la honte et de l’envie la secouèrent telles des vagues, mais le vide de son estomac écrasa ses sentiments. Lyonette regarda les ingrédients et imagina quelque chose de simple. Des pâtes. Elle se souvenait des délicieuses pâtes beurrées qu’Erin lui avait servies à elle et aux autres clients un soir. Elle pouvait certainement le faire ?

Lyon avait désormais [Cuisine Élémentaire] comme Compétence, un fait qui la couvrait de honte et la rendait secrètement joyeuse. C’était la compétence d’une paysanne, oui, mais c’était sa Compétence. La sienne.

C’est ainsi qu’elle se trouva à cuisiner de la farine, du sel, des œufs et de l’eau dans la cuisine. Lyonette mélangea d’abord la farine et le sel, et puis fit une cheminée pour rajouter l’œuf battu. Puis elle mélangea l’œuf et la pâte jusqu’à ce qu’elle se mélange. Et comme par magie, l’étrange mélange d’œufs et de farine se transforma en autre chose. De la pâte !

C’était de la pâte, la même chose que Lyonette avait vu des boulangers transformer en pain ! Elle regarda la petite boule sur le comptoir et regarda ses mains recouvertes de farine avec incrédulité.

« C’est comme ça que c’est fait ? C’est… Tellement simple ! »

Elle s’attendait à ce que cela soit un long et laborieux processus, ou un mélange convoluté d’ingrédients ? Mais ceci ? A peine quelques minutes d’effort et elle avait pratiquement terminé de cuisiner ! Une partie de Lyonette était ravie, une autre était indignée que les gens payassent autant les [Boulangers] et les [Chefs]. Il n’y avait rien de compliqué !

Mais Lyonette réalisa qu’elle n’avait pas terminé lorsque sa compétence lui indiqua qu’elle devait continuer. Elle devait masser la pâte pendant plusieurs minutes, jusqu’à ce que ses faibles mains soient endolories et pleines de crampes sous l’effort. Puis, elle dut trouver le rouleau à pâtisserie dans l’un des tiroirs et aplatir la pâte. Puis elle dut les couper en longs morceaux, et faire bouillir de l’eau.

Puis, Lyonette ajouta les pâtes et un peu de sel et regarda les nouilles tourner tandis qu’elle touilla anxieusement la casserole. Et après deux minutes, les pâtes étaient cuites. Lyonette jeta l’eau dehors et secoua le pot pour retirer les dernières gouttes. Puis elle posa la pile de pâte dans une assiette et commença à manger.

Dans l’auberge tiède, près du feu mourant, la jeune [Princesse] utilisa une fourchette légèrement pliée pour apporter la première bouchée de pâte à sa bouche d’une main tremblante. Elle mordit, Macha, et avala la nourriture avec une telle vitesse qu’elle n’avait presque pas le temps de sentir le gout. Puis elle prit une seconde bouchée, et une troisième, et son visage s’effondra avec chaque bouchée.

Ce n’était pas possible. Et pourtant c’était le cas. tandis que le manque dans son estomac s’amenuisa, Lyonette mâcha lentement les nouilles humides et sut que c’était la vérité. Son plat n’était pas super, il n’était même pas bon. C’était fade. Non, pire, c’était simplement médiocre. En vérité, elle avait fait les pâtes grâce à sa compétence, mais c’était bien loin de ce qu’Erin pouvait faire.

Lyonette avait été affamé, mais même elle ne pouvait pas finir sa grande assiette. Elle termina deux tiers et regarda les nouilles pâles, à la fois dégoutées et déçues.

Ce n’était pas du tout la même chose. Elle pouvait se souvenir des magnifiques pâtes qu’Erin avait faites il n’y a pas si longtemps de cela, chaudes et beurrées, et délicieusement épicées avec quelques herbes. Cela avait été délicieux sans la viande. Lyonette y repensa et eut l’eau à la bouche.

Mais ceci ? C’étaient juste des pâtes, à peine dignes d’être servies. C’était une disgrâce pour n’importe quelle auberge, et pire, c’était le résultat d’une Compétence. La Compétence de Lyonette. Était-ce vraiment tout ce qu’elle pouvait faire, même avec [Cuisine Élémentaire] ?

Lyonette voulait de nouveau pleurer. Ce n’était pas juste. Pourquoi est-ce que sa cuisine était aussi terrible ? Elle se souvenait d’avoir demandé à une de ses [Servantes] qui avait [Cuisine Élémentaire] de lui faire une collation, et même si elle n’avait pas été délicieuse, ce n’était pas… ça. Qu’est-ce qu’elle avait mal fait ?

Puis elle se souvint de ce que l’un de ses tuteurs avait dit lors de l’une des rares journées où elle avait prêté attention. Les Compétences pouvaient grandement améliorer les talents de quelqu’un et même leur permettre de faire quelque chose d’habituellement impossible pour eux, comme pêcher, travailler le métal, ou se battre. Mais une Compétence améliorer ce qui était déjà là.

Si deux [Guerriers] avec les mêmes Compétences se battaient, celui qui s’était entrainé depuis plus longtemps et qui avait le plus d’expérience allait obligatoirement gagner. De la même manière, même avec [Cuisine Elémentaire], si Lyonette n’avait jamais cuisinier, tous ces plats allaient être comme ça : basique.

Pendant deux minutes Lyonette regarda l’assiette de nouille froide, et entendit quelqu’un frapper à la porte. Son corps se figea sous l’effet de la peur et de l’appréhension, mais des Gobelins ne frapperaient pas, pas vrais ? Cela n’était pas un monstre, mais un client. Un client !

Elle se leva subitement et ouvrit la porte en grand. Elle pensa à plusieurs choses en peu de temps. Est-ce qu’il faisait trop froid dehors ? Elle aurait dû ouvrir les volets pour indiquer que l’auberge était ouverte ! Et sa cuisine ? Elle ne pouvait pas servir de la nourriture comme… Qu’est-ce qu’elle devrait dire ? Qu’est-ce qu’Erin pouvait dire à ses nouveaux clients ? « Bienvenue, puis-je vous tirer une chaise ? » ou est-ce que c’était « laissez-moi prendre votre manteau » ?

La personne se tenant dans l’ouverture de la porte que Lyonette ouvrit n’avait pas de manteau à prendre. Un massif Drakéide, bien plus grand qu’Olesm, cligna des yeux vers Lyonette lorsqu’elle le regarda. Il toussa après quelques instants.

« Salut… Toi. »

« Hum, bienv… Avez-vous un siège pour votre manteau ? »

« Quoi ? »

Lyonette rougit. Le Drakéide gratta de manière géné les pics à l’arrière de sa tête et regarda la jeune femme dans l’auberge. Ses yeux remarquèrent l’assiette solitaire et le feu avant de retourner sur elle.

« Est-ce qu’Erin est de retour ? »

Lyonette avala sa salive. Elle reconnaissait vaguement le Drakéide ; il était Relc, celui qu’Erin avait jeté hors de l’auberge. Mais il était aussi un client, pas vrai ? Elle essaya de sourire le plus amicalement possible tandis qu’elle ouvrit un peu plus la porte.

« Pas encore. Mais si tu veux rester et manger quelque cho… »

« Nan. À plus. »

Le Drakéide se tourna avant que Lyonette soit le temps de finir sa phrase. Désespérée, elle ouvrit la porte en grand pour l’appeler, mais son souffle se coupa quand elle vit le sombre Antinium proche du Drakéide. Il avait été si immobile, si silencieux, qu’elle ne l’avait même pas vu.

Klbkch regarda Lyonette pendant une seconde et se retourna pour s’éloigner avec le Drakéide. Lyonette resta dans l’encadrement de la porte, regardant le dos des deux [Gardes]. Ils attendirent de s’éloigner avant de discuter, mais le vent porta leurs voix.

« Il semblerait qu’Erin ne soit toujours pas de retour. »

« En effet. »

« Mais qui était cette Humaine ? Je ne l’ai jamais vu auparavant, et toi ? »

« Je crois que c’est la voleuse qu’Erin Solstice emploie. »

« Qui ? »

« Je crois que c’est celle qui a brûlé l’étale de Madame Krshia. Celle exilée de la ville. »

« Qui ? »

« L’Humaine. »

« Il y en a beaucoup des… »

« Celle qui t’a appelé “balourd écailleux”. »

« Oh ! Elle. Hey, est-ce qu’on peut retourner dans l’auberge et la frapper un peu ? »

Lyonette se fit toute petite dans derrière la porte, mais l’autre voix arrête la première.

« Cela serait de l’inconscience. Erin te bannira probablement à vie si elle revient et découvre que tu as attaqué son employé. »

« Mince. Tu en es certain ? »

« Absolument. Tu devras attendre avant de lui donner ton cadeau d’excuse. Même si tu n’as pas encore acheté ce cadeau. »

« Hrgh. Je sais, je sais. Mais qu’est-ce que les femmes Humaines aiment, en plus ? Est-ce que je devrais lui acheter de la viande ? Des joyaux ? Je ne suis pas riche, tu sais. »

« Je te conseille de demander autour de nous. Il y a des Humains en ville. Demandons-leur. »

« Ouais, je suppose. Si nous le devons. Hey, ou est-ce qu’on mange ce soir… ? »

Les voix s’éloignèrent lorsque le vent changea de direction. Lyonette frissonna lorsqu’elle resta dans l’encadrer de la porte, regardant la neige sombre. Puis elle ferma la porte. Elle se sentait… Mal à l’aise, même si elle ne pouvait pas dire pourquoi. Mais l’auberge était pleine de lumière et chaleur et semblait presque être comme avant, même si son diner était fade. Mais ce n’était pas la même chose.

Ce n’était pas du tout la même chose.

***

Une autre personne passa cette nuit. Lyonette était dans la cuisine, essayant de trouver comme améliorer le gout de ses pâtes quand elle entendit la porte s’ouvrir. Elle se précipita dans la salle commune et vit un homme qui portait un manteau noir usé et pratique observer la pièce. Une dague était la seule arme qu’il possédait, mais il marchait comme si son regard perçant était la seule chose qu’il lui fallait pour tuer ceux qui pouvaient le déranger.

Lyon le reconnaissait aussi. L’homme semblait toujours agacé, aujourd’hui encore plus que d’habitude. Son expression était sombre, et il rappelait à Lyonette les plus ronchons des anciens soldats de son royaume. Elle savait qu’il était, un aventurier de rang -Or. Cela le rendait digne de son respect, même si elle venait d’une famille royale. Ce n’était certainement pas parce qu’elle avait peur de lui. Enfin, un tout petit peu.

« B-bienvenue monsieur ! Miss Solstice n’est pas encore de retour, mais si vous voulez rester, je peux vous faire quelques pâtes… »

Le regard perçant d’Halrac figea Lyon. Il la regarda, puis regarda l’auberge. Il secoua la tête et grogna de manière agacée.

« Hmph. »

Il se retourna et partit sans un mot. Lyonette le regarda l’aventurier repartir vers la ville en tapant du pied à travers la fenêtre. Elle ne savait pas quoi penser de ça, mais elle imagina l’argent qu’un aventurier de rang -Or aurait pu dépenser et son humeur s’assombrit.

Dans l’ensemble, ce fut presque un soulagement quand Olesm revint. Le Drakéide était toujours irrité, mais il vint pour le diner. Il devint tout de suite plus joyeux quand Lyonette lui dit qu’il allait manger sans payer ; mais son expression changea après qu’il prit une bouchée des pâtes trop salées qu’elle avait faites. Il prit quatre bouchées, et ne retoucha plus à son assiette durant le reste de son passage à l’auberge.

Mais il ne resta pas longtemps. Olesm resta pour dire à Lyonette que l’armée Gobeline avait saccagé Esthelm, la nouvelle qu’Erin était vivante à Celum, et qu’elle n’allait pas être de retour de sitôt. Elle lui posa de nombreuses questions, mais il n’avait pas de réponse.

« Je ne sais pas quand elle va revenir, d’accord ? »

Il s’énerva contre elle tandis qu’il buvait de l’eau chaude qu’elle avait bouillie en grimaçant sous le gout. C’était la même eau qu’elle avait utilisée pour cuire les pâtes, et il poussa le verre sur la table après une autre gorgée.

« Mais… Quand est-ce qu’elle va revenir ? Est-ce qu’elle peut revenir ? »

Lyonette serra ses mains. Olesm haussa les épaules, semblant mécontent.

« Les routes sont dangereuses, et franchement, elle est peut-être plus en sécurité là où elle est. Zevara fait surveiller l’entrée du donjon de manière permanente avec tous les gardes disponibles après que le [Instinct de Survie] de tout le monde se soit déclenché en ville. »

« Le donjon ? »


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3.05 L – Partie 2
Traduit par Maroti
5454 mots


Lyonette n’avait pas d’[Instinct de Survie] ; elle n’avait même pas réalisé que l’entrée du donjon avait été sortie de terre. Olesm hocha la tête en expliquant.

« Aucun des aventuriers ne veut aller à l’intérieur. La Chasse aux Griffons n’a même pas franchi l’entrée, et tous les autres groupes attendent. Personne ne sait ce qui peut en sortir, ou si quelque chose va en sortir. Quelqu’un doit rentrer, mais tant qu’un groupe n’a pas trouvé le courage, ça restera une menace dont la ville doit se méfier. Ça et les Gobelins. »

Il soupira et se leva. Lyonette le regarda anxieusement. Olesm regarda la nourriture et l’eau avant de secouer la tête et de mettre la main dans sa poche.

« Tiens. »

Il posa quelques pièces de bronze sur la table et hocha la tête.

« Pour la nourriture. Je suppose que je n’ai pas très faim. »

« Tu t’en vas déjà ? »

Le ton de sa voix surpris Lyonette. Normalement elle aurait apprécié le silence, mais Olesm était la seule personne à entrer dans l’auberge après le départ d’Erin.

Le Drakéide hocha la tête, fatigué.

« Je dois faire des plans pour Zevara et… Je suis occupé. Mais je reviendrais demain… »

« Mais pourquoi ne pas rester ici ? Encore un peu plus longtemps, je veux dire ? »

Olesm s’arrêta, l’air gêné.

« Je dois vraiment partir. Je dois man… Enfin, j’ai beaucoup à faire… »

Il s’arrêta et regarda quelque chose dans le coin de la pièce. L’échiquier fantomatique reposant sur l’une des tables attira le regard de Lyonette. Aucune pièce n’avait bougé depuis le départ d’Erin, mais les yeux du Drakéide se concentrèrent sur elles pendant quelques secondes. Il se retourna vers Lyonette.

« Tu ne jouerais pas aux échecs, à tout hasard ? »

Lyon secoua la tête avec réluctance. Elle se souvenait que cela était la dernière mode à la cour, mais elle n’avait jamais commencé à jouer. Olesm semblait déçu.

« Oh. »

Il s’en alla peu de temps après, malgré les tentatives de Lyonette de le faire rester. Après, Lyonette regarda l’assiette de mauvaises pâtes et les jeta dans le feu avec l’assiette. Une répugnante odeur de brûlé se rependit dans l’auberge lorsque le feu dévora les pâtes. Puis Lyon resta immobile au centre de la pièce.

Elle était perdue. Lyonette essaya de ravaler ses larmes pendant plusieurs minutes, mais elles commencèrent à tomber tandis qu’elle resta immobile dans l’auberge vide, les laissant couler sur ses joues et goutter au sol.

C’était fini. Elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas cuire, personne ne l’aimait. Lyonette le savait, elle avait même savouré ce fait. Mais maintenant, elle savait que cela allait la condamner. Personne n’allait acheter ce qu’elle cuisinait. Elle allait mourir de faim et Erin trouverait ses os à son retour.

Elle était un échec. C’est tout ce qu’elle allait être. La pitoyable troisième fille d’un petit royaume, mourant seule dans une auberge qui n’était pas la sienne. Elle n’était rien.

La fille se roula en boule sur le sol tandis que les cendres du feu commencèrent à s’éteindre. Elle arrêta de pleurer, car même cela ne servait à rien, et resta ici, attendant sa mort. Elle se roula en boule, miséreuse. Puis la porte s’ouvrit, et l’Antinium entra.

***

Pion ne savait pas pourquoi il se rendait à l’Auberge Vagabonde. Ses pieds l’ont simplement amené ici. L’Antinium n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire ni où aller ; il savait juste qu’il allait peut-être trouver les réponses à ses questions s’il écoutait une certaine jeune femme pendant quelque temps.

Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu. En réalité, il n’avait rien voulu de tel ce matin. Pion s’était réveillé assis dans son petit espace de repos et avait crû que cette journée allait être comme les autres. Vide et incertaine.

Les Antiniums ne s’allongeaient pas pour dormir. Ce n’était pas qu’ils ne le pouvaient pas, mais leur dos ne se courbait pas comme ceux des mammifères. Le dos de Pion ressemblait à celui d’un scarabée de bien des manières, et il n’aimait pas le mouvement de bascule qui s’effectuait dès qu’il essayait de s’allonger. C’était pour cela que les Ouvriers et les Soldats dormaient assis. Cela économisait de l’espace, et Pion eut six adéquates heures de sommeil dans l’immense zone de repos ressemblant à une caserne qui contenait cinq cents Antiniums.

C’est ainsi que commença la journée de Pion. Il s’extirpa de son petit cubicule de terre avec ses quatre bras et rentra dans le rang avec les autres Ouvriers lorsqu’ils quittèrent la pièce au même moment pour recevoir leur nutrition matinale.

C’était plus facile pour Pion de faire ça aujourd’hui qu’il y a quelques semaines. Ses doigts s’étaient presque entièrement reconstruits, et les membres sectionnés avaient presque entièrement régénérés grâce aux substances de guérison unique aux Antiniums. Alors qu’il se tenait derrière un Ouvrier, Pion fléchit ses doigts et s’émerveilla légèrement devant le fait que cette simple action le faisait se sentir tellement mieux.

Les Ouvriers devant et derrière Pion ne regardaient pas leurs mains, et ne faisaient rien d’autre qu’avancer. Ils étaient différents de Pion. Ils gardaient leur regard fixe et ne parlaient pas. Et ils donnaient plus d’espace que nécessaire à Pion.

Il était celui qui sortait du lot. Pion le savait, mais il essayait de ne pas profiter de sa position. L’Ouvrier lui donna la même quantité de pâte marron et grise qu’au reste des Ouvriers. Peut-être que s’il en avait demandé plus, il l’aurait reçu, mais la ration avait été calculé pour être suffisante pour le soutenir tout au long de la journée. De plus, personne ne demanderai plus de nourriture d’Ouvrier que nécessaire.

Pion resta debout dans la zone de consommation de nourriture tandis qu’il ingéra lentement la pâte qu’il lui avait été donné. Il n’y avait pas de siège sur lesquels les Antiniums pouvaient s’asseoir ; ils mangeaient simplement leur ration dans des bols de bois et mangeaient de la manière la plus efficace possible avant de déposer les bols pour qu’ils soient de nouveau utilisés par de nouveaux Ouvriers remplissant la pièce.

Les Ouvriers et les Soldats mangeaient séparément. Ce n’étaient pas parce qu’un groupe mangeait de la nourriture de meilleure qualité que l’autre, ils mangeaient tous la même pâte hautement calorique, mais les Soldats mangeaient trois fois plus que les Ouvriers, et utilisaient donc d’autres récipients, nécessitant des pièces différentes pour se nourrir. Pion regarda le mélange qui formait la pâte de… quelque chose… Lorsqu’il l’a mis entre ses mandibules et mâcha. La nourriture s’avala rapidement, mais le gout…

Il s’y était habitué. Malgré tout, il ne pouvait pas dire que c’était facile. Les Ouvriers mangèrent rapidement leur nourriture, ne montrant pas de signe de dégout même si Pion savait qu’ils goutaient exactement la même chose. S’ils avaient un réflexe nauséeux, ou une autre source de nourriture, cela aurait peut-être été différent.

Mais la nourriture était de la nourriture, et il n’y avait pas d’autre alternative. Sauf à l’auberge d’Erin. Pion pouvait se rappeler des délicieux repas, et dut se forcer à manger le reste de sa pâte. Il croqua dans quelque chose lors de sa dernière bouchée. Quelque chose qui n’avait pas été entièrement traité ? Il l’avala quand même. C’était un plaisant interlude du reste de la pâte. Peut-être que cela avait été un fragment d’os.

Puis, directement après avoir fini leurs repas, les Ouvriers sortirent de la large caverne qui servait à distribuer la nourriture préparée et s’engouffrèrent dans les tunnels d’un même mouvement pour commencer leur devoir journalier. Pion les suivit, ne s’arrêtant pas pour baisser la tête même si le plafond du tunnel se trouvait à moins de dix centimètres du sommet de son crâne.

C’était une autre spécificité de la Colonie Antinium de Liscor. Certaines des pièces caverneuses avaient beau être véritablement caverneuses, construites pour contenir un grand nombre d’Antinium, plusieurs parties de la Colonie avaient optimisé pour prendre le moins d’espace possible. Donc, les tunnels uniquement utilisés par les Ouvriers étaient à peine assez grands pour les laisser passer. Il n’avait qu’une dizaine de centimètres au-dessus d’eux tandis qu’ils marchaient dans les couloirs étroits construits pour accueillir exactement deux Ouvriers à la fois. Et donc le flux d’Ouvrier continua de se diriger vers leur devoir journalier…

N’importe quelle créature avec un soupçon de claustrophobie aurait grandement souffert. Pion s’en fichait, c’était ce à quoi il était habitué. Il marcha avec des centaines d’autres Ouvriers dans un flux parfait et synchronisé qui ne s’arrêtait jamais et ne perdait pas de temps. Des centaines d’Ouvriers marchaient dans chaque direction, allant vers la surface pour travailler en ville, ou vers les profondeurs pour creuser ou réparer les tunnels effondrés, remplir leur devoir dans la Colonie, et ainsi de suite.

Ce n’était que l’un des nombreux quarts que les Ouvriers faisaient dans la journée. Pion était l’un des Ouvriers qui dormait juste avant minuit et jusqu’à l’aube, donc il se considérait être proche d’un rythme de sommeil « normal ». Mais il y avait d’autres Ouvriers qui dormaient au milieu de la journée. Cela n’avait pas d’importance, c’était la même chose pour la Colonie.

Pion marcha dans les étroits tunnels pour Ouvrier jusqu’à arriver à l’une des intersections principales de la Colonie. Ici, le trafic divergeait et de nouveaux corps rentrèrent dans la continuelle cascade de mouvement. De grands Soldats marchaient en formant de longues colonnes de corps, allant renforcer les points faibles de la Colonie, manger, ou pour se reposer jusqu’à ce qu’ils soient de nouveau appeler. C’est ici que les Ouvriers joignaient d’autres flux, s’enfonçant dans la Colonie, ou allant à la surface.

Pion s’avança, suivant l’Ouvrier devant lui jusqu’à ce qu’il arrive à une séparation du trafic. Il s’arrêta, incertain. L’Ouvrier derrière lui s’arrêta, ainsi que celui derrière lui, et celui derrière lui et ainsi de suite. En un instant, des milliers de corps s’arrêtèrent pendant une cruciale seconde jusqu’à ce que l’Ouvrier derrière Pion le contourne de manière maladroite. L’Ouvrier derrière lui suivit le mouvement, tout comme l’Ouvrier derrière lui, et ainsi de suite.

Aussitôt, le flux du trafic reprit son cours. Contrairement au trafic du monde d’Erin, les Ouvriers n’hésitèrent pas. Ils bougèrent en parfaite synchronisation, et après cette initiale pose, le flux continua sans nouvelle interruption. Malgré cela, cet incident avait causé à tous les Ouvriers derrière Pion une précieuse seconde d’inactivité. Pion savait qu’il aurait dû se sentir coupable, mais il ne l’était pas.

Il regarda les corps marcher autour de lui. Voilà les Ouvriers, réalisant leur devoir. En face de lui, un autre flux de Soldat avançait rapidement le long du couloir, presque en train de courir. Ils allaient peut-être affronter des monstres.

Une partie de Pion se demanda ce qui se passerait s’il se mettait dans leur chemin. Est-ce que les Soldats allaient simplement le piétiner ? Ils le faisaient quand un Ouvrier se mettait accidentellement sur leur chemin. Mais est-ce que son statut en tant qu’Individu voulait dire qu’ils allaient l’éviter ?

Il décida de ne pas tester sa théorie. À la place, Pion recommença à marcher, résultant en une microseconde de délai tandis qu’il rejoint le flux d’Ouvriers. Il monta, vers une pièce spéciale battit proche de la surface de la Colonie.

Une grande pièce avait été mise à part avec un nouveau but. À la place d’une autre salle de nutrition, la zone au plafond bas avait été remplie de coussins, de petit rectangle de bois recouvert de pièce, et même une chaise qui se démarquait du reste. Des Antiniums, tous des Ouvriers, se tenaient autour de ses plateaux, jouant aux échecs.

Ils s’arrêtèrent quand Pion entra dans la pièce. Les Ouvriers le regardèrent, et recommencèrent à jouer. Son regard passa dans la pièce, regardant les Antiniums assis et jouant aux échecs.

Il y avait autour de soixante Ouvriers dans la pièce, tous en train de jouer aux échecs. Ils ne levaient pas la tête de leur jeu, et ils jouaient à intervalle régulier. Les clik rythmiques des pièces de bois délicatement posées sur l’échiquier apaisa Pion. Mais il ne s’assit pas devant un échiquier vide comme à son habitude. S’il le faisait, il allait trouver un adversaire en quelques secondes. Mais ce n’était pas ce que Pion voulait aujourd’hui.

À la place, il s’assit contre l’un des murs de terre. Pion regarda en face, sans vraiment voir les joueurs d’échecs. Ils étaient tous de nouveaux Individus, les rares qui avaient survécu et ceux qui n’étaient pas devenus des Aberrations comme les autres. Ils avaient choisi des noms, et étaient en train d’apprendre à jouer aux échecs, suivant les recommandations que Pion avait données à Klbkch.

Mais ils n’étaient pas… Comme lui. Pion le savait. Ces nouveaux Individus n’étaient pas comme il était. Ni comme les Individus d’origine, les Ouvriers d’origines qui avaient choisi leurs noms.

« Hah. »

Pion rit devant le ridicule de cette pensée. Aussitôt, les Ouvriers présents dans la pièce s’arrêtèrent dans leurs parties et le regardèrent d’un même mouvement. Il se figea, ne sachant pas quoi faire. Après une seconde les Ouvriers recommencèrent à jouer comme si rien ne s’était passé.

C’était exactement ça. Pion ferma ses mandibules en s’assurant de ne pas faire un autre son tandis que les bruits de parties recommencèrent. Ces nouveaux Individus avaient des noms, mais ils n’avaient pas ce que lui et les autres avaient. Ils obéissaient toujours aux ordres comme les autres Ouvriers, et ils ne prononçaient pas leur avis. Ils n’avaient pas développé de personnalité comme lui, Bird, Belgrade, Anand et Garry, les seuls survivants des Individus d’origine. Ce n’était pas la faute de ces nouveaux Individus, bien sûr. Ils avaient été forcés dans ce choix, ils ne l’avaient pas fait d’eux-mêmes. Ils n’avaient pas… Erin.

Les choses avaient été plus simples il y a quelques mois. À l’époque, la Colonie avait du sens pour Pion. Il y avait les Ouvriers et les Soldats, le Prognugator, et la Reine. C’était ainsi. Mais maintenant il y avait les Ouvriers et les Soldats, oui, et la Reine, mais il y avait aussi un Revelantor qui se comportait comme un Prognugator en la personne de Klbkch. Il avait mis à la porte l’ancien Prognugator, qui était aussi le nouveau Prognugator, Ksmvr, hors de la Colonie. Et il y avait un nouveau groupe d’Antinium.

Les Individus. Plus d’une centaine d’Ouvriers qui avaient choisi des noms et qui avaient passé le test d’individualité sans devenir une Aberration. Mais dans ce groupe d’Individus, il y avait cinq… Leaders.

Non, ils n’étaient pas des leaders. Ils étaient cinq exceptions. Cinq des Individus d’origine qui étaient devenus ainsi de leur plein gré, pour sauver une Humaine nommée Erin Solstice. Ils avaient été le club d’échec, son club d’échec, les Ouvriers qui jouaient tous les jours dans son auberge. Et qui avaient donné leurs vies, presque tous, pour la protéger des morts-vivants.

Tel était le véritable changement dans la Colonie. Cinq Antiniums avaient choisi et étaient devenus des Individus, prenant des classes, des noms et une véritable personnalité. Ils avaient commencé à rapidement gagner des niveaux comme les autres espèces, et ils étaient devenus…

Uniques. Et cela devait être dit, des cinq, l’un d’entre eux se démarquait en particulier.

Pion.

Il était le premier. Pion le savait. Il avait été le premier à choisir un nom, le premier à choisir. Et tout le monde le traitait comme s’il était spécial à cause de cela. Klbkch, sa Reine, ils ne lui donnaient pas de devoir, pas de responsabilité. Ils le regardaient pour voir ce qu’il allait faire. Et Pion n’avait pas la moindre idée de ce qu’il devait faire, donc la plupart des jours il montait jusqu’à la pièce d’échec et jouait ou restait assit contre le mur.

Il ne fit pas grand-chose. Pion resta là, jour après jour. Pensif, vraiment. C’était tout ce qu’il pouvait faire. Il n’était pas un guerrier inné comme Bird, et les autres classes ne l’intéressaient pas contrairement Garry, Belgrade et Anand. Les quatre autres avaient déjà commencé à se spécialiser dans des rôles comme sa Reine l’avait espérée. Bird avait commencé à utiliser son arc pour récolter un bon nombre de gibiers à plumes même dans le climat hivernal, et Garry avait appris à les frire et transformer leur carcasse en délectable gourmandise.

Belgrade et Anand avaient continué de s’améliorer dans leur classe de [Tacticien]. Ils avaient déjà combattu dans de nombreux engagements contre les monstres du donjon souterrain. Ils étaient tous en train de devenir des avantages pour la Colonie. Mais Pion était différent.

Tous les Ouvriers le savaient. Pion le savait. Il était différent. Il était le premier Ouvrier à qui Erin avait parlé, le premier Ouvrier à choisir son nom. Même les quatre autres Ouvriers le traitaient différemment. Parce qu’il était le premier. Qu’il était spécial. Il n’était pas que choisi, il avait été choisi par Erin.

Il était unique. Mais Pion n’avait pas la moindre idée de ce que cela voulait dire.

Il savait ce que sa Reine voulait, il savait ce que Klbkch voulait. Il voulait qu’il devienne un utile guerrier, ou un avantage pour la Colonie. Ils voulaient qu’il se spécialise, qu’il gagne des niveaux dans une classe et surpasse les Antiniums normaux, mais Pion n’avait pas fait cela.

Oui, il avait la classe de [Tacticien]. Mais son niveau n’était pas élevé. En vérité, sa progression stagnait depuis des semaines. Pion aimait toujours jouer aux échecs, et il était de loin le meilleur joueur parmi les Ouvriers. Mais comme Erin, il avait cessé de gagner des niveaux.

Et il ne voyait pas l’intérêt d’utiliser un arc comme Bird. Il n’aimait pas cuisiner, seulement manger, et il n’avait pas d’autre désir brûlant de faire quelque chose pour la Colonie. Pion était certain que s’il marchait quelque part dans la Colonie, à l’exception de la chambre de la Reine, il trouverait quelque chose à faire.

Il y avait toujours du travail dans la Colonie. Vu qu’ils avaient été autorisés à aller à la surface, Pion avait appris quelque chose des traditions des autres espèces. Apparemment l’ennui était quelque chose qu’ils devaient lutter contre. C’était un concept étranger dans la Colonie.

Que faire après avoir réalisé votre travail ? Dans ce cas, il y avait toujours du temps passé à traiter la pâte nutritionnelle que les Antiniums mangeaient, mâchant de la nourriture pour la régurgiter dans de grande cuve pour être mélangés avec de longs pôles. Ou il était aussi possible de se retrouver à monter la garde contre les monstres du donjon sous Liscor, aidant les soldats dans leur interminable combat.

Et si ces deux options n’étaient pas viables, il était toujours possible d’être assigné à la surveillance des larves, ou pour creuser. Il y avait toujours du temps pour creuser. Creuser un tunnel qui s’était effondré, creuser un nouveau tunnel, creuser plus profondément un tunnel, creuser une pièce, creuser un filon prometteur, creuser un trou pour les excréments…

De temps en temps, les Ouvriers construisaient quelque chose. C’était rafraichissant. Ils taillaient des poutres de bois pour tenir la titanesque quantité de terre au-dessus d’eux, ou faisaient de grossières flèches de bois. Mais même cela devenait épuisant après plusieurs heures de travail monotone.

Ce n’était pas pour Pion. Il le savait. Il savait qu’il voulait quelque chose de différent. Et peut-être qu’il l’avait trouvé. Peut-être.

Mais il n’en était plus certain. Cette certitude, la foi qui l’avait envahi il y a plusieurs semaines de cela l’avait quittée, et maintenant Pion pouvait uniquement s’appuyer sur des souvenirs incertains pour remplir le vide dans son cœur. Est-ce que cela s’était vraiment produit ? Est-ce que cela avait été vrai ?

Était-il réellement un [Acolyte] ? Qu’est-ce que cela voulait dire ?

« Je ne sais pas. »

Une autre pause, et les Ouvriers levèrent la tête Cette fois Pion leur rendit leur regard, juste pour voir ce qui allait se passer. Ils baissèrent les yeux d’un même mouvement, et il recommença à réfléchir.

Il était une fois, un Antinium qui avait été questionné. Il avait été demandé qu’il était, et il n’avait pas de réponse. Il s’était demandé pourquoi tous ses… Amis… Étaient morts, si cela n’avait rien changé. Et il avait reçu une réponse. Un rayon de lumière.

« La foi. »

C’était ce que la fille lui avait dit. Elle s’était enfoncée dans son désespoir et lui avait offert quelque chose à quoi s’accrocher. Elle lui avait parlé de quelque chose qui dépassait sa compréhension. Un Dieu. Et un endroit… Un endroit où les morts allaient se reposer. Un merveilleux endroit.

« Le Paradis. »

Pion soupira et serra son poing encore guérissant. Il le regarda. Oui, il avait cru durant cette nuit. Et sa croyance était devenue une réalité ! Il avait gagné une compétence, et une classe. [Acolyte], et la Compétence, [Prière]. Cela avait de l’importance à l’époque, il en avait été certain.

Il y avait un Dieu. Il y avait quelque chose en quoi croire. Mais depuis, la foi de Pion avait vacillé. Il n’avait pas gagné de niveau, et il n’avait pas prié. Car… Car il avait peur.

Il y avait un Dieu. Erin lui avait dit cela. Mais pas qu’un Dieu. Des Dieux. Elle avait parlé d’un Dieu qui était né et mort dans son monde, mais apparemment ce Dieu n’était pas le seul. D’autres gens croyaient dans un Dieu qui était pareil, mais différent, qui n’avait jamais dit certaines choses.

« Est-ce que vous êtes vraiment là ? Allez-vous me répondre ? Suis-je digne de vous demander de telles choses ? »

Pas de réponse. Les Ouvriers levèrent les yeux vers Pion avant de se reconcentrer sur leurs échiquiers. Il leva les yeux vers le plafond, dans la direction où Erin lui avait dit que le Paradis était. Il ne vit que de la terre.

Le Paradis. La foi et les Dieux étaient tous confus pour Pion, mais l’idée du Paradis, l’idée du pardon et d’un endroit ou être heureux était ce à quoi il s’accrochait. Il devait croire en cela, et donc être récompensé. Mais s’il devait prier, comme sa compétence l’indiquait, qui devait être le réceptacle de ses prières ? Le Dieu d’Erin ? Seulement…. Il n’était pas son Dieu. C’était ce qu’elle avait dit. Donc, qui devait-il prier ?

Et prier pour quoi ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui allait le faire ? Et est-ce qu’il allait avoir une réponse ? Est-ce que quelqu’un allait l’écouter, ou est-ce ses mots n’allaient pas être entendu ?

Pion ne le savait pas. Cela faisait plusieurs semaines qu’il ne savait pas, et rester assis dans la salle d’échec ne l’avançait pas. Une partie de lui ne voulait pas savoir. Une autre partie lui disait de parler à Klbkch et à sa Reine, leur dire qu’il avait une nouvelle classe. Mais la dernière partie voulait croire. Elle voulait connaitre ce Dieu, et dédier son être à croire en ce Dieu. Pour attendre cet endroit, appelez le « Paradis ».

Mais il avait peur. Peur de connaitre la vérité. Donc Pion s’assit dans la pièce en se demandant ce qui se passerait s’il priait. Est-ce qu’il n’allait rien se passer ? Ou est-ce quelque chose, ou quelqu’un allait répondre ? Qu’est-ce qui serait pire ?

Pion ne voulait pas le savoir. Mais il le voulait, désespérément. Il craignait que s’il retournait voir Erin, elle allât lui dire qu’il avait tort. Que ça classe était une erreur. Que Dieu n’existait que dans son monde. Ou…

Ou qu’il y avait un Dieu, mais qu’il n’était pas pour lui.

C’était sa plus grande peur. Il y avait un Dieu. Probablement. La classe qu’il avait reçue semblait l’indiquer. Et Pion voulait croire en un Dieu. Mais qu’est-ce qui se passerait si Dieu ne voulait pas de lui ? Pion avait trop peur de lui demander.

Tandis que les jours passèrent, il resta assis dans la pièce d’échec, pensif. Son esprit tourna en rond dans sa tête, encore et encore. Des Ouvriers entrèrent dans la pièce, jouèrent aux échecs, et s’en allèrent. C’était leur devoir. Mais Poon n’avait rien. Rien du tout. Il n’avait qu’une question, et une réponse qu’il craignait.

Et puis, juste après s’être réveillé, il faisait déjà nuit. Pion le savait grâce à l’horloge dans sa tête et grâce aux Ouvriers qui travaillaient, non pas grâce à un changement de la lumière ambiante. Il se leva, s’étira ; les autres Ouvriers attendirent qu’il dise ou fasse quelque chose. Mais Pion décida de marcher hors de la pièce.

Cette fois il alla vers le haut. Vers la ville. Ce n’était pas son choix ; Pion avait l’impression que ses pieds l’amenaient dans cette direction. Il monta, hors du tunnel qui était l’une des entrées de la Colonie. Il marcha dans les rues de Liscor, parmi les Drakéides, les Gnolls et les Humains qui lui laissèrent de l’espace. Il passa les portes de Liscor, et traversa la neige, grimpant vers l’auberge dont les fenêtres laissaient échapper une lumière réconfortante et attrayante.

Il devait le savoir. Il devait au moins demander. Pion sentait la certitude dans son corps. Il avait gagné une classe et une Compétence et cela voulait dire quelque chose. Il y avait un Dieu. Mais est-ce que ce Dieu allait accepter Pion ? Il devait le savoir, donc il devait demander à Erin. Elle allait savoir quoi faire. Elle savait toujours quoi faire.

Mais Erin n’était pas là. Pion frappa à la porte et l’ouvrit, et vit la fille qui gisait au sol. Elle leva les yeux vers lui, et elle n’était pas Erin.

« Excusez-moi ? Est-ce qu’Erin Solstice est là ? »

« Erin ? »

La fille avait été roulée en boule. Elle venait de se redresser et était en train d’essuyer ses larmes. Ses joues étaient humides, et ses yeux étaient rouges.

« Qu’est-ce que tu… Tu es cet Antinium, c’est ça ? Pion ? »

« C’est cela. Est-ce qu’Erin est là ? J’aimerais discuter avec elle. »

« Erin ? Tu ne connais pas la nouvelle ? »

La fille rit de manière presque hystérique. Pion aurait froncé les sourcils s’il en avait été capable.

« Quelle nouvelle ? Est-ce que quelque chose est arrivé à Erin Solstice ? »

« Elle… N’est plus là. »

« Plus là ? »

Pion écouta, incrédule, lorsque la jeune femme lui expliqua ce qui s’était passé. Erin avait disparu ? Comment a-t-on pu permettre ça ?

Une partie de lui voulait courir vers la porte, pour aller chercher Bird et Garry et les autres et immédiatement partir à la recherche d’Erin. Est-ce qu’elle était en sécurité ? Dans une autre ville ?

« Elle est en sécurité. Mais elle ne va pas revenir toute de suite. Je ne pense pas qu’elle puisse le faire avec tous les Gobelins dans le coin. »

L’esprit de l’Antinium s’emballa lorsqu’il considéra les implications. Les armées Gobelines. Bien sûr que la sécurité d’Erin était prioritaire, mais si elle ne pouvait pas revenir… Est-ce que quelqu’un devait envoyer une escorte ? Est-ce que Klbkch était au courant ? Il devait l’être, mais est-ce qu’il enverra des Soldats pour la protéger ? Et qu’est-ce…

« Donc… Est-ce que tu es là pour quelque chose ? »

Pion regarda la jeune femme avec surprise. Oui, elle était restée là, pas vraie ? Qui était-elle ? Quelqu’un de nouveau ?

Lyonette. C’était son nom. Il se rappelait vaguement Erin l’embaucher, mais est-ce qu’elle n’était pas une mauvaise employée ? Maintenant la jeune femme était seule. Elle essuya son nez et pointa la cuisine du doigt.

« Est-ce que tu veux… Manger quelque chose ? »

Le premier instinct de Pion était de refuser, mais cela voulait dire qu’il allait devoir quitter l’auberge. Et il n’était pas prêt à redescendre dans la Colonie. Pas encore. Donc il hocha la tête, mais dit à Lyonette qu’il ne pouvait pas digérer le gluten. Cela la surprit, mais elle lui offrit des œufs et du bacon.

Pion avait l’impression que ce genre de plat était réservé au petit-déjeuner, du moins selon Erin, mais il accepta. Il avait encore les pièces que Klbkch lui avait données. Assez pour beaucoup de repas.

L’Ouvrir s’assit à une table vide tandis que Lyonette se précipita dans la cuisine et commença à faire du bruit. Il regarda la table, essayant de réfléchir. Tout n’était que chaos dans son esprit.

« Erin est partie. »

Il n’y avait pas de réponse à sa question. Pion se sentit immédiatement soulagé, mais aussi horrible. Il n’était pas plus proche de sa réponse, et la question le déchirait de l’intérieur. Si Erin ne pouvait pas lui répondre, alors…

« Voilà ton repas ! »

Une assiette arriva sous les yeux de Pion. Il la regarda, ainsi que la main la qui la tendait. Lyonette regarda Pion anxieusement lorsqu’elle la déposa devant lui.

« Désolée. C’est un peu… »

Le bacon était légèrement brûlé. Les œufs n’étaient pas entièrement cuits et ils coulaient. Pion toucha sa nourriture avec une fourchette quand Lyonette se souvint de lui en donner une. Il prit une bouchée du bacon huileux et mâcha.

C’était entièrement différent de la pâte que les Ouvriers mangeaient. Cela faisait si longtemps que Pion avait presque oublié le gout de la nourriture chaude. Et du sel ! Pion termina son assiette et se resservit quand Lyonette lui proposa une seconde assiette.

Puis il resta assis dans l’auberge, regardant le feu s’éteindre. C’était drôle. Il était venu ici à la recherche de réponses, et n’avait rien trouvé. Mais même sans elles, il avait trouvé une sorte de réponse.

Erin était partie. Elle était peut-être en danger, mais Pion n’avait pas de moyen de l’aider. Pas comme il l’était. Il était inutile, un Ouvrier isolé. Mais s’il y avait un Dieu…

Il n’y avait pas d’Erin. Donc il n’y avait qu’une personne à qui il pouvait poser la question. Une personne qui allait peut-être savoir ce que tout cela voulait dire. Klbkch. Il avait été assigné le devoir de guider Pion, et c’était le devoir de Pion de l’informer des classes qu’il obtenait. Il ne l’avait pas fait auparavant, car il était hésitant. Mais maintenant ? Il était temps.

Il allait parler de sa classe au Revalantor Klbkch et lui demander ce que cela voulait dire. Peut-être que Klbkch savait quelque chose sur les Dieux. Pion mit la main à la ceinture qu’il portait autour de la taille et laissa ce qu’il considéra être un paiement approprié. Erin lui offrait généralement son repas.

Lentement, Pion quitta la pièce et marcha dans la neige. Il n’était pas moins perdu qu’auparavant, mais au moins il avait quelque chose de chaud en lui. Il leva les yeux vers le ciel nuageux. Il ne pouvait pas sentir le paradis. N’y savoir s’il y avait un Dieu.

Mais peut-être qu’il y en avait un. Et s’il existait, Pion allait le trouver. Lentement, il commença à marcher à travers la neige, vers la ville, vers sa Colonie.

Les Dieux. Le Paradis. Il essaya d’y croire. Cette fois, Pion eut l’impression qu’il aurait pu réussir.

***

Lyonette regarda Pion partir en silence, marchant dans la neige tandis qu’il leva les yeux au ciel. L’Antinium avait à peine prononcé quelques mots de la nuit. Il était resté assis, regardant le feu. Mais il avait aussi mangé deux assiettes et était parti…

Elle regarda le tas de pièces sur la table. Des pièces d’argent et de bronze brillaient au clair de lune. Tremblante, Lyonette ramassa la pile de pièces. Elle les compta. Une fois, deux, encore.

C’était assez. Plus qu’assez. Avec ceci elle allait pouvoir se nourrir pendant plusieurs jours. Et s’il revenait…

Le cœur de Lyonette manqua un battement. Une partie d’elle voulait hurler de dégoût pour avoir touché la même chose qu’un Antinium avait touchée. Elle se souvenait encore des histoires de ce qu’ils avaient fait, les horribles atrocités qu’ils avaient commises. Mais celui-ci, Pion, l’avait payé.

Peut-être que ce n’était qu’une fois. Mais Lyon se souvenait que les Antiniums venaient dans l’auberge d’Erin en suivant un paterne bien précis. Et ils n’étaient pas difficiles à nourrir ; ils aimaient même les abeilles, aussi dégoûtant que cela soit. Ils étaient une source de revenu stable. Si elle trouvait le courage de les servir alors, peut-être, juste peut-être, qu’elle allait survivre.

La [Princesse] regarda par la fenêtre la forme solitaire de l’Antinium qui s’éloignait en direction de la ville. Elle pouvait le faire. Elle pouvait vivre jusqu’au retour d’Erin. Elle allait le faire, et montrer à Erin de quoi elle était capable. Elle allait gérer cette auberge, et cela allait devenir son château, son sanctuaire jusqu’au retour d’Erin.

Tout allait bien se passer. Lyonette devait y croire.


La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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1.00 M

Traduit par EllieVia


Elle avait eu un hamster, autrefois. C’était la raison pour laquelle elle avait voulu devenir médecin. Plus tard, elle trouva d’autres raisons, mais le jour où elle décida de soigner des gens fut le jour où elle se retrouva assise dans le jardin devant sa maison à essayer de sauver son ami mourant.

Naturellement, elle avait voulu être vétérinaire, mais ses parents l’en avaient dissuadée. Et sa tante était morte lorsqu’elle avait douze ans. Elle avait contemplé le cercueil fermé en rêvant d’être capable de sauver même les gens qu’il fallait enterrer en plusieurs morceaux.

Et pendant ses dernières années de lycée, elle avait eu les notes qu’il fallait. Et elle aimait la biologie, elle ne vomissait pas dans sa grenouille comme le garçon assis à côté d’elle en cours, et elle n’avait rien envie de faire d’autre.

Elle avait donc pris des cours de préparation à la médecine lorsqu’elle ne faisait pas la fête avec ses amis et qu’elle apprenait à vivre seule. Et elle avait été diplômée à temps, était partie en Médecine, et s’était rendu compte qu’il était difficile de gérer un loyer et un job à temps partiel, mais pas trop difficile d’apprendre. Puis un jour, elle était allée aux toilettes pendant un cours et n’en était jamais revenue.

Geneva Scala s’était retrouvée dans un autre monde. Et là, elle avait appris une chose : elle ne voulait pas être médecin. Ne voulait plus être médecin. Elle était [Médecin] à présent, mais elle ne faisait que regarder les gens mourir.



***



La personne allongée sur la table d’opération de fortune que Geneva avait fabriquée hurlait de douleur. La lame avait profondément pénétré son flanc, et il se vidait de son sang devant ses yeux. Si elle ne refermait pas rapidement ses blessures, il mourrait.

D’une main, Geneva tenait un objet en bois rustique qui ressemblait à une pince. Elle s’en servit pour fermer l’artère qu’elle avait trouvée et pria pour réussir à agir assez vite.

Suture !”, hurla-t-elle au soldat qui la regardait, les yeux écarquillés. Il la dévisagea fixement. Elle pointa l’aiguille et le fil du doigt.

“Il faut que je referme la plaie !”

Elle laissa un autre homme prendre le relais pour appuyer sur l’artère et tendit la main pour prendre l’aiguille. Le soldat saisit maladroitement l’aiguille et faillit la faire tomber sur le sol de terre battue. Geneva la lui arracha des mains et regarda le fil.

Ce n’était que du coton ; et même pas de bonne qualité. Elle l’avait fait bouillir, mais elle se demandait à présent s’il supporterait la tension qu’elle s’apprêtait à lui faire subir. Mais l’homme hurla alors et elle sut que son temps était écoulé.

“Immobilisez-le.”

Les deux hommes obéirent à ses ordres, et plaquèrent l’homme en train de hurler contre la table pendant que Geneva le recousait avec désespoir. C’était une vision d’horreur ; l’aiguille qu’elle avait achetée n’était pas assez aiguisée et elle était obligée de faire d’énormes trous dans la chair pour essayer de refermer la plaie béante sur son flanc. Et le sang…

“Maintiens cette artère fermée !”, lança-t-elle d’un ton sec à l’un de ses assistants. Il essaya de s’exécuter, mais le forceps qu’il tenait était en bois, et grossier ; sculpté en une journée, plus proche d’une paire de baguettes que d’une véritable pince. Il glissa, et du sang jaillit sur l’estomac de l’homme.

“Refermez l’artère !”

Geneva était obligée de hurler par-dessus les cris de l’homme. Il hoquetait de douleur, encore à moitié conscient. Mais elle n’avait pas d’anesthésiants, rien à lui donner. Et à présent, l’autre homme essayait de récupérer l’artère et ne parvenait plus à la trouver dans la plaie qui s’agitait.  Geneva tendit la main vers le forceps et hésita. L’homme avait cessé de bouger.

Lentement, elle regarda l’hémorragie. Le flux s’amenuisait. Elle regarda les yeux grands ouverts du soldat, puis parcourut du regard ses assistants regroupés sous la tente. Ils la dévisagèrent. Geneva prit une grande inspiration, puis prit la parole.

“Il est mort.”

Une part d’elle voulait ajouter l’heure de la mort, mais c’était sans importance. Il n’y avait personne pour l’enregistrer, et de plus, il n’y avait pas d’intérêt. Lorsqu’elle lâcha le forceps et l’aiguille dans le bol d’eau bouillie et regarda le liquide se teinter de rouge, elle sut qu’elle n’avait même pas le temps de pleurer la mort du soldat.

“Emmenez-le dehors. Enterrez-le. Je sortirai dans un instant.”

Les soldats suivirent ses ordres d’un air hésitant. Geneva contempla ses mains. Elles étaient tellement rouges. Elle n’avait pas de gants chirurgicaux, et elle s’était coupée plus tôt dans la matinée. Elle n’était pas en conditions stériles.

Lentement, la jeune femme regarda autour d’elle. Elle était dans une tente ; pas hermétique, juste des murs de toile et un sol de terre battue. Sa ‘table d’opération’ était un morceau de bois dur. Ses instruments chirurgicaux se résumaient à une dague affûtée, une aiguille à coudre courbe et un fil de mauvaise qualité, et des instruments en bois qui étaient déjà couverts de sang. Les hommes et la femme qui l’assistaient n’avaient aucun entraînement ; ils n’étaient même pas propres. Ils étaient couverts de sang et de viscères.

Et elle avait laissé un autre homme mourir devant ses yeux. Geneva pouvait encore l’entendre crier. Elle avait déjà oublié son visage, mais elle se souvenait de ses suppliques lorsqu’ils l’avaient amené dans sa tente. Il lui avait demandé de lui sauver la vie.

Et elle avait échoué.

C’était la cinquième personne qu’elle avait vu mourir devant ses yeux. Mais elle entendait des éclats de voix, et, au loin, des cris. Elle savait qu’elle verrait d’autres cadavres avant la fin de la journée. Geneva pria pour qu’ils ne meurent pas par sa faute.



***




Presque une semaine plus tôt, Geneva avait pénétré dans une ville bâtie au bord d’un lac. Elle avait contemplé les hautes bâtisses, les ponts interconnectés qui couraient au-dessus de sa tête, et surtout les personnes-lézards et les Centaures qui marchaient aux côtés d’Humains. Mais elle n’était pas restée trop longtemps pour contempler tout ça. Au lieu de cela, Geneva avait pénétré plus profondément dans la ville, jusqu’à entendre des gens crier et le rat-tat-tat de quelqu’un en train de taper sur un tambour.

Les recruteurs pour les groupes de mercenaires locaux et les compagnies plus grandes s’étaient déjà mis au travail, malgré la chaleur de la journée. Des humains vêtus d’armure en cuir légère étaient debout devant de petits stands aux côtés de Centaures qui étaient pratiquement dépourvus d’armure si l’on exceptait un pourpoint en tissu ou deux, et de Dullahans, d’étranges créatures humanoïdes entièrement vêtues d’armure et qui levaient haut leurs têtes en hélant de potentielles recrues.

Des combattants et - non, des guerriers de chaque espèce discutaient avec ces recruteurs et discutaient entre eux pour savoir quel groupe rejoindre. Geneva contempla fixement un Minotaure armé d’une gigantesque massue cloutée et frissonna en imaginant ce qu’il se produirait s’il la cognait avec. Elle pria pour ne pas être en train de commettre une erreur. Mais elle n’avait pas le choix. Elle avait l’estomac vide, et même l’odeur de la sueur et d’autres odeurs corporelles lui donnaient faim.

“Toi, là ! Rejoins les Combattants Raveriens !”

Un homme haut de taille vêtu d’une armure de plate héla Geneva de l’autre côté de la place. Elle s’approche de lui, et remarqua à quel point son front était couvert de sueur. Il devait être en train de cuire avec cette chaleur, mais il faisait son petit effet parmi les guerriers plus légèrement vêtus.

“Je m’appelle Thriss. Je suis un [Sergent] enrôlé dans le 4ème Bataillon de la Compagnie des Combattants Raveriens. Si tu as le courage de combattre à mes côtés, nous t’offrirons huit pièces d’argent pour chaque journée de combat, et une pièce d’argent par journée où tu ne te battras pas. Reste à nos côtés et tu auras un repas chaud tous les soirs, des camarades de confiance pour assurer tes arrières, et tout le butin que tu pourras emporter avec toi !”

Geneva avait entendu tous les recruteurs faire le même speech, mais elle écouta tout de même attentivement. Thriss l’observa de la tête aux pieds en s’adressant à elle et à la foule de manière générale d’une voix de stentor. Il avait une voix incroyablement forte - c’était peut-être une Compétence ?

“Nous nous spécialisons dans le combat rapproché, mais nous embauchons n’importe qui tant qu’il a une classe intéressante.”

Il la dévisagea d’un air sceptique.

“Tu ne ressembles pas à une [Guerrière]. Es-tu une espèce de [Mage] ? Il faudra que je te demande une liste de tes sorts disponibles. Et nous te fournirons une armure et une arme, sauf si cela interfère avec tes sorts.”

Elle dut secouer la tête tant le brouhaha était envahissant. Geneva avança d’un pas et s’adressa en criant à Thriss, qui était descendu de son tabouret pour l’entendre.

“Je suis Médecin ! Je soigne les blessés ! Est-ce que vous voudriez bien m’embaucher ?”

“[Médecin] ?”

Il avait dit cela comme si c’était spécial. Geneva savait qu’il croyait qu’elle avait une classe, même si elle n’en avait pas vraiment. Mais il l’examina et haussa les épaules.

“N’importe qui peut arracher une flèche ou verser une potion de soin sur une blessure, mais parfois, une potion de soin ne suffit pas. Quelqu’un capable de sauver quelques blessés - ou amputer un membre sans qu’il y ait trop de sang - peut nous être utile. Si tu as une signature, fais-la sur ce papier.”

Elle fut surprise. Geneva avait cru qu’elle aurait à discuter avec de nombreux recruteurs et défendre sa candidature avant d’être engagée.

“Juste comme ça ?”

Thriss haussa ses larges épaules.

“Il faut être bizarre pour mentir sur le fait d’avoir une classe de [Médecin]. Nous n’avons pas d’artefacts magiques pour voir ta classe ni qui que ce soit avec la Compétence d’[Évaluation], mais tu n’as pas prétendu avoir un quelconque niveau. Et c’est le genre de chose qu’on découvre rapidement. Si tu peux te faire ta place et ne nous cause pas d’ennuis, tu nous seras utile, même si tu dois faire la vaisselle la plupart du temps. Si tu ne peux pas combattre, eh bien, tu apprendras bien assez vite.”

Il soutint son regard avec intensité.

“Mais j’ai entendu parler de la classe de [Médecin], même si je n’en ai jamais vu. Tu es une espèce de [Guérisseuse], c’est ça ?”

“Quelque chose dans le genre.”

Geneva avait menti. Elle n’avait jamais croisé de [Guérisseuse] dans ce monde, mais elle espérait que c’était proche de ce qu’elle faisait. Thriss la dévisagea, puis hocha la tête.

“Si tu me mens, nous t’utiliserons comme bouclier à flèches. Mais si ce n’est pas le cas, nous aurons plein de boulot pour toi. Tu pourras peut-être même gagner quelques niveaux. Va voir le Lézaride derrière moi pour qu’il te donne tes instructions. Bienvenue chez les Combattants.”

Ensuite, Thriss lui avait indiqué où signer et on avait assigné à Geneva une place où dormir dans le campement, un repas chaud de quelque chose ressemblant à du sable et du maïs bouilli mélangé à de la viande, et même une épée et une dague. Geneva avait dormi, se demandant avec inquiétude ce que le destin lui réservait, jusqu’à ce qu’elle se réveille au milieu de la nuit avec une réalisation soudaine.

Thriss ne voulait pas d’une [Médecin]. Ou plutôt, il prenait un risque avec elle. Mais ce qu’il voulait, réellement, c’étaient des corps. Les Combattants Raveriens partaient à la bataille, et mis à part l’argent dépensé pour la nourrir et l’équiper, elle n’était rien d’autre qu’une nouvelle épée à lancer contre l’ennemi.

Son cœur avait alors battu la chamade, mais Geneva s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle ne se réveilla qu’une seule fois dans la nuit, pour écraser les moustiques qui tentaient de festoyer sur elle. Puis elle s’était rendormie. Elle était tellement fatiguée qu’elle avait oublié de demander à Thriss de lui fournir de l’équipement chirurgical.




***



Le jour suivant, Geneva se réveilla en entendant Thriss mugir. Elle s’était réveillée paniquée et, en se dépêtrant de ses couvertures rêches, elle s’était rendue compte que les soldats autour d’elle étaient également en train de se leveri.

Thriss le [Sergent] était entré accompagné de soldats ordinaires et d’officiers et avait fait lever le ramassis de guerriers qu’il avait recruté la veille. Geneva s’était tenue, mal à l’aise, aux côtés d’une Dullahane qui tenait sa tête entre ses mains, et elles avaient regardé Thriss. L’homme n’était pas porté sur les discours. Il les avait accueillis brièvement, puis leur avait dit qu’ils allaient s’entraîner à combattre.

“Mon boulot, c’est d’ordinaire de vous former avant qu’il ne nous faille rejoindre le reste de nos forces au combat. Le souci, c’est que nous sommes déjà engagés au sud-est d’ici, et je n’ai donc qu’une journée pour voir ce que vous avez dans le ventre avant que nous n’entamions notre marche.”

Ils étaient donc bels et bien des mercenaires. Geneva s’était engagée parce qu’elle avait eu désespérément besoin de nourriture, mais la réalité ne la frappa réellement que lorsque Thriss leur annonça qu’ils allaient rejoindre une bataille dans quelques jours seulement.

“Nous sommes contre plusieurs groupes cette fois-ci. Un clan centaure local s’est allié avec la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont envoyé deux bataillons et engagé quelques groupes de mercenaires. Nous allons nous battre contre eux, pour soutenir la Compagnie de la Marche Enflammée. Ne vous inquiétez pas pour les détails ; sachez simplement que nous attendons de vous que vous vous battiez de votre mieux. Nous combattrons dans la jungle ; s’il y en a parmi vous qui soient dotés de compétences de terrain ou de connaissances de la géographie locale, parlez-en à moi ou à l’un des officiers.”

Geneva entendit quelques gémissements, mais le reste des recrues parut accepter cette information comme si elle était normale. Certaines personnes qui s’étaient engagées avaient l’air jeunes - qu’importe la race, Geneva pouvait reconnaître des adolescents lorsqu’elle en voyait. Mais d’autres ressemblaient à des vétérans, comme le Minotaure et sa massue cloutée qui dépassait tout le monde d’une tête mis à part les quelques Centaures qui s’étaient enrôlés.

“Allez, vous autres, avec moi ! Nous allons voir ce que vous avez dans le ventre, et si vous ne savez pas vous battre, vous obtiendrez votre classe de [Guerrier] d’ici la fin de la journée, croyez-moi !”

Une grande Dullahane à l’œil barré d’une cicatrice se mit à hurler sur les recrues et emporta un groupe avec elle. Geneva hésita. Elle n’était pas soldate et elle ne pouvait - ne voulait - pas se battre. Que devait-elle faire ?

Elle trouva Thriss lorsque les autres officiers se mirent à faire combattre le reste des guerriers pour les entraîner. Le [Sergent] ouvrit la bouche pour lui hurler dessus, avant que la mémoire lui revienne.

“Tu es la [Médecin], c’est ça ? Qu’est-ce que tu veux ?”

“J’ai, hum, besoin de quelques fournitures s’il me faut pratiquer des opérations.”

Geneva expliqua son problème d’un air mal assuré. Elle savait comment fonctionnait ce genre d’armée ; on recevait sa solde au bout d’un mois ou deux, et elle arrivait souvent avec du retard pour empêcher les désertions. Mais elle il lui fallait du matériel.

Thriss l’écouta, et elle fut soulagée qu’il ne se mette pas à lui crier dessus ou à l’ordonner de retourner se battre.

“Tu as besoin d’outils, hein ? Comment est-ce que je peux être sûr que tu ne vas pas t’enfuir avec l’argent ?”

“Je vous l’ai déjà dit, je suis [Médecin]. J’ai besoin d’instruments pour recoudre la chair, et je n’en ai aucun. Ne me dites pas que vous n’avez jamais vu une médecin travailler ?”

Geneva s’était exprimée d’une voix la plus assurée possible. Thriss haussa les épaules.

“C’est assez rare. La plupart des gens appliquent des potions de soin, mais j’ai vu des guérisseurs recoudre une plaie. Cela dit, pourquoi n’as-tu pas déjà tout ce dont tu as besoin, ?”

“J’ai perdu tout ce que je possédais.”

Ceci, au moins, était vrai. Elle avait tout perdu en marchant dans le couloir de son école avant de tourner et de se retrouver entourée d’un feuillage vert tout avec de la terre sous ses pieds plutôt que des carreaux stériles.

Thriss la scruta d’un œil sceptique.

“Hum. Prouve-le.”

“Comment ?”

Il montra du doigt un groupe de soldats surveillé par les officiers.

“On a toujours quelques blessures, même avec des armes émoussées. Voyons voir si tu peux aider à soigner les leurs.”

L’estomac de Geneva se noua, mais elle acquiesça. Intérieurement, elle révisait frénétiquement les notes et les travaux pratiques qu’elle avait eus en médecine. Elle n’était pas diplômée - elle n’était qu’en troisième année - ! Mais il était trop tard pour reculer à présent.

Bien assez vite, Geneva eut l’opportunité de montrer son talent. Un jeune homme - un adolescent roux avec davantage de confiance en lui que de véritable talent - ne parvint pas à relever le bouclier qu’on lui avait fourni à temps. Son adversaire lui cogna l’épaule et Geneva vit le jeune homme tomber par terre et hurler en sentant son épaule se déboîter.

“Que personne ne bouge ! Retournez à vos postes !”

Thriss joua des coudes pour traverser le cercle de soldats et fit signe à Geneva d’approcher. Il regarda le jeune homme qui se tordait de douleur par terre puis se tourna vers elle.

“La lame d’entraînement a dû casser quelque chose. Est-ce que tu peux réduire la fracture ?”

Geneva secoua machinalement la tête en regardant le jeune homme. Il essayait à la fois de toucher et de ne pas toucher son bras blessé.

“L’os n’est pas cassé. Son épaule a été luxée ; il faut la lui remettre en place.”

Les yeux de Thriss pétillèrent et Geneva vit ses lèvres tressaillir un bref instant. C’était un test, elle en était sûre.

“Est-ce que tu peux le soigner ?”

“Oui, s’il ne bouge pas.”

“Tu l’as entendue ! Ne bouge plus, garçon ! C’est juste une luxure ; pas de quoi chouiner !”

Thriss gifla le jeune homme et le maintint en place tandis que Geneva lui attrapait prudemment le bras. La peau du jeune homme était glissante de sueur et il tremblait, mais elle savait quoi faire. Il hurla et geignit, mais Geneva avait appris comment remettre une épaule en place. Du premier coup, elle parvint à remettre le bras en place et l’homme cessa de geindre et regarda fixement son bras d’un air incrédule.

“Il lui faudra quelques semaines pour se remettre.”

“Pas le temps. Tiens. Prends ça.”

Thriss sortit une fiole de verre remplie d’un liquide vert qui clapotait à sa ceinture. Geneva la regarda d’un air sceptique.

“C’est une potion de mauvaise qualité, mais ça devrait suffire. Vas-y. À moins que tu n’aies une Compétence ou un sort qui puisse faire mieux ?”

Geneva n’en avait pas, mais elle n’avait jamais vu de potion de soin agir auparavant. Elle ne pouvait toutefois pas laisser qui que ce soit se rendre compte de cela, et elle retira donc le bouchon. Le liquide vert avait une odeur incroyablement répugnante, mais le jeune homme le regardait avec espoir.

Précautionneusement, Geneva versa un peu de liquide vert sur l’épaule, et regarda avec incrédulité la chair déjà enflée dégonfler et l’homme pousser un soupir de soulagement. La zone avait toutefois encore l’air à vif, et Geneva ajouta donc un peu de potion jusqu’à ce que tout lui paraisse être rentré dans l’ordre.

“Bien !”

Thriss récupéra la potion aux deux tiers pleine que Geneva lui tendait et se leva. Il tendit la main au jeune homme qui la saisit. Il se mit à rouler des mécaniques et à rire comme s’il ne s’était rien passé.

“Je n’aurais pas gaspillé de potion pour toi, mais on a une bataille qui nous attend, et tu ne nous sers à rien si tu n’as qu’un bras !”

La voix de Thriss résonna dans le campement et les soldats interrompirent leur entraînement pour l’écouter.

“Écoutez-moi bien, restez avec nous et vous n’aurez pas besoin de chercher de potion lorsque vous aurez une flèche dans le ventre ! Nous avons du matériel de premiers secours pour vous soigner de tout sauf d’une décapitation - à moins que vous ne soyez un Dullahan - et nous avons même une [Médecin] au cas où les potions de soin ne fonctionneraient pas !”

Il pointa Geneva du doigt, et elle sentit les yeux se poser sur elle. Geneva rougit légèrement, mais elle ne chercha pas à se dérober aux regards. La partie rationnelle et calme de son esprit réfléchissait, toutefois. Thriss avait eu la potion de soin prête à l’emploi, et il s’était attendu à ce que quelqu’un soit blessé. Elle regarda le soldat qui avait combattu le jeune homme. C’était un vétéran, pas une nouvelle recrue. Ils avaient probablement orchestré tout cela pour booster la confiance des jeunes recrues, et tester l’engagement de Geneva n’avait fait qu’améliorer la mascarade.

Ses soupçons furent confirmés lorsque Thriss la ramena à sa tente et rangea la potion de soin dans un coffre qu’il ferma à clef. Il la regarda fouiller dans le matériel et lui tendit un sac dans lequel il fourra quelques pièces.

“C’était rapide. J’ai déjà vu des hommes déchirer la chair en essayant de remettre un os en place, mais cela ne t’a pris que quelques secondes.”

Il lui jeta le sac et Geneva regarda à l’intérieur. Une poignée de pièces d’argent scintillèrent sous ses yeux.

“Prends-le et achète ce qu’il te faut. Je vais demander à l’un des garçons du coin de te faire visiter.”

Histoire qu’elle ne s’enfuie pas avec l’argent. Geneva accepta le petit sac avec reconnaissance. Puis elle dut attendre que Thriss trouve un jeune Lézaride pour la guider. Pendant tout ce temps, elle continua de lutter pour accepter l’irréalité de ce qui l’entourait.

Des potions magiques qui pouvaient accomplir en en quelques secondes une guérison de plusieurs semaines ? Des soldats qui se battaient à l’épée ? Des Lézarides, des Centaures, et un peuple qui pouvait enlever leurs têtes comme des chapeaux ?

Dans quoi s’était-elle donc embarquée ?





***





Il fallut à Geneva une bonne partie de la journée pour réussir à réunir ce qu’il lui fallait, c’est-à-dire, une aiguille adaptée pour exécuter la plupart des opérations. À la vérité, elle aurait aimé trouver des antibiotiques, des anesthésiants locaux et généraux, une réserve d’aiguilles, du désinfectant…

Mais elle savait qu’elle ne trouverait rien de tout cela ici. Geneva prit donc ce qu’elle savait pouvoir obtenir, c’est-à-dire une aiguille, courbe, qui pouvait lui permettre de recoudre la chair. Des aiguilles ordinaires, droites, ne feraient tout simplement pas l’affaire.

Tout de même, même trouver ce simple instrument en ville représenta un défi. Ce n’était pas comme si ce monde - une espèce de monde médiéval rempli de magie - possédait quoi que ce soit qui se rapproche de près ou de loin à de l’équipement moderne. Geneva dut parler à trois [Couturières] avant qu’une vieille Lézaride ne lui trouve ce qu’il lui fallait.

“C’est une aiguille que j’utilisais pour coudre des tapis, Humaine, pas de la chair.”

La vieille Lézarides aux écailles décolorées scruta Geneva d’un air suspicieux, mais finit par lui vendre trois aiguilles courbes, avec du fil. Tout était extrêmement cher, mais Geneva avait encore assez d’argent pour acheter un peu de tissu et des ciseaux. Il lui fallait des bandages, et les ciseaux étaient indispensables.

Thriss avait examiné les achats de Geneva à son retour et pouffé de rire. Il avait récupéré les quelques pièces de cuivre qu’il lui restait.

“Des bandages ? Utiles si on n’a pas de potion de soin sous la main, j’imagine. Mais si tu as besoin de tissu, on a bien assez de chiffons. Demande à l’intendant s’il te manque encore des choses et prépare-toi pour la marche de demain. Il faudra qu’on parcoure au moins vingt-quatre kilomètres et tu auras ton sac à porter.”

Ensuite, Geneva s’assit avec des mâles et de femelles de différentes espèces et ils mangèrent avant d’aller dormir. L’air était chaud et humide, comme il l’était depuis le jour où Geneva était arrivée ici, et les insectes tentèrent de la mordre ou de boire son sang. Mais la nourriture dans son assiette était nourrissante, et elle pouvait même sourire et accepter les remerciements du jeune homme dont elle avait remis le bras en place.

Et lorsque la deuxième nuit était arrivée, et que les nouvelles recrues épuisées étaient allées se coucher, Geneva s’était roulée en boule sous ses couvertures et avait couvert son visage pour que personne ne la voit. Ce fut le moment où elle s’autorisa à trembler et à s’étouffer sur ses peurs.

Qu’était-elle en train de faire ? Elle n’avait pas de véritable équipement. Elle avait besoin de vrai matériel chirurgical, pas d’aiguilles à coudre et de morceaux de tissu. Elle avait besoin de forceps, d’un bloc opératoire stérile, de désinfectant, d’antibiotiques, d’anesthésiants…

“Mais je n’ai pas le choix.”, murmura-t-elle jusqu’à ce que la personne qui dormait à côté d’elle grogne d’un air irrité. Elle se tut donc. Elle n’avait pas le choix. Elle devait survivre.

C’était Baleros, et les jungles étaient emplies de monstres et les espèces se battaient sans cesse. Si elle n’avait pas de travail, elle mourrait de faim ou se ferait tuer. Et une [Médecin] n’avait pas vraiment d’utilité, dans un monde rempli de potions de soin magiques.

Geneva Scala contempla l’aiguille et le fil dans son sac et les bandages, la bouteille d’eau, et la marmite qu’elle avait demandée à l’intendant. Ses mains tremblèrent en s’imaginant devoir sauver la vie de qui que ce soit avec un équipement si limité. Elle contempla l’épée et se souvint de son Serment D’Hippocrate.

Pas l’ancien serment grec qui interdisait l’utilisation d’un couteau en médecine, mais celui qu’elle s’était juré à elle-même. Elle avait adopté son homonyme, la Déclaration de Genève, et créé son propre serment.

Elle le murmura alors, moitié dans sa tête, moitié à voix haute.

“Je jure solennellement de consacrer ma vie au service de l’humanité. J’exercerai ma profession avec conscience et dignité ; la santé de mon patient sera ma priorité ; je respecterai les secrets qui me seront confiés. Je n’userai pas de mon savoir médical pour violer les droits humains et les libertés civiles, même sous la menace…”

Elle s’endormit avant d’avoir terminé. Mais les mots résonnèrent dans ses rêves. Seulement, à présent, le mot humanité n’était plus adapté. Elle devait protéger les gens. Mais elle était aussi soldate. Il lui faudrait peut-être se battre.

Elle ne pouvait faire ça. Elle avait prêté un serment plus important. Même si elle était dans un autre monde, un autre lieu où la magie existait et où les gens gagnaient des niveaux comme dans un jeu vidéo, elle avait son serment.

C’était tout ce qu’il lui restait.


[Classe : Médecin Obtenue !]

[Médecin Niveau 1 !]

[Compétence - Résistance Mineure : Maladie Obtenue ]



***




“Tu es donc [Médecin] ?”

C’était la question qu’on posa à Geneva au moins une dizaine de fois le jour suivant, où elle se retrouva à marcher sur une route de terre qui s’enfonçait dans un sous-bois de plus en plus épais. Le 4e Bataillon des Combattants Raveriens s’était mis en marche pour rejoindre le combat.

À la vérité, Geneva n’avait aucune idée d’où ils se trouvaient sur ce continent, ni où ils se rendaient. Elle n’était même pas sûre de savoir pour quoi ils se battaient, ce qui étonnait beaucoup les soldats qui avaient décidé de lui parler pendant la marche.

Elle était dans la 6e Escouade, sous le commandement de Thriss lui-même. Leur groupe - et, pour tout dire, la majeure partie du bataillon - était humain. Oh, il y avait bien quelques Centaures, Dullahans, Lézarides et même un Minotaure qui marchaient avec eux, mais Geneva comprit que les espèces restaient d’ordinaire entre elles, même au sein des groupes de mercenaires.

“C’est plus facile de coordonner les attaques si tout le monde est majoritairement de la même espèce. Et puis, eh, il faut bien qu’on se serre les coudes entre Humains, pas vrai ?”, déclara le jeune homme roux qui avait été le premier à rejoindre Geneva pendant la marche. Il portait le sac à dos qu’on lui avait fourni sans grande peine et ne cessait de caresser la garde de son épée avec une excitation évidente. Geneva entendit quelqu’un pouffer et vit que les trois hommes et les deux femmes qui marchaient avec eux se moquaient de lui.

“Ne prête pas attention à Lim. Il ne sait pas de quoi il parle. Nous serions bien mieux lotis si nous avions quelques Dullahans de plus dans notre compagnie. Ils ont de l’armure en guise de peau ; tout ce que possède Lim, c’est une grande bouche et une épaule branlante.”

“Hey !”

Lim parut blessé lorsque Geneva éclata de rire. La femme qui avait parlé - Clara - avait la peau sombre, semblable à celle d’une Amérindienne, ce qui ne fit que convaincre davantage Geneva que ce n’était qu’une version tordue des Amériques. Quelque part au Brésil, ou encore en Amazonie - comme la végétation et la chaleur et l’humidité constantes et intrusives semblaient le suggérer.

“En revanche, je suis surprise que tu aies eu envie de te joindre aux Combattants, Geneva. Les [Guérisseurs] ne se tiennent-ils d’ordinaire pas loin des combats ?”

“Je suppose que si. Mais je n’ai plus d’argent, et c’était ma seule option.”

Clara hocha la tête d’un air compatissant.

“Mais tout de même, si tu ne participes pas aux combats, tu devrais mieux t’en sortir que Lim. À quoi servent les [Médecins], de toute façon ? Les potions de soin n’ont-elles pas rendu ta classe obsolète ?”

“Peut-être que si.”

C’était ce qui inquiétait Geneva. Elle secoua la tête.

“Mais les potions de soin ne fonctionnent pas sur tout, pas vrai ?”

“C’est vrai.”

Un homme avec une barbe épaisse et un crâne chauve hocha sagement la tête. Il possédait plusieurs cicatrices et Geneva se demandait si elles avaient guéri naturellement ou si la potion de soin n’avait pas complètement fonctionné.

“Une bonne potion de soin peut te ressouder quelques os et réparer ta peau, voire même tes boyaux, mais les mauvaises ne font que te guérir en partie. Et puis, eh, tu crois vraiment qu’on a suffisamment de potions pour soigner tout le monde ? Thriss a monté un joli spectacle tout à l’heure, mais si tu comptes te faire soigner à chaque fois que tu prends un coup, alors tu ferais mieux de t’enfuir tout de suite. La seule manière de rester en bonne santé, c’est de ne pas prendre de coups.”

Les autres soldats hochèrent la tête et Lim parut brièvement inquiet.

“Mais on ne sera pas tant en danger que ça, si?”

“Hah ! Contre des Centaures ? Ils galèrent peut-être dans la jungle, mais trouve-leur une plaine dégagée et ils te bourreront de flèches tellement vite que tu n’auras même pas le temps d’attraper ton bouclier.”

“Ce ne sont pas les Centaures le problème, là. Je m’inquiète plus de la Compagnie des Magemarteaux. Ils ont des mages salement doués.”

“Ce ne seront pas tous des mages, si ?”

Là encore, tout le monde se moqua de Lim. Il rougit violemment, mais jeta un regard en coin à Geneva. Elle fit mine de ne pas l’avoir remarqué - il ne pouvait pas avoir bien plus de seize ans, et elle en avait vingt-quatre, bientôt vingt-cinq.

“Ils ont probablement une majeure partie de guerriers et une poignée de mages par escouade, voire moins. Et nous avons nos propres mages, donc on ne sera pas seuls. Mais retiens bien ce que je te dis, il y aura de sales sorts là-bas.”

“Mais on ne va pas se battre contre eux tout le temps, si ?”

“Bien sûr que non ! Tu crois vraiment qu’on va tous les tuer jusqu’au dernier ? Non, on essaie de repousser leur compagnie. Si on en tue suffisamment - ou qu’on conquière suffisamment de terres, leur Commandant signera probablement un traité de paix. Et ensuite, on récupérera tous notre solde et on pourra aller s’enivrer pendant une semaine ou deux.”, répondit Clara à Lim sous l’oreille très attentive de Geneva. Elle était dans ce monde, à Baleros, depuis une semaine, et elle avait survécu surtout en faisant mine de connaître les principes de base de ce monde. Mais elle restait encore tristement peu éduquée, et les gens qui marchaient à ses côtés étaient les premiers auxquels elle pouvait poser franchement ses questions.

“La Compagnie des Magemarteaux essaie de protéger une mine d’or trouvée par une tribu centaure. C’est ce que j’ai entendu dire. Ils vont partager les bénéfices, mais surprise, la Compagnie de la Marche Enflammée affirme que la mine est à eux parce qu’ils ont un contrat sur cette zone.”

Plusieurs personnes hochèrent la tête d’un air docte. Lim parut décontenancé.

“Mais qui a raison ?”

“Qu’importe ? On est payés pour se battre, pas pour choisir un camp. Ne te mets pas une Compagnie à dos, garçon.”

Le soldat chauve assena une taloche à Lim. À ce qu’avait compris Geneva, Baleros était un continent unique dans le sens où malgré la présence de nations, de pays, de royaumes et autres, la plupart des combats étaient menés par des mercenaires, qui pouvaient être soit de petites troupes comme les Combattants Raveriens, soit des Compagnies énormes composées de multiples régiments de soldats qui étaient presque constamment impliqués dans des conflits.

“Bien sûr, les Compagnies sont plus ou moins des nations en elles-mêmes.”

Clara parut surprise lorsque Geneva lui posa une question à ce sujet.

“Tu es nouvelle sur Baleros, c’est ça ? Eh bien, il y a un nombre incalculable de compagnies qui possèdent leurs propres cités et villes où elles tiennent leur quartier général. Elles ont des contrats et gagnent de l’argent en protégeant des zones, et elles envoient leurs propres armées au combat. Les plus grandes ont de l’influence, des représentants dans d’autres nations, voire des organisations mercantiles entières qui les approvisionnent exclusivement !”

Geneva hocha la tête.

“J’ai entendu dire que les Quatre Compagnies de Baleros sont les plus grandes. Mais je ne sais rien sur elles… pourquoi est-ce que tout le monde ne les rejoint pas ?”

“Les Quatre Compagnies ? Bien sûr, si tu es un officier ou un vétéran, elles te traitent bien. Mais tu peux avoir un meilleur salaire et de meilleures opportunités de remporter du butin et des niveaux dans un groupe de mercenaires. Et en plus, quand elles partent en guerre, les gens meurent par dizaines de milliers.”

Le chauve secoua la tête et cracha. Beaucoup de soldats l’appelaient “Le Vieux”, mais son véritable nom était Fortum. Il discutait en se servant de la lance qu’il tenait entre les mains comme bâton de marche, et sa bouche était un assortiment de dents jaunes et de trous clairement visibles.

“Elles sont plus ou moins à égalité - enfin, ce n’est pas comme si elles se battaient entre elles la plupart du temps. Cela bouleverserait l’équilibre, et si deux Grandes Compagnies combattaient, les deux autres attaqueraient la vainqueuse, s’il y en avait une. Mais maintenant qu’on en parle… Lim, tu connais les Quatre Grandes Compagnies, pas vrai ? Parles-en à la jeune fille, d’accord ?”

“Moi ?”

Lim sursauta et rougit. Il s’éclaircit nerveusement la gorge.

“Eh bien, il y a la Légion Cuirassée - les Dullahans...”

“Les Dullahans sont une bande de salauds en armure. Ils sont principalement basés au nord. Ils ont au moins dix-huit cités sous leur protection.”, l’interrompit Fortum.

“Eh bien, oui, mais leur chef est un Dullahan, pas vrai ?”

“Comme si ça changeait quelque chose ! Ils prennent n’importe qui, tant qu’il a une bonne armure. Je doute que tu trouverais beaucoup de boulot chez eux, Geneva. Toutes leurs troupes sont des dures à cuire et leurs Dullahans ont des armures de métal.”

Le Vieux indiqua d’un signe de tête quelques Dullahans en train de marcher dans une escouade devant eux. Geneva tourna la tête, et vit que la “peau” de ces Dullahans était faite de bois et non de métal. Elle avait été surprise de remarquer que bien qu’apparemment, les Dullahans étaient tous couverts d’armure sauf au niveau de la tête, la qualité de leur armure variait de l’un à l’autre.

“Il n’y a pas grand-chose à soigner chez des gens en armure, pas vrai ?”

“Peut-être.”

Geneva ne pouvait qu’imaginer les blessures qui pouvaient en résulter. Des os broyés, des armures transpercées… elle frissonna en s’imaginant essayer de reconstituer une main écrasée sans équipement. Elle n’était même pas sûre de pouvoir aider quelqu’un qui se ferait transpercer par une épée ici.

“Bref, ils se querellent toujours avec la Compagnie du Vent qui Souffle. Principalement des Centaures, mais ils ont aussi beaucoup de soldats à cheval. Ils sont spécialisés dans les attaques éclairs - tu te crois en sécurité, et une seconde plus tard, leurs armées te fondent dessus dans la nuit. Pas si doués que ça dans la jungle et les hauteurs, cela dit.”

Baleros n’était pas composée uniquement de forêts profondes et de jungles. Il y avait aussi de larges plaines ouvertes et des paysages merveilleusement pittoresques - ou du moins, c’était ce que Geneva avait entendu dire. Si cela ressemblait un tant soit peu aux Amériques, elle s’attendait à ce que la partie septentrionale du continent soit bien plus froide.

Elle était née dans le Wisconsin, et elle avait beau descendre d’une lignée italienne et avoir régulièrement visité son pays d’origine… cette humidité la tuait. Elle donnerait n’importe quoi pour un peu de neige. Apparemment, c’était l’hiver, mais pour une raison inconnue, il avait été retardé. Elle avait entendu les Esprits de l’Hiver être mentionnés dans ce contexte, mais Geneva n’avait encore aucune idée de ce dont il s’agissait.

“La Légion Cuirassée et la Compagnie du Vent qui Souffle sont spécialisées, mais les deux autres ont des méthodes plus diversifiées. L’Aile Oubliée, par exemple…”

“C’est l’armée menée par le Fadet, c’est ça ?”

“Le Titan en personne. Oui, ils se sont hissés sur le devant de la scène il y a de cela une vingtaine d’années. Ils ont écrasé un nombre incalculable d’autres compagnies, et leur numéro deux est le Titan, le plus grand [Stratégiste] du monde.”

Fortum hocha la tête, et Geneva se demanda ce qu’était un Fadet. Le Vieux se racla la gorge.

“Cela dit, leur Commandante est tout aussi terrifiante. Le Titan mène leurs armées tandis que la Traqueuse aux Trois Couleurs élimine les officiers ennemis. Ils n’ont pas autant de contrats sur le long terme que les autres, mais ils représentent une force grandissante, et ils se sont battus avec la Légion de Fer. Et enfin, la dernière compagnie…”

Une embuscade ! Des centaures dans les arbres !, hurla quelqu’un plus loin devant eux. Geneva leva les yeux, et soudain, elle aperçut les flèches.





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