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 The Wandering Inn [Fan-traduction] [Fantastique] [Aventure]

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EllieVia
   
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EllieVia  /  Clochard céleste




2.47 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia

Erin se démarquait, dans la foule. Ryoka le remarqua en attendant Erin près d’un grand bâtiment avec le symbole d’une baguette ailée peinte sur un panneau. Elle vit que cela ne posait aucun problème à Erin de faire coucou à un aventurier ou à un garde en train de marcher dans la rue. Les autres citoyens gardaient leurs distances avec les gens armés à moins de les connaître, mais Erin était dénuée de peur. Et les guerriers, surpris, lui répondaient d’ordinaire d’un geste de la main ou d’un sourire maladroit.

Erin ne remarqua que le regard étrange que lui jeta Ryoka avant d’ouvrir la porte. Elle pénétra à l’intérieur, et le changement de température la fit hoqueter.

“Il fait tellement chaud !”

En effet, on aurait presque dit qu’elles venaient de changer de climat. Et pourtant, il n’y avait pas de cheminée dans la pièce immense qui leur faisait face. Un grand escalier courait le long d’un mur. Ryoka jeta un œil au chambranle de la porte.

“Des runes chauffantes ou un truc du genre. Ça a l’air cher.”

Elle laissa Erin avancer dans la pièce. Ni Ryoka, ni Erin n’avait jamais posé les pieds dans un bâtiment de ce genre, et elles admiraient toutes deux les lieux avec surprise, voire admiration.

Ce bâtiment, qui n’était pas une Guilde de Mages, était pour le moins luxueux. Le plancher, lisse et constitué d’un bois riche, brillait à la lumière des lampes flottantes magiques qui illuminaient la pièce d’une lumière claire et constante. Au-dessus du hall d’entrée au rez-de-chaussée se tenait un deuxième étage où plusieurs réceptionniste s’affairaient à s’occuper de la file de clients.  La queue n’était pas trop importante, mais ceux qui patientaient semblaient tous riches, ou employés par de riches maisons. Les deux aventuriers patientant seuls dans leur propre file d’attente représentaient l’unique exception à la règle.

Ryoka mena Erin à cette file d’attente-là. Erin admira, fascinée, les morceaux de papiers sur lesquels écrivaient les gens au comptoir. Une fois qu’une pile avait été constituée, on les envoyait à l’étage.

“Oh. Je comprends. Ils écrivent les messages pour les envoyer !”

“On dirait qu’ils préparent des carnets de commandes et que les mages n’arrivent que plus tard dans le processus. Il faudra peut-être un petit moment avant que notre message ne soit envoyé.”

L’aventurier qui les précédait venait de finir de poser sa commande, et l’homme au comptoir fit signe à Erin et Ryoka d’avancer.

“Vous êtes aventurières ? Cette queue est réservée aux aventuriers et aux coursiers.”, leur déclara-t-il brusquement. Puis il remarqua les pieds nus de Ryoka et fronça brièvement les sourcils.

“Je suis Coursière de Ville. Voici mon sceau.”

Ryoka plongea la main dans sa besace et en tira un sceau scintillant sur lequel se mélangeaient l’argent et un métal bleu. Erin était fascinée par la façon dont les couleurs se mêlaient et brillaient, mais l’homme n’y accorda qu’un bref regard. Il hocha la tête et le lui rendit.

“Est-ce que vous avez un message à envoyer où à récupérer ? Le mage qui s’en occupe n’a pas reçu de messages entrants pour votre guilde.”

“Un message à envoyer.”

L’homme attrapa un nouveau morceau de papier et trempa sa plume dans l’encrier.

“Nom ?”

“C’est elle qui va envoyer le premier message.”

Ryoka montra Erin d’un geste. Erin sourit.

“Salut…”

“Nom ?”

La réponse abrupte lui donna l’impression d’être dans un aéroport.

“Erin Solstice.”

“Destination ?”

“Hum. Liscor ?”

L’homme griffonna sur son morceau de papier, sa plume se déplaçant si vite qu’Erin avait du mal à al suivre des yeux. Il écrivait plus vite que la plupart des gens ne pouvaient taper sur un clavier, et son écriture - loin d’être tachée d’encre ou illisible - était presque douloureusement droite et facile à lire.

“Et qui sont les destinataires de votre message ? Je vous prie de donner plusieurs noms si cela est possible.”

“D’accord. Selys Shivertail ou Krshia Silverfang. Selys est une Drakéide et Krshia est une Gnolle. Ou, et Klbkch ! Vous pouvez l’ajouter, lui aussi. C’est un Antinium.”

À ces mots, la plume marqua une pause. Erin vit du coin de l’œil Ryoka se couvrir les yeux d’une main et tous ceux qui l’avaient entendue se retourner vers elle. Elle rougit.

“Bah quoi, c’est vrai.”

L’homme au comptoir se remit rapidement de ses émotions.

“Très bien. Et le contenu de votre message ? Je vous prie de consulter les prix pour les messages les plus longs.”

Il pointa un panneau au-dessus de sa tête. Erin déglutit en voyant à quel point les prix pouvaient monter.

“D’accord. Hum… cela ne fait pas partie du message. Je réfléchis juste. Euh, écrivez ceci : “Salut tout le monde, c’est Erin. Je vais bien…”

Ryoka interrompit Erin, une expression peinée sur le visage.

“Annulez ça.  Écrivez plutôt : “C’est Ryoka. Je suis avec Erin à Celum. Nous allons bien, et nous essayerons de rentrer rapidement.””

L’homme écrivit rapidement leur message puis barra les mots qu’Erin avait dit. Il leur tendit le morceau de papier.

“Est-ce que tout cela vous paraît correct ? Oui ? Alors, cela fera…”

Erin se décomposa, mais Ryoka plongea simplement la main dans sa bourse et posa plusieurs pièces d’or sur le comptoir. L’homme les ramassa, puis, pour une raison inconnue, sortit une loupe pour examiner chacune des pièces.

“Que fait-il ?”

“Il vérifie qu’elles soient authentiques.”

“Oh.”

Quand il eut terminé, Ryoka récupéra quelques pièces d’argent.

“Un mage enverra votre message dans la journée. S’il y a une réponse, nous la garderons une semaine avant d’en disposer. Merci.”

C’était tout. Erin se tourna pour partir, mais Ryoka hésita.

“ ...Attendez. Je vais en envoyer un autre.”

L’homme leva les yeux.

“Très bien. Votre nom ?”

“Ryoka Griffin. Le message est également à destination de Liscor, mais l’unique destinataire est Krshia Silverfang.”

Erin vit le réceptionniste écrire ces informations sur un nouveau morceau de papier et regarda le reste de la pièce. C’était beaucoup plus fastidieux que d’utiliser un téléphone, mais elle se rendait compte également d’à quel point c’était utile. Pas étonnant que de nombreuses personnes à l’allure de marchands envoyaient des messages. On pouvait recevoir de cette manière de bons conseils sur le marché des autres villes. Ou savoir quel type de monstre horrible s’apprêtait à vous y manger tout cru.

“Et le contenu du message ?”

Erin se retourna et vit Ryoka prendre une grande inspiration. Elle sembla réfléchir un instant avant de hocher la tête et de prendre la parole.

“Envoyez ceci : “Krshia Silverfang, c’est Ryoka. J’ai ce que vous voulez. Dites aux autres d’attendre mon retour.””

Le réceptionniste leva les yeux.

“Ce sera tout ?”

“Oui.”

Erin remarqua alors quelque chose, lorsque l’homme montra à Ryoka le morceau de papier. Il avait eu l’air de s’ennuyer lorsqu’elle lui avait parlé, mais il avait eu l’air nettement plus intéressé lorsque Ryoka avait dicté son message cryptique. Ce qui avait d’ailleurs également été le cas de la femme assise au comptoir à côté d’eaux… ainsi que celui de l’homme derrière le comptoir. Ils détournèrent toutefois le regard lorsqu’Erin les fixa.

Ryoka paya le deuxième message puis elles se dirigèrent vers la sortie. Erin raconta à voix basse ce qu’elle avait vu à Ryoka mais cette dernière ne fit que hausser les épaules.

“Inutile de parler à voix basse, Erin. Je parie qu’il y a des sorts pour enregistrer nos moindres paroles. Et je parie que plusieurs personnes liront ce message ou le feront passer avant que qui que ce soit ne le lise à Liscor.”

“Vraiment ? Comment tu le sais ?”

Ryoka eut un sourire en coin.

“Parce que la connaissance, c’est le pouvoir, ou l’argent. Les sorts de [Message] n’ont pas l’air d’être si bien encryptés magiquement que ça pour commencer, mais le fait que ce soient des secrétaires qui gèrent le courrier signifie que de nombreux secrets sont sans doute vendus ou gardés. La plupart des gens l’ignorent sans doute, mais je parie que tous ces [Réceptionnistes] lisent les messages avant de les envoyer.”

Elle n’avait pas pris la peine de chuchoter. Un homme riche et gras en train de se dandiner vers la sortie jeta un regard frappé d’horreur à Ryoka, et Erin grimaça devant les regards noirs que lancèrent les réceptionnistes à Ryoka.

“Tu en es sûre ?”

“C’est la nature Humaine. Mais je n’ai rien dit qu’ils ne soient en mesure d’utiliser ; tant que nos amis savent que nous allons bien, c’est parfait.”

Elles étaient à présent sorties du bâtiment. Le rupin avait fait demi-tour et courait à moitié vers le comptoir pour confronter l’une des secrétaires qui était dans tous ses états. Au cas où, toutefois, Erin baissa la voix.

“C’était quoi, ce message à Krshia ? Tu as quoi ? Une livraison ?”

Ryoka ne tourna pas la tête, mais elle donna un coup de coude à Erin. Pas trop fort.

“C’est privé. N’en parlons pas ; je suis sûre que les sorts peuvent s’étendre en-dehors des bâtiments, et puis, il y a les Compétences.”

Erin resta donc inquiète pendant deux rues entières, jusqu’à ce que Ryoka s’arrête pour la rassurer.

“Ne t’inquiète pas ; les Coursiers ont l’habitude de transporter toutes sortes de secrets. Je doute qui quiconque se mêle trop de mes affaires, je préfère juste être prudente.”

“Tu réfléchis vraiment différemment de moi, Ryoka. J’essaie juste de ne pas me faire bouffer par un monstre et de faire de bonnes choses à manger.”

“Chacun ses talents. Ne t’inquiète de rien. Pour l’instant, il faut qu’on te trouve un moyen de rentrer à Liscor.”

Erin fit la moue et elles poursuivirent leur route dans la neige. Ryoka ne paraissait toujours pas ressentir le froid alors qu’elle ne portait presque rien et qu’il s’était remis à neiger. Elle donnait froid à Erin.

“Je ne sais pas comment on va pouvoir faire ça, Ryoka. J’ai laissé mon traineau hors de la ville, mais il n’y a personne pour le tirer. À moins que tu… ?”

“Non. J’imagine que nous pourrions acheter un cheval et que je pourrais courir avec toi, mais c’est risqué.”

“Risqué ? Pourquoi ?”

Ryoka eut l’air excédée.

“Les routes ne sont pas sûres, Erin. Les routes principales, ça va, mais il y a toujours le risque de tomber sur un monstre ou des bandits. Je peux distancer la plupart des monstres et je possède plusieurs objets utiles, mais même à cheval, tu représenterais une cible facile.”

Ryoka donna un coup de pied dans un tas de neige en fronçant les sourcils, sans se soucier des regards des piétons.

“Ça va être compliqué de te ramener chez toi rapidement et en toute sécurité. Les gens voyagent d’ordinaire en caravane, mais elles sont lentes. On pourrait embaucher des aventuriers pour te protéger, mais ce serait très cher.”

“Des aventuriers ? Ce n’est pas un peu exagéré ? Écoute, Ryoka, je ne sais pas monter, mais pourquoi ne pas simplement rentrer toutes les deux ? Tu connais les arts martiaux et j’ai quelques compétences. Si on achète quelques trucs chez Octavia, on pourra probablement s’occuper de la plupart des monstres, non ?”

La jeune fille réfléchit à la suggestion d’Erin.

“J’ai déjà acheté des potions et des sacs chez elle. J’imagine que c’est une bonne idée, mais… bon sang. Je ne sais pas s’il y a des monstres dangereux ou des bandits dans le coin. La Guilde des Coursiers le saura, j’imagine.”

“Oh, tu as besoin d’aller les voir ? Si tu veux, je peux attendre…”

Ryoka secoua la tête.

“J’y passerai plus tard. Je veux te ramener à Liscor avant de prendre de nouvelles requêtes. Mais je peux aller demander des informations. Okay. Disons qu’on y va toutes les deux. Il nous faudra quand même des provisions, d’autres potions et des sacs de chez Octavia, un putain de cheval… je me demande si on peut en louer un…”

Erin gargouilla.

“Est-ce qu’on peut en discuter en allant dîner ? Je n’ai rien mangé depuis des lustres.”

Ryoka non plus, en fait. Et lorsqu’Erin le lui rappela, les deux filles se rendirent compte qu’elles étaient affamées.

“Nous n’atteindrons pas d’autre ville avant la nuit, j’imagine.”

Erin acquiesça. Elle était fatiguée ; ce que disait Ryoka allait demander beaucoup d’efforts et elle ne voulait pas en faire là tout de suite.

“Il faudra que j’aille embêter… voir Octavia demain, dans tous les cas. Je veux faire d’autres expériences avant de partir. Et il est tard. Pourquoi n’irions-nous pas chercher une auberge ?”

“Une [Aubergiste] qui dort à l’auberge ?”

L’idée parut amuser Ryoka. Elle guida Erin dans une autre rue, et elles cherchèrent une auberge.

“Ça va être super. Tu sais, j’ai vraiment eu peur en me réveillant, mais à présent, je vois plutôt ça comme des vacances.”

“Tu vois toujours beaucoup trop le bon côté des choses.”, grommela Ryoka en poussant la porte d’une auberge. Erin la suivit à l’intérieur et sentit une vague de chaleur émanant du feu rugissant dans la cheminée la frapper en même temps que le brouhaha des voix et le fracas du métal contre de la terre cuite. Elle sentit une odeur de viande grillée et brûlée. Elle était dans une auberge.

C’était étrange. Bien que ce soit son métier, Erin n’était allée que dans deux auberges en ce monde avant cela, et l’une d’elle lui appartenait. Et ceci, clairement, n’était pas son auberge.

Déjà, elle était beaucoup plus délabrée que l’auberge toute neuve d’Erin pourvue de ses fenêtre en verre. Cette auberge n’était pourvue que de volets, pas de vitres, et Erin remarqua immédiatement des taches et de la terre par terre. Il y avait un peu plus de bazar que chez elle et un peu plus de saleté, mais tout cela était compensé par la clientèle.

Dans le sens où elle était existante, ici, plutôt qu’absente. La pièce n’était pas vraiment bondée, mais il y avait environ quatorze personnes à l’intérieur, sans compter le personnel. Deux jeunes femmes faisaient le tour de la pièce, servant à manger et à boire aux tables où des hommes et des femmes à l’air épuisé prenaient leurs repas. À l’autre bout de la pièce, un groupe de cinq aventuriers bruyants riaient et buvaient à grands bruits.

Oui, l’auberge n’était pas impressionnante, mais elle donnait l’impression à Erin qu’il y ferait bon manger et dormir. Ce n’était peut-être pas son foyer, mais elle était clairement tenue par quelqu’un qui en prenait soin, et cela valait son respect.

Ryoka balaya rapidement l’auberge du regard et se tourna pour partir.

“Viens, Erin, on y va.”

“Quoi ? Mais pourquoi ?”

Avant que Ryoka n’ait eu le temps de répondre, l’[Aubergiste], une femme dans la trentaine, se précipita hors de la cuisine. En repérant deux clientes potentielles, elle se précipita en avant avec un grand sourire sur le visage. Son tablier était légèrement effiloché, mais elle avait l’air gentille - bien que stressée. Elle ralentit en reconnaissant Ryoka, puis sourit.

“Si ce n’est pas une Coursière de Ville ! Miss Griffin, c’est bien ça ? Je vous en prie, entrez !”

Ryoka prit l’air peiné lorsque la femme s’approcha. Erin sourit et le sourire de la femme s’élargit en retour.

“Bienvenue au Lièvre en Folie ! Asseyez-vous, je vous prie.  Je m’appelle Agnès ; et je vous connais, Miss Ryoka Griffin. Vous êtes venue dans mon auberge pendant vos débuts. Vous vous souvenez ?”

Erin avait déjà remarqué ceci. Lorsque Ryoka ne voulait rien dire ou ne pas parler à quelqu’un, son visage se refermait à l’extrême et elle changeait sa posture pour se placer un peu en retrait. Elle le faisait en ce moment même, alors que la femme avait l’air très gentille.

“Désolée. Je ne m’en souviens pas. Je vous en prie, excusez-nous ; nous jetions simplement un œil.”

“Oh. Je vois. Mais si vous voulez rester, nous avons des plats tout prêts et déjà chauds.”

“Ça m’a l’air parfait !”

Erin sourit à Agnès qui lui rendit son sourire.

“Oh, et qui êtes-vous ?”

“Je m’appelle Erin. Enchantée de faire votre…”

“Un instant, je vous prie, Miss Agnès.”

Ryoka entraîna Erin plus loin avant qu’elle ne puisse se présenter. Erin la fusilla du regard ; Ryoka avait été très malpolie, mais elle-même paraissait agacée.

“Nous n’allons pas dormir ici, Erin. Nous pouvons nous permettre de dormir dans un bien meilleur établissement.”

“Quoi ? Mais elle est gentille. Et ça n’a pas l’air d’être une si mauvaise auberge…”

“J’ai connu de bonnes auberges, et celle-ci n’en fait pas partie. Ça sentait le brûlé, et il y a un groupe insupportable là-bas, et ce n’est pas bondé alors que c’est l’heure du dîner. Il y a de meilleurs endroits où manger quand on a de quoi se les payer. Allons en trouver un.”

Elle n’avait pas tort, mais Erin avait du mal à le reconnaître. Ryoka retourna vers Agnès, dont le sourire s’était légèrement affaissé. Elle avait déjà l’air résignée avant même que Ryoka n’ait pris la parole.

“Je suis désolée, Miss Agnès, mais il faut vraiment qu’on y aille.”

“Je comprends. Mais si vous voulez vous arrêter un moment, un jour…”

La femme avait l’air déçue et un peu blessée. Cela finit de décider Erin.

“Nah, viens, on reste.”, interrompit-elle Ryoka. Cette dernière se retourna pour la fusiller du regard en silence, mais Erin l’ignora. Elle sourit à Agnès, qui lui retourna un sourire de surprise beaucoup plus authentique.

“J’aimerais savoir ce que vous avez à nous proposer. Et nous aimerions rester dormir aussi, pas vrai, Ryoka ?”

Ryoka avait l’air exaspérée, mais elle lâcha l’affaire.

“J’imagine que oui. Une table pour deux, Miss Agnès. Loin de ces deux-là, s’il vous plaît.”

Elle indiqua d’un signe de tête les aventuriers qui renversaient leur boisson par terre en avalant de grandes lampées. Agnès leur adressa un sourire lumineux et les guida à une table de l’autre côté de la pièce, en discutant avec Erin avec enthousiasme.

“Oh, merci. Vous savez, c’est vraiment dur depuis que mon pauvre mari est tombé malade. Il est alité depuis deux semaines, avec une terrible fièvre, et j’essaie de faire tourner la boutique, mais je n’ai tout simplement pas ses niveaux. J’étais [Couturière] de métier avant de devenir [Aubergiste] à ses côtés…”

“Vraiment ? C’est tellement bizarre. Vous savez, je suis [Aubergiste] aussi, Agnès.”

‘Quelqu’un d’aussi jeune que vous ? Quel accomplissement ! Pas étonnant que vous soyez amie avec Miss Griffin, Miss… Erin, c’est bien ça ?”

“Je t’en prie, appelle-moi Erin. Oui, j’ai une auberge à Liscor, mais je suis, euh, en voyage pour le moment…”

Le temps qu’Erin s’asseye à une table avec Ryoka et qu’elles commandent du bœuf aux pommes de terre, le plat du jour, elle s’était complètement investie dans les ennuis d’Agnès. Elle avait même rencontré les deux serveuses, Maran et Safry, et elles étaient toutes deux joyeuses et accueillantes, bien que fatiguées. Agnès avait discuté joyeusement avec Erin avant de retourner cuisiner à la cuisine, une scène si familière pour Erin qu’elle se sentit immédiatement très proche de la femme.

Ryoka était assise, les bras croisés, et fronçait les sourcils. Elle avait refusé de prendre part aux conversations. À présent, elle attendait son plat, clairement agacée par le choix d’Erin de rester ici.

“Aw, allez, Ryoka. Agnès est sympa ! Tu ne crois pas ?”

“Ça va, il y a pire.”

C’était bien son problème. Ryoka devenait grincheuse quand les choses ne se déroulaient pas à sa façon. Erin était toutefois déterminée à rester de bonne humeur.

“Agnès a dit qu’elle te connaît depuis que tu es arrivée ici, Ryoka. Tu ne te souviens vraiment pas d’elle ?”

Ryoka haussa les épaules, mal à l’aise.

“C’est une [Aubergiste], Erin. Sans vouloir t’offenser, je dors dans un sacré nombre d’auberges, avec mon boulot.”

“Tu te souviens de moi, pourtant.”

“Tu as tendance à sortir du lot, Erin. Ici…”

Ryoka ne termina pas sa phrase. Elle haussa les épaules, l’air sombrement résigné.

“Mangeons. On pourra discuter pendant le dîner.”

“Ooh ! Je crois que j’aperçois nos assiettes.”

Erin se tourna sur son siège et sourit lorsque Safry sortit de la cuisine, tenant en équilibre deux assiettes et deux verres - de l’eau bouillie et du lait. Ryoka soupira.

“N’espère pas trop te régaler. Les plats ne sont pas toujours aussi bons qu’à ton auberge, ici.”

“Tu es si pessimiste, Ryoka ! Enfin, ça ne peut pas être si mauvais, si ?”

“Pitié, dis-moi que tu ne viens pas de dire ça.”



***


C’était en tout point le repas auquel s’était attendu Ryoka, et, clairement, ce n’était pas celui qu’Erin avait imaginé. Elle vit le visage d’Erin réagir ostensiblement à la vue de la viande légèrement brûlée et aux pommes de terre ternes que Safry posa devant elles. Ryoka tâta sa viande du bout de sa fourchette, en se demandant si elle allait réussir à en ôter le gras ou si elle devrait tout simplement commander une autre assiette et prendre les meilleurs morceaux des deux.

Safry s’excusa envers Erin en posant les verres. Elle s’entendait déjà très bien avec Erin, ce que Ryoka n’arrivait pas à croire.

“Désolée. Agnès n’a pas de Compétences. Tu es sûre de ne pas vouloir boire quelque chose de plus fort ? Ça aide à faire passer le reste.”

“Non, c’est bon. Merci, Safry !”

Erin sourit à la jeune femme, puis baissa de nouveau les yeux pour contempler son assiette. Ryoka soupira.

“Tu vois ce que je veux dire ?”

“C’est peut-être bon !”

Erin prit un air optimiste, piqua un morceau de viande et le mit dans sa bouche. Ryoka regarda Erin mâcher, essayer d’avaler, puis se retrouver contrainte de mâcher davantage. Son visage se décomposa.

“Aw.”

Leur viande avait beaucoup trop de gras et de morceaux tendineux. Ryoka piquait sa fourchette dans ses pommes de terre ; elles manquaient de cuisson et étaient aussi fades que des… eh bien, de mauvaises pommes de terre.

“On dirait que c’était le mari qui possédait tous les talents culinaires du ménage. Ça, ou alors l’auberge gagne la majeure partie de ses bénéfices en vendant de l’alcool.”

“Ryoka ! Ne sois pas malpolie !”

Erin avala sa bouchée dans un effort visible. Elle avait l’air vraiment déçue, mais elle essaya de manger un autre morceau de pomme de terre.

“D’accord, ce n’est pas bon… mais peut-être qu’Agnès ne connaît tout simplement aucune recette ?”

“Je pense plutôt qu’elle n’a jamais eu à s’entraîner avant maintenant.”

Ryoka soupira. Elle avait commencé à comprendre l’avantage que conféraient les niveaux, tout comme les désavantages qu’ils créaient.

“Son mari… j’imagine qu’il avait toutes les Compétences culinaires. Agnès n’en a pas, et elle n’a donc jamais pris la peine d’apprendre à cuisiner comme elle n’en avait pas besoin tant qu’il était dans les parages. Après tout, quel intérêt ? Quelqu’un qui possède [Cuisine Élémentaire] peut faire tout ce qu’il faut, ce qui signifie qu’à moins de vivre dans une tribu Gnolle où tout le monde se partage les tâches, les gens n’apprennent pas beaucoup de choses à moins qu’elles ne fassent partie de leur boulot.”

Ryoka mordit dans une pomme de terre et grimaça.

“Ou c’est peut-être juste elle qui est comme ça. On peut toujours trouver une autre auberge, Erin.”

“Non, on reste ici. Agnès est gentille.”

Erin arborait son expression butée. Ryoka détestait cette expression ; cela signifiait qu’Erin était déterminée à ce que l’on fasse les choses à sa façon. Elle soupira et mâcha la pomme de terre avant de la faire descendre avec une gorgée d’eau. La nourriture restait de la nourriture, après tout.

Pourquoi était-elle si mécontente, après tout ? Ce n’était qu’un repas. Après tout ce qu’il s’était passé aujourd’hui, elle pouvait bien manger un mauvais repas et dormir dans un lit plein de bosses. C’était seulement que… Ryoka s’était un peu trop habituée à la cuisine d’Erin, voilà tout.

Les deux jeunes filles supportèrent encore deux bouchées avant qu’Erin ne pose sa fourchette d’un air affligé.

“C’est vraiment mauvais.”

“Je te l’avais dit. On peut s’en aller…”

“Non, j’ai dit qu’on restait. Mais je vais aller dire un mot à Agnès.”

“Quoi ? Erin. Tu ne peux pas…”

Trop tard. Erin s’était levée et était déjà en train de se diriger vers la cuisine. Ryoka grinça des dents. Si Erin les mettait encore dans le pétrin, elle allait… elle allait…

Faire quoi, exactement ? Les souvenirs de Ryoka remontèrent à la surface et elle se vit défier un Dragon à un jeu d’énigmes. Comparé à ceci, en quoi se faire jeter à la porte par une [Aubergiste] en colère pouvait-il être bien terrible ?

Erin était partie depuis un petit moment, et Ryoka se demandait nonchalamment si elle pouvait trouver un moyen de sortir le grimoire de Teriarch et le lire sous la table. Sachant qu’il faisait pratiquement la taille de ladite table, elle doutait de pouvoir s’en sortir. Les aventuriers étaient toujours en train de rire et de l’agacer de l’autre côté de la pièce, et elle s’apprêtait à commander un verre d’alcool et à boire pour mettre fin à ses misères jusqu’au lendemain lorsque quelqu’un l’appela.

“Ryoka ? C’est toi ?”

La voix familière fit sursauter Ryoka. Elle se tourna vers l’entrée. Une jeune femme imposante à l’allure familière se tenait dans l’encadrement de la porte.

“Garia ?”

Garia Strongheart entra dans l’auberge, un large sourire accroché aux lèvres.

“Ryoka !”

Cela faisait longtemps qu’elles ne s’étaient pas vues, ou Ryoka se serait souvenue de faire attention à la force écrasante de Garia. Elle entendit ses os craquer sous l’étreinte de la jeune fille, mais Ryoka n’y prêta pas attention. Elle sourit même à Garia lorsque cette dernière s’assit à côté d’elle.

“Garia, ça faisait longtemps. Comment vas-tu ?”

“Oh, tu sais comment c’est. Je fais des livraisons, rien de spécial. Mais toi… ça fait des semaines que je ne t’ai pas vue, Ryoka ! Je ne savais même pas que tu étais en ville - personne, à la Guilde, n’a dit que tu étais là. Que s’est-il passé ? Est-ce que tu étais partie faire une livraison vraiment spéciale ? Je croyais que tu descendais juste à Liscor pour quelques temps !”

Ryoka réalisa avec un pincement au cœur qu’elle n’avait pas dit à Garia ce qu’elle s’apprêtait à faire. Elle secoua la tête.

“C’est une longue histoire. Je ne fais pas de livraisons en ce moment ; je suis avec une amie, en fait.”

“Une amie ? Toi ?”

Le visage candide de Garia était un poil trop choqué au goût de Ryoka, mais elle s’installa et Ryoka agita la main pour appeler l’une des serveuse - comment s’appelait-elle, déjà ? - et elles se mirent bientôt à papoter.

“Il y a eu du nouveau ? Où est Fals ?”

“Oh, il est en livraison. Rien de neuf - à moins que… tu as su pour Persua ?”

Ryoka grimaça.

“Dis-moi qu’elle est morte.”

“Non… en fait…”

Garia s’interrompit et renifla l’air. Ryoka leva les yeux, elle aussi.

Quelque chose avait changé. L’odeur de l’auberge, tout comme le fond sonore, avaient depuis longtemps cessé d’envoyer des messages d’alerte au cerveau de Ryoka. Mais quelque chose avait changé. L’odeur de viande légèrement brûlée avait changé, et quelque chose de nouveau et d’odorant flottait dans les airs. Le fumet leur mit l’eau à la bouche, et provenait de la cuisine.

“C’est quoi, cette odeur ? Oh, est-ce que Jerom est de nouveau sur pieds ? C’est un bon cuisinier, même si ce n’est pas vraiment le cas de Miss Agnès, qui tient l’auberge en ce moment.”

Garia prit un air coupable et chercha l’aubergiste des yeux en discutant avec Ryoka.

“Je ne m’attendais vraiment pas à te voir ici. Je reste tout le temps là parce que ce n’est pas très cher et qu’Agnès est vraiment gentille, mais les plats ne sont vraiment pas très bons. Tu peux probablement te permettre mieux, Ryoka.”

“Sans blague ?”

Pourquoi fallait-il que Garia et Erin considèrent que le fait que l’[Aubergiste] soit gentille suffisait à rendre l’auberge acceptable ? Mais Ryoka était encore troublée par la nouvelle odeur. Ses yeux s’étrécirent en voyant l’une des serveuse sortir de la cuisine en apportant un burger à l’allure familière. La serveuse l’offrit à un client et Ryoka grogna.

“Elle ne peut pas être sérieuse.”

“Qui ? Est-ce que quelqu’un a fait quelque chose ?”

Erin. Bordel. Elle et ses idées stupides. Mais Ryoka regarda tout de même d’autres assiettes sortir de la cuisine et Maran et Safry peiner à garder le rythme.

“Voici un, euh, hamburger, Miss Ryoka. [Aubergiste] Erin a dit que vous alliez vouloir en prendre un.”

Ryoka contempla le burger, son bun toasté et son steak épais et bien grillé. C’était un burger maison avec tous ses assortiments ; apparemment, Erin avait même fait une mayonnaise qu’elle avait mise sur les frites.

Comment diable pouvait-elle cuisiner si vite ? C’était sans doute sa compétence de [Cuisine Avancée], mais elle restait tout de même bien trop rapide pour que ce soit humainement acceptable. Ryoka gargouilla lorsqu’elle contempla le merveilleux burger, bien loin de l’assiette qu’elle avait repoussée.

“Est-ce que c’est… qu’est-ce que c’est, Ryoka ?”

Garia regardait le burger d’un air affamé, et même Safry avait l’air de vouloir en prendre un bout. Ryoka grogna et prit l’assiette.

“Dis à Erin d’en faire un autre pour Garia. Et si elle fait encore à manger…”

“Oh, c’est le cas. Vive comme l’éclair, celle-là. Elle a [Cuisine Avancée]. N’est-ce pas incroyable ?”

“[Cuisine Avancée] ? C’est très impressionnant. Ryoka, tu connais la nouvelle cuisinière ?”

“C’est mon amie. Elle a décidé de filer un coup de main à ton aubergiste. C’est une [Aubergiste], elle aussi.”, grommela Ryoka entre deux bouchées de burger pendant que Garia la pressait de questions. La viande juteuse la rasséréna, et Garia faillit se décrocher littéralement la mâchoire lorsqu’elle reçut le sien et le goûta.

“C’est délicieux ! Et c’est quoi, ça ? Qu’a dit la serveuse ? Des frites ? Oh ! C’est de la pomme de terre ! Ton amie est incroyable, Ryoka !”

Elles dévorèrent toutes deux leur repas et Ryoka vit l’ambiance de la pièce changer. Les dîneurs ne s’étaient pas précipités sur leurs repas, mais à présent, tout le monde, de l’ouvrier fatigué aux aventuriers, avaient trouvé un estomac séparé pour manger les plats de bien meilleure qualité d’Erin. Les plats sortaient à toute allure de la cuisine et, en accord avec la loi du commerce, l’ambiance chaleureuse et les bonnes odeurs attirèrent d’autres clients.

“Et voilà qu’elle discute avec les clients, à présent. Merveilleux.”

Ryoka essaya de capter l’attention d’Erin, mais cette dernière avait de nouveau quitté la cuisine et discutait avec animation avec les gens, suivie d’Agnès qui lui jetait des regards admiratifs.

Garia mâchonnait son deuxième burger, mais elle s’arrêta pour dévisager Erin.

“Elle a l’air tellement… tellement normale. Rien à voir avec toi, Ryoka. Comment l’as-tu rencontrée ?”

Devait-elle lui dire la vérité ou pas ? Ryoka était en train de se demander si elle allait répondre à la question de Garia lorsqu’elle remarqua qu’il y avait du grabuge à l’autre bout de la pièce.

Les aventuriers n’étaient clairement pas un groupe de rang Or comme Halrac et la Chasse aux Griffons, mais ils se vantaient de toute évidence bien assez pour deux groupes de leur taille. Ils riaient, racontaient des blagues grossières et dérangeaient globalement tout le monde depuis que Ryoka était entrée. Ils étaient de plus en plus saouls. Elle les détestait déjà, mais apparemment, même l’équipe entièrement masculine avait apprécié la cuisine d’Erin.

Malheureusement, cela n’avait fait que les exciter encore plus. Ryoka vit l’un d’eux attraper Safry par le bras lorsqu’elle vint remplir leurs chopes. Elle essaya de se dégager, mais alors l’un d’entre eux empoigna sa poitrine pendant qu’un autre lui tâtait les jambes.

Elle savait que c’était commun à une époque où les poursuites judiciaires et les règles sur le harcèlement sexuel n’existaient pas, mais en voyant cela, le sang de Ryoka ne fit qu’un tour. Safry finit par se dégager, de toute évidence bouleversée, mais les hommes ne firent que rire encore plus fort. Ryoka gronda et essaya de se lever.

“Ryoka. Ne commence pas de bagarre, s’il te plaît.”

Garia avait vu la même scène que Ryoka, mais elle avait davantage l’air mal à l’aise qu’en colère. Elle essaya de forcer Ryoka à se rasseoir mais cette dernière regardait les aventuriers d’un air mauvais. Ils étaient cinq et deux d’entre eux étaient encore en armure. Ryoka brûlait d’envie de chercher la bagarre, surtout avec le type qui avait donné une fessée à Safry lorsqu’elle était partie.

Elle avait deux options. Faire quelque chose, ou ne rien faire. La majeure partie de l’esprit de Ryoka lui disait de se lever et d’aller défoncer la gueule des aventuriers, mais l’autre partie et Garia lui disaient que c’était une mauvaise idée.

“Arrête, Ryoka ! Tu vas nous mettre dans le pétrin et tu pourrais te faire blesser !”

C’était vrai. Ce n’était pas son combat, et les hommes s’étaient contentés de traiter Safry comme un objet. C’était tout. Parfaitement normal. Ryoka serra le poing, puis sentit les doigts manquants sur sa main.

Elle baissa les yeux. Il y avait des moignons à cet endroit. Elle oubliait parfois, à présent, qu’elle avait perdu ses doigts. Garia ne l’avait même pas encore remarqué ; Ryoka avait gardé sa main droite sous la table. Elle avait perdu ses doigts en se surestimant. Une malédiction, peut-être, mais le Gobelin qui les lui avait arrachés l’avait prise par surprise. Et ce n’était qu’un Gobelin. Il suffisait d’une seconde, d’une erreur…

Elle contempla sa main. Puis l’homme. Lentement, Ryoka se réadossa à sa chaise. Le moment était passé.

Bouillante de colère, Ryoka se rassit. Les aventuriers ne l’avaient même pas remarquée. Elle les observait à présent, et voyait à quel point Maran et Safry ne voulaient clairement pas s’approcher de leur table. Mais, trop vite, leurs chopes se vidèrent, et ce fut Maran qui les approcha cette fois-ci pour leur servir une autre boisson.

Cette fois-ci, il y eut davantage de blagues et de mains se baladant là où elles n’avaient rien à faire. Garia serra le bras de Ryoka d’une main assez forte pour la faire tenir en place. Maran rougit lorsque l’un des hommes essaya de tirer sa blouse vers le bas.

Là encore, Ryoka lutta pour se dégager, mais cette fois-ci, Erin avait vu la scène alors qu’elle discutait avec Agnès et un homme plus âgé à une table. L’instant suivant, elle était dressée devant Maran, et repoussait les mains de l’homme. Ryoka entendit sa voix résonner dans l’auberge.

“Ne recommencez pas, je vous prie.”

Le silence s’abattit sur toute la pièce. La bouche de Garia s’arrondit en un “o” d’horreur parfait, et Ryoka vit des hommes et des femmes marquer une pause pour dévisager les aventuriers. Les cinq hommes s’étaient immobilisés. Agnès paraissait horrifiée. Erin était calme.

“Hey maîtresse, ce n’était pas méchant. Nous étions juste amicaux !”

Ryoka entendit ces mots ivres, qui résonnaient avec d’autres phrases qu’avaient dites des hommes et des femmes pendant des fêtes et qu’elle avait appris à mépriser. Elle serra les dents, mais Erin était toujours calme. Elle adressa un large sourire aux aventuriers.

“Je vous prie de ne pas toucher Maran. Elle essaie juste de faire son boulot, d’accord ?”

“Sinon quoi ? Nous avons payé en bon argent pour nous asseoir ici. Vous ne savez donc pas qui nous sommes ? Nous sommes les Épées Brillantes de Celum !”, s’exclama l’un des hommes d’un air fier, comme s’il s’attendait à des applaudissements. Erin ne cilla même pas.

“Ouais, mais vous restez des invités. Et c’est mon… l’auberge d’Agnès. Mais c’est moi qui m’en occupe ce soir. Si vous ne vous calmez pas, je vous virerai à coup de pieds aux fesses.”

Cette fois-ci, tous les aventuriers se figèrent, et Ryoka entendit les gens s’éloigner lentement d’Erin. Mais elle ne cligna même pas des yeux lorsque les hommes, pourtant de grande taille, la dévisagèrent. Puis l’un d’eux éclata de rire, un rire forcé qui paraissait trop jovial pour être honnête.

“Très bien. Nous ne la toucherons plus. Je vous le promets, bonne maîtresse.”

“Super !”

Erin sourit et se détourna pour partir. C’est le moment que choisit l’homme pour tendre la main et lui claquer les fesses.

Tout le monde se tut. Ryoka renversa sa chaise, mais Erin réagit au quart de tour. Elle se tourna et regarda l’aventurier qui souriait droit dans les yeux. Il la narguait d’un air goguenard.

Le poing qui s’écrasa sur son nez l’envoya bouler au fond de sa chaise. Il s’écrasa au sol et ses copains regardèrent fixement Erin, sous le choc. Toute l’auberge s’était immobilisée ; le sourire de Ryoka aurait pu servir de remède à la dépression.

Puis l’un des hommes rugit et se leva de la table. Il tendit la main vers Erin, mais elle saisit une chope sur la table et l’écrasa sur son visage. Il tituba en arrière et elle leva une chaise qu’elle lui assena en pleine poitrine.

Une rixe de taverne. Erin donna un coup de pied qui retourna la table puis cogna l’un des hommes suffisamment fort pour qu’il s’étale par terre. Ryoka regarda les clients partir en courant, puis entendit une voix.

Garia était assise sur sa chaise et regardait fixement Erin qui affrontait les cinq hommes à la fois avec grand succès. Elle dévisagea Ryoka, le teint pâle.

“C’est elle, ton amie, Ryoka ? Elle est encore plus folle que toi !”

“Je sais. Elle est géniale, hein ?”

Ryoka sourit. Puis elle se tourna, fit voltiger une table et donna un coup de pied dans le dos d’un type. Il tomba sur son pote et Ryoka réussit à assener un coup de pied fouetté au type qui avait claqué les fesses d’Erin. Elle vit Erin donner un coup de pied à l’un des aventuriers à terre et sourit en voyant une assiette de pommes de terre et de viande presque intacte.

Elle venait de parvenir à l’écraser sur le visage d’un mec lorsque quelqu’un d’autre essaya de l’attraper. Mais Ryoka le cogna avec des petits coups rapides et il la manqua de son poing maladroit. C’était le chaos, c’était le bazar, mais Ryoka était beaucoup plus entraînée qu’une bande de crétins armés d’épée et complètement ivres. Et Erin assurait ses arrières.

Entre les appels de la garde et les cris, Ryoka sentit son sang pulser dans ses veines tandis qu’elle cognait du pied et du poing et esquivait les coups. Le meilleur moment de la bagarre fut lorsque Garia saisit l’un des types et le jeta contre un mur suffisamment fort pour qu’il en perde la totalité de son dîner. Et c’était avant que l’un des clients habituels décide de les rejoindre et d’aider Erin en étalant l’un des aventuriers au sol d’un coup de poing.

Ça allait être une bonne soirée, finalement.

 
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2.48
Partie 1
Traduit par Maroti

Loks s’appuya contre un immense Loup Carnassier et contempla un rêve. C’était un rêve que chaque Gobelins faisait une fois dans sa vie. C’était un souhait, une vision pour les mauvaises nuits quand les ventres étaient gonflés par la faim et ou que les Gobelins gisaient, blessés, et se vidant de leur sang au sol en essayant de dormir.

Ils rêvaient de villes en flamme.

Dans le rêve de Loks, les grands murs des villes Humaines et Drakéides tombaient en ruine. Le feu rasait leur ville, et les cris des monstres sans merci résonnaient dans la nuit noire. Pour une fois, ceux qui l’avaient chassé, chassé son peuple, étaient piégés comme des rats par le fer et le feu.

La fumée fit cligner Loks des yeux. Mais la vision en face d’elle resta intacte. Ce n’était pas un rêve.

C’était un cauchemar.

Les Humains fuyaient alors que les Gobelins s’engouffraient dans la ville. Loks les regarda dévaliser les maisons. Les Humains survivants fuirent alors que les Gobelins s’approchèrent. Ceux qui prirent la fuite furent permis de garder leur vie, ses ordres étaient clairs. Mais ceux qui levèrent une épée ou une arme périssaient. C’était aussi simple que cela.

Chaque Gobelins de la petite troupe de Loks était en train de sourire. C’était, après tout, ce dont ils rêvaient quand ils avaient été petits et pourchassés par des Humains, ou au bord de la mort après un coup d’épée d’un aventurier qui venait de brûler leur demeure. Mais Loks n’arrivait pas à sourire.

Tout ça n’allait pas.

Le seul autre Gobelin qui ne souriait pas était Garen Rougecroc. Il chevaucha, laissant son massif Loup Carnassier venir à son niveau. La monture de Loks s’éloigna du plus grand loup, Mais Garen descendit pour que Loks et lui soient au même niveau. Il se tint à ses côtés en regardant le paysage enflammé.

Lui aussi n’était pas content. Il avait dit que son approche était faible et molle, mais la victoire qu’elle avait décrochée. Il aurait préféré brûler l’intégralité de la ville, mais Loks était sa supérieure. Maintenant, il se tenait les bras croisés et s’adressa à elle alors qu’il regarda leur tribu envahir les rues.

« Ils ne nous pardonnerons jamais pour cela. Même ce que tu as fait n’est pas suffisant. »

Loks hocha la tête. Elle regarda les ruines en feu et les corps gisant au sol. Si peu des siens, mais bien trop.

Et il y avait d’innombrable mort. Des Humains gisaient là où ils étaient tombés, recouverts de flèches. Des Gobelins les entouraient ; mais les Humains gisaient en morceau là où les élites de Garen les avaient regroupés avant de les tailler en pièces.

Dans tous les cas, il y avait trop de morts ici. Trop, pour si peu.

Quand est-ce qu’elle avait pensé comme ça ? Loks ne le savait pas. Mais c’était différent, de penser aux choses en termes de perte et de gain plutôt que de vie et de mort.

Il y avait encore une grande partie de Loks qui se fichait de voir tous les Humains mourir. Mais le reste d’elle, la partie d’elle qui avait appris, savait que cela allait compliquer la vie de ses tribus. De plus, cela voulait dire que les Humains allaient envoyer des armées contre elle et non contre le véritable ennemi.

Loks plissa les yeux alors qu’il vit un groupe de Gobelins se séparer du reste pour rentrer dans ce qui semblait être une forge. Bien. Elle espérait qu’ils n’allaient pas essayer de voler l’enclume ; ils en avaient déjà une.

Ses Gobelins n’étaient pas en train de voler de manière chaotique ; ils étaient en train d’essayer de trouver ce qu’elle voulait, courant dans les flammes. Plusieurs Hobs plus audacieux que les autres entrèrent dans les bâtiments en flamme, sortant brûlée, mais avec un précieux butin.

Plus de cris. Loks pouvait entendre des mots depuis sa position. Elle vit un homme juré alors qu’un Hobgobelin avant de perdre sa main. Puis il hurla.

La famille qu’il était en train d’essayer de protéger s’enfuit alors que le Hobgobelin termina l’Humain blessé. Elle vit l’un des enfants trainés derrière. Si lent. Les enfants Gobelins courraient vite, car ils se faisaient piétiner ou tuer en traînant. Mais cet enfant tomba.

Le Hobgobelin ignora l’enfant alors que la mère s’en empara et recommença à courir. Ils n’étaient pas une menace ; ils faisaient simplement partie du troupeau terrifié qui essayait de fuir les Gobelins.

Des milliers d’Humain étaient en train de fuir, mais d’innombrables autres étaient morts. La ville venait de disparaître pour devenir un tas de cendre dénué de sens. Des armées allaient peut-être bientôt la reprendre, mais ce que Garen avait dit était vrai, donc des aventuriers de rang-Or allaient les accompagner. Mais Loks et ses Gobelins n’allaient pas être là.

Garen s’agita aux côtés de Loks. Il avait reçu plusieurs profondes entailles lors du combat, mais même la plus tranchante des épées ne parvenait pas à entièrement tailler sa peau épaisse. Il était véritablement l’équivalent d’un aventurier de rang or. Loks l’enviait, même quand elle réalisait qu’elle ne serait jamais Garen. Sa force se trouvait autre part.

Et maintenant le feu venait d’engloutir le reste de la ville. Les Gobelins s’éloignèrent du pire de l’incendie alors qu’ils terminèrent leur pillage. Loks regarda le feu devenir incontrôlable. Il n’allait pas dévorer les pierres, mais tous les Humains qui auraient put se cacher allait mourir.

Peut-être que, si elle était à l’auberge d’Erin, cela ne serait jamais arrivé. Mais Loks n’avait plus le droit d’y rentrer. Elle avait été chassée.

Les raisons avaient du sens, mais c’était quand même désagréable. Elle avait vu la petite Gnolle et l’Humaine colérique qu’Erin avait pointé et vit un reflet. Elle avait regardé l’enfant qu’Erin avait appelé Mrsha et vit quelque chose de familier dans ses yeux. Elle s’était vue. Cela l’avait rendu confuse. Loks souhaitait avoir eut une dernière chance de s’asseoir et…

Mais c’était trop tard. Bien trop tard. Et cela avait appris à Loks une importante leçon. Les Gobelins étaient seuls. À la fin, il n’y avait personne d’autre qu’eux-mêmes pour les aider.

Quelqu’un bougea à la gauche de Loks. Elle mit la main sur son arbalète, mais ce n’était rien d’inquiétant. Son escorte d’Hob et Garen s’écartèrent pour laisser passer l’un des plus petits Gobelins. Loks le regarda alors qu’il parla à Garen et lui donna quelque chose.

Garen s’approcha de Loks et lui offrit une pièce de métal et de bois. Loks la regarde. C’était rapide. Mais ils avaient le bois et le métal et avec cet équipement Humain, leur [Bricoleur] allaient pouvoir faire du bon travail.

« Ils disent qu’ils ont trouvé de nombreuses pièces dans la ville. Assez pour des centaines. »

La première arbalète brilla à la lumière des flammes alors que Loks la leva et observa l’arme mortelle. Garen la regarda d’un air désapprobateur ; il préférait se battre de manière proche et personnel. Il voyait cela comme une béquille, mais Loks voyait autre chose dans l’arbalète rudimentaire.

Les Gobelins étaient faibles. Tout le monde le savait. Les Gobelins le savaient. Pour survivre, ils devaient submerger, tendre des pièges, tricher. S’ils ne pouvaient pas être fort, alors ils allaient construire leur force.

« Et ensuite ? Attaquons-nous Liscor ? »

Garen sourit, montrant des dents ensanglantées. Il était prêt à se battre, tout comme ses guerriers. Mais Loks le surprit lui et les autres Gobelins en secouant la tête.

« Non. Au nord. »

Les trois mots furent difficiles et gênants sur sa langue. Mais elle les avait bien prononcés. Garen plissa les yeux et essaya de protester, mais Loks lui lança un regard.

La guerre était proche. Et les tribus de Loks n’étaient pas prête. Pas encore. Elle regarda au nord. Il y avait de plus grandes tribus, et plus de villes Humaines, et des lieux parsemé d’endroits qu’elle n’avait jamais vus.

Ce Seigneur des Gobelins avait une armée d’horrible chose. Une armée capable d’écraser sa tribu en quelques instants. Ils n’allaient pas le provoquer.

Pas encore.

La tribu de Loks se rassembla dans l’heure et l’intégralité du groupe se dirigea vers le nrod pour rejoindre le reste des tribus rassemblées. Loks chevaucha à la tête de son armée, ralentissant pour que les Hobs puissent tenir le rythme.

Alors que Loks chevaucha son loup, elle se souvint d’une petite Gobeline assise dans une auberge, jouant aux échecs. Elle souhaita, au plus profond de son cœur et avec des mots qu’elle n’oserait jamais prononcer, qu’elle puisse revenir là-bas.

Mais elle est plus vieille désormais. Elle ne pouvait pas revenir en arrière. Ses objectifs n’étaient plus ce qu’ils avaient été.

Devenir plus fort. Apprendre la vérité. Survivre.

Derrière elle, Esthelm continua de brûler.

***

« Je devrais vous arrêter pour ça. Toutes les deux. »

Ryoka regarda le [Garde] moustachu qui s’adressait à elle et Erin et si demandait ce qui allait se passer si elle lui mettait un coup de poing dans la tronche. Elle allait probablement se faire poignarder.

C’était une mauvaise idée. Mais elle était encore prête à partir après le combat dans le bar. Ryoka le savait. Elle croisa les mains derrière son dos, ne frappa personne, et laissa Erin parler.

« Mais ce n’était pas notre faute, Moust… Wesle. »

Erin pointa les aventuriers gémissants du doigt, seulement la moitié d’entre eux étaient conscient, et agita ses bras tandis que le garde se frotta le visage avant de soupirer.

Il était tard. Le soleil s’était déjà couché, mais les rues étaient éclairées par de nombreux brasiers, et les torches que les membres de la Garde tenaient. Ils étaient nombreux pour un petit combat de bar ; plus d’une dizaine de [Garde] étaient dans la rue, principalement regroupée autour des quatre aventuriers de rang-Bronze et de l’aventurier de rang-Argent.

C’était probablement parce qu’ils étaient nerveux en pensant à l’aventurier de rang-Argent. Mais s’ils s’inquiétaient à cause de cela, ils auraient mieux fait de surveiller Erin. Ryoka l’avait vu s’occuper de l’aventurier de rang-Argent et mettre de sacrer coup de poing aux aventuriers de rang-Bronze sans avoir la moindre égratignure.

Le combat n’avait pas vraiment été équitable. L’intégralité de l’auberge avait pris le côté des filles après que Ryoka et Garia soient intervenus. Résultat, les aventuriers donnaient l’impression de s’être fait rouler dessus par plusieurs tonneaux.

La plupart des clients étaient de nouveau à l’intérieur, buvant et fêtant leur victoire. Seule Agnes se tenait dehors avec Erin et Ryoka, visiblement inquiète. Ryoka n’arrivait pas à deviner ce qui allait se passer.

La Garde de Celum était bien différente de celle de Liscor. Premièrement, ils prenaient beaucoup plus de temps à intervenir. Ils s’étaient montrés une fois que les aventuriers furent jetés dehors comme des malpropres, et tous au même moment. Erin lui avait décrite comment des Gardes Vétérans comme Klbkch ou Relc intervenait, et ils intervenaient en moins de cinq minutes pour arrêter d’une bagarre avec une main dans le dos.

Ce n’était pas le cas ici. Et apparemment il était rare que la Garde soit appelée pour des cas ou des citoyens avaient affronté les aventuriers. Erin devait convaincre Wesle qu’elles avaient été celles qui avaient mit une raclée aux aventuriers, ce qui donnait naissance à cette étrange situation.

« Mademoiselle Erin, Mademoiselle Griffin. Vous ne pouvez pas commencer de bagarre dans cette ville. »

« Mais ils étaient des andouilles. Y’en a un qui m’a mis la main aux fesses ! »

Erin fusilla Wesle du regard. Il semblait vouloir s’arracher la moustache.

« Je comprends. Mais ce n’est pas une raison de commencer une bagarre. »

Ryoka plissa les yeux, mais Erin redoubla son regard.

« Donc est-ce que ça veut dire que tout va bien si je te met la main aux fesses ? Ou si un gars te le faisait ? »

Il s’arrêta.

« Ce n’est pas… Je n’ai pas dit que tu étais dans le mal, mais… »

« Je lui ai dit de ne pas le faire. Et il l’a fait quand même. Qu’est-ce que j’aurai dû faire ? »

« Ce n’est pas si terrible, n’est-ce pas ? »

Le regard lourd de sens que Ryoka et Erin lui donnèrent fut suivi par plusieurs femmes présente dans la Garde. Mais Wesle eut l’intelligence de se rendre compte que continuer sur cette longueur n’allait lui attirer que des ennuis et leva les mains pour se rendre.

« D’accord, d’accord. Je comprends que tu avais une bonne raison. Mais était-ce une raison de les frapper à ce point ? »

Derrière lui, l’un des [Garde] essayait de réveiller l’un des aventuriers. Mais l’homme ne se réveilla pas, probablement pour le mieux, car son visage ressemblait plus à une prune bien mûr.

« J’sais pas. Ils ont essayé de me frapper. J’ai juste mieux frappé en retour. C’était une bagarre. Est-ce que tu dirais la même chose s’ils m’avaient frappé ? C’est quoi le problème ? »

« Je… Qu’importe. »

Derrière lui, l’une des gardes féminins leva son pouce en direction d’Erin. Elle sourit et lui fit un signe de la main alors que Wesle semblait résigné. »

« Donc est-ce que tu vas nous arrêter ? »

Wesle hésita, avant de secouer la tête.

« C’était bien une bagarre, mais Mademoiselle Agnes ne s’est plainte que du comportement des aventuriers, et non du votre. De plus, il y a des lois empêchant les aventuriers d’attaquer des civils. Ils auront de gros problèmes si nous découvrons qu’ils ont commencé, mais tu dis que c’est toi qui a attaqué la première ? »

Erin hocha la tête.

« Mais l’un d’entre eux a dégainé son épée. »

« Pendant deux secondes. Puis Ryoka lui a mis un coup de pied et il l’a lâché. »

Wesle se concentra sur Ryoka et la regarda de manière suspicieuse. Elle ne baissa pas les yeux.

« Tu es une Coursière de ville, c’est ça ? Je t’ai vu entrer plusieurs fois dans l’enceinte de la ville. Tu sais que ta Guilde interdit les combats avec les aventuriers, pas vrai ? »

Ryoka haussa les épaules.

« J’en ai entendu parler. Je défendais une amie. »

Il y avait probablement une règle interdisant les combats contre les aventuriers, mais Ryoka doutait que quelqu’un l’efforçait dans la guilde. Ils allaient probablement fêter le fait que des aventuriers s’étaient fait tabasser. Et elle et Wesle le savait.

Il jeta ses mains en l’air.

« D’accord. Mais je vous préviens : ne recommencez pas. »

« Si quelqu’un me met la main aux fesses, je recommence ! »

« Je pense que personne n’essayera après ce qu’il s’est passé aujourd’hui. »

Ryoka s’agita légèrement. Ses pieds commençaient à être froid à cause des pavés gelés. Wesle la regarda de nouveau.

« Avez-vous besoin de chaussures, hum, Mademoiselle Ryoka ? Nous avons plusieurs [cordonniers] de qualité qui sont ouverts même à cette heure tardive. »

« Quoi ? Non je vais bien. »

Elle avait presque oublié qu’elle était dehors en short et t-shirt sans chaussure. Ryoka sourit devant la réaction de Wesle.

« Elle a bu de la soupe magique que j’ai faite. C’est pour cela qu’elle est dehors dans le froid. »

Le [Garde] regarda Erin, mais elle semblait honnête donc il hocha la tête comme s’il avait compris.

« Alors… Cela conclut nos affaires ici. Nous allons enfermer ces aventuriers pour la nuit et déposer plainte à leur guilde suite à cet accident. »

« Aw. Tu es sûr de vouloir partir ? Pourquoi ne pas d’abord prendre un verre à la taverne ? Et de la nourriture. C’est moi qui cuisine et tout le monde adore ! Est-ce que tu as déjà goûté un hamburger ? »

Ryoka regarda Wesla lors qu’il hésita, déchiré par l’idée de prendre un verre et quelque chose à manger. L’abandon potentiel de son poste pour une poignée de minutes ne se réalisa pas car un Coursier de Rue arriva en trompe, manquant de marcher sur l’un des aventuriers se faisant tirer par les [Gardes]

« Message urgent pour tous les [Gardes] de la ville ! »

Wesle fronça les sourcils alors que lui et deux autres membres de la Garde écoutèrent le jeune homme. Il était à peine plus vieux qu’un ado ; Ryoka le reconnaissait vaguement comme l’un des visages de la Guilde locale. Elle regarda l’expression de Wesle changé, et puis l’homme leva les voix et s’adressa au reste de la Garde.

Les deux autres [Gardes] partirent en courant, et la Garde s’agita soudainement. Le Coursier de Rue s’engouffra dans une autre allée alors que Wesle commença à marcher avec le reste de la Garde.

« Attends ! Qu’est-ce qui se passe ? »

Erin attrapa l’épaule de Wesla alors qu’il s’apprêtait à partir. Il hésita, partagé, avant de s’arrêter alors que les autres s’engouffrèrent dans les rues au pas de course.

« Nous venons de recevoir un [Message]. Une armée Gobeline vient d’attaquer Esthelm et de la raser ! Tous les membres de la Garde vont sur les murs et nous levons aussi la milice au cas ou. Je te conseille de rester à l’intérieur jusqu’à ce que nous soyons sûrs que l’armée Gobeline soit partie. »

« Quoi ? Des Gobelins ? Qu’est-ce qui se passe ? »

Ryoka attrapa Wesle. Il cligna des yeux alors qu’elle le tire vers elle, concentrée sur chacun de ses mots.

« Qu’est-ce que le message disait ? »

Il cligna des yeux, mais l’intensité de son regard le fit parler.

« Le rapport est confus. Apparemment une armée Gobeline a attaqué Esthelm dans la soirée. Ils ont ouvert les portes et ont commencé à massacrer la ville. Puis une autre armée Gobeline est apparue pour engager l’autre armée. De nombreux citoyens se sont échappés dans la confusion, mais la ville est perdue. »

Un poignard de peur et de panique se planta dans l’estomac de Ryoka, qui lâcha Wesle.

Des Gobelins. L’image du Seigneur des Gobelins, de l’armée qui avait détruit la tribu des Lances de Pierre passa dans son esprit. Pourquoi est-ce que les Gobelins étaient autant au nord ? Est-ce que c’était la même armée ? Et puis, elle continua de s’inquiéter. Qu’est-ce qui était arrivé à Mrsha ? Comment avait-il passé Liscor ? Est-ce qu’ils avaient contourné la ville ?

« Toutes les villes voisines sont en train de lever une armée pour reprendre la ville, mais cela pourra nous prendre des semaines. Et si c’est un raid de la part de ce Seigneur des Gobelins, alors son armée est bien plus grande que ce que nous pensions. »

Wesle était en train de parler de manière anxieuse à Erin. Elle semblait inquiète, mais c’était probablement parce qu’elle s’inquiétait pour son amie Gobeline, Loks. Ryoka ne s’inquiétait pas pour une Gobeline. Elle était en train d’imaginer ce qui se passerait si les Gobelins arrivaient au nord.

Ils avaient des centaines de Hobgobelins. Et des Gobelins morts qui servaient de bombes. Et leur leader, le Seigneur des Gobelins, celui avec les pupilles vides…

Ses yeux. Ryoka trembla en repensant au Nécromancien. Pas Pisces ; le véritable Seigneur de la mort, Az’kerash. Il avait le même type d’yeux.

Elle se demanda ce que cela voulait dire. Derrière elle, Ryoka entendit Erin éternuer et Wesle partir. L’air nocturne était froid, et le ciel était recouvert de sombres nuages. Avec l’absence des gardes et de leurs torches, les rues furent soudainement recouverte d’ombres, la seule lumière venant de celle qui passait la fenêtre. Ryoka trembla, l’effet de la soupe magique venait de commencer à se dissiper.

C’était une nuit d’hiver froid et sombre. Et elle avait l’impression que la nuit allait continuer de s’assombrir.

Et allait devenir plus dangereuse.

***

Venitra était dans son élément, entouré de ténèbres. Elle avait pris vie dans les ténèbres, et dans le château d’Az’kerash, le célèbre nécromancien d’Irzril, la lumière du jour était un lointain souvenir.

La femme morte-vivante faite d’os n’avait pas quitté le château depuis l’impardonnable accident qui s’était déroulé il y a une semaine de cela. L’étrange Humaine avait disparu si rapidement que même elle, Kerash et Bea n’étaient pas parvenus à la capturer. Et parce qu’ils avaient pour ordre de ne pas quitter l’enceinte du château, ils avaient ramassé les Drakéides et Gnolls morts pour les ramener à leur maître.

Maintenant Venitra attendait que son glorieux créateur termine son projet, craignant à moitié ce qu’il allait dire en apprenant son échec. L’autre moitié étant occupé par l’exaltation à l’idée de recevoir de nouveau ses ordres après tout ce temps.

Le pire cauchemar de Venitra de ne pas être à la hauteur. Le décevoir était impensable ; car elle trahirait aussi l’effort qu’il avait fourni pour la créer.

Venitra n’était pas comme Kerash ou Bea. Elle avait été personnellement désignée par Az’kerash ; elle avait pris vie à partir de rien dans son esprit parfait, non pas réanimé depuis un cadavre ou auto-créer comme les deux autres. Elle était unique même parmi les servants d’A’kerash, car elle servait leur maître et recevait ses ordres en personne.

Et maintenant elle allait être témoin de l’une de ses plus grandes créations à ce jour. Venitra regarda l’immense créature de chair et d’os terminant de se former au-dessus d’elle. Cela ne ressemblait plus à l’horrible mélange que Ryoka avait entraperçu ; maintenant la création avait atteint sa véritable configuration, c’était une créature d’une grâce cauchemardesque.

Elle flottait en l’air plusieurs tonnes de chair blanche. Deux énormes orbites béantes abritant une flame verte alors que la création commença à prendre vie. Des… membres immense luttèrent pour se dresser, des appendices de chair qui allaient projeter la créature.

Et sa tête… Une lance d’os en sortait, à moitié enfoncée dans le crâne du mort-vivant, entouré de tendon. Venitra connaissait les os et les muscles, donc elle savait à quoi cette partie allait servir. L’idée lui coupa le souffle, malgré son absence de poumon.

En face d’elle, l’homme ancien qu’elle aimait abaissa sa main. La chose morte-vivante flotta vers le bas, attendant un ordre. Il la regarda pendant plusieurs secondes, puis hocha la tête avant de se tourner vers Venitra.

Il était en train de sourire. Ses rides et ses cheveux gris ne firent rien pour atténuer l’admiration qu’elle ressentait. Ses yeux noirs et ses pupilles blanches la firent frissonner alors qu’il concentra son regard sur elle. Mais elle se baignait principalement de son sourire.

« N’est-ce pas magnifique, Venitra ? Avec cela, mon armée est presque achevée. Même les Villes Emmurées trembleront en voyant cette créature sur le champ de bataille. »

« Cela est magnifique, maître. »

Venitra prononça ces mots avec sincérité et Az’kerash hocha la tête. Il regarda sa création avec fierté, et se concentra de nouveau sur Venitra.

« Je vais avoir besoin de plus de corps, bien sûr. J’ai utilisé l’intégralité de nos réserves limitées pour créer cette créature. Nous allons devoir récupérer autant de corps que possible, mais envoyer un groupe dans l’océan sans être repéré sera difficile. »

« Maître, si vous avez besoin de plus de corps, je me porte volontaire pour… »

L’homme que peu connaissait sous le nom de Perril Chandler agita une main alors qu’elle s’inclina.

« Ne sois pas ridicule, Venitra. Tu couleras au fond de l’océan sans enchantement. Non, je pense que je vais envoyer Bea. Sa peste me permettra de moissonner des troupeaux de baleines sans endommager leur corps. »

Il regarda la monstruosité avec ce qui aurait pu passer pour de la tendresse.

« Oui, nous allons avoir besoin de six autres pour compléter notre armée. Quatorze seraient idéals, mais cela demanderait de moissonner bien plus que ce que le temps nous permet. Dans tous les cas, je testerai les capacités de ma création sous peu. Pour l’instant, fidèle servante, dit moi ce qu’il s’est passé alors que j’étais à l’œuvre. »

C’était sa seule faiblesse, si Venitra aurait admis qu’il avait une faiblesse. Quand il était concentré sur la création d’un nouveau mort-vivant, l’esprit de son maître était presque entièrement concentré sur sa création, ne se laissant pas distraire par le reste. Il pouvait toujours répondre aux questions les plus simples et se défendre si besoin, mais il serait forcé de détourner son attention sur le problème. Le résultat était qu’il… Restait très simple.

Elle s’inclina plus bas, s’attendant au pire.

« Mon maître. Lors de votre sommeil, vos servants ont commis un impardonnable pêché. »

« Vraiment ? »

Az’kerash leva un sourcil. Il regarda la femme faite d’os avec scepticisme.

« Je n’aime pas ce genre de manière théâtrale. En quoi avez-vous échoué ? »

« Nous avons permis une intrue d’entrée dans vos quartiers personnels. Une jeune femme. »

« Vraiment ? Et elle vous a tous passé ? »

« Elle n’était pas seule. Un groupe de puissant guerriers Drakéides et Gnolls la suivait. Ils sont tous morts, mais elle m’a échappé et à forcer son chemin jusqu’à vous. »

« L’ai-je tué ? »

Perril Chandler semblant s’ennuyer alors qu’il regarda sa servante agenouillée. Venitra hésita, craignant ce qu’elle allait dire au-dessus de tout.

« Non. Vous l’avez laissé partir. »

Le [Nécromancien] se figea.

« Vraiment ? »

Venitra regarda le sol, misérable.

« Votre immense sagesse vous a sûrement permit de voir quelque chose que j’ignorais. Elle clamait être une messagère… »

« Je m’en souviens maintenant. Oui… Je lui ai parlé. »

Az’kerash mit ses doigts sur sa tempe et ferma les yeux. Puis il les ouvrit, le regard perçant.

« Je m’en souviens. Oui, elle était une messagère. Elle a livré un cadeau de Teriarch. »

« Le Dragon ? »

Venitra leva la tête, désormais inquiète. Mais Peril lui fit un sourire.

« Cela n’a pas d’importance. Il m’a offert un anneau pour célébrer ma 200ème année d’existence. Il sera peut-être pratique, mais c’est tout. »

La nouvelle affligea autant Venitra que son échec. Elle ouvrit les bras.

« Nous aurions dû vous préparer des cadeaux, maître. Les Elus vont immédiatement… »

« Non. »

Perril Chandler leva une main, ses sourcils venaient de se froncer sans qu’il ne le réalise. Il regarda Venitra, soudainement inquiet.

« L’avez-vous tué ? La messagère ? Je l’ai laissé s’échapper car j’étais concentré, mais elle n’aurait jamais dû avoir le droit de vivre. Est-elle morte ? »

« Non, maître. Nous… »

« Elle s’est enfuite ? Avec la connaissance de ce lieu ? »

Le visage d’Az’kerash se déforma soudainement sous les traits de la furie. Venitra s’agenouilla de peur alors qu’il fit les cent pas devant elle, ses robes magiques se désintégrant en ombre à l’endroit ou elles touchaient le sol.

« Elle pourrait annuler une dizaine d’années de préparation ! Si elle force notre main… »

La main du mage s’illumina d’une lueur sombre et violette. Venitra craint le pire, mais Az’kerash s’arrêta. La colère disparue aussi vite qu’elle était venue.

« Non… Il est trop tard pour qu’elle puisse utiliser cette information. Je vais scruter les chefs des diverses villes. S’ils ne bougent pas vers notre location, cela veut dire que nous sommes en sécurité. »

Il rit avant de tirer sur une de ses boucles de cheveux.

« Quelle maladresse. Mais j’étais tellement confiant. Qu’un mortel puisse outrepasser ma forêt d’illusion, et échapper aussi facilement à mes gardes… »

Peril secoua la tête.

« L’arrogance est ma faiblesse, même aujourd’hui. Bien sûr que Teriarch enverrai un Coursier pour réaliser sa mission. Et ce vieil imbécile insisterait pour me faire livrer un présent, même si nous étions ennemis mortels. »

Lentement, il se tourna vers son servant agenouillé, et s’approcha de Venitra. La femme morte-vivante frissonna quand il la toucha.

« Je me suis égaré, Venitra. Je crains que je dois te demander de corriger mes erreurs. »

« Cela est mon but, maître. »

Az’kerash hocha lentement la tête, étudiant Venitra.

« Prends l’une de mes Elus et trouve cette Coursière, cette humaine. Te souviens-tu de son visage ? Oui, bien sûr. Traque-là ; suis sa trace. Pour cela Ijvani ou Oom sont les plus appropriés pour t’accompagner. »

Venitra hocha la tête et bondit sur ses pieds. Elle était déjà en train de préparer son voyage et les variables, de son point de départ jusqu’à la meilleure manière de tuer l’humaine qui les avait trouvé. De manière lente et douloureuse, bien sûr, mais qui allait aussi leur permettre de cacher le corps.

« Venitra. »

Son maître l’arrêta avec un mot. Il l’étudia et secoua la tête.

« Je n’ai pas besoin de te dire l’importance de cette mission, mais je vais tout de même le faire. Cette Coursière ne doit pas dire ce qu’elle sait, mais si elle n’a rien dit… Les Courriers étaient fameux pour ne pas prendre de côté, du moins lors de ma jeunesse. Elle peut être soudoyée. »

Il ferma les yeux, pensif. Venitra attendit ses ordres même lorsqu’elle voulait arracher la tête de l’Humaine de ses propres mains.

« Dans tous les cas, je te demanderais de prendre cette décision. Je regarderai au travers de temps yeux si besoin, mais si je suis préoccupé ou que mes sorts sont bloqués, tu dois décider si tu seras capable de la tuer ou si le coût est trop élevé. Je te fais confiance, Venitra. Sache-le. »

Venitra haussa la tête. Elle était presque tremblante devant la confiance de son maître. Elle s’éloigna vers la porte alors qu’Az’kerash l’observa, tapant du pied en courant une fois dans le couloir.

« Tellement impatiente. Mais au moins elle possède des artefacts qui l’aideront à se dissimuler. »

Perril Chandler soupira et serra les dents, se réprimandant une fois seul. Mais il mit ses récriminations de côté et considéra les ramifications de cette nouvelle.

Il serait prêt en cas de guerre. Cette dernière était proche, mais il pouvait commencer. Si cela n’était pas le cas… Alors il allait avoir plus de temps. Cette armée qui pouvait être levée contre lui ne l’inquiétait pas plus que cela.

« Teriarch. »

Le Dragon. Son présent était parfaitement aligné avec son personnage et ce qu’Az’kerash savait sur les Dragons. Et pourtant, la messagère avait échappé à ses élites morte-vivantes. Juste pour une livraison ? Et Peril se souvenait vaguement que deux armées avaient combattues aux abords de sa forêt. Et puis ils étaient partie combattre le Seigneur des Gobelins.

Est-ce que tout cela n’était qu’une coïncidence ? Peut-être ; des choses plus étranges étaient arrivées par pure chance. Mais si cela ne l’était pas ?

« Si cela n’est pas une coïncidence et qu’il me l’a amené…. Teriarch. Es-tu enfin en train de choisir ton camp ? Et lequel ? »

Az’kerash se tint dans sa pièce sombre, ignorant la bête flottant à ses côtés. Ses yeux mortels regardèrent les ténèbres et il considéra d’envoyer un message à son apprenti. Mais il serait plus intéressant de le laisser se débrouiller pendant quelque temps.

Et pourtant, Teriarch était le véritable souci. Plus que les Colonies. S’il agissait…

Le Nécromancien se tint dans son château, envoyant deux de ses sbires à la recherche d’une Humaine. Il resta debout et regarda les ténèbres.

Pensif.

 
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2.48
Partie 2
Traduit par Maroti

Les ténèbres de la cave étaient illuminées par une lumière presque unique à ce monde. L’écran de LED de l’Iphone copié de Teriarch faisait mal aux yeux de Teriarch, mais il avait déjà appris à changer la luminosité. Et il était trop fasciné par la petite chose pour s’inquiéter d’un peu de douleur.

« Hmm. Hm. Et qu’est-ce que ce bouton fait ? »

Le vieil homme que Teriarch utilisait pour se déguiser toucha impatiemment l’écran de l’Iphone. Il toucha la flèche marqué ‘Aléatoire’ et de la musique commença à jouer.

La forme Humaine de Teriarch leva un sourcil curieux alors qu’un rythme effréné s’échappa de l’Iphone.

« You change your mind like a girl changes clothes… »

Teriarch écouta la chanson en silence pendant cinq minutes. La griffe commença à taper le marbre en rythme vers la fin. Puis, il arrêta la prochaine chanson avant qu’ l’Iphone puisse la jouer.

« Fascinant. Et quelle est cette chanson ? C’est un plaisir de voir que quelqu’un connaît le mot ‘bohémien, mais est-ce qu’une [Reine] a vraiment chanté cette chanson ? Peut-être que je devrais demander des clarifications à l’Humaine… »

Il s’apprêtait à jouer la prochaine chanson quand Teriarch leva les yeux et fronça les sourcils.

« Par la barbe de Tamaroth ! Qu’est-ce qui se passe maintenant ? »

Il n’attendit pas. Il se montra désagréable dès que le papillon rose se matérialisa autour de son visage. Il fusilla l’image magique du regard.

« Reinhart. Je suis occupé. »

La voix terriblement joyeuse qui résonna dans l’oreille de Teriarch n’avait pas la moindre trace de culpabilité.

« Je m’en excuse, Teriarch. Mais vois-tu, j’ai eut un petit incident et j’ai besoin de ton aide. »

« Comment cela ? Qu’est-ce qu’il te… Oh. »

Teriarch s’arrêta, regardant l’image de la chambre privée de Magnolia alors qu’elle lui montra quelque chose. Il fronça les sourcils.

« C’est un problème. Tu vas bien, n’est-ce pas ? Tu n’es pas blessée ? Ils recouvrent leurs lames de poison, si je me souviens bien. »

Le ton de Magnolia était patient quand elle lui répondit.

« Oui Teriarch, je vais bien. »

« As-tu respiré autour d’eux ? Ce que je veux dire, c’est que nombre d’entre eux utilisent du poison qui reste dans l’air, un poison qui peut être sans couleur et sans… »

« J’ai respiré autour d’eux, mais je suis certaine que cela n’affectera pas ma santé. Je vais bien, sauf si je m’effondre soudainement, vieil homme. Mais j’ai besoin que tu vérifie si ma demeure est en sécurité. »

Le regarde plat que Teriarch lui donna n’impressionna pas Magnolia. Il continua de la regarda, mais vu que cela ne marchait clairement pas il se racla la gorge et lui répondit d’un ton acerbe.

« Premièrement, je ne suis pas un simple détecteur de magie que tu peux appeler comme bon te semble petite. Je suis un Dragon, et je dois être traité comme telle. De plus, as-tu oublié les plus simples des politesses pour quelqu’un de ta stature, et encore plus de ta Classe ? Nous avons de nombreuse chose qui doivent être discutés dans une véritable conversation. En vérité, je viens d’avoir une étrange rencontre dernièrement et… »

«Teriarch. »

Cette fois le stress dans la voix de Magnolia eut un impact. Teriarch hésita, se préparant à continuer, avant de s’arrêter.

« Fort bien. Laisse-moi voir. »

Il murmura quelques mots et frappa sa queue au sol. Des symboles magiques et des éclats lumineux apparurent rapidement dans sa vision. Teriarch observa l’étourdissant spectacle comme si cela était normal, et hocha la tête.

« Il n’y a rien d’inhabituel sur tes enchantements. De plus, il y en a un juste derrière ta porte… »

« Je suis au courant. Merci, Teriarch. Nous allons peut-être avoir besoin de discuter plus tard. »

« Pourquoi attendre ? J’ai trouvé cette merveilleuse pe… »

L’image se dissipa en coupa la parole au Dragon. Il regarda l’air vide, indigné. Pendant plusieurs secondes Reinhart considéra le fait qu’il pouvait téléporter Magnolia Reinhart dans sa cave, mais il abandonna après se souvenir de la distance et des sorts de protection la protégeant.

Sa mauvaise humeur fut de courte durée. Il retourna à son observation de l’Iphone, fasciné. Il se murmura, sa queue faisant des aller-retour.

« Hmm. Où en étais-je ? Ah oui. ‘Jouer’. »


***


Magnolia ferma le sort avec un mouvement de baguette magique et la jeta dans la petite boite d’ivoire qui servait à la tenir. Puis elle s’assit sur le resplendissant sofa et soupira bruyamment.

« Hmf. Lui parler est toujours un exercice de patience. Ressa, est-ce que tu penses que je pourrais me distraire avec une de ces fascinantes ‘tablettes’ pendant notre discussion ? »

Se tenant aux côtés de Lady Magnolia, Ressa la [Servante] inclina gracieusement sa tête en parlant d’un ton distingué.

« Je n’oserais pas questionner votre jugement, madame. Mais si cela est votre souhait, je peux immédiatement prendre l’une de ses tablettes à l’un de ses jeunes hommes et femmes. »

« Mm, peut-être plus tard. Pour l’instant, laissons rentrer notre jeune [Assassin]. »

Magnolia se redressa sur le sofa et se para de la plus amicale de ses expressions alors que Ressa ouvrit la porte. Deux Golems argentés laissèrent partir Theofore l’[Assassin] alors que Ressa l’escorta dans la pièce.

L’homme aux vêtements sombres était ligoté, et il avait un hématome sur l’une de ses joues. Il avait aussi l’expression de quelqu’un qui était convaincu qu’il allait mourir, et voulait juste éviter de hurler de douleur avant que cela soit fait. Il regarda Lady Magnolia comme si elle était une bourrelle avec une hache rouillée, ne s’approcha pas de Magnolia alors que Ressa lui tapa plusieurs fois dans le dos pour qu’il avance.

« Oh laisse le garçon se tenir là-bas s’il veut, Ressa. Je peux parler fort et il a de bonnes oreilles. »

Lady Magnolia regarda Ressa retourner vers elle et fit un sourire joyeux à Theofore. Ses yeux partirent vers la servante, puis vers la fenêtre, puis vers elle en un rapide mouvement. Elle s’empara d’une tasse de thé et la sirota avant de s’exprimer.

« Peux-tu essayer d’être un peu plus difficile à lire ? Theofore, laisse moi te parler en toute honnêteté avant que tu ne fasses quelque chose d’imprudent et fatal. Je ne t’ai pas amené ici pour te tuer. Cela serait inutile ; et je ne suis pas ici pour t’interroger, je connais l’existence des protections magiques de ta Guilde t’empêchant de parler. Je suis simplement ici pour te poser quelques questions, et puis te laisser partir. Garde cela en tête, et sait que si tu essayes de me tuer Ressa va te rendre extrêmement mort, et cette conversation recommencera si tu essayes de t’enfuir, mais sans mon humeur guillerette. Sommes-nous clair ? »

Theofore regarda Lady Magnolia et se lécha la lèvre.

« Qu’est… Qu’est-ce que cela veut dire, Lady Magnolia ? »

Magnolia fronça les sourcils, puis regarda sa servante.

« Ressa, la prochaine fois qu’il pose une question stupide, pourras-tu ordonner à un Golem de lui arracher un bras et de le frapper avec ? A moins que tu souhaites t’en charger ? »

Ressa hocha la tête, et Theofore trembla de nouveau. Il ferma la bouche.

Magnolia hocha la tête et tapa sa tasse de thé d’un doigt délicat.

« Mon intention est d’envoyer un message à ta Guilde, mais le messager n’a pas besoin d’avoir tous ses membres. En vérité, je trouve qu’une tête décapitée est un message suffisamment clair. »

« Et quel serait ce message ? »

Magnolia pencha légèrement sa tête sur le côté, et Theofore tressaillit. Mais elle n’ordonna pas à Ressa de lui arracher les membres. À la place, elle pointa simplement un coin de la pièce avec son petit doigt.

« Premièrement, explique-moi ceci, d’accord ? »

Theofore se tourna. Il devint pâle comme un linge. Gisant dans un coin de la pièce était une pile de lambeaux noirs. Du moins, c’est ce que cela semblait être au premier abord, jusqu’au moment où vous vous rendiez compte qu’ils étaient les restes de deux [Assassins]. Qui avaient été éliminés avec extrême préjudice et étaient encore en train de fumer.

« Je ne savais pas que mon contrat avec la Guilde des Assassins avait expiré. Oh, et je trouve cela étrange que tu ne les as pas repérés quand ils sont arrivés. Les [Assassins] ne sont-ils pas supposés être capables de tout repérer dans une pièce ? Je suppose que tu étais… Préoccupés. »

Theofore ne répondit pas immédiatement. Il était toujours en train de regarder ce qui restait de ses comparses. Magnolia se racla légèrement la gorge et il sursauta avant de la regarder.

« Lady Reinhart. Je n’ai pas la moindre idée de pourquoi ces deux ont essayé de vous tuer. S’il vous plaît, laissez-moi vous assurer que je n’avais pas la moindre connaissance de… »

Il s’arrêta lorsque Lady Magnolia leva un doigt de sa tasse de thé. Elle secoua légèrement la tête.

« Les [Assassins] n’en avaient pas après moi. Ils visaient les jeunes hommes et femmes sous ma protection. Est-ce que tu en sais quelque chose ? »

Le visage de Theofore était celui d’une personne essayant d’être le plus honnête et franc possible. Il ouvrit les mains.

« Je n’en savais rien, madame. Je ne suis pas haut placé dans les rangs de la Guilde. »

Lady Magnolia soupira avant de légèrement froncer les sourcils.

« Non, tu ne l’es pas, n’est-ce pas ? Mais pour l’instant, j’ai deux [Assassins] morts dans ma demeure, un groupe de jeunes hommes et femmes terrifiés, et un mystère. Je déteste les mystères. Donc je vais éclaircir la situation avec ta Guilde : Je demande une réponse immédiate. Je renverrai tous les [Assassins] que ta Guilde m’a fourni, et je considérerais chacun d’entre vous s’approchant de moi, ou de mes demeures, servants et alliés en tant qu’ennemis, avec les conséquences que cela a, tant que ta Guilde ne m’aura pas dévoilé la raison de cette attaque. »

Léchant ses lèvres, Theofore regarda les [Assassins] au fond de la pièce avant de répondre précautionneusement à Magnolia.

« Je peux vous assurer, Lady Reinhart, que la Guilde ne cherche pas à rentrer en guerre avec l’une des Cinq Familles… »

« J’en suis certaine. Mais à moins que je reçoive une réponse satisfaisante, c’est moi qui vais rentrer en guerre avec eux. »

Ce que Theofore aurait voulu utiliser en cet instant était un mouchoir pour pouvoir essuyer la transpiration perlant sur son front et dans son dos. N’ayant pas cela, il utilisa une manche sombre. »

« J’espère que vous ne prendrez pas de décision hâtive, Lady Reinhart. Je suis certain que ma Guilde ne souhaite pas vous être hostile une seconde fois. Je peux vous assurer… »

Un bref mouvement de la main lui coupa la parole. Lady Magnolia se leva, et Theofore tressaillit de nouveau. Elle le regarde froidement.

« Assez. Tu as ton message. Retourne à ta Guilde. Ressa, jette-moi le jeune Theofore dehors, s’il te plaît. »

Ressa suivit son ordre. Theofore n’eut qu’une seconde pour crier. Magnolia s’arrêta dans le silence de la pièce. »

« Je crois que tu viens de le lancer par la fenêtre, ma chère Ressa. La porte aurait suffi. »

« Vous n’avez pas spécifié, madame. Et il est en vie. »

« C’est vrai. Oh, et il est déjà en train de courir. Les jeunes sont rapides de nos jours, tu ne trouves pas ? »

Lady Magnolia soupira alors que Ressa ferma la fenêtre. Elle se frotta la tempe et prit une grande gorgée de sa boisson sucrée.

« Des [Assassins] ? Dans ma demeure ? Qui connaissait l’existence des enfants venant d’un autre monde ? Comment, Ressa ? »

La [Servante] se contenta de hausser les épaules en regardant par la fenêtre, suivant la progression de Theofore. Magnolia se marmonna en servant une autre tasse de thé.

« Est-ce encore un coup de Cercle des Ronces ? S’il te plaît dit moi que ce n’est pas le cas. Ma grand-mère à passé toute sa vie à régler ce problème et nous ne pouvons pas nous permettre de l’avoir maintenant. Au moins nous savons que ce n’est pas une manigance de Lord Tyrion. »

Ressa redressa légèrement ses épaules.

« Nous ne pouvons pas en être certains. Il a peut-être mis la main sur une potion lui permettant de refaire pousser son cerveau. »

Magnolia rit.

« Même avec deux cerveaux, le sens de l’honneur de Tyrion ne lui permettrait pas d’employer des assassins. Non, c’est autre chose et je n’aime pas cela. Et c’est arrivé au pire des moments, comme si quelqu’un savait ce qui allait se passer. »

« Peut-être que cela était le cas. »

« Tu n’aides pas. »

Ressa haussa les épaules.

« J’aime penser au pire des scénarios. »

« Et c’est l’un d’entre eux. Nous avons deux crises majeures sur les bras, Ressa. Ce maudit groupe d’Antinium s’approche de Liscor à l’instant même. Des représentants d’au moins trois Colonies sont présents et nous n’avons aucun moyen de les espionner. Du moins pas en personne. Teriarch semble être capable de les observer visuellement, mais il sera incapable de les scruter. Je ne peux pas faire confiance aux [Assassins] pour les espionner, et ils viennent de manger mes deux meilleurs [Scouts]. »

« Nous avons des agents dans Liscor. »

« Mais aucun qui puisse les suivre. »

Magnolia vida sa tasse de thé en fronçant les sourcils.

« C’est un problème. Le second est le même. Les Antinium sont sur le point de révéler l’existence du donjon, maintenant ou dans quelques jours. C’est le pire moment, Ressa. Savons-nous quand les compagnies de rang-Or vont ouvrir les portes ? »

Ressa hocha la tête. Elle avait un sourire que Magnolia n’avait pas.

« Maintenant, si je ne me trompe pas. »

La tasse de Lady Magnolia passa à travers la fenêtre du manoir. Theofore ne savait pas que c’était une tasse de thé, mais cela le poussa à courir encore plus vite. Il sauta par-dessus les murs de la demeure avant que la tasse ne touche le sol.


***


« Est-ce qu’on doit le faire maintenant ? »

Halrac fronça les sourcils ; c’était essentiellement son expression normale, mais le froncement de sourcils d’aujourd’hui était spécial et prononcé.

« L’entrée est devant nous. Pourquoi est-ce que tu te dégonfles ? »

La mage-Tissée hésita. Elle fit un mouvement de ses cheveux noir et regarda la massive porte double devant eux.

« Je suis nerveuse. Tu entends les histoires de ce qui arrive aux premiers groupes entrant dans un donjon non exploré. J’aimerais bien garder mon tissu attaché à mon corps, c’est tout. »

Halrac fronça de nouveau les sourcils et ouvrit la bouche, mais cette fois Ulrien lui donna un coup de coude. Le grand homme abaissa sa claymore et regarda Typhenous. Le vieux [Mage] semblait confiant, mais tous les membres de la Chasse aux Griffons avaient appris à travailler ensemble. Un aventurier qui n’était pas confiant ralentissait le groupe, donc ils devaient en discuter avant d’entrer.

Ils se tenaient au pied d’une immense rampe descendant dans les profondeurs. Plus de soixante mètres de rampe en terre avait mené à un immense mur de pierre et à une immense porte double. Elles semblaient être faites de bronze, mais des inscriptions d’or avaient été sculpté dans le métal. Les reliefs ressemblaient à deux dragons crachant du feu.

Ou… Des Drakéides. Des Drakéides lançant de la magie. Halrac regarda les inscriptions, méfiant.

Telle était l’entrée du donjon sous Liscor. Le véritable donjon, selon les Antiniums. Ils avaient terminé de creuser ce matin, et un Antinium nommé Klbkch avait mené la Chasse aux Griffons jusqu’à ce lieu.

L’Antinium se tenait avec une escorte de Soldats Antiniums, regardant calmement la Chasse aux Griffons. Halrac n’aimait pas la présence Antinium et serra les dents à chaque fois qu’il les voyait. Ulrien était clairement inconfortable, mais il réussissait à ne pas être trop dérangé par les Antiniums. Il avait dû payer une sacrée somme pour qu’ils creusent, mais maintenant la Casse aux Griffons étaient les premiers à l’entrée du donjon.

Tous leurs efforts, toutes les longues journées de discussions avec les Croisés et les autres groupes d’aventuriers pour traiter avec les Antiniums et être les premiers à rentrer dans le donjon avait mené à cette situation. Pendant un instant il avait vraiment eu l’impression qu’Halrac et les autres avaient été au centre des potins de Liscor et qu’ils avaient donnée des pots-de-vin et fait les gros bras pour en arriver là. Halrac avait encore un goût désagréable dans la bouche pour avoir fait affaire avec les Antiniums et cette irritable Capitaine de la Garde.

Mais cela avait payé. La Chasse aux Griffons était là, et les Croisés et les autres aventuriers avaient dû laisser tomber la chance d’être les premiers à entrer dans le donjon. Mais ils étaient en train de vaciller au dernier moment, du moins Revi.

« C’est juste que… Est-ce qu’on ne peut pas avoir les Croisés ? Ou une autre compagnie de rang-Argent ? Si nous formions une alliance avant d’avancer, on serait mieux préparé, pas vrai ? »

Revi regarda le groupe de manière incertaine. En termes d’ancienneté, elle était de loin la plus inexpérience des aventuriers de rang-Or, et aussi la plus jeune.

Cette fois, ce fut Typhenous qui discuta avec Revi. Il prenait habituellement son côté, mais le mage était en train de regarder les images des Drakéides lançant des sorts et étaient clairement impatient de rentrer dans le donjon.

« Tu crois qu’il y a de la force dans le nombre, Revi, mais regarde ce qui est arrivé au dernier groupe d’aventurier qui ont essayé cela. Ce n’est pas la peine, à moins que tu veuilles perdre deux semaines à discuter stratégie avec une autre équipe. »

La Tissée ne semblait pas convaincue.

« Nous pouvons envoyer une équipe partir en repérage. »

« Pour mourir, donc. »

Les visages d’Ulrien et Halrac montrèrent qu’ils y avaient pensé. Revi leva ses mains de manière défensive.

« Je ne voulais pas le dire comme ça… »

« Non. »

Il était commun pour certains aventuriers de rang-Argent et Or d’envoyer des aventuriers inexpériences pour affaiblir les monstres et s’occuper des pièges. En tant que [Scout], Halrac avait été de ce côté plusieurs fois dans sa vie, et Ulrien partageait son avis. Il s’apprêtait à le dire à Revi quand Ulrien l’interrompit, mettant la main sur l’épaule d’Halrac.

« Pas de sacrifice. Personne ne part en premier. Nous entrons, nous nous occupons des monstres et des pièges que nous trouvons. Nous avons l’équipement et l’expérience. »

« Mais nous pouvons attendre et voir si… »

« Non. »

Halrac n’en pouvait plus. Il lui coupa sèchement la parole, ignorant le soupir d’Ulrien. Il regarda Revi.

« Si les Croisés ou une autre compagnie de rang-Or rentre avant nous, ils seront potentiellement capables de nettoyer une grande partie du donjon. Chaque seconde perdue ici est une fortune en artefact qui glisse entre nos doigts. »

Il pointa l’Antinium du doigt. Klbkch regarda Halrac de manière intéressée alors que le [Scout] leva la voix.

« Est-ce que tu penses qu’ils vont nous attendre ? Non. Ils ont une armée prête à rentrée à l’instant ou ces portes s’ouvrent et toutes les autres compagnies d’aventuriers du continent vont vouloir rentrer et vider l’endroit. Tu te souviens du Donjon prêt de Port Fondateur ? Ils sont toujours en train d’en explorer des parties, mais les premiers aventuriers qui y sont rentrés sont désormais des Aventuriers Légendaires. C’est pour ça que nous sommes là. »

Typhenous hocha la tête.

« Le temps joue contre nous, Revi. Si un aventurier légendaire arrive ici, il ou elle sera peut-être capable de nettoyer le donjon par eux-mêmes… Et si c’est une compagnie entière… J’ai entendu dire que des [Mages] de Wistram arrive pour explorer le donjon. L’instant présent est notre meilleure chance. »

Revi semblait incertaine, mais Ulrien posa une main sur son épaule. Le Capitaine, habituellement taciturne, lui adressa la parole de manière rassurante.

« Tu resteras constamment derrière nous. Tu as tes invocations et tu ne prendras pas de risques. »

Il hocha la tête en direction d’Halrac et de Typhenous. Les deux aventuriers hochèrent la tête en retour.

« Nous ne sommes pas de rang-Argent. Nous entrons, et battons en retraite dès que nous tombons sur quelque chose de dangereux. Si quelque chose nous suit, nous le contenons. Nous avons installé assez de pièges pour tuer cinq Griffons. »

« D’accord. D’accord… »

Revi prit plusieurs grandes bouffées d’air. Puis elle hocha la tête en regardant Ulrien. Il lâcha son épaule et s’éloigna. Elle ferma les poings et regarda Ulrien, qui regarda le reste de son équipe.

« Vous êtes prêt ? »

Halrac avait déjà encoché une flèche. Il était prêt pour ce qui allait se passer une fois que son équipe approcherait la porte. Mais il jeta un dernier regard aux Antiniums dans son dos.

C’était étrange. Ils avaient coopéré avec la Chasse aux Griffons pour localiser le donjon, et ils avaient creusé une grande quantité de terre en un rien de temps. Selon les Antiniums, ils avaient trouvé plus d’une entrée vers le donjon ; une dans des parties effondrées d’une ruine, et ce qui aurait put être une entrée secrète. Mais c’était l’entrée principale, épargnée par le temps…

C’était suspicieux. Comment avait-il repéré le donjon ? Et pourquoi y’avait il une si grande escorte attendant autour du donjon ?

Il n’y avait pas un ou deux Soldat Antiniums aux côtés de l’Antinium nommé Klbkch. Halrac avait compté cinquante des massives brutes se tenant derrière leur chef. Il n’avait jamais vu autant de guerrier en dehors d’un champ de bataille.

Halrac savait ce qu’autant de soldats pouvaient accomplir. Ils n’allaient peut-être pas être capables de renverser la Chasse aux Griffons dans un combat, mais ils étaient capables de tuer plusieurs Wyvernes ou Griffons dans un combat. Pourquoi est-ce qu’ils étaient aussi nombreux ?

Cinquante Soldats Antiniums. Et leur supposé Prognugator. Halrac ajouta lentement son carquois et commença à compter ses flèches magiques. Il rangea les flèches normales dans le carquois magique et en dégaina une qui laissait s’échapper quelques étincelles électriques.

Ulrien regarda Halrac. Les deux aventuriers avaient suffisamment de vécu pour pouvoir se comprendre sans un mot. Le Capitaine de la Chasse aux Griffons regarda Revi et Typhenous.

« Nous entrons. Revi, je veux que tu sortes ta plus puissante invocation au premier signe de danger. Typhenous, reste en retrait et utilise tes meilleurs sorts ; ne te retiens pas. »

Les deux aventuriers réagirent à son avertissement, se redressant et se préparant. Halrac regarda Ulrien. Le grand homme s’avança vers la porte double et fit craquer ses doigts.

« Elle est peut-être rouillée. Je vais essayer de l’ouvrir avant de devoir utiliser les cordes. »

Il attrapa les poignées de portes. Halrac vit les muscles des bras d’Ulrien se tendre, puis il entendit les portes grgoner et quelque chose se briser.

De la rouille tomba des portes qui bougèrent d’une fraction alors qu’Ulrien grogna, puis les aventuriers reculèrent.

« Je peux les ouvrir. Préparez-vous. »

Halrac fit deux pas en arrière. Revi et Typhenous avaient déjà reculé d’une dizaine de pas, au cas où quelque chose en sortait. Halrac encocha la flèche et fit un hochement de tête à Ulrien.

Ce dernier attrapa les poignées de portes. Le cœur d’Halrac battait plus rapidement que d’habitude, mais il était prêt. Il avait affronté des Griffons avec rien d’autre qu’une dague. Il allait ouvrir ces portes et en ressortir meilleur. Plus fort.

Urien commença à compter en se préparant à ouvrir la porte. Sa voix était calme et résonna dans la cave.

« Cinq… Quatre… Trois… Deux… »

Son pouls ralenti. Le monde ralenti. Halrac vit Ulrien se préparer, et il banda son arc.

« Un. »

Les portes s’ouvrirent. Ulrien ne les ouvrit pas lentement ; il les ouvrit violemment et fit un bond en arrière, dégainant sa claymore et se préparant. Les yeux d’Halrac percèrent les ténèbres, apercevant un couloir fait de pierre noire. Mais rien d’autre.

Il n’y avait pas de monstres. Pas de pièges visibles, et vu la manière dont Typhenous se relaxa, pas de magie.

Ils étaient en sécurité. Et le donjon était ouvert.

Halrac resta sur ses gardes pendant une autre seconde, avant de légèrement se détendre. Ulrien baissa son épée, et Revi et Typhenous s’approchèrent. Ils se regardèrent et sourirent. La tension n’avait pas disparu, mais le pire était passé.

Halrac s’était attendu à ce qu’il arrive quelque chose après l’ouverture des portes. Il s’était attendu à un monstre ou un sort d’avertissement ou… Quelque chose. Mais ce n’était pas le cas. Il hocha la tête en direction d’Ulrien et s’avança vers la porte. En tant que [Scout], il allait passer le premier. Il sentit son pied entrer dans le donjon. Ulrien ressentit quelque chose de particulier pendant une seconde, puis cela disparu, comme un mauvais souvenir.

Il se tourna vers Typhenous, se préparant à lui demander si quelque chose de magique venait d’être activé. Puis il le sentit.

Le danger.


***


Zel Shivertail se tenait devant un juré d’imbéciles. Techniquement, ils étaient ses semblables, mais il ne respectait aucun d’entre eux.

Ils étaient les dirigeants des cités-états des Drakéides, les Seigneurs des Murailles qui régnaient sur les Villes Emmurées, et même des Capitaines renommés. Il les détestait.

Ils ne comprenaient pas. Ils se tenaient ou s’asseyaient sur de longues chaises moelleuses que les Drakéides appréciaient pour juger son témoignage. Le Seigneur des Murailles Ilvriss se tenait à ses côtés, mais pas avec Zel. Il avait son propre cercle d’autorité et d’amis dans la pièce.

Zel avait une poignée d’alliés précieux et de nombreux ennemis. Mais ils devaient entendre son message. Il regarda la pièce et leva la voix.

« Comme je l’ai déjà dit, le Seigneur des Gobelins est une véritable menace. Si nous l’ignorons, il deviendra un Roi Gobelin, ce n’est qu’une histoire de temps. »

Une Seigneuresse des Murailles leva la voix. Sa queue s’agita de manière irritée alors qu’elle se leva pour s’adresser à Zel.

« C’est ce que vous avez dit, Zel Shivertail. Et nous allons créer une armée de coalition pour s’occuper de cette menace Gobeline quand le temps viendra. Mais je ne vois pas de raison pour que nos villes forment la grande alliance que vous suggérez. Nous sommes et avons toujours été indépendantes de l’une de l’autre ; les Drakéides ne se tiennent pas la main comme des Humains. »

Plusieurs autres leaders ricanèrent à ces mots. Ils se turent quand Zel les regarda. Tous ces puissants Drakéides, et ils se comportaient comme des nouveaux nés dans un parc.

« Je ne suggère pas que nous nous allions uniquement à cause de ce Seigneur des Gobelins. Mais quand est-il des Antiniums ? Sont-ils une menace insignifiante ? Et Flos ? Allez-vous ignorer son retour ou allez vous suivre mes conseils et agir avant qu’il ne soit trop tard ? »

« Nous vous entendons dire les mêmes mots chaque année, Zel Shivertail. Flos s’est peut-être éveillé, mais tous les rapports clament qu’il n’a pratiquement pas d’armée, encore moins une force suffisante pour menacer nos terres. »

Cela venait d’un Captaine de la Garde. Zel serra les dents et sa queue fouetta le sol de pierre. Comment quelqu’un qui passait son temps à défendre une position statique pouvait comprendre le danger que représentait une personne qui bougeait ses troupes comme Flos ?

« Ses forces sont peut-être faibles pour l’instant, mais donnons lui le temps et il deviendra aussi fort qu’avant. »

Une autre voix dédaigneuse.

« L’Empereur des Sables l’écrasera. Le Roi de la Destruction se trouve à un continent de ça, Zel Shivertail. Il n’est pas une menace. »

« C’est ce que vous avez dit la dernière fois, jusqu’à ce que ses bateaux arrivent sur nos côtes ! »

Zel leva la voix, mais cela ne changea rien. Il se contrôla, avec effort.

« Alors les Antinium. Ils deviennent plus fort alors que nous nous battons sans raison. Que faisons-nous à leur sujet ? »

« Ils seront détruits s’ils osent attaquer une troisième fois. Nous avons construit nos armées et nos villes, et nous savons comment les combattre. Ils peuvent devenir plus fort, mais nous grandissons plus vite qu’eux. »

L’arrogance. Zel ferma les yeux, et leva de nouveau la voix.

« Vous êtes aveugle en plus d’être stupide si vous pensez pouvoir battre les Antinium sur le long terme. Je vous le dis, ils sont prêts pour la guerre. Si vous mettiez de côté votre maudite fierté et consi… »

« Silence, Zel Shivertail. »

Cette fois la censure fut accompagnée par un claquement de queue. Zel leva les yeux et vit que l’un des dirigeants des Villes Emmurées venait de parler. La Matriarche Serpentine de Zeres baissa les yeux vers lui avec un air désapprobateur et glacial, les pierres précieuses autour de son cou et sa queue s’agitant alors qu’elle prit la parole.

« Cette assemblée a entendu votre voix depuis que vous êtes un héros de la dernière Guerre Antinium. Mais votre comportement est irrespectueux envers ceux rassemblé ici. De plus, votre défaite face à un simple Seigneur des Gobelins remet en question vos compétences. Ce conflit avec l’estimé Seigneur des Murailles Ilvriss… »

« Vous voulez dire l’imbécile qui a perdu une bataille ! »

Cela vint d’un dirigeant moins puissant d’une ville. Zel vit les yeux de la Matriarche s’illuminer et sut que c’était le début d’une autre rancœur entre deux villes venait de naître. Il regarda, impuissant, l’assemblée faite pour s’unir contre des menaces communes tombées dans un chaos d’insultes et de cris. Comme toujours.

« Silence. Un Seigneur des Murailles est l’équivalent de tous les autres dirigeants d’une ville et sera traité avec… »

« Cette guerre n’est pas terminée ! Zel Shivertail à gagné cette bataille, et a risqué sa queue pour défendre une tribu Gnoll et affronter une menace commune. Si vous voulez une résolution à ce conflit, nous discuterons des termes… »

« Des termes ! Hah ! Vous avez perdu votre grande armée ! Nous pouvons déjà en remettre un sur le champ de bataille. Restez à votre place ! »

Zel regarda, impuissant. Il devait y’avoir quelqu’un de raisonnable pour l’ajouter. Mais il ne vit que des Drakéides trop complaisant pour être sensés. Une dernière fois. Il devait essayer une dernière fois, comme il l’avait fait des centaines de fois.

Le Général de la Ligne, le fameux Brise-marée prit une grande inspiration. Il était un héros du peuple, mais ignorer dans cette pièce. Mais il pouvait toujours crier. Il prit une grande inspiration, et puis écarquilla les yeux.

Quelqu’un dans la pièce hurla. Les deux Capitaines de la Garde jurèrent et mirent la main à leurs armes, et les gardes aux portes se précipitèrent dans la pièce, armes aux clairs. Zel se tourna et regarda au nord. La sensation venait du nord. C’était un sentiment de terreur et de danger, mais cela venait de loin, de très, très loin. Il n’avait jamais rien ressentit avec son [Instinct de Survie].

« Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Qu’est-ce que c’était ? »

Les Drakéides sans [Instinct de Survie] semblaient confus et demandèrent des explications alors que Zel croisa le regard d’Ilvriss. Le Seigneur des Murailles n’avait pas d’[Instinct de Survie], mais il comprenait ce que cela voulait dire.

« Un danger ? »

« Quelque chose. Quelque chose qui se trouve loin d’ici. Quelque chose de très dangereux. Un monstre, peut-être. Ou autre chose. »

« Quoi d’autre ? »

Zel n’avait pas de réponse. Il regarda au nord. Quelque chose dans les terres Humaines ? Qu’est-ce qui pouvait être assez dangereux pour l’affecter d’aussi loin ? Il avait entendu parler des marins être prévenu d’éruption volcanique et des gens prévoyant des tremblements de terre, mais ce n’était pas la même chose. Ces avertissements étaient tranchants et urgents. Cela semblait plus profond, plus silencieux, mais tout aussi inquiétant.

Il ferma ses griffes et regarda la pièce. L’ordre, ou plutôt, le chaos qui ressemblait à de l’ordre était déjà en train de se reformer. Il doutait pouvoir utiliser cela pour persuader les autres dirigeants de lui donner des soldats, et encore moins de s’allier. Il était en train de perdre son temps.

Zel tourna son attention vers le nord. Tout ce qu’il allait recevoir ici était de la censure et des moqueries. Mais au nord…

« Par les Ancêtres, qu’est-ce qu’il se passe ? »


***


Niers était patiemment assis sur une petite chaise sur sa table de guerre dans sa tente. Il regarda le jus de fruit frais qu’il s’était servi, mais qu’il n’avait pas encore bu. C’était un exercice de patience, une récompense pour un travail bien fait.

En vérité, il y avait quelque chose d’ironique sur le fait qu’il attendait ce qui était, en réalité, une goutte de jus frais comparé à son immense fortune personnelle. Niers était une personne facile à nourrir même s’il mangeait le plus coûteux des plats, mais il se rattrapait en dépensant son argent autre part, et de manière spectaculaire.

Pour l’instant, il attendait. Il n’attendait pas que quelque chose se passe, mais il attendait la nouvelle pour savoir si quelque chose venait de se passer. Il avait patiemment attendu durant la journée, mais maintenant il semblait que sa patience allait être récompensé.

Quelqu’un tapa le tissu de la porte de sa tente. Niers leva sa tête et sa voix.

« Entrez. »

La porte s’ouvrit et deux soldats laissèrent entrer dans sa tente un Courrier tenait plusieurs messages. Niers toucha les sceaux offerts et prit la pile de parchemins.

Aucun d’entre eux n’était particulièrement long ; la plupart n’étaient que des morceaux de textes plutôt qu’un véritable document. Le Courrier ne les regarda même pas en partant, même si Niers savait qu’il devait être rongé par la curiosité. Il les avait peut-être lues, même si Niers savait que les Guilde des Coursiers avaient un règlement très strict envers les Courriers.

Cela n’avait pas d’importance. Il serait impressionné si quelqu’un pouvait comprendre ce que Niers allait comprendre à partir de ces bouts de texte. La plupart n’en prendraient même pas la peine. Il aimait s’envoyer des messages à lui-même ou d’envoyer des missives codées sans aucune valeur à des amis, simplement pour agacer les personnes qui l’espionnaient.

Cela faisait que les informations importantes étaient bien plus faciles à obtenir. Niers regarda les bons de parchemins et essayer de les ordonner. Chacun d’entre eux avait un message écrit de manière simple et lisible. Il utilisait le service de message des mages pour recevoir ces petites communications ; il n’avait même pas pris la peine de payer le supplément qui rendait supposément les messages plus sécurisés. Ce n’était qu’une perte de monnaie et cela attirait l’attention.

Il n’y avait rien de spécial à propos de ces messages. Ils n’étaient que des mises à jour, le genre de chose que tous les leaders pouvaient recevoir. La seule différence était la provenance de ces messages.

Le plus long morceau de papier était assez petit pour que Niers le tienne tout seul. Il plia la pièce de papier et la posa sur la table, à côté de la carte d’Izril qu’il avait acheté. Nier recula et regarda la missive. Le message était court et clair :

’Donjon ouvert à Liscor. [Instinct de Survie] enclenché sur la ville’

Donc. Un nouveau donjon venait de s’ouvrir. Niers hocha la tête. Il n’y avait rien d’étrange sur cela. Mais ce qui était étrange fut le message suivant :

’[Instinct de Survie] activé en Galles.’

Alors pourquoi quelqu’un se soucierait de l’activation de l’[Instinct de Survie] de quelqu’un ? Ils se déclenchaient tout le temps ; quand les gens s’apprêtait à marcher sur un parquet moisi, quand un cheval venait de perdre le contrôle d’un wagon, ou qu’un monstre était dans les environs… Cela arrivait souvent.

Mais chaque message était venu en même temps, et avait été transmis selon la requête de Niers. Il posa le premier message et alla au suivant.

’[Instinct de Survie] activé. Zeres.’

D’autre [Messages], avec le même contenu. [Instinct de Survie] rapporté à travers des villes du continent, au même moment. Niers nota l’emplacement après chaque rapport, et traça lentement un cercle au compas autour de la carte. Il regarda au point d’origine.

« Environs le même diamètre qu’avant. Celui-ci est plus grand. »

Il s’éloigna de la carte et s’assit sur son petit tabouret en soupirant.

« Donc ils en ont trouvé un autre, n’est-ce pas ? »

Ce n’était qu’une question de temps. Niers sourit brièvement ; il adorait avoir raison. Mais qu’est-ce que cela allait changer ?

Tout ? Peut-être, s’ils trouvaient des trésors au sein du donjon. Peut-être d autres puzzles ? Peu probable. Cela voulait simplement dire que les ruines étaient anciennes, et possiblement gardées par des gardiens légendaires avec les récompenses les accompagnant. Il se demanda si la ville allait survivre à l’afflux d’aventuriers recherchant des trésors et aux monstres qui allaient être attiré par le donjon.

Mais est-ce que cela avait de l’importance pour lui ? Niers se posa la question. Il poussa les pièces de parchemins et abandonna la carte pendant un instant. il marcha jusqu’à la grande table, et regarda quelque chose qui luisait dans son champ de vision.

C’était une lettre, ouverte. Niers avait déjà lut le contenu de la lettre, mais il la regarda de nouveau. Il ne pouvait pas s’en empêcher.

L’enveloppe était en elle-même une œuvre d’art. Elle sentait la lavande, et les coins luisaient d’or. Niers la regarda, et la regarda de nouveau. Puis il regarda l’échiquier se tenait près de la carte.

Les pièces se tenaient silencieusement dans l’air humide de la tente. Niers soupira et se concentra sur sa boisson. Il regarda les bords gouttant du verre et en vida la moitié d’un coup. Il fronça les sourcils et se concentra sur l’échiquier.

Les pièces ne bougeaient pas. Cela faisait deux jours qu’elles n’avaient pas bougé. Cela dérangeait Niers, même si cela n’aurait pas dû être le cas. Il savait que l’autre joueur avait une vie et des devoirs. Mais après avoir complété ses dernières batailles, Niers avait eu hâte de jouer plusieurs parties. À la place, les pièces avaient arrêté de bouger, et même s’il avait attendu avec espoir, elles n’avaient pas bougé depuis.

Elles n’étaient jamais restées silencieuses aussi longtemps. Niers ne savait pas ce que cela voulait dire. Catastrophe ? Où est-ce que le joueur mystérieux s’était laissé de leur jeu ? Probablement pas. Était-il blessé ? En danger ? Où était-il ?

Il secoua la tête. Mais Niers était désormais irrité, et même sa boisson fraîche ne pouvait pas l’aider. Un donjon à Liscor. De l’aventure. Un défi. Il ne pouvait pas aller là-bas. Cette maudite lettre qu’il n’aurait jamais dû ouvrir, insinuant, alléchant. Et le jeu, la seule chose qu’il voulait, était silencieux.

Niers s’approcha de l’échiquier. Il se frotta la barbe et regarda les pièces.

« Qui es-tu ? Quelle est la pièce manquante du puzzle ? »

Les pièces restèrent silencieuses. Il n’était pas dans une bonne position dans cette partie ; il avait fait une erreur et son adversaire l’avait joyeusement puni pour ça. Mais cela avait été un plaisir, car il ou elle était son égal. Son supérieur.

« Peux-tu m’aider ? Puis-je t’aider ? Puis-je te faire confiance ? Si nous travaillons ensemble… »

Niers s’arrêta et secoua la tête. Des spéculations. C’était tout ce qu’il avait. S’il recommençait à jouer, il allait être certain d’une chose.

S’il retournait. S’il était en train de mourir ? Il pouvait trouver qui était don adversaire. S’il s’y rendait…

Mais il avait des responsabilités. Niers regarda de nouveau la carte, puis la lettre, puis l’échiquier.

Il regarda les pièces silencieuses, puis recommença. Carte. Lettre. Échiquier. Et pour une fois, le petit [Stratégiste] n’était pas certain de ce qu’il devait faire.


***


Erin éternua. Une fois, puis une seconde fois. Elle essuya son nez avec sa manche et savait exactement ce qu’elle devait faire.

« Je vais chercher quelque chose à manger. Tu viens, Ryoka ? »

L’autre fille leva la tête en entendant Erin, mais elle ne répondit pas aussitôt. Erin haussa les épaules et entra de nouveau dans l’auberge d’Agnes.

Des gens l’accueillirent à l’intérieur et elle fut immédiatement bombardée avec des demandes de nourriture. Erin sourit et parla, mais elle n’alla pas aussitôt en cuisine, même si Agnès le supposa sans trop de subtilité. Elle voulait parler à Ryoka, mais l’autre fille alla à une table en silence, un air lointain sur le visage.

Peut-être qu’elle était encore en colère à la nouvelle des Gobelins ? Erin ne savait pas quoi en penser. Elle espérait que Loks et sa petite tribu étaient en sécurité ; ils étaient à Liscor, c’est ça ? Elle espérait qu’ils allaient faire profil bas.

Elle ne se sentait pas de son assiette et en colère pour une quelconque raison. Peut-être qu’elle se sentait coupable d’avoir tabassé les aventuriers ? Non. Peut-être. Un tout petit peu.

Puis la sensation disparue. Erin fronça les sourcils et se frotta de nouveau le nez sur sa manche. Heureusement qu’elle était sortie du froid. Cela lui embrouillait l’esprit.

Ryoka était en train de secouer la tête quand Ryoka s’approcha d’elle. La grande fille avec qui elle était venu était aux toilettes, et Erin était légèrement soulagée ; elle avait semblé terrifiée quand Erin s’était présenté après la bagarre.

« Quelque chose ne va pas, Ryoka ? Ryoka ? »

L’autre fille regarda Erin, le regard dans le vide.

« On est foutue, Erin. Cette nouvelle… On est dans la mouise maintenant. »

Erin fronça les sourcils.

« Vraiment ? Je veux dire, comment est-ce que tu le sais ? »

Ryoka secoua la tête. Elle posa les mains sur la table et les ferma en poing. Le regard d’Erin fut attiré par ses doigts manquant. Ryoka les étudia, et regarda Erin.

« S’il y a des troupes de guerres Gobeline en campagne, te ramener à Liscor vient de devenir cent fois plus difficile. Je ne peux pas te protéger d’eux, et ils sont possiblement des milliers. Il y aura bientôt une guerre, et si c’est le cas, même Celum n’est pas protégé. Liscor est peut-être dans la même situation. »

Erin se gratta la tête. Cela semblait être une mauvaise situation.

« D’accord. Mais qu’est-ce qu’on peut y faire ? Je veux dire, nous ne pouvons rien faire à l’instant, pas vrai ? Donc reste zen Ryoka. La journée a été longue. »

« Nous ne pouvons pas rester sans rien faire, Erin ! Nous devons réfléchir. Nous sommes toutes les deux en danger ; tu es en danger ! »

« Je sais. Mais tu as besoin de te détendre, Ryoka. Nous avons besoin de nous détendre. D’accord ? Nous sommes en sécurité ici, pour l’instant. Nous nous inquiéterons de tout ça après une bonne nuit de sommeil et pas après une bagarre. »

Lentement, Ryoka regarda Erin et hocha la tête. Elle semblait surprise, mais Erin se concentra de sourire.

« Super. Je vais nous faire à manger. »

La fille asiatique fit un demi-sourire à Erin. Puis ses yeux allèrent vers la porte.

« D’accord. Mais prépare-toi à cuisiner pendant un petit bout de temps ; je crois qu’une foule arrive. »

Erin vit les gens rentrer dans l’auberge, attirée par le bruit, la chaleur, la foule et la récente bagarre. Elle sourit et se redressa, ouvrant la porte à une couple surpris.

« Bienvenue à l’Auberge Itinérante ! Entrez, prenez un siège ; ne faites pas attention aux corps. Est-ce que je peux vous servir à boire ? »

L’homme se tenant devant elle regarda Erin, confus. Il regarda la femme à ses côtés, puis Erin. »

« Je pensais que c’était Le Lièvre en Folie ? Est-ce que nous nous sommes trompé d’auberge ? Où est-ce qu’elle a été vendue ? »

Erin cligna les yeux. Puis se souvint qu’elle n’était pas à Liscor, et que ce n’était pas son auberge. Elle rougit légèrement.

« Oh. Oups. »

Elle regarda l’homme et la femme. Ils lui rendirent son regard. Erin ouvrit lentement la porte.

« Je suis, heu, en train d’aider. Entrez si vous avez faim. Nous avons des hamburgers ! »

Après un moment d’hésitation, les deux entrèrent. Erin ferma la porte, et laissa la chaleur de l’auberge se déverser sur elle.

Dans cette nuit froide, elle se sentit vivante. Heureuse, même. Elle était loin de chez elle, et perdue, mais pas perdue. Ryoka était avec elle, et elle avait trouvé quelque chose de spécial avec Octavia, même si l’autre fille était un peu une andouille.

Les Gobelins étaient une mauvaise nouvelle, et Toren avait disparu, mais Erin gardait espoir. Elle avait connu pire. Elle allait traverser cette crise. Avec Ryoka. Ensemble.

Erin se tint dans l’auberge et inspira. Lentement. L’odeur de bière renversée et de cuisson envahit ses sens, mêlée à la désagréable odeur de la transpiration et du vomi. Elle arrêta de prendre de grandes inspirations. Mais elle se sentait bien.

Ce n’était pas la bonne ville, ce n’était même pas la bonne auberge. Mais elle était là, et Ryoka était là. Et donc, pendant un court instant, elle était à la maison.

À l’intérieur de l’auberge, Erin éternua à nouveau.

Fin du Livre 2.



Note des traducteurs: Et voilà! Un second Livre de bouclé, Ellie et moi allons prendre quelques semaines de repos pour passer un coup de pinceau sur les deux premiers livres et organiser la suite. Nous vous tiendrons au courant!  Merci de continuer de suivre cette traduction!
 
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Note des traducteurs : Bonjour à tous ! Il y a de grands changements en perspective de notre côté pour la traduction, et nous ne pourrons malheureusement pas poster de nouveaux chapitres avant que tout ne soit réglé. Sachez cependant que nous travaillons dur pour vous proposer une meilleure expérience de lecture, sur un support davantage adapté à l'œuvre de Pirateaba ! L'Auberge Vagabonde reviendra donc très bientôt, en mieux, et on vous tient bien sûr au courant Smile. Sur ce, prenez soin de vous, et à très vite !
 
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Note d'EllieVia : Bonjour à tous ! Petit topo rapide : nous sommes toujours en train de chercher à mettre en place un meilleur support pour l'Auberge Vagabonde, toutefois, comme toujours, ce genre de choses prennent du temps. Comme c'est en quelque sorte purement administratif, nous ne pouvons pas faire grand-chose pour accélérer tout ça. On vous poste donc le premier chapitre du tome 3, histoire de briser un peu cette attente ! Cela ne change rien au plan, c'est purement pour que vous ayez quelque chose à lire, et aussi parce que traduire sans poster, c'est un peu triste^^. Pour le moment, nous allons prendre un rythme d'un chapitre par semaine en attendant de pouvoir implémenter un nouveau support. J'espère que le chapitre vous plaira !
Dans tous les cas, prenez soin de vous et à la semaine prochaine, on vous tient au courant Smile



3.00 E
Traduit par EllieVia

Je ne rêve pas de voir. Mais je rêve bel et bien d’aventures. Je pense que c’est le cas de tous les garçons, et je n’ai jamais oublié ce rêve en grandissant.

Et pourtant, c’est une chose de s’imaginer être transporté dans une autre dimension ou dans un autre monde, mais c’est une chose bien différente de l’être vraiment. Après réflexion, je crois que j’aurais préféré pouvoir manger ma quiche avant de partir, mais on ne peut pas tout avoir.


Jour 1


Lorsque je me suis retrouvé dans un autre monde, je m’en suis immédiatement rendu compte, pour plusieurs raisons. Premièrement : je suis à peu près sûr que les cafétérias ne sont pas recouvertes d’herbe, ni d’arbres. Deuxièmement, les sensations étaient tout simplement différentes.

Je fus immédiatement frappé par le parfum de l’air qui m’entourait. Vous pensiez peut-être que j’allais plutôt remarquer la chaleur du soleil sur ma peau, mais ce fut le changement brutal des odeurs de la brise qui me frappa immédiatement. On aurait dit… honnêtement, on aurait dit que j’avais vécu dans une ville polluée comme New York - non, disons plutôt dans une ville très polluée comme Hong Kong ou Beijing - pendant des mois et que je m’étais soudain retrouvé à un endroit où l’air était pur et frais.

La qualité de l’air est une chose que je remarque. Là où elle est mauvaise, par exemple dans des aéroports, l’air est stérile et sent le renfermé. C’est encore pire dans les avions. Dans des lieux pollués,  cela prend le pas sur tout le reste ; on finit par s’y habituer, mais la pollution se trouve alors dans nos poumons et rend la respiration plus pénible que nécessaire.

La différence entre un air pur et un air pollué est tangible, même pour les gens qui n’y prêtent pas particulièrement attention. Mais la différence entre l’air de la cafétéria parfaitement entretenue où je me trouvais et l’endroit où je viens d’atterrir ?

Elle est inimaginable.

Je regarde autour de moi, ma quiche au bacon toujours dans une main, ma canne dans l’autre. Je sens bien que je devrais paniquer, mais honnêtement, je n’ai pas envie de me mettre à courir partout. Je suis incapable de savoir ce qu’il se trouve autour de moi à part le fait que je suis à présent debout dur de l’herbe, et que je n’ai vraiment pas envie de rentrer dans un arbre, s’il y en a autour de moi.

Si vous ne l’aviez pas encore deviné, je suis aveugle. Pas aveugle au sens de la loi, car la définition comprend de nombreuses variations. Je veux dire que je ne vois rien. Pas de ténèbres, pas de distinction entre la lumière et le noir - rien. Cela me convient très bien, mais la plupart des gens que j’ai rencontrés en font tout un plat.

D’habitude, je m’en sors très bien où que j’aille. J’ai d’excellents amis, mes parents sont surprotecteurs, et je peux toujours demander où me rendre où un coup de main si je suis vraiment coincé.

C’est-à-dire comme maintenant. Le seul problème, c’est que j’ai la nette impression d’être seul. Ma meilleure amie, Zoé, n’est pas assise à la table en face de moi, et j’entends des oiseaux chanter.

Je balaie prudemment le sol autour de moi avec ma canne, et m’interrompt en sentant de la terre et de l’herbe à l’extrémité. Ce n’est de toute évidence pas du carrelage. Soit quelqu’un est en train de me faire une blague extraordinaire, ou…

“Ohé ? Zoé ? Il y a quelqu’un ?”

Pas de réponse. On dirait un cauchemar, comme ceux que je faisais enfant, où j’étais perdu dans un bâtiment gigantesque, sans canne, et sans personne pour m’aider. Sauf qu’alors, je ne cessais d’imaginer que quelque chose essayait de m’attraper et qu’il faisait sombre.

“Ohé ?”

Il y a clairement de la lumière, ici. Je sens le soleil sur ma peau, et je suis à peu près certain que l’aube s’est levée depuis peu, à en juger par l’herbe couverte de rosée. Je sais qu’elle est couverte de rosée parce que je me suis assis par terre.

Certaines personnes paniquent lorsqu’elles sont confrontées à une situation inattendue. Si j’étais un autre, je me mettrais peut-être à courir de partout en hurlant, ou à paniquer. Mais la cécité m’a vite appris que rentrer dans des objets en courant est une mauvaise idée. De plus, j’ai encore ma quiche à la main.

Je la pose sur mes genoux et réfléchis. Bon, je suis ailleurs. Pas dans le centre commercial. J’aurais pu croire à une blague, mais Zoé n’est pas suffisamment cruelle pour faire ça, et ce n’est pas comme si j’avais eu une absence ou m’étais laissé distraire. J’ai simplement fait un pas avant de me retrouver…

Ici.

“Est-ce une forêt ? Ou une clairière ? Un chemin de randonnée ?”

Je touche délicatement l’herbe du bout des doigts. Yep. On dirait de la rosée matinale. L’herbe est longue, et n’a pas été coupée... encore un signe ? Je ne suis pas assis sur la pelouse de quelqu’un. Je finis alors par trouver une fleur.

Elle est douce sous mes doigts. Les pétales collent presque à ma peau, et j’ai un mouvement de recul en réalisant que la fleur est mouillée. Quel genre de fleur est-ce donc ? Est-ce qu’un oiseau ou autre chose y aurait fait caca dessus ?

“...Non. C’est du nectar.”

L’odeur, sucrée et très particulière, ne ressemble en rien à ce que j’ai pu sentir dans mon monde. J’étais déjà arrivé à la conclusion que j’étais dans un autre monde, mais cette fois-ci, j’en suis plutôt sûr.

La fleur dégage un parfum sucré et épicé, mais également sombre, si cela vous parle. Sombre, c’est ainsi que j’imagine que les gens voient l’ombre - non pas que je l’aie déjà vue moi-même. Mais j’arrive à me représenter l’ombre - une chose humide, aussi vaste que l’océan, qui rampe et aspire tous les rayons du soleil. C’est ce qui se rapproche le plus du parfum de cette fleur.

Je n’ai jamais rien senti de tel, et j’ai bonne mémoire. J’ai visité des serres gigantesques, et même des jardins floraux dans tous les pays où je suis allé - le parc de Keukenhof aux Pays-Bas est mon préféré - et je n’ai jamais croisé ce parfum, tellement unique.

Je tends précautionneusement la main et ramasse la fleur. Je culpabilise un peu, mais il faut que je la touche, que je la respire. Je suis conscient qu’elle est peut-être empoisonnée, mais je n’en ai cure. Je la hume de nouveau, et cette fois-ci, je réalise que le cœur de la fleur est bel et bien recouvert d’un nectar collant.

Oserais-je y goûter ? Non, c’est probablement trop risqué. Mais cela renforce mon hypothèse. Je suis ailleurs, et il m’est arrivé quelque chose… d’étrange.

“De la magie ? Une téléportation ? Une espèce d’hallucination hyper réaliste ?”

Cela ne peut être réel. Et pourtant, une partie de moi me murmure ‘si, ça l’est’. Si, ça l’est.

C’est réel. Tu es dans un autre monde.

Et cela me fait sourire. Même si le rideau tombe l’instant suivant ou qu’il s’avère que l’on m’a piégé. Pendant un bref instant, j’y crois.

L’air a une odeur différente. Plus propre. Plus sucrée, même. D’ailleurs, même la lumière du soleil me paraît… étrange. J’aurais juré qu’il faisait plutôt chaud à San Francisco - suffisamment chaud pour que Zoé et moi nous rendions au centre commercial pour nous rafraîchir. Mais j’ai l’impression de vivre ici un matin frais d’automne.

Une brise agite mes cheveux. Je sens l’odeur de l’herbe et le parfum des fleurs d’un autre monde que je n’avais jamais vu. Et j’entends un oiseau gazouiller au loin. Au moins, ce son-là me paraît normal.

C’est une si belle journée. Je pourrais me lever et marcher vers l’incertitude, mais l’herbe est douce, ici. Je suis peut-être assis au bord d’une falaise, je ne le saurai jamais. Mais je suis bien, ici.

Combien de temps suis-je resté assis ici, ma quiche sur les genoux, à écouter le vent et les oiseaux ? Une heure, peut-être. Assis par terre, j’ai écouté les sons qui m’entouraient, renforçant de plus en plus ma conviction d’être ailleurs. À un endroit spécial.

C’est alors que j’ai entendu la voix. Distante d’abord, elle a fini par se rapprocher, accompagnée des bruits de craquements de branches. Quelque chose pleure, et j’entends un bruit sourd quelque part derrière moi à gauche.

Je commence un peu à m’inquiéter. D’accord, pénétrer dans un autre monde est une expérience éprouvante, mais jusqu’alors, je restais calme en essayant de voir cela comme une espèce de Voie 9 ¾. Mais personne n’a envie de tomber sur un monstre.

Ou un ours. Forêt + grosse bestiole = ours, dans ma tête. Mais cet ours a une voix. Et il est bouleversé.

J’entends la chose s’arrêter dans mon dos, avant d’entendre un bruit ressemblant à des sanglots. Cela me rassure, mais je sens alors pratiquement les vibrations de quelque chose en train de frapper quelque chose d‘autre. Probablement un arbre, comme toutes les branches bruissent sous l’impact.

Est-ce qu’il s’agit d’une personne ? J’écoute intensément. Contrairement à une croyance populaire, être aveugle ne m’a pas conféré de sens surnaturels. J’utilise juste ce que je possède avec davantage d’efficacité. Je sais différencier les sons… oui, quelqu’un pleure. Sa voix est grave, c’est pour cette raison qu’elle avait une sonorité étrange. Et elle sanglote.

J’ai déjà un peu d’empathie pour la personne et son chagrin, même si je n’apprécie pas vraiment les bruits de coups. Si la personne est en train de frapper cet arbre, alors c’est bel et bien lui que j’entends se fendre sous les assauts.

Mais je n’ai pas le choix. Je me lève et hausse la voix.

“Ohé ? Il y a quelqu’un, là-bas ? Tout va bien ?”

Les pleurs s’interrompent immédiatement. J’entends la personne reprendre son souffle. Je l’appelle de nouveau, en me tournant dans la direction d’où provenait le son.

“Je crois que je me suis perdu. Désolé, mais est-ce que vous pourriez m’aider ?”

“T’aider ? J’arrive !”

C’est bel et bien quelqu’un ! Je n’aurais jamais cru que voir quelqu’un s’avérerait être le meilleur moment de ma journée. Mais il s’agit non seulement d’une personne, mais apparemment d’une personne de sexe féminin. Ou du moins, j’en ai l’impression. Mais elle a une voix très grave, non pas que cela me déplaise. Sa voix est apaisante.

Juste après avoir parlé, la mystérieuse inconnue se met à courir dans ma direction. Je l’entends s’écraser contre les branches tandis qu’elle se précipite droit sur moi.

“Je suis là ! Quel est le prob… oh !”

Elle se rapproche, et ses pas font trembler légèrement le sol. Je reste en position et essaie de la sentir de mon mieux.

Elle est lourde. C’est certain. Et grande ; voilà mon impression générale. Et elle sent. Pas exactement mauvais, mais son odeur n’est pas vraiment...normale. J’imagine que je ne pourrai pas mieux la décrire. Elle transpire un peu, c’est sûr, mais ce n’est pas déplaisant.

Puis elle reprend la parole, et j’entends l’inquiétude teinter sa voix. Cette dernière est grave, mais douce, et elle a une excellente prononciation ; c’est rare d’entendre quelqu’un articuler aussi bien.

“Je suis là. Tu es perdu, étranger ? T’es-tu blessé les yeux ? Tu les gardes fermés.”

“Quoi  ? Non. Je suis…”

Je lève légèrement ma canne et je la sens avoir un mouvement de recul. Elle recule d’un pas. Est-ce qu’elle pensait que j’allais la frapper ? Je baisse la canne et lève une main.

“Désolé. Je suis aveugle. C’est ma canne blanche.”

“Tu ne peux rien voir ?”

Sa voix paraît choquée. Elle ne reconnaît pas non plus ma canne. C’est un symbole plutôt universel… suis-je vraiment dans un autre monde ?

“Rien du tout. Je ne peux pas te voir, mais je peux t’entendre.”

Une brève inspiration. J’ai l’impression que la personne debout devant moi est gigantesque ; ou du moins, ses poumons.

“Tu ne peux pas voir mon visage ?”

“Non. Il y a un problème ?”

Un silence. Puis…

“Non. Aucun problème.”

Je souris. Je ne suis pas sûre de sourire dans sa direction, mais ça aide. Toujours.

“Tant mieux. Je t’ai entendue et je ne voulais pas t’interrompre, mais j’ai quelques ennuis. Je m’appelle Laken Godart.”

Je lui tends la main, et je la sens hésiter. Mais une main finit par engloutir la mienne.

Une grande main. Mais elle serre tellement délicatement la mienne que je ne sens presque rien.

“Je m’appelle Durene. Comment êtes-vous arrivés ici, Monsieur Laken ?”

M. Laken ? Que c’est étrange. Est-ce que je connais un pays qui utiliserait ce genre de titre ? Je souris avec tristesse.

“Je ne sais pas vraiment comment je suis arrivé ici. J’étais dans un centre commercial, et j’ai dû me tromper d’allée ? Il s’est passé quelque chose, en tout cas, parce que je me suis soudain retrouvé ici.”

“Un centre commercial ? Je n’ai jamais entendu parler de ça en ville. Désolée.”

Je hausse les sourcils. Soit c’est une actrice talentueuse et il s’agit de la meilleure simulation de tous les temps, soit elle est sérieuse.

“Est-ce que tu peux me dire où je me trouve ?”

Je crois qu’elle acquiesce. J’ai entendu dire que les gens font beaucoup ça, même si je n’ai fini par comprendre le geste que lorsque quelqu’un m’a montré exactement ce qu’il faisait avec sa tête.

“Vous êtes près du village de Rivechamp. Dans la forêt, plus exactement.”

Rivechamp ? Au moins, j’avais raison pour la forêt.

“Est-ce qu’on est près d’une ville ? J’étais à San Francisco il y a quelques instants et je ne sais absolument pas comment j’ai atterri là.”

Encore une pause.

“Je suis désolée, mais je ne sais pas où ça se trouve. C’est une grande ville ?”

“Très grande. Comment s’appelle la plus grande ville du coin ?”

“Bells, je pense. C’est à plus de quarante kilomètres d’ici, en revanche.”

“... est-ce que c’est en Amérique ?”

“En Amérique ?”



Ce n’est probablement qu’un rêve. Ou une dépression nerveuse, même si le psychiatre que ma mère a embauché a dit que mon bilan de santé était correct ces dernières années. Il y a sans doute beaucoup de raisons qui expliqueraient cela, mais ce que je voudrais vraiment, un tout petit peu, c’est que tout ceci soit réel.

“Désolé, Durene, je vais prendre un risque, là, mais… est-ce que tu pourrais me dire quelle année nous sommes ? Et dans quelle nation je me trouve ?”

“Une nation ? L’année ? Je… je ne suis pas trop les années. Je crois qu’on est à peu près autour de 22 après T.P. ? Et, hum, nous ne sommes pas une nation. Personne d’autre que le chef du village ne dirige Rivechamp.”

“Oh mon dieu. Je suis dans un autre monde.”

“Quoi ?”

“C’est obligé. Durene, est-ce que je te semble… étrange ?”

Elle marque une pause. Je la sens se rapprocher lentement. Je n’en suis pas sûr, mais je crois qu’elle me dévisage.

“Eh bien… tu t’habilles un peu bizarrement. Tes vêtements sont inhabituels. Il y a un étrange symbole avec un triangle sur ton haut. Il est… coloré.”

Je souris légèrement. Ma cécité implique que mon sens de la mode est un peu biaisé. Je sais que je porte un short et un t-shirt, apparemment frappé du logo de l’œil des Illuminati. Zoé m’a dit qu’il m’allait bien, mais j’ai quelques raisons de douter de ses goûts en matière de mode.

“Est-ce que tu as déjà vu quelque chose de ce genre auparavant ?”

“Rien d’aussi vibrant. Es-tu un noble ? Un marchand de tissus ?”

“Non. Je suis juste aveugle. Et je crois… oui, je crois que je suis bien loin de chez moi.”

“Oh. Je suis désolée.”

Je hausse les épaules.

“Ce n’est pas de ta faute. Je crois. Et si c’est le cas, alors j’adorerais avoir une explication ?”

“Quoi  ? Non ! Je ne ferais jamais…”

Elle est si vite embarrassée. Je me sens un peu coupable, du coup.

“Je suis désolé. C’était une blague.”

“Oh.”

Que dire ? D’ordinaire, ma conversation est relativement agréable. Ou du moins, je peux toujours trouver un sujet de conversation, même s’il n’est pas bien accueilli.

“Je t’ai entendu pleurer. Est-ce que tout va bien de ton côté ?”

“Moi ?”

J’ai entendu parler des rougissements, aussi. D’après les descriptions des gens et la fois où j’avais touché quelqu’un en train de rougir, j’imagine de la chaleur emplir leur visage. C’est certainement comme ça que je le ressens, et je pense que Durene est en train de subir la même sensation.

“Ce… ce n’était rien. J’étais juste contrariée, voilà tout. Je ne pensais pas qu’il y avait quelqu’un dans le coin.”

Sa voix est rauque d’émotion. Je marque une pause, mais pourquoi ne pas poursuivre cette conversation ? Je n’ai rien à gagner à me retenir de poser mes questions. Je l’ai appris il y a bien longtemps.

“Pas de problème si tu ne veux pas en parler. Mais si tu veux discuter…”

“Non.”

Je hoche la tête. Mais je la sens hésiter. J’attends donc.

“Quelqu’un m’a jeté une insulte. C’est tout.”

“Ah.”

Tellement d’années, tellement de sentiments peuvent se trouver derrière un simple mot. Je me tourne dans sa direction globale, et je sais qu’elle me regarde. Puis j’entends quelque chose de drôle.

Un grondement. Des gargouillis. Un gigantesque estomac. Et je me souviens que j’ai quelque chose dans la main. Je souris en sentant Durene s’agiter et, présumablement, rougir.

“Durene, est-ce que cela te dirait de partager cette quiche avec moi ?”

“Tu en es sûr ?”

“Pourquoi pas ? Asseyons-nous pour discuter. Tu m’as l’air très gentille.”

Je m’assieds par terre. Au bout d’un moment, je sens quelqu’un s’asseoir à côté de moi. Je n’ai pas de fourchette, mais je n’ai aucun mal à sortir la quiche de sa boîte en métal et de la briser en deux. Je donne le plus gros morceau à Durene malgré ses protestations et nous mangeons en papotant.

Voilà comment j’ai rencontré Durene, et découvert un nouveau monde. Comme je l’ai dit, j’aurais aimé pouvoir manger ma quiche avant. Elle était tiède, à ce stade, mais au moins, j’étais en bonne compagnie.



Jour 2



Lorsque je me suis réveillé, j’ai encore une fois confirmé le fait que j’étais dans un autre monde. Je n’ai pas paniqué.

Durene fut vaguement surprise de me voir debout en train d’explorer sa maison en silence. Elle vit dans une maison relativement spacieuse à côté d’un ruisseau. Je ne l’imagine pas encore dans son ensemble, mais mon exploration et ses descriptions du bâtiment me donnent l’impression qu’il s’agit d’une maison de bois et de pierre brute, mais soigneusement colmatée de manière à empêcher les éléments naturels d’y pénétrer. Le sol de pierre n’est qu’à peine rugueux sous mes pieds nus, et l’unique fenêtre n’est pas vitrée.

Pour faire court, il s’agit d’une maison médiévale, et d’après ce que m’a dit Durene pendant notre discussion de plusieurs heures la veille, il s’agit d’un monde médiéval. Où la magie existe. Et où la technologie reste relativement rudimentaire. Elle était impressionnée par ma canne en fibre de carbone ; elle a poussé des exclamations en voyant le matériau, comme s’il était parfaitement alien en ce monde, ce qui était sans doute le cas, en un sens.

Je suis à présent assis à table, avec le sentiment d’être une demi-portion dans la chaise où Durene m’a assis. Elle s’active dans la cuisine. Je sens quelque chose en train de cuire, et on dirait qu’elle prépare des œufs. L’odeur du pain chaud remplit déjà mes narines.

“Voilà, Monsieur Laken. Désolée, c’est un peu brûlé.”

“Ça m’a l’air délicieux. Et appelle-moi Laken.”

J’entends et sens une grande assiette être posée devant moi. En explorant avec délicatesse mon assiette du bout de ma fourchette, je trouve les œufs - à peine coulants - et le pain grillé. Oui, il croustille, mais c’est vraiment bon, et je le lui dis.

“Merci de me laisser dormir ici. Je crois que j’ai pris le seul lit que tu avais. Je m’en excuse.”

“Oh, non ! Ce n’est rien. Et j’aime dormir dehors.”

“Jolie menteuse.”

Eh bien. Je crois que c’est bien la première fois que j’ai tellement pris une personne de court qu’elle s’est tue aussi vite. Je l’entends bouger, s’éclaircir la gorge, puis elle finit par me demander :

“Tu n’es pas inquiet ?”

Je hausse un sourcil. Je ne sais pas du tout si ça rend bien, mais mes amis m’ont assuré que si, et j’ai adoré l’idée après avoir lu une histoire dans laquelle le personnage principal usait de cette expression avec grand succès.

“À quel sujet ?”

“Eh bien, tu disais que tu étais perdu. Seul. Dans un autre… un autre monde ? Comment peux-tu être si calme ?”

Cela me fait sourire. J’ai peut-être l’air calme, mais j’ai passé un bon moment la nuit dernière pendant que Durene ronflait dehors à paniquer et à essayer d’affirmer que je n’étais pas en train d’halluciner. Mon bras est encore sensible tant je l’ai pincé.

“Quel intérêt aurais-je à paniquer ? Je suis surtout excité, en fait. Je suis dans un autre monde, où la magie existe. Il n’y a pas de magie d’où je viens.”

“Mais tu m’as dit que vous aviez tellement de choses étranges. Comme ces “voitures” et ces “centres commerciaux”. Ça a l’air incroyable.”

“Je suis surpris que tu me croies, pour être honnête. Si j’entendais quelqu’un parler de mon monde, je penserais qu’il est fou.”

“Mais lorsque tu en parles, cela paraît si réel. Et ton bâton qui se plie…”

Encore une invention miraculeuse d’après ses standards. Je crois que c’est d’ailleurs ça qui a convaincu Durene que je venais d’un autre monde. Ça, et mon iPhone. Je crois que Siri a fait peur à Durene.

Oui, apparemment, je n’ai pas internet, et comme je n’ai rien pour le recharger, j’ai éteint Siri pour économiser la batterie. Mais avoir un iPhone, même avec une batterie faible, s’avère incroyablement utile dans une situation de survie, dans laquelle je suis.

Ça, et avoir une amie. Je souris à Durene.

“Je ne crois pas que mon monde ait quoi que ce soit de spécial. Mais je suis, en revanche, vraiment heureux que tu m’aies trouvé, Durene. Je me suis rendu compte que je peux faire confiance à la plupart des inconnus.”

Encore une pause. Un autre rougissement hypothétique.

“Vraiment ? Mais tu ne vois même pas… et tu m’as juste fait confiance pour t’aider. Je pourrais être…”

Elle marque une pause.

“Quelqu’un de malintentionné.”

“Mais ce n’est pas le cas. Et j’ai un bon instinct en ce qui concerne les gens, ou du moins, j’aime à le croire. Tu m’as l’air d’être une personne très gentille, Durene.”

“Je… merci. Mais tu ne peux pas voir...’

Je lui adresse un sourire ironique.

“Je remarque tout de même quelques détails. Par exemple, je sais que tu es plus grande que moi. Et plus forte. Et tu as des cals sur les mains, ta table a une fissure ici - et tu as un grand appétit.”

C’est difficile de ne pas remarquer les bruits qu’elle fait en dévorant son assiette, pour être honnête. Durene s’agite sur sa chaise de bois en la faisant craquer.

“Je suis désolée.”

“Quoi ? Pourquoi es-tu désolée ?”

“Hum…”

“J’ai vraiment aimé les œufs et les toasts. C’est toi qui les as faits ?”

Cette fois-ci, je crois qu’elle acquiesce, parce qu’il y a un petit silence avant qu’elle ne prenne la parole.

“Oh ! Oui ! Je mange beaucoup. J’ai donc un grand jardin et je, euh, j’élève des poulets, des cochons et d’autres animaux. Mais je ne sais pas très bien cuisiner parce que je n’ai aucune Compétence.”

“Tu es dure avec toi-même. J’ai beaucoup aimé ce petit déjeuner.”

Un silence. Puis…

“Merci. Mais il faut que j’achète beaucoup de nourriture, de toute façon. Les villageois me vendent beaucoup de choses que je ne peux pas faire moi-même.”

“Tu vis donc dans un village ? Combien y a-t-il d’habitants ?”

Si cela vous paraît étrange que nous n’en ayons pas parlé hier, eh bien, il y a beaucoup d’explications et de confirmations à donner lorsqu’on pense avoir atterri dans un autre monde. D’autant plus lorsqu’il faut convaincre une jeune femme effrayée que l’on n’a pas piégé une personne dans son iPhone.

Est-ce qu’elle est jeune ? Durene a l’air d’être un peu plus jeune que moi. Bien sûr, je suis terriblement mauvais pour estimer les âges et elle peut donc être soit de mon âge, soit encore adolescente. Les filles grandissent plus vite que les garçons, après tout.

Bref, revenons à la conversation. Durene vit apparemment dans un petit village d’une soixantaine d’âmes, et la plupart d’entre elles habitent près les unes des autres. Elles vivent dans une zone charmante de terres cultivables irriguées par une rivière, d’où le nom du village, Rivechamp. Les gens d’ici pratiquent l’agriculture et l’élevage - ils ont un forgeron, et une personne dévouée qui va en ville pour vendre leurs marchandises, la personne la plus compétente en commerce.

Les gens de ce village vivent ensemble au sein de grandes familles. Les enfants partent souvent apprendre un métier dans d’autres villes en grandissant, ou gèrent l’entreprise familiale. Il est rare de rencontrer une nouvelle personne en un mois, et encore moins un groupe de gens, mis à part les aventuriers ou les Coursiers occasionnels.

Oh, oui, ce monde possède des aventuriers et le service postal le plus étrange que je puisse imaginer. Mais ce que je remarque le plus, dans les explications de Durene, c’est une étrange… absence de détails. Principalement en ce qui la concerne.

Durene ne vit pas dans le village. D’après ce qu’elle m’a dit, les seuls autres personnes à vivre seules sont les célibataires, ou les veufs et veuves. Mais Durene est bien trop jeune pour correspondre au moindre de ces critères, et elle me dit qu’elle n’a jamais rencontré d’aventuriers, alors que tous les enfants les adorent.

Je sens qu’il y a anguille sous roche.  Et je sens Durene, aussi. Son odeur m’a toujours l’air… anormale. Si je rencontrais d’autres personnes, j’arriverais peut-être à comprendre ce qu’elle a de si différent, mais en attendant, je maintiens le flot de la conversation et lui parle un peu de là d’où je viens.

C’est moi, Laken Godart, fils aveugle de deux parents relativement bien nantis, une avocate, et un homme d'affaires. J’ai voyagé à davantage d’endroits que Durene n’en connaît, et je suis aveugle. C’est une description assez élémentaire, mais la clef, pour se vendre, c’est d’embellir les choses.

Et bien trop vite, je me rends compte que le copieux petit déjeuner de Durene m’a affecté d’une toute autre manière. Je m’éclaircis poliment la gorge.

“Euh, Durene ? Est-ce que tu pourrais encore une fois m’aider à aller aux toilettes ?”

Oui, c’est embarrassant de demander à quelqu’un que je viens de rencontrer de m’aider, mais j’ai l’habitude. Je ne veux pas me retrouver dans les toilettes des filles, n’est-ce pas ? Mais encore une fois, elles ont été plutôt compréhensives les deux fois où cela s’est produit par accident.

Dans tous les cas, cela reste toujours plus simple de demander de l’aide, surtout lorsqu’il y a un risque de se tromper de porte. Et Durene est ravie de m’aider.

“Pas de problème. Par ici… oups ! Attends, laisse-moi juste pousser ça… la porte est ici.”

Elle est très prévenante. D’habitude, les gens ont beaucoup de mal à me diriger, mais elle a très vite trouvé comment faire. Elle me laisse lui prendre le bras - je sens ses muscles onduler à chacun de ses mouvements - et elle avance à un rythme raisonnablement rapide.

Ce n’est pas comme si j’avais du mal à me déplacer, et je sens si elle entame une pente ou si elle contourne quelque chose. C’est naturel, pour moi, et dès que j’ai expliqué cela à Durene, elle a vite compris comment faire.

Ses toilettes, sèches, sont à l’extérieur, loin du ruisseau. Elle doit m’attendre à une distance respectueuse, mais je ne prends pas longtemps. Il n’y a qu’un seul problème.

“Est-ce que tu aurais du papier toilette ? Euh, quelque chose pour m’essuyer ?”

“Je vais te chercher des feuilles !”

“Des feuilles ? Ohé ? Durene ?”

Apparemment, le papier toilette est un luxe tellement rare que Durene n’en a jamais entendu parler. Mais les feuilles qu’elle me tend font parfaitement l’affaire, et mes fesses ne se plaignent pas trop.

Les toilettes sèches sont définitivement sèches, c’est-à-dire que je sais qu’il n’y a pas d’eau sous moi lorsque je jette les feuilles. Mais elles sentent bon : Durene y a placé des herbes parfumées pour chasser les odeurs. Je lui en parle en sortant.

“Ta maison sent vraiment bon, Durene. Je t’envie.”

“Elle n’a rien de spécial. Vraiment pas. Elle est… rustique.”

“Je ne pense pas. Mais, euh, est-ce que je peux me laver quelque part ? Est-ce que tu as du savon ?”

“Du savon ?”

Transmettre l’idée élémentaire de l’hygiène à Durene me prend un bon moment. C’est ce qui m’inquiète le plus, en ce moment. Mais elle me fait bouillir de l’eau et lorsque je suis certain qu’elle n’est plus bouillante, je l’utilise pour me laver.

“Il faut vraiment que tu te laves les mains, Durene. Dans mon monde, un nombre incalculable de gens sont morts par le passé parce qu’ils ne se lavaient pas assez.”

Sérieusement ?

Je suis époustouflé, flatté, et touché de voir à quel point Durene accepte tout ce que je dis sans le remettre en doute. Je lui raconte la Peste Noire, et quelques minutes plus tard elle me jure qu’elle achètera du savon la prochaine fois que quelqu’un ira en ville.

Et il est déjà l’heure du déjeuner. J’ai faim, c’est certain, et Durene me fait faire le tour du jardin et me laisse toucher les plantes en train de pousser et les pommes de terre qu’elle arrache.

Mais nous nous heurtons alors à un problème. Durene va dans la cuisine pour les préparer et je reste dehors, à écouter. Mais vingt minutes plus tard, je réalise que quelque chose ne va pas. Je l’entends essayer de faire le moins de bruit possible, mais les bruits de casserole et l’odeur de brûlé ne peuvent pas vraiment être dissimulées.

“Tout va bien ? Durene ?”

“Je… je suis désolée.”

Sa voix est pleine de larmes lorsqu’elle sort pour me dire qu’elle a fait brûler les pommes de terre. Je ne comprends pas pourquoi, mais s’il y avait eu une alarme incendie dans sa maison, elle serait en train de hurler. Elle ne me laisse même pas inspecter le plat brûlé ; apparemment, il est tellement carbonisé qu’elle l’a donné aux cochons, dehors.

“Je ne sais pas cuire les pommes de terre. Je suis désolée. D’ordinaire, je les mange crues.”

“Allons, allons, on ne peut pas tolérer ça. Laisse-moi t’aider.”

“M’aider ? Mais tu…”

“Je suis aveugle, mais je sais cuisiner. Allez, viens !”

Je tends la main et lui touche le bras. C’est un gros bras, et elle recule instantanément. Mais je la rassure et la guide vers la cuisine.

C’est étrange de cuisiner en donnant principalement des instructions à quelqu’un. Étrange, mais amusant. Juste pour moi au début, mais Durent finit par se laisser aller.

Nous préparons des patates sautées. La recette n’est pas difficile, mais je dois d’abord montrer à Durene comment couper correctement. Je l’entends se couper deux fois avant de comprendre qu’elle tient mal son couteau.

“Comme ça, tu vois ? Si tu coupes des feuilles, comme ce romarin… fais-le comme ça.”

Durene a un hoquet de stupeur, mais je place le couteau contre mes phalanges et le fait courir sur la planche à découper, hachant lentement les herbes en petits tronçons.

“Simple comme bonjour. Ne t’inquiète pas ; même sans voir, il est impossible de se couper comme ça, tu vois ?”

“Je vois, oui ! C’est incroyable !”

“Non. Vraiment pas. Bon, remettons-nous au travail sur le reste de ces pommes de terre, d’accord ?”

“D’accord. Les pommes de terre coupées sont… ici. On les met à bouillir ?”

“Oui. L’eau bout ? Et tu as ajouté le sel ? Mets-les dedans. Elles y resteront environ quatre minutes, d’accord ? Bon, et maintenant, où est la poêle ?”

“J’y ai mis l’huile.”

“À présent, les pommes de terre. Le côté plat contre la poêle. Ça a l’air bon, pas vrai ?”

L’huile crépitant dans la poêle réveille mon estomac. Je souris et entends Durene faire glisser maladroitement les pommes de terre dans la poêle.

“Est-ce qu’elles sont bien dorées et croustillantes ? D’accord, alors on va baisser le feu. Et maintenant… un peu de beurre. Un tout petit peu… et le romarin… l’odeur n’est-elle pas tout simplement délicieuse ?”

“Si ! Si !”

C’est un succès. Nous nous mettons à table et Durene dévore son assiette comme si c’était le meilleur plat qu’elle ait jamais mangé. Apparemment, c’est le cas.

“Je n’ai jamais rien cuisiné de tel. Est-ce que tu as une Compétence ? C’est obligé !”

“Je ne dirais pas une compétence. J’ai juste appris auprès d’un grand chef cuistot.”

Merci Gordon Ramsay. Je ne peux peut-être pas le voir cuisiner, mais j’adore les chefs qui me racontent exactement ce qu’ils sont en train de faire.

“Est-ce que tu es un [Chef] ? C’est ta classe ?”

C’est une bien étrange façon de voir les choses. Je hausse les épaules, un peu embarrassé.

“Je voulais devenir chef, puis critique culinaire professionnel quand j’étais plus jeune. J’ai abandonné l’idée lorsque j’ai appris qu’un autre aveugle était déjà devenu Masterchef. Et, il faut bien le dire, je ne suis pas si doué que ça pour la cuisine.”

“Mais c’est…”

“Cela n’arrive vraiment pas à la cheville de ce qu’un chef professionnel peut cuisiner, crois-moi. Et tu as fait le plus difficile.”

“Mais tu sais tellement de choses, pourtant.”

J’ai envie de me recroqueviller un peu, tant je suis embarrassé.

“J’ai juste étudié un grand nombre de métiers, c’est tout. Chef, critique culinaire… à un moment, je voulais devenir joueur de billard professionnel, mais ce n’est pas possible, en fait. J’ai voulu essayer tout ce qui n’était pas ennuyeux, donc j’ai essayé beaucoup de choses.”

“C’est incroyable. C’est tellement mieux que moi.”

Je crois qu’elle me dévisage. Je sens sa proximité. Sa voix aussi est beaucoup plus intense… elle a l’air fascinée. Je ne peux m’empêcher de sourire.

“Tu serais surprise de voir tout ce que tu peux apprendre en t’appliquant. Oublie la cuisine - j’ai déjà démonté et remonté un vieil ordinateur à la main. C’est… disons, un appareil compliqué.”

“Je ne le connaîtrais pas, alors. Je… je n’ai que la classe de [Fermière].”

Voilà encore ce mot. Une classe ? Je fronce les sourcils.

“Une classe ? Tu veux dire, un métier ? On t’a imposé un métier ?”

“Non. Je suis juste une [Fermière]. Niveau 6. N’y a-t-il donc pas de classes dans ton monde ?”

“Oh, wow.”

Est-ce que c’est si évident que ça ? Est-ce que je ne l’avais pas remarqué avant parce que je suis aveugle ? Mais Durene m’assure qu’elle n’a pas sa classe ou son niveau en train de flotter au-dessus de sa tête comme dans un MMORPG. Et même alors, je suis sidéré, parce que je me rends compte à présent que je suis dans un jeu vidéo. Ou dans quelque chose qui y ressemble.

“Tu veux dire que tu as joué à des jeux avec le destin des gens ?”

“Non ! Ce n’était qu’un jeu. Mais ça ressemble exactement à ce que tu me décris de ton monde.”

“Oh.”

Nous nous asseyons côte à côte, dans son jardin, et discutons. À ce stade, Durene et moi sommes suffisamment à l’aise pour nous asseoir plus près l’un de l’autre, et oui, elle est grande. Je ne suis pourtant pas petit, apparemment, je fais environ 1m84, ou 6’1’’ pour les gens qui utilisent l’affreux système de mesure américain, mais Durene fait au moins une tête de plus que moi. Possiblement plus ; elle se penche vers moi pour parler.

Et elle est énorme. Et elle en est consciente : elle me traite encore plus comme si j’étais de verre que les gens qui savent juste que je suis aveugle. Je lui en suis reconnaissant dans tous les cas ; on dirait un peu qu’une géante me tient compagnie.

Hmm. Une géante ?

Un dernier détail : la peau de Durene est plus rêche que la normale. L’intérieur de sa paume est relativement lisse, bien que calleuse, mais les rares fois où ma peau a rencontré la sienne, je l’ai trouvée étonnamment rugueuse voire même crevassée par endroits.

Étrange. Mais elle sait écouter, et nous restons assis ensemble jusque tard dans la nuit. Je lui raconte des histoires, et elle me parle de ce monde. De la magie, des aventuriers et un système de jeu.

Le dîner, ce soir, est composé de champignons marinés, là encore grâce à mon marathon de visionnage de vidéos de Ramsay. Heureusement que je me souviens de nombreux plats végétariens ; Durene aime la viande, mais apparemment, c’est une mets luxueux rare pour elle, malgré les cochons qu’elle m’a présentés plus tôt dans la journée.

Nous n’avons pas de vinaigre, mais le jardin de Durene est bien fourni, et tout est d’une qualité si bonne que nous avons à peine besoin d’assaisonner pour que ce soit bon. Nous complétons le repas avec de l’eau fraiche du ruisseau, et Durene mange quatre fois plus que moi. Heureusement que nous avons cuisiné des quantités suffisantes.

Parfois, j’aimerais pouvoir voir. Je n’ai aucune idée de la sensation que ce serait, et d’ordinaire, je n’en ai cure. Mais quand je passe une mauvaise journée ou que je suis frustré et que j’aimerais que les choses soient plus simples, j’aimerais voir.

Mais à présent, je veux juste voir son visage. Bien que Durene soit apparemment complexée par son apparence.

Je me demande pourquoi. Je me demande pourquoi en me couchant dans son lit et en l’écoutant ronfler dehors.

Au moins, je sais qu’elle n‘est pas une Trolle. Ceux du Hobbit se transforment en pierre au matin, n’est-ce pas ? Peut-être que les gens deviennent juste vraiment grands dans ce monde.

Peut-être. Mais elle reste une bonne personne, dans tous les cas.




Dernière édition par EllieVia le Sam 17 Avr 2021 - 19:56, édité 1 fois
 
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3.00 E - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia



Jour 3



Apparemment, l’une des obsessions de Durene, c’est le poisson. Je la comprends : elle ne peut pas attraper beaucoup de gibier et elle vend la plupart de ses cochons au lieu de les manger. Le poulet occasionnel n’est mangé qu’à la mort de l’un d’entre eux, et d’après ce que j’ai pu observer, elle a du mal à cuisiner même les plats les plus élémentaires.

Mais le poisson ? C’est difficile de rater le poisson, et Durene possède une canne à pêche rudimentaire avec laquelle elle essaie d’attraper des poissons presque chaque jour. Apparemment, elle n’a pas beaucoup de succès et je comprends rapidement pourquoi.

“Il te faut un appât qui se tortille. Les vers, c’est bien. Et tu bouges trop ta ligne. Laisse le poisson mordre avant de le tirer de l’eau. Tu vois ? La clef, c’est d’être patiente.”

C’est incroyable. Mais personne ne l’avait jamais enseigné à Durene, et elle me regarde pêcher avec une concentration intense. Je suis…

Je suis heureux de lui enseigner des choses, et suprêmement agacé que personne ne lui ait jamais expliqué quelque chose d’aussi simple. Peut-être que les gens de son village ne savent pas pêcher ?

Ou y a-t-il une autre raison pour laquelle elle vit seule ?

J’ai la moitié de ma réponse en arrachant le deuxième petit poisson du ruisseau, au ravissement de Durene. J’entends des voix, des rires ; les bruits de plusieurs enfants. Puis j’entends leurs voix.

“Hé, le Monstre ! Sors de ton trou, le Monstre !”

À côté de moi, sur l’herbe, Durene se fige. Je marque une pause, la chope en terre cuite rustique que Durene m’a donnée à moitié pleine à la main, m’interrompant alors que je prenais de l’eau dans le ruisseau.

“Où est-elle ? Hé, le Monstre !”

J’entends des rires gais, des bruits de course et des cris de joie qui contrastent fort avec les mots et le ton des voix d’enfants. Il ne leur faut pas longtemps pour nous trouver.

“Le Monstre ! Le Monstre ! Le M… qui c’est, ça ?”

Je tourne la tête et les bruits de course s’interrompent. J’ai compté… six enfants ? Tous très jeunes, probablement aux alentours de dix ans. Majoritairement des garçons, même s’il y a une fille avec eux. Ils s’arrêtent d’un air hésitant.

“C’est Laken. Il ne vient pas de la région.”, tente d’expliquer Durene. Je souris et me présente, mais dès l’instant où les enfants se rendent compte que je suis aveugle, leur respect disparaît.

“Il est aveugle !”

“Un monstre ! Le Monstre a trouvé un copain !”

“Les monstres !”

Est-ce qu’il y a quelque chose dans l’eau, ici ? Ou est-ce que c’est juste eux ? Je fronce les sourcils dans leur direction.

“Ce n’est pas un mot que vous devriez utiliser en vous adressant à Durene.”

“Mais c’est un monstre !”, proteste l’un des garçons. Puis j’entends un glapissement et la fille prend la parole.

“Je crois qu’il ne le sait pas. Il ne peut pas la voir !”

“C’est vrai !”

D’autres exclamations s’ensuivent.

“Vous devriez fuir, Monsieur ! Durene va vous manger le cœur !”

“Non, ce n’est pas vrai !”

“Aah ! Fuyez ! Le Monstre est devenu fou !”

Durene se lève, et je sens son désarroi. Puis je l’entends pousser un cri. Quelqu’un lui a jeté une pierre ! Je l’entends retomber dans le ruisseau.

“Bouffe de la terre, le Monstre !”

D’accord, des boules de boue. Une autre s’envole. Durene ne fait rien pour se défendre, je me lève donc. La tasse d’eau est encore dans mes mains. Je suis un instant tenté de la jeter, mais… ce ne serait pas correct. Les enfants se taisent. Que devrais-je leur dire ?

“Ravi de faire votre connaissance. Santé, mes potes.”

Je lève la chope dans leur direction puis bois. Honnêtement, mon eau a un léger goût d’argile. Je regarde les enfants, ou plutôt je vise leur direction globale.

“Maintenant, dégagez.”

Un silence. Mon visage reste impassible. Je n’ai jamais regardé qui que ce soit droit dans les yeux, pour la bonne raison que je pourrais mal viser, et que je peux à peine garder les yeux ouverts pour soutenir un regard dans tous les cas. Mes yeux s’embuent vite, même si je ne peux pas voir.

Mais je sais très bien rester immobile et calme. Ce qui n’est pas le cas des enfants. Au bout de quelques secondes de plus, je les entends s’en aller.

Je me rassieds à côté de Durene. Elle tremble.

“Ça va ?”

Je garde un ton léger en tendant la main vers la canne à pêche. Je ne la trouve pas, mais Durene la presse alors silencieusement dans mes mains.

“Est-ce que tu sais ce que je voulais dire quand j’ai dit ‘santé’ ? C’est une expression venue d’une autre culture. Cela signifie, eh bien, c’est quelque chose que l’on dit avant de boire, ou à une fête.”

“Vraiment ?”

Sa voix tremble, mais elle est curieuse. Je hoche la tête et souris.

“J’ai rencontré un Australien, un jour, qui arrivait à prononcer ce mot comme s’il s’était agi d’une menace. Il l’a dit à un groupe de soldats qui nous embêtaient et… eh bien, ce n’est pas toujours poli. Tout est dans la nuance, tu vois ?”

Un nouveau silence. J’entends Durene déglutir.

“Je… je suis désolée. Ce qu’ils ont dit…”

“... ne me concerne pas. Ces petits crisses étaient insupportables, de toute façon. On ne peut même plus les traiter de morveux. Est-ce qu’ils te harcèlent souvent ?”

C’est bien de connaître plusieurs cultures. Ça aide quand on veut ajouter des insultes à son répertoire. Durene éclate d’un rire tremblant, puis se tait de nouveau.

“De temps en temps. Je veux dire, ils viennent de temps en temps mais ils ne font rien de plus que de jeter des trucs.”

“Comme des pierres ?”

Je n’ai que le silence pour toute réponse. Je m’éclaircis la gorge.

“C’étaient de misérables petits monstres ; ne les écoute pas. Et dans tous les cas, ce ne sont que des gamins, non ? Tu ne peux pas les chasser ?”

“Je ne peux pas faire ça ! Je pourrais blesser quelqu’un, et alors là…”

Elle a l’air sincèrement choquée. Et effrayée. Est-ce qu’elle s’inquiète du stéréotype de la foule de fermiers armés de fourches ? Mais il faut bien que le cliché vienne de quelque part. Elle a peut-être raison de rester passive.

“Je suis désolé de t’avoir causé des ennuis. Mais je ne pouvais pas les laisser te harceler comme ça.”

“Ce n’est pas grave. Je crois. Non, ce n’est pas grave. Mais je suis surprise que tu n’aies pas été plus en colère que ça quand ils t’ont traité de monstre. Tu n’en es pas un, toi.”

Là encore, son ton suggère… quoi ? Une dépression ? Une terrible estime de soi, dans tous les cas. Mais je n’ai pas encore réuni tous les indices, même si je sais à peu près ce qu’il se passe. Quant à moi… je hausse les épaules.

“J’étais beaucoup plus en colère que ça, avant. Mais je suis devenu beaucoup plus calme à présent ; je ne m’emporte plus vraiment. On m’a déjà insulté, moi aussi.”

“Vraiment ?”

Je souris de nouveau, mais cette fois-ci, il s’agit plutôt d’un rictus.

“Tout le monde se fait insulter. Je suis juste une cible plus facile comme je ne vois rien venir. Là encore, je comprends. Quand on est petit, tout ce qui est bizarre représente une cible. Tout ce qui est différent, ou effrayant… c’est plus simple de lancer des insultes que d’apprendre à connaître la personne. Cela ne signifie pas que je pense que ces gosses avaient raison de faire ce qu’ils ont fait, bien sûr. La prochaine fois que l’un d’entre eux t’insulte, frappe-le. Ou insultes-le toi aussi.”

“Je suis incapable de frapper qui que ce soit ! Et je suis nulle en insultes.”

“Quoi ? Les insultes, c’est très facile. Vas-y, essaie. Insulte-moi.”

“Je… je ne sais pas. Comment est-ce que je pourrais les appeler ?”

“Bouton mûr ? Pitoyable tête à claques ? Champignon pleutre ? Les insultes, ça peut être tout ce que tu veux.”

Le rire qui surgit de Durene ressemble davantage à un aboiement amusé, mais il est sincère. Elle rit de bon cœur.

“Tu sais quoi ? On va faire griller ces poissons et je vais t’enseigner quelques-unes des insultes les plus piquantes que je connaisse, d’accord ? Il faudra peut-être que tu te bouche les oreilles, cela dit ; certaines feraient rougir un marin.”

Elle éclate d’un rire ravi et je souris de nouveau. C’est un jour meilleur, malgré l’intervention des enfants. Et le poisson n’est même pas brûlé, cette fois-ci.




Jour 5



Chaque jour, je me retrouve à passer presque tout mon temps avec Durene. Elle est ouverte d’esprit et il est facile de discuter avec elle ; elle préfère écouter que parler, mais elle parvient à m’expliquer ce monde étrange en le fragmentant en des morceaux faciles à comprendre.

Elle est en train de me donner une leçon d’histoire au sujet d’une espèce d’Alexandre le Grand lorsque j’entends un cri. Je suis prêt à recevoir les enfants, cette fois-ci, mais à ma grande surprise, celui qui court à notre rencontre est seul.

“Durene ! Le chariot a perdu une roue ! Viens le soulever, c’est ‘Pa qui l’a dit !”

“Comment ? Le chariot ? J’arrive !”

Durene bondit sur ses pieds avec une agilité incroyable, puis hésite.

“Il faut que j’aille aider, Laken. Ça va aller ? Je peux t’y emmener…”

“Ne t’inquiète pas pour moi. Va. Je m’en sortirai jusqu’à ton retour.”

Là encore, être aveugle ne signifie pas que je sois en sucre. Je laisse Durene partir en courant avec le gosse et réfléchis à ce que je vais faire. Vingt minutes plus tard, Durene arrive en trombe pour me chercher au cottage.

Je suis en train de pêcher.

“Durene, tu es rentrée. Tout va bien ?”

Elle sent un peu le foin et une odeur animale. Et elle a aussi cette odeur musquée que je suppose être celle de sa sueur. Je l’entends sauter par-dessus le ruisseau d’un bond.

“Tout va bien. J’ai aidé Monsieur Prost à réparer son chariot ; voilà tout. L’essieu de la roue s’était cassé, il avait donc demandé à Finnon de venir me chercher.”

“Huh. Ils t’appellent toujours quand ils ont besoin d’aide ? J’ai l’impression qu’ils auraient eu besoin de beaucoup de gens pour déplacer un chariot en panne.”

Elle s’agite à côté de moi. Elle est mal à l’aise ? Il est étonnamment facile de savoir quand quelqu’un me cache quelque chose, même si je ne peux pas voir leur expression.

“Oh… ce n’était pas très difficile. J’ai juste dû aider à le soulever un peu, voilà tout.”

Elle n’a même pas l’air essoufflée. Mais elle a fait l’aller-retour en moins de dix minutes et aidé un paysan à remplacer sa roue ?

Étrange. Étrange, étrange, étrange, étrange…

“Tu fais souvent des réparations, alors ? C’est plutôt serviable de ta part.”

“Eh bien, je n’ai pas de classe. Mais s’ils ont besoin d’aide pour, disons, monter une grange…”

“Je comprends. Alors, il y avait beaucoup de dégâts ?”

“Ils vont devoir la réparer plus tard, mais on dirait que ce n’est que l’essieu qui s’est cassé. Je leur ai juste ramené le chariot chez eux pour qu’ils puissent laisser la vieille Evera se reposer. C’est leur cheval de trait, et elle se fatigue vite.”

D’accord, elle a donc tiré un chariot qui était peut-être rempli de foin sur une distance non spécifiée. Hmm.

C’est peut-être simplement sa classe. Durene a dit qu’elle était une [Fermière] de niveau 6, mais elle a déjà acquis [Force Majeure]. Apparemment,  cela la rend bien plus forte que la normale ; lorsque je lui ai demandé une démonstration, elle m’a soulevé d’une main comme si j’avais été une plume.

Mais sa peau ? Et les choses que les enfants ont racontées ? Qu’est-ce que cela sign…

Bah. Depuis quand suis-je devenu détective ? La réponse est : jamais, parce que j’arrive à peine à résoudre une énigme de Sherlock Holmes, sans parler de résoudre ces maudits casse-têtes en fil de fer. Et Durene mérite au moins mon respect, si ce n’est celui des autres.

Elle me le dira quand elle sera prête.


Jour 6


“Il me faut une classe.”

Voilà ce que j’ai déclaré à Durene à son réveil. Je me lève avant elle ; non pas que nous soyons du genre à nous lever tard. Nous sommes tous deux du matin, en fait, bien que j’aie tendance à être tout aussi fonctionnel la nuit que le jour, pour une raison évidente.

Mais j’aime entendre les oiseaux chanter et sentir les rayons du soleil sur mon visage. J’aime bien me détendre seul pendant une heure ou deux le matin. Comme me l’a un jour dit Zoé, je suis l’aveugle le plus zen qu’elle connaisse, c’est-à-dire que je suis le seul aveugle qu’elle connaisse. Elle connaît une aveugle - Teresa, mais nous ne nous entendons pas bien.

Je déteste Teresa.

Durene reste silencieuse un long moment après que je lui ai dit cela. Nous avons préparé des crêpes épaisses, ce matin, et y avons ajouté des baies sauvages, mais elle vient d’arrêter de les manger.

“Pourquoi ?”

“N’est-ce pas ce que font les gens dans ce monde ? Tu m’as dit que tu ne connaissais personne qui soit dépourvu de classe.”

“C’est vrai. Mais…”

J’attends, mais elle ne termine pas sa phrase. Je lui explique mon raisonnement en essayant de comprendre ce qui la gêne.

“J’y ai bien réfléchi, et il va me falloir une classe pour survivre dans ce monde. Je ne peux pas me contenter de vivre à tes crochets à jamais.”

“Mais une classe… ça veut dire que tu vas aller chercher du boulot, pas vrai ? Tu vas… partir.”

Oh. Oh. Je me sens crétin.

“Je ne veux pas être un fardeau pour toi, Durene. Je te fais déjà dormir dehors et à présent, tu dois nourrir deux personnes au lieu d’une.”

“Ça ne me pose aucun problème !”

Durene s’agite et fait bouger la table. Elle s’excuse, puis son ton devient suppliant.

“Je dors très bien dans l’herbe ! Vraiment ! Et tu manges beaucoup moins que moi. Ça ne me gêne pas que tu restes ! Je… j’aime bien que tu sois là.”

Que dire ? Que faire ? Qu’importe, il faut que ce soit quelque chose qui ne brise pas son cœur fragile.

“Tu sais que j’ai une maison, Durene, et une famille. Ils s’inquiètent probablement terriblement pour moi. Je veux retourner à leurs côtés.”

Je la sens presque s’affaisser à l’autre bout de la table. Je m’éclaircis la gorge et reprends la parole.

Mais j’aime beaucoup vivre ici avec toi. Si tu es sûre que je ne suis pas un fardeau pour toi, j’adorerais rester ici. J’ai juste mentionné cette histoire de classe parce que je trouve ça fascinant, tout simplement.”

“Tu vas rester ici ? Tu en es sûr ?”

Son enthousiasme, son ton plein d’espoir ne sont pas pathétiques. Ils me brisent le cœur. Qui a donc pu abandonner cette fille ? Je hoche la tête.

“Je doute qu’il y ait beaucoup de travail pour un aveugle dans ton monde, de toute façon. À moins que je ne puisse apprendre la magie ? J’adorerais apprendre.”

“Je ne sais pas. J’ai entendu parler des grimoires, mais je ne sais pas si les mages peuvent apprendre autrement.”

Je grimace, vaguement outragé en mangeant une autre crêpe. Même dans ce monde, l’absence de livres en braille m’handicape ? Et je doute fort qu’il existe des livres audio.

“Eh bien, une idée en moins. J’imagine qu’il faudra que j’y réfléchisse cette nuit.”

Puis j’ai une autre idée. J’en parle à Durene en l’aidant à faire la vaisselle des assiettes en terre cuite. Elle n’utilise pas de savon, mais l’eau chaude fonctionne plutôt bien. Elle supporte bien mieux la chaleur que moi, en revanche. Mais ses mains sont moins habiles, et nous travaillons donc tous deux lentement mais sûrement.

“Pourquoi ne me ferais-tu pas faire le tour du village ?”

Durene manque presque de lâcher la tasse qu’elle tient dans les mains. Je la repousse dans le seau d’eau juste à temps ; l’eau m’éclabousse de la tête aux pieds.

“Qu’est-ce qu’il y a ? Je ne me suis pas présenté, et je suis sûr qu’ils sont curieux à mon sujet.”

“Je… je ne voudrais pas t’embêter avec ça.”

“Ne t’inquiète pas. J’aime bien rencontrer des gens. De plus, il va bien falloir que je les rencontre un jour ou l’autre, pas vrai ?”

“J’imagine, oui.”



Jour 8


Il me faut encore deux jours pour parvenir à convaincre Durene de m’amener au village. Elle résiste, refuse d’en parler… pas tant par réticence d’y aller elle, que de peur que les villageois ne me traitent mal, je pense.

Et comment me traitent les villageois ?

Avec gentillesse.

Oh, ils savaient qu’un étranger était chez Durene, mais personne n’était venu. Je crois qu’ils étaient plus craintifs que curieux, et Durene elle-même leur avait peut-être dit de garder leurs distances. Ce n’est pas comme si nous étions toujours ensemble ; elle s’est rendue plusieurs fois au village avant que je n’y vienne moi-même, et j’imagine que j’étais l’objet de nombreuses rumeurs.

Lorsque Durene m’emmène enfin au village, j’entends quelques murmures, mais Prost, le [Fermier] que Durene a aidé quelques jours plus tôt,  est le premier à me serrer la main.

“Tu as une bonne poigne, fiston. Tu ferais un bon fermier.”

“Ah, mais je passerais mon temps à essayer de traire le taureau, et cela ne se finirait bien pour personne, n’est-ce pas ?”

Une plaisanterie, un rire, et je passe d’inconnu effrayant à quelqu’un d’abordable, voire sympathique. Une mère donne une claque à son fils pour m’avoir insulté, et je me présente bientôt comme un voyageur venu de loin, dont un sort a dévié la trajectoire et que Durene a beaucoup aidé.

Cette petite fiction est approuvée par tous les villageois, mais un peu plus tard, Prost me prend à part pendant que Durene aide un fermier à soulever quelques tonneaux.

“Je n’ai pas grand-chose à dire au sujet de Durene - elle aide bien quand il y a besoin, mais elle est un peu…”

“Elle m’a tout l’air d’une jeune femme gentille et parfaitement normale. Vous n’êtes pas d’accord ?”

Je le fais taire instantanément. Je ne veux pas savoir. Pas par lui. Pas de la part de quelqu’un qui ne soit pas Durene qui aurait choisi de m’en parler. La conversation s’arrête là, et la gêne s’installe un instant jusqu’à ce que je pose des questions sur les cultures du coin. Apparemment, ces fermiers ont une grande variété de semences, et ils sont fascinés lorsque je leur parle de serres et de rotation des cultures. Quelques [Fermiers] de haut niveau possèdent des Compétences qui imitent ces effets, et je me retrouve bientôt à donner des conseils vagues sur des techniques d’agriculture dont je me souviens à moitié. Dommage que je ne puisse leur donner une moissonneuse-batteuse.

Durene restait près de moi, inquiète, au début, mais elle finit par se relaxer avec le temps. Le reste des villageois la traitent… bien, j’imagine. Ils lui offrent un énorme verre de lait, et elle les aide à traîner un arbre gigantesque qui était tombé. Mais…

Nous quittons les villageois quelques heures plus tard, avec pour ma part des invitations à dîner ou à discuter chez plusieurs personnes quand je le voudrai. Je peux raconter des histoires sur les lieux où je me suis rendu, si j’omets de parler de choses qu’ils ne comprendraient pas, et dans ce petit village, je suis l’équivalent d’une célébrité, ou d’une nouveauté.

Les villageois m’aiment bien. Je crois que je peux l’affirmer sans peur de me tromper. Ils pensent que je suis gentil, charmant, et, d’accord, fou à lier. Mais la femme du Fermier Prost, Yesel, m’a donné un panier plein de bonnes choses à ramener chez Durene - ou plutôt, elle l’a donné à Durene, et j’ai rencontré beaucoup de gens aujourd’hui. D’une manière générale, cette sortie a été un succès.

Je me demande juste pourquoi ils apprécient si peu Durene. À moins que ce ne soit pas de l’animosité ? Elle les a clairement connus toute sa vie. Mais il y a un mur entre eux, et qu’importe à quel point les villageois sont gentils avec elle, et qu’importe à quel point elle essaie d’être la plus serviable et docile possible, ils gardent tout de même leurs distances avec elle. Je l’entends dans leurs voix et le constate par leurs actions.

Je les hais pour cela, juste un peu.


Jour 11


Je me suis réveillé en sachant quelle classe j’allais avoir. J’étais si nerveux pendant le petit-déjeuner que j’ai failli poser ma main sur la poêle à frire tant j’étais distrait. J’ai annoncé la nouvelle à Durene alors que nous mangions nos œufs brouillés au fromage.; nous ne savons ni l’un ni l’autre faire d’omelette.

“Je crois que je vais devenir [Empereur]. Est-ce que tu sais s’il faut que je le déclare ? Ou est-ce qu’il suffit de faire quelque chose qui t’accorde la classe ?”

Durene s’étouffe sur ses œufs et je dois l’écouter bafouiller un moment avant qu’elle ne soit capable de sortir une phrase cohérente.

“C’est impossible ! Laken ! Qu’est-ce que tu racontes ?”

“Je vais devenir [Empereur]. Ça m’a tout l’air d’être la classe la plus simple que je puisse prendre, et peut-être que j’obtiendrai des compétences utiles.”

Honnêtement, cela a été la première classe qui me soit apparue comme une option viable. Mais Durene m’a répondu immédiatement que c’était impossible. Je lui ai répondu qu’elle avait tort.

“Tu peux devenir [Impératrice], Durene. Tu en es capable, et moi aussi.”

“Ce n’est pas possible. Pour faire ça… il faut un royaume, et un palais et un cheval blanc et… et…”

Elle ne termine pas sa phrase, tant elle se sent incapable de décrire ma folie. Je ne peux m’empêcher de sourire.

“Mais bien sûr que si, c’est possible, Durene. J’ai entendu parler d’un homme, un homme ordinaire, qui est devenu Empereur. Tout seul, alors qu’il était pauvre et n’avait ni château, ni cheval.”

“Vraiment ? Qui donc ?”

Sa voix contient autant de scepticisme que de curiosité et d’enthousiasme. Elle adore entendre les histoires de mon monde. Celle-ci me fait sourire lorsque je la lui décris.

“Il était connu sous le nom d’Empereur Norton 1er d’Amérique. C’est un homme qui a existé et qui est devenu Empereur juste en s’autoproclamant Empereur. J’ai toujours adoré cette histoire.”

“Un empereur ? Mais tu as dit que personne ne régnait sur l’Amérique. Qu’il n’y avait qu’un type avec la classe de [Président].”

Mes explications sur le fonctionnement de mon monde ont peut-être été un peu embrouillées. Je secoue la tête.

“C’est vrai. Mais Norton n’avait que faire des règles. Un jour, il s’est déclaré Empereur. Et il a vécu jusqu’à sa mort en agissant comme tel.”

C’est une histoire incroyable, à laquelle j’ai du mal à rendre justice. Comment expliquer à Durene le conte de Joshua Norton, un homme d'affaires raté qui s’est un jour levé et s’est mis à envoyer des lettres à tous les journaux de San Francisco en se proclamant Empereur des États-Unis ?

Eh bien, à peu près comme ça, en fait.

“Il a fait ses proclamations et envoyé des ordres à l’armée - ordres qui ne furent jamais suivis - et il a même créé sa propre monnaie. Je sais que ça paraît ridicule, Durene, et je parie que tu souris, mais voilà le plus fort : ça a marché ! Les gens l’ont laissé se balader en se proclamant Empereur, et avec le temps, ils se sont mis à le traiter en tant que tel.”

“Impossible.”

“Si, je t’assure. Pas tous, bien sûr, mais il a fini par créer sa propre monnaie et est devenu connu dans toute la ville. Les gens de San Francisco ont accepté sa monnaie, et il dînait dans les meilleurs restaurants et se rendait au théâtre voir les pièces les plus célèbres où ils lui réservaient un siège. Lorsqu’il est mort, plus de trente mille personnes se sont rendues à ses funérailles.”

Durene écoute en silence, parfaitement concentrée sur l’histoire. Je ne peux qu’’imaginer la scène. Son histoire avait capturé mon cœur.

“Certains disent qu’il était fou. Et c’était peut-être le cas, sans doute, même. Mais il a aussi osé rêver. Et c’est quelque chose que j’ai toujours admiré chez lui.”

Il a osé rêver. Il y a pire comme souvenir à laisser de sa vie. Et contrairement aux riches hommes d’affaires et aux stars célèbres et aux politiques de l’époque, Norton 1er a tout de même marqué l’histoire comme le premier et unique Empereur des États-Unis. Cela peut paraître drôle pour la plupart des gens, mais je crois que c’est lui qui a eu le dernier mot, finalement.

“Si un homme peut se déclarer Empereur, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas l’imiter; Les rois sont peut-être nés pour régner, mais les premiers rois n’étaient que des hommes avec une armée qui se sont forgé des couronnes. Je n’ai peut-être ni armé, ni couronne, mais ça vaut le coup d’essayer.”

“Peut-être.”

Elle a beau être impressionnée par l’histoire, j’entends le doute suinter dans chaque mot de Durene. Mais je me contente de sourire.

“Je suis dans un autre monde, Durene, et d’après ce que tu m’as raconté, les classes règnent en maître ici. Pourquoi ne pas prendre la meilleure ? C’est pourquoi je te demande d’être témoin.”

Je me lève d’un air théâtral, priant pour ne rien renverser par accident lorsque je me mets à gesticuler avec exagération.

“Note bien mes paroles, qu’elles puissent être transmises pour la postérité. Note qu’à compter de ce jour, moi, Laken Godart, me déclare Empereur de l’Inapparent, seigneur souverain et gouverneur de tout ce qui se trouve sous ma supervision. Mais je ne suis pas seulement un Empereur ; je me déclare également Protecteur de la Maison de Durene.”

Pendant un instant, je maintiens ma pose, puis j’entends Durene pouffer. Avec sa voix grave, le son est incroyable. Je souris et me rassieds.

“Tu ne peux pas faire ça ! Et si quelqu’un t’entendait ?”

“Eh bien en ce cas, je leur demanderai de faire preuve du respect qui m’est dû. Et je leur demanderai de payer leurs impôts. Tu me dois une dîme, je pense. Ton [Empereur] exige tes meilleures crêpes.”

Pouffant comme une gamine, Durene m’en fait passer une. Je la mange d’un air triomphant, et lui raconte d’autres blagues qui la font rire.

Et c’est très bien. Son rire vaut bien cette folle tentative. Mais en dormant, cette nuit, je ne peux m’empêcher de penser que ça pourrait être une bonne chose que je sois [Empereur]. Je ferai de ce monde un monde meilleur, ou du moins, j’essaierais.

J’aimerais entendre bien davantage le rire de Durene, et faire en sorte qu’elle n’ait plus jamais à s’endormir en pleurant.

Dans mon cœur, en laissant le sommeil me gagner, je crois vraiment que j’en serais capable. Je le crois. C’est ce que j’ai appris à faire. Je crois que je pourrais devenir davantage que ce que les gens attendent de moi.

Mes yeux se ferment. J’expire. Puis j’entends une voix dans ma tête.


[Classe d’Empereur Obtenue !]

[Empereur Niveau 1 !]

[Compétence - Aura de l’Empereur Obtenue !]


Das war ja einfach !




Jour 12


Durene est complètement paniquée ; je suis calme.

À peu près calme. Je panique, mais plutôt en bien. Durene est juste en train de péter un câble.

Je cligne des yeux lorsqu’elle passe en trombe devant moi et manque de peu me cogner la jambe. Elle parle d’une voix forte et tendue.

“C’est impossible ! Tu n’as pas de beaux habits ! Comment peux-tu être un… un… [Empereur] ? Ça n’a aucun sens !”

Je ne sais pas. Et pourtant, je sais. Je me redresse. Je ne sais pas comment fonctionne cette nouvelle Compétence que j’ai reçue, mais je me sens un peu… différent. Un peu plus affirmé. J’avais raison. J’ai rêvé, et j’avais raison.

“Durene. Un [Empereur] se définit-il par ses habits ? Un roi reste roi même vêtu de loques, après tout. Cela peut paraître bête, mais en ce monde, les gens deviennent ce qu’ils pensent être, je crois. Tu n’es pas devenue [Cuisinière] parce que tu ne crois pas pouvoir en devenir une. Mais moi ? Je pense que je peux faire tout ce que je veux. Et je crois que toi aussi.”

Elle s’arrête de marcher. Je la sens se tourner vers moi.

“Je… je dois sortir. Je dois… sortir.”

Elle arrache pratiquement la porte de ses gonds pour s’enfuir. Je m’assieds sur une chaise et réfléchis, tentant de comprendre ce que tout cela signifie. Quelque chose. Que peut faire un [Empereur] ? Que peuvent faire mes compétences ? Est-ce qu’elles sont pratiques, au moins ? Comment vais-je faire pour rentrer à la maison ?

Je veux rentrer un jour. Même si Durene est ici, je…

Je dois retrouver ma famille.

Lorsque la porte s’ouvre de nouveau, Durene entre en silence, mais elle est calme, à présent. Elle évite le sujet de ma classe et je suis son exemple, au moins un moment.

“Tu as une très jolie maison, Durene. Mais j’adorerais visiter une ville un jour, voire une cité.”

Elle hésite.

“Je… moi aussi, j’ai envie. Mais c’est compliqué…”

Je ne lui demande pas pourquoi. Je me contente de hocher la tête.

“Tu as dit qu’il y avait d’autres continents dans ce monde, remplis d’espèces différentes.”

“... Oui.”

“Où sommes-nous ? Sur quel continent nous trouvons-nous ?”

“Izril. Nous sommes en Izril.”

“Huh. Ça me dirait presque quelque chose.”



 
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3.01 E - Première Partie
Traduit par EllieVia



Jour 13

Je suis [Empereur]. C’est un fait.

Mais je ne sais pas ce que cela signifie. Après une journée entière de conjectures et d’inquiétude, Durene n’a plus de réponses à me donner. Je suis pour ma part juste heureux de découvrir ce qui m’attend.

J’imagine que c’est à cause de ma classe que Durene panique autant. À mon sens, ce n’est qu’un titre qui n’a pas beaucoup de signification ; quelque chose qui s’est produit parce que j’ai essayé une idée novatrice. Mais aux yeux de Durene, cette classe m’accorde automatiquement un titre de royauté.

Non… un [Empereur] n’est-il pas d’un rang encore plus élevé qu’un [Roi] ? Un roi peut régner en vertu de sa lignée, mais un empereur pourrait en théorie régner sur plusieurs pays, et par conséquent sur des rois.

Huh.

Wow.

J’imagine que c’est énorme, mais là encore, je ne suis que Niveau 1, et je n’ai qu’une compétence bizarre. Quand j’en ai parlé à Durene, elle a dit qu’elle ne voyait pas d’aura autour de moi, mais les Compétences ne marchent pas forcément tout le temps. Certaines, comme sa compétence de [Force Majeure] sont essentiellement des changements passifs, mais certaines doivent être utilisées consciemment.

À ce que j’ai compris, il n’y a pas de mot ou de formule qui permette d’activer l’[Aura de l’Empereur]. Croyez-moi, j’ai essayé en ayant probablement eu l’air très stupide. Quel que soit son effet, cette compétence, tout comme ma classe, reste un mystère qui devra attendre.

Je soupire en marchant prudemment sur le sentier de terre dans la forêt près de la maison de Durene. Cela fait longtemps que je n’ai pas été seul, et pour être honnête, j’avais besoin d’une pause. Ma charmante hôtesse s’est inquiétée pour moi toute la journée, et elle ne voulait même pas me laisser sortir seul.

Elle n’avait aucune chance de remporter cette bataille. Son inquiétude est touchante, mais je ne suis pas tétraplégique ; j’ai besoin de me dégourdit les jambes et je déteste être chaperonné tout le temps. Le sentier de terre est relativement facile à suivre, et j’ai peu de chances de me perdre. Durene m’a montré la route, et je l’ai mémorisée.

“Quelle pagaille.”

Vraiment. Je me suis habitué à vivre dans ce monde grâce à Durene, mais à présent, j’ai un tas de questions qui tournent sous mon crâne. Comment vais-je pouvoir rentrer ? Est-ce que c’est seulement possible ?

Duren est convaincue que ce qui m’est arrivé est lié à la magie. Je suis plutôt d’accord avec elle, mais si n’importe quel sort peut me téléporter d’un monde à un autre, je suis prêt à manger mon chapeau. Non, il s’est passé quelque chose d’énorme, quelque chose qui m’a traîné ici, et il faut que je découvre ce que c’est.

Et je ne pourrai pas le découvrir à Rivechamp. J’ai besoin de voir le reste du monde. Un type aveugle et seul se baladant dans un monde plein de monstres et de magie.

J’en mourrais. Mais dans le cas d’un [Empereur], c’est différent, non ? Quelle peut être la différence entre un aveugle et un [Empereur] aveugle ?

Cela fait probablement toute la différence. Parce que l’un d’eux est un [Empereur].

Norton 1er d’Amérique. Est-ce que vous savez pourquoi j’ai adoré cette histoire ? Parce qu’il était Empereur des États-Unis dans sa tête, et rien ne pouvait le lui enlever.

C’est parfois vraiment nul d’être aveugle. Pour moi, c’est naturel, mais il y a des jours où j’en suis frustré. Frustré, parce que les autres peuvent accomplir sans efforts certaines choses qui m’en demandent énormément. Je n’attraperai jamais une balle, ne conduirai jamais, ne peindrai jamais. Je ne peux pas expérimenter certaines choses dont les gens parlent.

C’est un peu injuste. Et quand j’étais jeune, je détestais la manière dont j’étais traité. Parfois, oui, parfois, j’avais l’impression d’être inférieur, parce que certains pensaient que je l’étais. Oh, regardez, un gamin aveugle. Lui[/i] ne peut pas apprécier ceci, ou faire cela. Il est différent. Pas pareil.

Mais je suis aveugle. J’ai une valeur qui m’est propre, qu’importe que les gens veuillent bien la reconnaître.

Je m’arrête. Je suis là, au milieu d’une forêt que je ne peux pas voir. Dans un monde totalement différent du mien. Certains pourraient dire qu’il n’est pas si différent que cela pour quelqu’un qui ne peut pas le voir, mais je sens la différence à chacun de mes pas. Je sens le même sentiment d’émerveillement en entendant le chant d’un nouvel oiseau, ou lorsque je touche les mains de Durene et sais alors qu’elle est différente.

Je suis un [Empereur]. Personne ne pourra me l’enlever. J’ai peut-être obtenu cette classe facilement - en me contentant de me déclarer en tant que tel. Mais je le crois, et même alors. J’y ai cru. Lorsqu’on est aveugle, parfois, le monde est incertain. Je dois avoir confiance, le matin au réveil, lorsque je me déplace dans mon appartement, en le fait que tout est resté à la même place que la veille.

Je fais confiance aux choses que je touche du bout de ma canne, tout comme une personne voyante fait confiance à ses yeux. Mais je suis préparé pour les fois où je rate une branche ou quelque chose avec ma canne et fonce droit dans un arbuste. Je suis prêt, en somme, à tomber d’une falaise un jour parce que je ne peux jamais être sûr à 100% que quelque chose se trouve devant moi. Mais je dois croire que je vais poser le pied sur la terre ferme.

Et je crois donc ceci : je suis [Empereur]. Je devrais commencer à agir en tant que tel au lieu de me demander ce que cela signifie.

Que devrais-je faire, alors ? Que ferait un Empereur ? Je réfléchis un instant en poursuivant ma promenade en forêt.

“Je suis un [Empereur]. Ergo, tout ce que je veux faire sont des choses qu’un [Empereur] ferait. Il n’y a pas de mauvais choix.”

Mais y a-t-il des choix encore meilleurs ? Je me souviens avoir étudié l’histoire de Charlemagne. C’était un impérialiste ; d’après mes souvenirs, il était plus ou moins impliqué personnellement dans des guerres de conquête. Et pourtant, il a également instauré d’énormes réformes à travers son empire.

Norton aussi, ou du moins en théorie. Il voulait abolir le Congrès pour sécuriser son empire, et d’après les rumeurs, il s’était dressé devant une foule en colère pour protéger des immigrants chinois pendant les émeutes raciales. Qu’importe si cela est historiquement véridique ou non, les devoirs d’un [Empereur] sont envers son empire et ceux qu’il dirige. Il les garde en sécurité, les protège ; les améliore.

J’aimerais faire la même chose pour Durene. Elle est mon unique sujette, que puis-je faire pour elle ? Je marche en réfléchissant, et ne m’arrête qu’en remarquant que Durene essaie de me filer dans la forêt de manière peu subtile. Elle ne sait vraiment pas se cacher. Mais elle est attentionnée, et c’est la raison pour laquelle je l’aime.

Je l’aime vraiment beaucoup. J’aimerais juste qu’elle me raconte tout.



Jour 14



Que ferait un bon [Empereur] ? Que ferait n’importe quelle personne sensée en se retrouvant dans un autre monde, sans parler d’un monde de jeu ? Aujourd’hui, j’ai posé un nombre incalculable de questions à Durene au sujet de Rivechamp et du monde. Je lui en avais déjà posé beaucoup, mais aujourd’hui, je les ai toutes compilées dans ma tête.

“Tu n’as donc jamais voyagé plus de quelques kilomètres hors du village ?”

“Non. Jamais.”

Durene et moi sommes assis ensemble et sirotons une tisane de menthe maison. Elle est plutôt forte, comme nous avons fait infuser de véritables feuilles de menthe. Dommage que nous ne puissions pas y ajouter de miel ou de sucre, mais Durene n’a ni l’un ni l’autre.

Elle n’est pas riche. Ceci, au moins, est évident, bien qu’il me faille tourner autour du pot lorsque nous en parlons.

“Donc comme ça, tu gagnes quelques pièces en vendant tes récoltes et tes animaux de temps en temps. Mais tu n’es jamais allée en ville avec le chariot de marchandises ?”

“Non.”

Elle s’agite sur sa chaise et boit sa tisane. Elle est mal à l’aise. Je soupire.

“Tu sais, Durene. Je m’en fiche vraiment si tu es un peu différente des autres. Tu es une jeune femme très gentille ; qu’importe qui tu es, je ne te jugerai pas.”

Un silence. Puis, elle prend la parole, et sa voix grave tremble.

“Est-ce que tu… ? Est-ce que quelqu’un… ?”

“Non. Mais je suis suffisamment intelligent pour savoir que tu me caches quelque chose. Mais je ne te demanderai pas de quoi il s’agit tant que tu ne seras pas prête. J’espère que tu sais que tu peux me faire confiance, cela dit.”

“Je sais. Je sais ! C’est juste…”

On dirait qu’elle est au bord des larmes. Je tends la main et touche sa tasse à la place de ses doigts. Durene rit en voyant ma grimace et je trouve sa gigantesque main.

“Prends ton temps. Je ne vais partir nulle part. À présent, dis-moi. C’est comment, de vivre ici ? Est-ce que tu croises des monstres de temps en temps ?”

“Eh bien…”

Les monstres. Je ne peux même pas en imaginer un. D’après Durene, ils ne sont pas si terribles dans le coin. Les Gobelins sont le seul véritable problème, et le village envoie immédiatement des aventuriers s’en charger s’ils en repèrent dans le coin.

Mais… oui, selon où l’on vit dans ce monde, on peut être exposé à des degrés de danger extrêmement différents. Parfois, dans mon monde, on peut avoir des ours, ou des agresseurs, ou la guerre à craindre, mais jamais des petites créatures vertes avec des dents acérées comme des couteaux.

Bon dieu, elles me donnent la chair de poule.

“Quand les Gobelins viennent, c’est toujours embêtant. Tout le monde doit donner de l’argent pour mettre une récompense pour les tuer, mais les aventuriers mettent toujours quelques semaines à arriver, et je ne sais pas ce que nous ferions si un Cheftain Gobelin pointait son nez.”

Les Gobelins représentent apparemment une plus grande menace dans la partie septentrionale d’Izril qu’au sud. C’est une question de densité des populations, j’imagine. Les humains occupent davantage le nord que le sud, qui appartient aux Drakéides et aux Gnolls et à des créatures qu’ils appellent Antiniums. Les monstres apparaissent donc plutôt au nord comme il y a davantage à manger. Étrange ; je me serais attendu à ce qu’ils soient plus nombreux là où il y avait moins d’Humains, mais apparemment, ces monstres ne sont pas nos proies, mais nos prédateurs.

Rivechamp n’est pas si loin au nord - le village reste suffisamment éloigné des Hautes Passes, une immense chaîne de montagne similaire à l’Himalaya qui sépare le continent en deux. Apparemment, la grande ville la plus proche est Invrisil ; la cité des aventuriers, ainsi nommée car c’est là que l’on trouve la plus grande population d’aventuriers, actifs et retraités, du continent.

“Ils ont des compagnies Or là-bas. On peut même y trouver des Aventuriers Légendaires de passage, parfois ! Et ils disent que les marchés sont remplis d’objets magiques et de choses merveilleuses, comme des morceaux de monstres et des gemmes et artefacts rares.”

La voix de Durene est émerveillée lorsqu’elle décrit la ville. Je dois bien avouer que l’image me transporte moi aussi. Bien sûr, Rivechamp ne peut pas se permettre d’embaucher ce genre d’élite.

Tous les villageois, Durene comprise, sont franchement pauvres. Durene, en particulier, est très pauvre, mais les villageois ne roulent pas sur l’or non plus. Ils gagnent quelques pièces d’or chaque année lorsque le temps le permet et que les récoltes sont bonnes. Au mieux. Lorsque les temps sont durs, ils mangent leur gagne-pain, ou ils meurent de faim.

“Les gens économisent leur argent. Monsieur Prost économise tout son argent, par exemple ; il n’en dépense que lorsqu’il doit acheter de nouveaux outils ou réparer son chariot. Il va devoir acheter un nouveau cheval de trait sous peu ; je les aide, mais Evera - la jument - est vieille. Et ils veulent se mettre à l’élevage de cochons, mais c’est un investissement, et ils préféreraient garder de quoi réparer la maison…”

“Est-ce qu’il y a des gens riches dans ton village ? Le [Forgeron] ?”

“Pas vraiment. Il n’a pas tant de niveaux que ça tu sais, il reste encore un [Fermier], aussi. Il y a un autre [Forgeron] en ville qui a plus de niveaux. De temps en temps, des gens d’autres villages vienne lui faire une commande, mais jamais quoi que ce soit qui ne vale plus de quelques pièces d’argent.”

“On dirait que ton village ne se débrouille pas trop mal.”

“Certaines années, oui. L’année dernière s’est bien passée, mais l’année d’avant, on a eu faim. Si les récoltes sont mauvaises, ou si l’hiver arrive trop tôt, ça peut être très dur. Les villageois font de leur mieux, mais parfois, il y a quand même des ennuis. Et depuis qu’ils m’ont accueillie…”

Elle s’interrompt. Je crois comprendre le problème. Durene est énorme. Elle n’est pas forcément grosse : elle ne me laisse pas la toucher, mais je sais qu’elle peut se déplacer à une vitesse étonnante, elle est plus rapide que moi. Elle n’est donc probablement pas grosse, mais elle est grande. Elle mange environ quatre fois plus que moi à chaque repas, minimum.

“J’essaie d’aider au maximum. Mais je ne peux que tirer et soulever des trucs. Je n’ai aucune Compétences.”

“Tu as dit que tu étais une [Fermière] de Niveau 6, c’est bien ça ?”

“Oui. Je ne suis pas d’un niveau trop faible pour mon âge - il y a quelques personnes qui atteignent le Niveau 15, mais je n’ai pas fait d’apprentissage et j’ai appris toute seule, donc j’ai gagné des niveaux plus lentement.”

“Et ton père ? Ta mère ? Que faisaient-ils quand tu étais petite ?”

Durene hésite. J’attends en silence, la tasse vide de tisane de menthe à la main, profitant des derniers vestiges de chaleur. Puis elle marmonne.

“Maman est morte quand j’avais quatre ans. Je n’ai jamais rencontré mon père. Il est mort lui aussi.”



Jour 16



Je crois que Durene est encore déprimée après notre dernière conversation. Nous ne parlons pas beaucoup - c’est-à-dire, pas sur des sujets importants. Je passe la majeure partie de mon temps à aider Durene à finir ses récoltes. La plupart de ses plantes ont fini de grandir, et nous ramassons plusieurs courges aujourd’hui.

Elle veut se préparer pour l’hiver, même si je n’ai pas l’impression qu’il soit si proche que ça. Là encore, je ne connais pas ce monde, le temps peut donc changer beaucoup plus vite ici.

Je sens aussi que Durene est en proie à une lutte intérieure, probablement pour savoir si elle doit me parler de son passé. On dirait que c’est sur le bout de sa langue parfois, lorsqu’elle s’interrompt pendant une conversation.

Mais pas encore. J’attends. J’ai appris la patience, et pendant ce temps, je peux lui transmettre quelques connaissances.

“Tu vois, ton cœur envoie du sang au reste de ton corps. De ta tête jusqu’à tes pieds. Tu pourrais donc perdre un bras ou une jambe si tu t’assurais de stopper l’hémorragie, mais ton cœur est essentiel.”

Durene se gratte la tête.

“Mais il ne se fatigue pas, le cœur ? Je me fatigue en marchant tous les jours. Comment un cœur pourrait-il continuer de battre sans s’arrêter ?”

Je souris.

“C’est le muscle le plus puissant de notre corps. Et si, il se fatigue. Il arrive que les gens aient des arrêts cardiaques - des moments où le cœur s’arrête - lorsqu’ils vieillissent. Il y a une raison pour laquelle nous ne sommes pas immortels ; nos corps s’affaiblissent au fur et à mesure que les organes lâchent.”

“Oh. C’est logique.”

“Je ne sais pas quelle est l’espérance de vie dans ce monde, mais les plus vieilles personnes de mon monde ont environ une centaine d’années. Rarement davantage.”

“Cent ? C’est énorme ! Le vieux Schnel est mort à 62 ans, et il était vieux.”

“Eh bien, certaines choses affectent la durée de vie. Parfois, c’est juste le hasard, ou ton corps, mais ce qu’on mange, notre mode de vie… tout cela peut avoir une influence sur ta santé. Comme la nourriture. Tu te souviens de ce que je te disais au sujet des repas équilibrés ?”

“Hum…”

C’est amusant d’enseigner à Durene les bases de la biologie, de la science, et cætera. Je n’ai pas vraiment l’impression que les maths soient importantes et elle parle très bien - elle ne sait pas écrire, toutefois, et je ne peux pas l’aider avec ça.

Personne ne lui a jamais rien appris. Mais moi, je vais lui enseigner. Toutes ces connaissances ne sont pas forcément pragmatiques, mais j’espère qu’une partie pourra l’aider. Durene absorbe mes leçons comme une éponge pendant que nous ramassons les légumes et cuisinons. L’aider à grandir me rend heureux. C’est ce qu’un [Empereur] ferait. Ce que je ferai.


Jour 17


Encore des récoltes. Apparemment, le reste des villageois font aussi les dernières récoltes de la saison. Ils pourront peut-être obtenir un rendement de plus de leurs champs, mais peut-être pas. Nous stockons une grande partie des marchandises de Durene dans la cave.

… Je n’avais aucune idée que sa maison possédait une cave, mais elle a cave à légumes relativement spacieuse dehors ! C’est l’une des choses qui m’épate ; je n’aurais jamais deviné qu’il y avait une trappe juste là.



Jour 19



J’ai gagné des niveaux la nuit dernière ! Je suis à présent un [Empereur] de Niveau 2. Qu’est-ce qui a initié le changement ? Durene n’en a aucune idée, mais je crois le savoir. Elle est ma sujette. Lui enseigner des choses, prendre soin de ce petit cottage que j’ai proclamé comme étant ma propriété revient à améliorer mon empire, dans sa totalité, d’ailleurs. Tout est une histoire de perception. Peut-être y a-t-il une limite à la quantité d’exp que je peux obtenir ainsi, mais pour le moment, je prends ce que je peux.

Aucune idée de ce à quoi va me servir ce nouveau niveau, toutefois. Je n’ai pas reçu de compétence et je n’ai toujours pas compris comment fonctionnait mon [Aura de l’Empereur].

Hmm…




Jour 20



Je me réveille en entendant un son des plus étranges. Des bruits de pas ; ceux de Durene. Des crissements.

Bon, les bruits de pas, d’ordinaire, je les distingue bien. Je peux différencier les gens selon leur façon de marcher. Leurs rythmes sont différents, et bien sûr, le poids fait également varier les bruits. Ceux de Durene sont très distincts.

Mais sur quoi est-elle en train de marcher ? Impossible que ce soit ce à quoi je pense.

“De la neige ?”

C’est bien de la neige ! Apparemment, le monde entier a décidé de changer pendant mon sommeil. Durene me dit que les Esprits de l’Hiver doivent avoir apporté de la neige dans la région, et je me dis qu’elle n’a peut-être pas compris comment fonctionnait la météo.

Mais non… apparemment, en ce monde, d’étranges lumières dansantes, les Esprits de l’Hiver, peuvent manipuler la météo. Apparemment, ils sont aussi un peu dangereux, d’après Durene. Ils te jettent de la neige dessus si tu les embêtes ou te joue des tours.

Cela semble un peu insensé, mais une chose importante est claire : c’est l’hiver. Et bon sang, qu’il fait froid !

J’aide Durene à allumer un feu dans la cheminée du cottage. Elle a dû courir aller chercher du bois pour le feu tôt ce matin.

“D’ordinaire, je fais un tas à l’intérieur, mais j’ai complètement oublié cette année. Le bois est un peu mouillé, mais je pense qu’il devrait prendre.”

Durene ponctue sa phrase d’un éternuement. Elle a l’air gelée. Et une dose désagréable de froid a profité de l’absence d’un bon feu dans la cheminée pour s’insinuer dans la maison. J’ai dit plus tôt que sa maison était confortable, mais il est évident que Durene serait bien mieux dans une meilleure maison, peut-être une de celles du village, par exemple.

C’est frustrant. Voilà ce que c’est. J’aide à préparer une soupe épaisse tandis que Durene déblaie la neige, rapporte du bois pour le feu, et ainsi de suite, puis nous partageons un repas copieux. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je suis un fardeau à présent que la neige rend le fait de m’orienter dehors pratiquement impossible.

Le feu prend du temps à s’allumer, mais les flammes nous réchauffent vite. Durene est sûre de pouvoir couper suffisamment de bois pour l’hiver et elle a bon espoir que nous aurons suffisamment à manger - elle dit que la récolte a été bonne, mais la situation est trop précaire à mon goût. Il n’y a pas de supermarchés ici.

Au moins, nous avons des vêtements chauds. Les villageois nous ont envoyé des vêtements par l’intermédiaire de la femme de Prost, Yesel. Elle est venue vers midi, avec des manteaux et d’autres vêtements pour moi. Heureusement, d’ailleurs - je commençais à me lasser de ne porter qu’un seul ensemble.

L’étiquette exige que nous lui offrions quelque chose à manger et un peu de notre tisane de menthe à présent merveilleusement chaude. Je discute avec Yesel ; elle est ravie de papoter avec moi et de laisser Durene nous écouter. C’est bien gentil, mais je sens bien la façon dont elle parle à Durene. Et les indices qu’elle essaie de me glisser.

“Nous serions ravis de vous accueillir chez nous pour quelques jours. Au moins en attendant que le premier froid s’en aille. Je suis sûre que les enfants pourront se partager une chambre.”

Elle n’est même pas vraiment en train d’essayer d’être subtile. Elle me dit tout net qu’elle veut que je rentre avec elle au village. Et Durene est de toute évidence mécontente, mais elle ne veut pas protester.

Je sirote calmement ma tisane. Quelle est la meilleure réponse à donner dans ce cas précis ? Eh bien, de toute évidence : non.

“Mes excuses, Madame Yesel, mais Durene m’a si bien accueilli ici - nous venons juste d’installer le deuxième couchage. J’aimerais beaucoup me joindre à vous pour dîner un de ces jours, mais pour le moment, je préfère rester ici. Je n’aimerais pas prendre la route dans mon état, vous savez.”

“Oh, oui. Je suis bien installée ici, Madame Yesel. Et je peux trouver tout ce dont Laken a besoin ici…”

“Mais bien sûr, Durene.”, l’interrompt poliment Yesel. J’ai le sentiment qu’elle n’est pas vraiment en train de sourire, mais son ton paraît amical et elle se penche pour me toucher la main. Je sursaute et elle la retire. Je déteste quand les gens me touchent sans me prévenir.

“Je vous prie de m’excuser. Mais je suis sûre que nous pourrions demander à Durene de tirer le chariot si vous ne souhaitez pas marcher. Le voyage ne prendrait pas plus de quelques minutes.”

Tellement polie. Tellement amicale. Je sens les regards invisibles qu’elle lance à Durene. Ma peau est parcourue d’un frisson, mais je lui souris.

“Qu’importe, je n’ai vraiment pas envie de vous priver de l’une de vos chambres. Il est important que les enfants aient beaucoup d’espace, et je ne voudrais pas que vous manquiez de place par ma faute.”

Elle hésite, à présent. Je sais pertinemment que mon visage est parfaitement impassible ; mais elle n’est pas vraiment sûre de savoir si je suis juste obtus ou si je suis en train de refuser son offre. Elle tente donc une autre approche.

“Eh bien… les Beetrs seraient également ravis de vous avoir à dîner. Et une de leurs chambres s’est tristement libérée après la mort de leur fille l’été passé. Vous pourriez aller chez eux. Qu’en pensez-vous ?”

“Mm… eh bien…”

“Il y aurait tellement plus d’espace qu’ici. Je sais que Durene a fait de son mieux, mais n’est-ce pas un peu trop petit pour deux personnes, ici ?”

“Je… je pourrais dormir dehors ! Ou dans la cave à légumes. Ça me va très bien que…”

“J’apprécie plutôt cette proximité, à vrai dire.”

Cette fois-ci, c’est à mon tour d’interrompre Durene. Je souris d’un air placide, même si ma colère monte graduellement. Je sens la réaction de Yesel à l’autre bout de la table.

“Je pense que je suis très bien ici, vraiment, Madame Yesel. Durene est une excellente hôtesse. Elle m’a aidée de manière incommensurable, et je suis persuadée qu’elle continuera.”

Durene reste silencieuse, possiblement embarrassée, et Yesel reste coite. Puis elle s’adresse directement à Durene.

“Durene ? Pourquoi n’irais-tu pas nous chercher un peu plus de bois pour le feu ? Je suis sûre que Monsieur Laken est frigorifié.”

Je me mords la lèvre en entendant Durene se lever sans un mot pour exécuter les ordres de Yesel. Monsieur Laken va très bien, merci. Et Durene ne devrait pas avoir à obéir aux ordres de qui que ce soit dans sa propre maison.

Mais comme Yesel nous a apporté un cadeau et comme je ne connais pas tous les détails de la situation - ou du moins pas encore -, je me contente d’écouter. Yesel se penche pour me parler pendant que j’entends Durene s’activer dehors.

“Durene est une bonne petite, Monsieur Laken. La plupart du temps. Mais nous l’avons placée ici afin qu’elle ne nous cause pas d’ennuis si… vous a-t-elle expliqué ce qu’elle est ?”

“Non. Je pense qu’elle m’en parlera quand elle se sentira à l’aise.”

“Oui, mais… je ne crois pas que vous compreniez vraiment l’ampleur du problème.”

Je hausse un sourcil.

“Un problème ? Je n’ai eu aucun problème avec Durene, Madame Yesel. À moins que vous ne soyez persuadée du contraire ?”

“Non...”, répond-elle en pensant clairement le contraire. Je l’entends déglutir, puis elle reprend la parole.

“Mais certains d’entre nous, au village… Durene a été bien bonne de vous accueillir, mais vous - surtout une personne dans votre état - ne devriez pas être enfermé avec elle tout l’hiver. Ce serait mieux pour tout le monde que vous restiez au village. Nous serions ravis de vous accueillir.”

Et je détesterais probablement vivre chez eux. J’écoute Durene soulever quelque chose en poussant un grognement, puis secoue la tête.

“Je n’ai aucun problème avec Durene, Madame Yesel. Je vais rester ici.”

La voix de la femme se teinte à présent de frustration.

“Je ne pense vraiment pas que ce soit sage. Durene est…”

“... est Durene. Je pense que c’est ce que vous vouliez dire, Madame Yesel. Je vous prie de ne rien me révéler d’autre. Je préfère laisser les gens garder leurs secrets.”

“Mais… !”

Cela a assez duré. Je me lève.

“Bonne journée, Madame Yesel. Merci pour les vêtements.”

Elle n’a pas grand-chose d’autre à répondre après ça. Je la chasse pratiquement de la maison, et Durene, couverte de neige et médusée, a à peine le temps de lui dire au revoir.

D’accord, c’était peut-être malpoli de chasser cette femme aussi vite, mais elle était incroyablement malpolie. Je sais que Durene a un secret, mais pourquoi ne lui font-ils pas confiance pour m’accueillir ? J’ai dormi sous son toit pendant deux semaines à présent sans qu’il n’y ait eu de souci.

Après le départ de Yesel, le cottage de Durene devient chaud et douillet. Je suis parfaitement satisfait, et le soulagement de Durene que je reste ici est presque pathétique. Elle ne cesse de papoter nerveusement de tout sauf de la signification de la conversation qui vient de se dérouler.

Je comprends plus tard le problème. Je n’ai pas de problème avec Durene, qu’importe son identité. Mais Yesel et le reste des villageois n’aiment pas le fait que je me fiche de qui est Durene.

Ils n’aiment pas ça du tout.




Jour 22





Je viens de commencer à m’acclimater au froid glacial de l’hiver. Il m’est impossible de vraiment m’orienter dehors sans Durene, mais je peux tout de même me balader dans la neige. Bien sûr, je suis obligé de m’emmitoufler comme une saucisse, mais ce n’est pas grave.

Et ce n’est pas comme si nous manquions de choses à faire à l’intérieur. Il reste encore beaucoup de choses que Durene n’a jamais apprises - que ce soit parce que ce monde ne possède pas de système d’éducation ou parce que personne ne les lui a enseignées à elle spécifiquement, et j’aime parler avec elle.

Mais parfois, nous avons besoin de sortir, ne serait-ce que pour soulager quelques besoins vitaux. Les toilettes sèches de Durene ont beau avoir été bien construites, elles me gèlent toutes mes parties à chaque fois que j’essaie de faire ma petite affaire. Ce qui ralentit tout le processus, mais elle m’attend patiemment pendant que j’essaie d’accélérer les fonctions naturelles de mon organisme.

C’est alors que j’entends les rires, et les voix pleines de méchanceté. Les enfants - ceux du villages - dévalent le chemin menant au cottage de Durene à toutes jambes pendant que je suis assis sur les toilettes.

“Hé, le Monstre ! Sors de ton trou, le Monstre !”

“Elle est là ! Tire-lui dessus !”

J’ai l’impression d’écouter un film, sauf que je suis assis dans un cinéma glacé et que je n’ai pas de popcorn. Et tout cela est réel, et mon cœur se met immédiatement à battre plus fort lorsque j’entends la voix de Durene.

“Aïe ! Arrêtez !”

Qu’est-ce qu’il se passe ? J’entends des bruits de coups étouffés, comme de la neige qui tombe sur…

Des boules de neige. Ces petits cons lui jettent des boules de neige ! À ce que j’entends, Durene ne fait rien, elle essaie juste de se protéger. Mais les enfants poussent des cris de joie.

“Tirez-lui dessus ! C’est une [Sorcière] !”

“Elle a piégé l’aveugle ! Tuons le Monstre !”

“Ce n’est pas vrai ! Je… aïe !

Ils rient de plus belle, et j’entends d’autres boules de neige s’envoler. Je remets mon pantalon en toute hâte, en essayant de trouver quoi faire au cas où la situation dégénère.

Ces espèces de petits… il y a une différence entre s’amuser et être des petits démons vicieux. Il faut que je fasse quelque chose. Mais quoi ?

Pendant un instant, je m’inquiète des conséquences et des répercussions. Durene entretient une relation qui lui est propre avec les villageois. Qui suis-je pour intervenir ?

Qui suis-je ?

Un [Empereur].

Oh.

Bien sûr.

Comment ais-je pu l’oublier ? Cette maison est mon empire ; Durene est ma sujette. Et ces petits morveux insupportables sont en train de la harceler. Il est de mon devoir de la sortir de là.

Je n’ouvre pas la porte des toilettes d’un coup de pied, mais je la pousse avec davantage de force qu’à l’accoutumée. Honnêtement, je n’aimerais pas casser la porte, même si je suis en colère. Personne n’a envie que du vent et des particules de glace ne viennent souffler droit sur ses parties génitales pendant un moment intime.

Les rires s’évanouissent dès que je pose un pied dans la neige. Je me tourne en direction des gamins.

“Hey. Vous. Arrêtez ça tout de suite.”

Ce ne sont pas vraiment des mots provocateurs, mais je suis mortellement sérieux. Et ce ne sont que des gamins. J’entends des piétinements gênés, puis des voix.

“Qu’est-ce qu’on doit… ?”

“Il ne sait rien ! Il est aveugle !”

“Oui ! Il faut qu’on chasse le Monstre !”

Je pointe le doigt dans leur direction.

“Je n’aime pas le harcèlement. Laissez Durene tranquille. Si je vous reprends à lui jeter de la neige dessus,  il y aura des conséquences.”

Je crois un bref instant que cela va marcher. Puis l’un des enfants éclate d’un rire incertain. Il se moque de moi.

“Tu ne peux rien nous faire ! Tu ne vois rien !”

“Ouais ! Il préfère le Monstre aux vraies gens !”

“Tirez-lui dessus !”

Un objet passe à toute vitesse devant mon visage et j’ai un mouvement de recul. Merde. D’un seul coup, toute l’animosité du gang d’enfants s’est retournée contre moi. Une boule de neige remplie de glace explose contre mon manteau et je me demande ce que je fais, maintenant.

Arrêtez !

Quelque chose d’immense s’interpose entre les enfants et moi. Je sens Durene devant moi, comme un bouclier protecteur.

“Regardez ! Le Monstre nous empêche de l’avoir !”

“Tirez-lui dessus !”

“Jetez-leur ça ! Bouffe des pommes de pin, le Monstre !”

Quelque chose rebondit sur Durene qui pousse un glapissement. C’est à ce moment-là que je perds patience.

Ça suffit.

J’écarte Durene et le mot jaillit comme un cri. Mais ce n’est pas vraiment un cri. C’est… quelque chose d’autre.”

La rage brûlant dans ma poitrine s’enflamme, et se lie au mot. Il explose hors de moi, et je le sens me quitter comme s’il s’était agi de quelque chose de tangible.

Que s’est-il passé ? Qu’est-ce que je viens de faire ?

J’entends des cris, puis le bruit de quelqu’un qui vomit. Puis j’entends des bruits de pas, puis de course, la confusion, des cris…

Puis le silence.

“Durene ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

Je tends la main et touche un dos épais couvert de tissu. Je sens la peau glacée de Durene frissonner, puis elle prend ma main entre ses paumes calleuses.

“Laken ? Je… je ne sais pas. Tu viens de faire quelque chose. Les gamins… ils se sont tous enfuis !”

“J’ai fait ça, moi ?”

Forcément. Et c’est sans doute mon…

“[Aura de l’Empereur]. Durene, raconte-moi ce qu’il s’est passé.”

Nous restons plantés dans la neige et Durene me raconte les événements qui viennent de se dérouler. D’après elle, c’est comme si j’avais soudain crié et que quelque chose avait frappé les enfants. Elle avait senti une présence - et soudain, la peur. Mais ce que j’avais fait n’était pas dirigé contre elle, et elle ne l’avait donc ressenti que brièvement.

La réaction des enfants avait de toute évidence été plus violente. Ils avaient pris leurs jambes à leur cou. Je ne sais pas exactement ce que j’ai fait, mais j’ai quelques idées.

“J’étais en colère. Vraiment énervé. J’ai dû utiliser ma colère pour leur faire peur. L’aura… je pourrai peut-être l’utiliser de différentes façons.”

Je me souviens encore de la sensation. C’était quelque chose de physique ; comme si j’avais envoyé une partie de moi dans le monde. C’était à la fois incroyable et terrifiant. Je n’avais jamais rien ressenti de tel, mais je suis content.

Oui. Je suis content de l’avoir fait. Et Durene aussi. À sa manière !

“Tu n’aurais pas dû faire ça. Vraiment ! On va avoir des ennuis…”

“S’il doit y avoir des ennuis, ce seront nous qui les créerons. Ces enfants n’avaient pas le droit de te harceler.”

“Mais ils étaient juste…”

“C’étaient des imbéciles intolérants. Je ne laisserai plus personne agir de la sorte. Ce temps est révolu.”

Comment ? Et je songe, pendant que Durene et moi allons nous sécher, que la seule chose que je sais, c’est que j’ai pesé chacun de mes mots. Comment vais-je empêcher ces gosses de continuer à harceler Durene, sans réutiliser cette compétence ?

Une barrière ? Trop compliqué, et ils se contenteraient de grimper par-dessus ou de la contourner. Un piège à ours ? Probablement pas.

“J’imagine que nous pourrions nous contenter de les plonger tête la première dans la neige s’ils reviennent. Je leur tiens les jambes, toi, tu creuses le trou.”

Durene glousse nerveusement, et je souris et lui raconte d’autres bêtises pour la faire rire. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir le sentiment d’avoir enclenché quelque chose.

Et j’ai raison. Moins de trente minutes plus tard, j’entends quelqu’un approcher. Durene se crispe et me dit que Prost viens nous voir. Nous l’invitons à entrer, et il entre tout de suite dans le vif du sujet.

“Les gosses ont dit que vous aviez fait quelque chose, Monsieur Laken. Ils n’étaient pas blessés, juste bougrement terrifiés. Mais nous aimerions savoir ce qu’il s’est passé.”

“Oh, voyez-vous, Monsieur Prost. Je les ai entendu jeter des boules de neige et des pommes de pin sur Durene et je leur en ai touché un mot. On ne peut pas laisser des enfants courir de partout en attaquant des gens, n’est-ce pas ?”

“Non, j’imagine. Tout de même, c’était une sacrée réaction pour un si petit incident, n’est-ce pas ? Je suis sûr que les enfants ne pensaient pas à mal. Ils taquinent Durene, mais ce n’est pas méchant.”

Je garde un ton léger et amical, comme le calme avant la tempête.

“Je suis sûr que vous avez raison, Monsieur Prost. Je suis certain qu’ils ne pensaient pas à mal en lui jetant des boules de neige. Ou en l’insultant.”

Il s’agite, et j’entends Durene déglutir.

“Monsieur Laken, vous m’avez l’air d’un jeune homme très gentil. Mais il y a quelque chose que vous ignorez au sujet de Durene.”

“C’est ce que m’ont déjà dit vos enfants, votre femme et vous-même. Je croyais avoir clairement exprimé le fait que cela ne m’intéresse pas.”

“Tout de même, monsieur. Durene n’est pas comme vous et moi.”

“Monsieur Prost... !”

Je sens presque Durene se recroqueviller. Et je suis à présent encore plus en colère qu’avec les enfants.

“Cessez. Oui, je parle à vous, Monsieur Prost. Durene a été extrêmement bienveillante depuis mon arrivée. Vos enfants, en revanche, l’ont attaquée, avant de s’en prendre à moi.”

“Je suis au courant, monsieur, et je vais m’assurer qu’ils retiennent bien la leçon. Ils ne pourront plus marcher droit, vous avez ma parole. Mais Durene…”

“Quel est votre problème avec Durene ?”

Je craque. Je ne peux plus m’en empêcher.

“Durene n’est pas comme vous et moi. J’ai compris. Mais en quoi est-ce que c’est important ? C’est une amie. Mon amie. Si elle a un secret, elle me le dira en personne. Je pense qu’il est temps pour vous de vous en aller, à présent.”

Prost hésite, mais il ne se lève pas.

“Vous pensez peut-être que Durene ne pose pas de problème, mais vous ne la voyez pas comme nous. Durene, tu es une bien bonne fille, mais…”

Je me lève.

“Il suffit. Je pense que vous devriez vous en aller, Monsieur Prost. Tout de suite.”

L’homme se lève. Il est en colère, à présent.

“Vous ne comprenez pas la situation, Monsieur Laken. Durene est le problème de notre village, et nous n’avions aucun mal à la gérer avant votre arrivée.”

“Je…”

J’avais presque oublié que Durene était avec nous. Elle tente de prendre la parole d’une voix de - grosse - souris.

“Je ne fais rien de mal ! Je veux simplement aider Laken !”

L’homme lui répond d’un ton inflexible.

“Tu n’as rien à faire avec les gens de notre espèce. Tu es serviable - mais nous te laissons loin du village pour une bonne raison. Tu te souviens de ton père ? Si d’autres membres de son espèce se pointaient, ou si tu perdais le contrôle… tu n’es pas comme nous, Durene. Et Monsieur Laken n’est pas au courant !”

“Il m’aime bien ! Il s’en fiche ! En quoi est-ce une si mauvaise chose ?”

Pour une fois, Durene se défend. Je ne réponds pas et la laisse hausser le ton. Mais Prost se met alors à hurler.

“Je t’interdis de me parler sur ce ton ! As-tu oublié qui t’a recueillie, qui t’a nourrie ? Nous avons risqué notre peau pour toi !”

“Vous ne vous êtes occupés de moi que parce que ma mère vous l’avait demandé ! Et vous me donniez vos restes ! Je devais dormir à l’étable avec le reste des animaux ! Je n’ai jamais… je n’ai jamais mangé avec vous ! Et maintenant, vous essayez de me retirer le seul ami que j’ai !”

Elle dit enfin ce qu’elle a sur le cœur. La voix de Durene est chargée d’émotions, et j’entends ses mains serrer la table et en faire craquer le bois. Un craquement résonne, et je sens la table devant moi se briser.

Prost renverse sa chaise en arrière et recule en direction de la porte. Durene s’est levée - sans faire mine d’aller vers lui - mais je me lève avant que qui que ce soit ne puisse passer à l’action.

“Il suffit. Prost, vous devez partir, à présent. Je reste avec Durene, et rien de ce que vous pouvez me dire ne pourra changer cela.”

“Mais vous ne comprenez pas !”

On dirait presque que Prost est en train de s’arracher les cheveux - s’il en a - tant il est frustré. Mais il a aussi peur de Durene, c’est évident.

Durene prend la parole d’une voix glaciale.

“Si Laken en a décidé ainsi, il reste ici. Je m’occuperai de lui ici. À présent, vous devez partir, Monsieur Prost. Ceci est ma maison, et vous n’y êtes plus le bienvenu.”

Elle avance, et j’entends l’homme se précipiter dehors. Je suis Durene à l’extérieur, et entends la voix de Prost. Il est déjà loin, mais il crie pour se faire entendre.

“Mais savez-vous seulement ce qu’elle est ? Une bête ! Un monstre !”

Le sang pulse dans mes veines. Je lance un regard furibond dans sa direction.

Je m’en fous. Allez-vous-en et cessez de nous importuner !”

“Tu ne sais rien, garçon ! Elle se joue de toi en faisant mine d’être amicale, mais son espèce est indigne de confiance ! C’est un monstre. Elle n’est pas Humaine, c’est une…”

“Une Trolle !”

Ce n’est pas Prost qui a prononcé le mot. C’est Durene. qui a crié. Mon cœur manque un battement, puis je l’entends crier.

“Une Trolle ! Voilà, je l’ai dit ! Une Trolle, une Trolle, une Trolle !”

Sa voix est immense. Immense et grave, et si forte que je jurerais que de la neige tombe des arbres. Elle hurle sur Prost, le laissant sans voix.

“Pourquoi ne pouvais-tu pas me laisser avoir ça ? Pourquoi a-t-il fallu que tu le lui dises ? En quoi était-ce mal que je…”

Durene est en train de pleurer, elle sanglote en criant le plus fort qu’elle peut. Elle invective Prost, le maudis. J’entends un impact et sens qu’elle est tombée à genoux. Dans le silence qui suit, j’écoute et entends des crissements lointains dans la neige.

“Il s’enfuit.”

Quel lâche. Mon cœur bat beaucoup trop vite, et je sens quelque chose l’enserrer. Je suis furieux, mais Durene est plus mal en point que moi.

J’avance lentement vers elle en tendant la main. Je la touche - et sa peau rugueuse glisse sous mes doigts. Elle ne bouge pas : elle se contente de sangloter sous ma caresse.

Un bras. Un gros bras, qui tend à l’extrême les coutures de son vêtement maladroitement cousu. Puis, son épaule, deux fois plus large que la mienne. Ses muscles sont aussi denses que la pierre, et sa peau ressemble à une peau d’éléphant.

Puis son cou, sa tête. On dirait celle d’une Humaine, mais proportionnelle par rapport à son corps. Son nez est… large, et elle a des sourcils. Et des cheveux. Plus longs et plus rêches que ceux d’une Humaine, mais pas tant que ça.

Voilà son secret. Voilà ce dont elle avait peur. Son terrible et insignifiant secret. Mais elle a menti une fois, et, en touchant son visage, je sens la vérité. Je la vois toute entière.

Je lui murmure ces mots dans la neige en touchant ses larmes du bout des doigts.

“Demie-Trolle.”


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Une grande nouvelle arrive bientôt pour la traduction de l'Auberge Vagabonde !

Rendez vous le 16 Août pour la suite des aventures d'Erin, de Ryoka et de bien plus encore !

Ellie & Maroti
 
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Bonsoir à toutes les personnes qui suivent cette traduction depuis presque deux ans ! Aujourd'hui est un grand jour, car c'est le jour où nous ouvrons le site de l'Auberge Vagabonde, traduction officielle de The Wandering Inn de Pirateaba ! :excited:

Qu'est-ce que cela signifie pour cette traduction ?

Cela signifie que nous avons désormais un site officiel ! Avec une belle présentation, un système de commentaires sous les chapitres, et plein de bonnes choses ! Il n'y aura pas de pub sur le site, et les nouveaux chapitres arriveront chaque mercredi et dimanche comme avant !

Les deux premiers tomes sont en train d'être relus et corrigés, et cette nouvelle version est régulièrement postée sur le nouveau site ! Il nous reste encore 17 chapitres à relire et à poster, mais le nouveau Livre 1 sera disponible dans son intégralité dans la semaine !

Comment nous soutenir ?

En continuant de lire l'œuvre, et en nous soutenant sur Patreon (le lien sera sur le site). L'œuvre reste entièrement gratuite et libre d'accès, mais vous pouvez nous soutenir pour obtenir des chapitres en avance et avoir des nouvelles sur l'évolution du projet ! Attention à ne pas spoiler les autres!

Encore mille mercis de nous avoir soutenus dans ce projet, et d'avoir été aussi nombreux à lire cette traduction. En cadeau, le prochain chapitre est déjà disponible pour tout le monde ! Et d'autres chapitres sont disponibles pour les Patreon !

Ce topic est considéré comme ouvert ! N'hésitez pas à nous poser des questions, ou à exprimer votre ressenti sur l'œuvre, ou mieux encore, faites-le sur le site !
 
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Surprise, et bonjour !

La traduction de The Wandering Inn revient sur le forum des Jeunes Ecrivain !

Le rythme de publication sera différent, il y aura désormais un demi-chapitre tous les dimanches. La suite du chapitre, et de la traduction, se trouve sur notre site à l'adresse suivante :

https://aubergevagabonde.wordpress.com/

Bonne lecture !


3.02 H Partie 1
Traduit par EllieVia
7700 mots

Ceria Springwalker baissa les yeux sur sa main squelettique et pendant un bref instant, se demanda ce qu’il se passerait si elle se tirait une [Aiguille de Glace] en plein visage à bout portant. Elle mourrait probablement instantanément ; dans le pire des cas, l’épine se logerait dans sa chair et son cerveau sans la tuer.

Ce n’était qu’une idée en passant, mais elle songeait à moitié à passer à l’acte. Même une affreuse mutilation resterait préférable à sa situation actuelle.

Elle leva les yeux sur les deux autres membres des Cornes d’Hammerad assis autour du petit feu qu’ils avaient allumé. Une fumée brumeuse s’en échappait, et risquait d’attirer des monstres en quête d’un repas chaud. Avec un peu de chance, aucun ne s’approcherait d’eux ; Ceria avait essayé de monter le camp suffisamment loin des Ruines d’Albez pour limiter les risques, mais les aventuriers devaient toujours être prêts à affronter les mauvaises surprises.

De l’autre côté du feu, Pisces était assis par terre, et marmonnait dans sa barbe en compulsant son grimoire personnel rempli de notes et de sorts qu’il étudiait. Sa robe - rarement propre même dans ses beaux jours - était crasseuse, et il empestait. Pour tout dire, il sentait tellement mauvais que même Ksmvr, qui n’avait pas vraiment d’odorat, se tenait loin de lui.

L’Antinium n’avait pas besoin du feu. D’ailleurs, Ceria se demandait si les flammes ne le dérangeaient pas. Malgré le froid de l’hiver, l’ancien Prognugator restait assis, le dos tourné vers le feu, et scrutait le paysage. Il ne dormait pas, comme il montait la garde, mais il était tellement immobile qu’on aurait dit une statue.

Bien rangés à côté de l’Antinium se trouvaient un arc court et des flèches plantées dans le sol, prêtes à être tirées. Il avait posé l’un des couteaux de cuisine d’Erin devant lui, et l’épée de fer courte enchantée à côté. On aurait dit que Ksmvr s’attendait à être attaqué à tout moment.

Ceria soupira. Puis elle baissa de nouveau les yeux sur sa main squelettique. Elle n’était pas douloureuse. Plus maintenant. Parfois, cependant, elle avait encore l’impression qu’elle était recouverte de chair. Mais il lui fallait encore user de magie - laisser couler le mana dans son membre amputé - pour la faire bouger. Et le pire, c’était de toucher des choses. Elle avait alors la sensation de toucher quelque chose, mais ce n’était que son imagination.

Le feu toussa et Pisces éternua dedans. Ceria grimaça lorsqu’un nuage de fumée flotta dans sa direction. Pisces avait vraiment besoin d’un bain. Elle pouvait probablement conjurer de l’eau, mais ce serait gâcher du mana. De plus, si elle voulait le laver, lui, elle ferait mieux de commencer par se laver elle-même.

Ceria avait l’habitude de vivre à la dure. Elle avait passé un nombre incalculable de nuits à la belle étoile avant d’avoir atteint la vingtaine, et elle avait participé à un nombre incalculable d’expéditions avec les Cornes d’Hammerad d’origine, à traquer des monstres, à se préparer à entrer dans des donjons, et cætera.

Mais elle ne se souvenait pas d’avoir déjà campé dans des conditions aussi misérables. Ceria savait qu’elle sentait au moins moitié aussi mauvais que Pisces, et la sueur séchée, la crasse et ses vêtements sales rendaient sa propre expérience désagréable.

Au moins, ils ne campaient plus dans la neige. Ceria et Pisces avaient déblayé le sol, et il ne neigeait plus autant qu’hier. Normalement, Ceria aurait préféré camper dans une caverne, mais les Ruines d’Albez étaient nichées au creux d’une cuvette naturelle loin des montagnes ou des collines. Les ruines s’étaient enfoncées dans la terre, et tous les groupes d’aventuriers normaux prévoyant de rester plus d’une journée dans la zone amenaient des tentes avec eux.

Mais ils n’en avaient pas, parce qu’ils n’avaient pas les moyens d’en acheter. Pour tout dire, les Cornes d’Hammerad n’avaient pas prévu de rester longtemps, dans tous les cas. Ils avaient pris suffisamment de provisions pour leur tenir deux jours.

C’était leur huitième nuit sur place. Ils n’avaient pas encore mangé.

L’estomac de Ceria gargouilla et elle grimaça. Elle s’était également habituée à la faim dans sa jeunesse, mais elle ne se souvenait pas d’avoir jamais été à court de provisions lorsqu’elle était avec les Cornes d’Hammerad. Calruz avait beau avoir eu un tempérament problématique, c’était un excellent soldat et meneur dans le sens où il savait garder son groupe bien nourri et vêtu, et Gerial avait toujours laissé une marge d’erreur lorsqu’ils achetaient de l’équipement.

Son cœur se serra à leur souvenir. Ceria plongea de nouveau son regard dans les flammes et Pisces claqua la langue. Son estomac gronda de nouveau.

Sauf que… ce n’était pas un gargouillis. C’était le bruit de quelque chose qui s’enfonçait dans la neige. Ceria leva instantanément les yeux et se mit à concentrer du mana dans sa main squelettique. Elle vit Ksmvr attraper son arc et ses flèches. Pisces resta assis devant le feu, inconscient du danger, en se mordillant un ongle sale.

“Pisces.”, siffla Ceria à voix basse. Pisces ne lui prêta aucune attention. Ceria était sur le point de le recadrer sèchement; même si cela devait alerter ce qui approchait de leur présence, lorsqu’elle entendit une voix.

“C’est moi, Ceria.”

Ceria se détendit instantanément. Ksmvr baissa son arc et Yvlon s’approcha. La femme en armure se dirigea vers le feu de camp et laissa tomber un sac à ses pieds d’un air épuisé.

“De la nourriture et une autre pelle.”

Elle jeta aussi la pelle au sol, manquant de peu de la faire tomber dans le feu. Pisces leva les yeux et renifla en avisant l’outil. Puis il retourna à sa lecture.

Yvlon jeta un regard mauvais au mage, puis s’assit laborieusement. Elle commença à essayer d’enlever son armure argentée, tout aussi sale qu’eux à force de vivre dehors. Ceria alla l’aider ; elle avait assisté ses compagnons d’aventure à de nombreuses reprises et elle savait comment s’y prendre.

Ksmvr s’approcha lui aussi. Il était assis à une distance respectueuse de tout le monde, et c’était sans doute pour le mieux.

“Camarade Yvlon. Notre équipe a-t-elle obtenu la permission de retourner dans les ruines demain ?”

La nouvelle manière de s’adresser à elle de Ksmvr ne perturba presque pas Yvlon. Elle hocha la tête d’un air las.

“C’est ce que la Coursière de Ville m’a dit. Aucune équipe n’a prévu d’entrer dans les ruines ; elles sont toutes occupées avec les requêtes locales, ou elles se préparent à entrer dans le donjon de Liscor.”

“Je vois. Les conditions sont optimales.”

Ksmvr hocha plusieurs fois la tête. Le visage de Ceria ne s’éclaira pas vraiment d’un sourire ; ses lèvres ne firent que se tordre en un rictus étrange. Yvlon affichait la même expression.

“Apparemment, le pic d’[Instinct de Survie] que nous avons ressenti venait de ce donjon. On n’a pas eu d’autres nouvelles ; les mages auraient envoyé un message s’il en était sorti quelque chose de dangereux.”

“Tout de même. Il faut que ce soit sacrément dangereux là-dessous si c’est ce qu’il se passe juste en ouvrant les portes.”, marmonna Ceria en aidant Yvlon à enlever son plastron. Cette dernière hocha la tête.

“De nouvelles équipes arrivent du nord. De grands noms. La Chasse aux Griffons et les Croisés vont avoir de la compétition s’ils ne nettoient pas rapidement le donjon.”

“Mmh.”

Ceria avait trop d’émotions et de sentiments associés au nouveau donjon pour en parler. Yvlon ressentait de toute évidence la même chose, parce qu’elle n’entra pas dans les détails. Ceria venait de finir de l’aider à ôter sa dernière pièce d’armure lorsqu’elle poussa une exclamation agacée.

Pisces ! Bas les pattes de la bouffe !”

Le jeune homme marqua une pause en sortant un saucisson du sac qu’Yvlon avait rapporté. Il renifla d’un air méprisant à l’attention de Ceria.

“Je me nourris, Springwalker.”

“On va faire à manger pour tout le monde dans un instant. Tes mains sont repoussantes.”

“J’ai faim.”

Yvlon ne pipa mot, mais Ceria dut vraiment se faire violence pour éviter de foudroyer Pisces d’un sort tout de suite et maintenant. Elle modifia légèrement son ton.

“Comme nous tous. Mais on mange et on travaille ensemble, en équipe. Repose la nourriture.”

Pisces soutint son regard un bref instant, puis laissa échapper un son irrité. Il jeta le saucisson dans le sac mais manqua son coup. Il atterrit dans la terre, à côté du feu.

Yvlon tressaillit. Mais elle tint sa langue. Ceria compta jusqu’à cinq avant de ramasser le saucisson séché et de le laver. Un jet d’eau coula de son doigt squelettique sur le saucisson et en ôta la terre.

“Quelle distance as-tu parcourue pour trouver la Coursière, Yvlon ?”

Quatre, cinq milles ? Elle n’a pas voulu s’approcher davantage.”

“Cinq milles ?”

Ceria grinça des dents. Yvlon se contenta de hausser les épaules d’un air las.

“Ça donne envie d’avoir Ryoka dans le coin, pas vrai ?”

En effet. Les Coursiers de Ville étaient connus pour refuser de s’approcher des monstres ou des zones dangereuses pour ravitailler les aventuriers - ils restaient utiles, parce qu’ils évitaient d’avoir à voyager une journée voire davantage pour refaire ses provisions, mais ils faisaient payer au prix fort les aventuriers qui devaient de plus aller à leur rencontre.

“Si j’avais su que tu allais devoir marcher autant de temps dans la neige, j’aurais envoyé Ksmvr avec toi.”

“Et la Coursière se serait juste enfuie en courant.”, l’interrompit inutilement Pisces en contemplant le pain et le reste des vivres que Ceria avait achetés avec ses maigres économies. La Demi-Elfe fronça les sourcils en sortant un morceau de fromage et le regarda fixement.

“Je leur avais demandé un demi-fromage. Qui livre les messages dans cette maudite guilde ?”

La coutume voulait que les aventuriers envoient des sorts de [Message] pour commander de l’équipement, des provisions, ou même des potions à la Guilde des Mages locale ou aux autres structures spécialisées. Selon l’urgence de la requête - qui augmentait naturellement le prix de la livraison de manière exponentielle), la guilde transmettait la requête à la Guilde des Coursiers locale où, avec un peu de chance, quelqu’un l’accepterait.

C’était vraiment un pari, parfois. Les prix des livraisons étaient très élevés, mais la plupart des Coursiers de Ville n’aimaient pas prendre le risque de s’approcher d’un repaire de monstres dans tous les cas. Et quand ils acceptaient tout de même, ils attendaient la plupart du temps loin de la zone de livraison demandée, et se contentaient de faire briller des lanternes sourdes pour informer les aventuriers qu’il fallait qu’ils viennent chercher leur colis. Et le coût...

“Combien nous reste-t-il, Yvlon ?”

“Tu veux la bonne ou la mauvaise nouvelle ?”

“La bonne.”

“Il nous reste une pièce d’or.”

Yvlon leva la bourse vide et la secoua. Même Pisces parut consterné.

“C’est tout ? Combien t’a demandé la Coursière ?”

“Le prix était dans la moyenne. Mais nous n’avions pas grand-chose pour commencer, et nous n’avions pas d’autre choix pour récupérer rapidement des vivres.”

Ceria grinça des dents en acceptant la bourse que lui tendait Yvlon. C’était leur dernière pièce, ce qui signifiait que leur avenir était plutôt simple.

“On a suffisamment à manger pour deux jours, alors. Si nous ne trouvons pas ce que nous cherchons d’ici là, c’est terminé.”

Terminé. Ceria regarda les différentes réactions de ses coéquipiers en apprenant la nouvelle.

Celle d’Yvlon fut la meilleure. C’était une aventurière chevronnée et une ancienne Capitaine de Rang Argent. Elle se contenta de hocher la tête, résignée. Elle n’était pas ravie, de toute évidence ; ses yeux étaient tirés, mais elle savait qu’ils n’avaient pas le choix.

Celle de Ksmvr fut intrigante. La nouvelle ne parut pas vraiment le gêner. Il se contenta de hocher la tête et se remit à scruter le paysage. Est-ce qu’il s’en moquait ? Ou est-ce qu’il était persuadé qu’elle prendrait la meilleure décision ? Dans tous les cas, Ceria aurait préféré le voir afficher davantage d’émotions.

Et elle aurait préféré que Pisces en affiche moins. Le jeune homme fronça furieusement les sourcils.

“Et ensuite, quoi ? On abandonne ? Juste comme ça ?”

“S’il le faut. Nous n’avons pas assez d’argent pour continuer les fouilles, Pisces.”

“Alors que fait-on, Springwalker ? On rentre et on commence à accepter de nouvelles requêtes ?”

“Peut-être. S’il le faut. À moins que tu n’aies une meilleure idée ?”

Pisces la regarda fixement. Il était grognon, fatigué, et affamé. Pour résumer, il était exactement dans le même état que tout le reste du groupe. Mais il était également agaçant, et il n’hésitait jamais à exprimer ses opinions.

“Je ne sais pas si je resterai associé à ce groupe par la suite. J’ai dernièrement commencé à remettre en question le mérite de louer mes services à cette équipe.”

Yvlon fronça les sourcils, probablement pour décoder le commentaire de Pisces, puis sous l’effet de la colère. Ceria ne mordit pas à l’hameçon. Elle se contenta de hocher la tête.

“Très bien. Si tu veux abandonner ? Attends après-demain.”

Pisces hésita.

“Nous fouillerions bien mieux si tu suivais mes conseils.”

“On a déjà essayé. Ça n’a pas marché.”

Ceria tira un couteau du fourreau à sa ceinture. Elle se mit à découper le saucisson en morceaux pour préparer le repas. Ksmvr la rejoint pour l’aider. Pisces fronça les sourcils et continua d’argumenter.

“Une simple erreur ne suffit pas à disqualifier ma méthode. Nous aurions peut-être déjà trouvé la chambre secrète si nous avions…”

“On ne l’a pas trouvée. Et on a cherché dans un foutu bon nombre d’endroits. Lâche l’affaire, Pisces.”

“Je suis venu en partant du principe que nous trouverions…”

“Comme nous tous.”, l’interrompit Yvlon. Elle regardait Pisces d’un air dur. Cela faisait longtemps que Ceria ne l’avait pas vue s’impliquer activement dans une dispute. Mais même sa patience avait des limites. Elle fusilla Pisces du regard, mais le mage ne parut pas impressionné.

“Nous avons tous pris un risque en entreprenant cette expédition, Pisces. Si elle échoue, ce ne sera la faute de personne. Nous aurons juste joué de malchance.”

“Ou peut-être d’inefficacité.”

“Tu crois pouvoir mieux te débrouiller qu’un groupe de quatre ?”

“Si j’avais des morts-vivants…”

Yvlon fronça les sourcils. Ceria les interrompit en finissant d’enfoncer un peu de fromage dans le pain dur avec du saucisson.

“Si tu en avais, la Garde locale t’aurait criblé de flèches à Esthelm. Et même si tu avais réussi à les amener ici, ces Araignées Cuirassées t’auraient bouffé la jambe avant que tes mollassons de zombies ne parviennent à s’approcher suffisamment pour te sortir de leur nid.”

Ceria fusilla Pisces du regard. Elle était fatiguée de l’entendre se plaindre à longueur de journée. Au début, ce n’était pas si affreux ; il n’avait commencé à bouder qu’autour de la quatrième journée. Mais alors, ses plaintes n’avaient été qu’un nouveau fardeau à traîner. Sauf qu’aujourd’hui, il n’avait jamais cessé de geindre.

La Demi-Elfe qui était incidemment l’infortunée Capitaine des Cornes de Hammerad se frotta le front en cherchant une réponse modérément diplomatique.

“Nous sommes tous fatigués. Nous sommes tous frustrés. Mais tu ne cesses de te plaindre. Pourquoi ne pas te taire un moment, Pisces ?”

Même Ksmvr hocha la tête. Il tendit précautionneusement le sandwich qu’il avait préparé à Yvlon. L’Humaine hésita, mais l’accepta avec réticence. Elle examina son sandwich et hésita une bonne poignée de secondes avant de mordre à l'intérieur. Ceria vit Yvlon jeter un regard en coin à Ksmvr, mais l’Antinium ne parut pas le remarquer.

“Ksmvr. Est-ce que tu veux un autre sandwich ?”

“Je ne prendrai que du fromage dans le mien, si c’est acceptable.”

“Bien sûr.”

L’Antinium remplit immédiatement son sandwich d’une double dose de fromage. Ceria, suivant son exemple, prit une double ration de saucisson dans le sien plutôt que du fromage. Depuis que l’Antinium avait vaincu son allergie au gluten grâce à son amulette, il ne mangeait presque exclusivement que des sandwiches au fromage.

Pisces ne s’était pas encore fait de sandwich. Ceria se mit à en préparer un, même si en son for intérieur, elle aurait préféré le laisser faire. Mais il serait alors capable de manger davantage qu’ils ne pouvaient se le permettre pour cette nuit, donc elle le fit quand même. Pisces l’observa préparer le sandwich et finit par émettre un commentaire d’un ton acerbe alors qu’elle avait presque terminé.

“Pour ton information, je n’animerais jamais de zombie pour commencer. Ils utilisent le mana de manière inefficace, à moins d’être utilisés comme des boucliers immédiats. Alors que des goules ou des squelettes…”

Dieux morts, Pisces ! Ferme-la ! Mange et on en discutera demain, d’accord ?”

Son humeur fragile s’enflamma. Ceria jeta le sandwich qu’elle avait préparé sur Pisces. Il attrapa son dîner d’une main au vol avec un air offensé. Mais il se tut tout de même.

Les sandwiches étaient froids, relativement difficiles à mâcher, et auraient pu passer un peu de temps près du feu. Mais les quatre aventuriers avaient tellement faim qu’ils engloutirent leur repas en quelques secondes. Ceria aurait bien aimé un deuxième service, mais elle savait qu’ils ne pouvaient se permettre de manger davantage.

Ensuite, ils se contentèrent de rester assis autour du feu. Misérables. Ils étaient vraiment misérables. Tout le monde puait plus ou moins, mais personne ne voulait se laver par ce temps glacial. Ils étaient épuisés, mal installés, mais au mois ils avaient mangé.

Personne ne parla, mais ayant tous les quatre atteint un était d’épuisement complet, ils prirent leurs couvertures dans leurs bagages.  Ceria frissonna en s’enveloppant dans son bout de tissu froid et râpeux. Elle se rapprocha du feu et vit que Pisces et Yvlon avaient fait de même.

Personne ne parla. Ksmvr défit soigneusement sa couverture puis marqua une pause. Il regarda les trois autres, deux humains et une Demi-Elfe.

“Nos préparations se sont avérées décentes. Et notre objectif avait beaucoup de mérite. Notre approche était correcte, et nous avons entrepris beaucoup d’approches optimales. Et pourtant, nous avons jusqu’à présent échoué à atteindre nos objectifs. Que s’est-il passé ?”

Personne ne sut lui répondre. Ils s’enroulèrent dans leurs couvertures, et Ksmvr s’assit sur la sienne en l’enroulant sur ses épaules. La nuit était glacée.



***



L’aube glacée du jour suivant se leva tôt. Ceria se réveilla en frissonnant sous sa couverture. Elle songea qu’elle aurait dû utiliser un sort de résistance au froid, mais il lui avait fallu économiser son mana. De plus… elle ne les avait jamais vraiment étudiés à Wistram. Ironique, vraiment.

Yvlon sortit de son couchage à peu près en même temps que Ceria, et Ksmvr était déjà réveillé, s’il avait seulement dormi. Seul Pisces continua de ronfler, ignorant incroyablement le froid, ce qui convenait parfaitement aux trois autres.

“Du porridge chaud. Pas d’épices, pas de fruits.”

Yvlon tendit un bol à Ceria. La Demi-Elfe réchauffa sa main valide en tenant son bol et haussa les épaules.

“J’ai connu pire. Tu veux qu’on examine la carte en mangeant ?”

La jeune Humaine fit la moue.

“J’imagine.”

Ceria redoutait de regarder la carte elle aussi, si elle était honnête. C’était comme regarder un morceau de tarte tout juste hors de portée. Tout paraissait parfaitement aisé à première vue.

Tu vois le trésor ? Tu vois la chambre secrète ? Il est là. Mais pour le trouver…

“Alors, on a essayé de creuser autour du dôme en ruine hier, mais il n’y a rien qui ne ressemble même de loin au reste des structures de la carte. Il faut donc qu’on parte du principe que cette zone est perdue ou complètement enfouie.”

Ceria pointa une zone de la carte où une structure en dôme familière était reliée à ce qui ne pouvait qu’être une chambre secrète. Yvlon hocha la tête et Ksmvr et elle se penchèrent sur la carte, en se concentrant furieusement sur le point qu’avait entouré Ceria.

“Nous avons entrepris à de nombreuses reprises de visiter la deuxième cache, en vain. Il est possible que cette section ait déjà été explorée par d’autres aventuriers.”

C’était bien le problème : ils avaient une carte. Et elle était précise ; elle montrait Albez telle qu’elle avait été, une ville tentaculaire où des chambres et des passages secrets dissimulaient sans doute des trésors. Mais la carte ne reflétait pas la réalité actuelle.

Les trois Cornes de Hammerad étaient au sommet d’une petite falaise qui surplombait les ruines. Contrairement à la carte soignée de la ville, les ruines étaient, eh bien, un vrai fouillis.

De la poussière et des végétaux séchés constituaient le paysage de la tombe d’Albez. Mais Ceria ne pensait pas que la ville en elle-même soit tombée sous les coups de la magie ou de l’épée. Elle avait simplement… disparu dans la terre.

Peut-être qu’elle avait été recouverte par une coulée de boue. Ou qu’un séisme avait englouti la ville. Mais elle avait coulé sous la terre, et avait été recouverte par le temps et la poussière jusqu’à ce qu’une expédition l’exhume. Depuis l’or, toute la zone était devenue un bassin rempli de murs à moitié enterrés et de charmants gouffres qui reliaient le paysage souterrain au reste du monde. Et après ces nombreuses centaines d’années, ces milliers d’années, tout avait changé.

Une partie des ruines s’était inexplicablement retournée dans le sol. Des passages entiers s’étaient déplacés, et certains bâtiments sur la carte de Ceria se trouvaient au mauvais endroit. Pire encore, d’autres étaient au bon endroit, d’après ses analyses, ce qui rendait la fouille encore plus déroutante.

“Nous savons que le passage ici mène à une chambre secrète. Mais si on le suit, il ne nous mène à rien. Que des gravats et de la poussière. On pourrait peut-être trouver la pièce si nous avions une équipe d’[Excavateurs] et de [Mineurs], mais nous n’en avons pas.”

Ceria raya un autre site de trésor potentiel sur la carte avec un morceau de charbon. Elle contempla les zones restantes qu’ils avaient entourées presque une semaine plus tôt. Honnêtement, elle avait l’impression que cela faisait des décennies. Tout l’espoir qu’ils avaient eu s’était rapidement dissipé alors qu’ils allaient de zone en zone, creusant le sol friable dans l’espoir de trouver des traces d’un trésor qu’ils n’avaient jamais trouvé.

Yvlon plissa les yeux en regardant le morceau de tissu bleu en lambeaux accroché à un poteau de bois. Elle pointa du doigt.

“Nous avons trouvé ce marqueur juste au-dessus de la chambre que nous avions entourée là. Tu vois ? Je crois que quelqu’un a déjà dû s’approprier la zone.”

C’était probablement vrai. Ceria hocha la tête d’un air maussade. Les chercheurs marquaient souvent leurs trouvailles avec des drapeaux ou des signes magiques qu’eux seuls pouvaient lire au cas où ils tomberaient sur un butin plus imposant par la suite.

Ksmvr paraissait dérouté. Ou du moins, Ceria imaginait qu’il était dérouté. Il en avait tout l’air, en tout cas.

“Comment quiconque pourrait-il localiser une pièce secrète sans posséder une telle carte ? À moins que d’autres groupes n’aient obtenu des sources d’informations similaires ?”

“Pas nécessairement. Ils avaient peut-être un [Chasseur de Trésor]. C’est une classe rare, mais s’il était de haut niveau, il avait peut-être une compétence qui lui permettait de dénicher un gros magot.”

“Faut-il alors que nous partions du principe que tout a été pillé ?”

Ceria et Yvlon secouèrent instantanément la tête. Si cela avait été le cas, elles n’auraient pas ainsi risqué le tout pour le tout sur cette mission.

“Même ceux qui possèdent des compétences ne peuvent pas tout trouver. Surtout si les zones sont protégées. Nous n’avons juste pas eu de chance, ou sommes tombés sur des zones qui avaient déjà été fouillées. Il faut qu’on aille ailleurs aujourd’hui.”

“Et pourquoi pas par là ? Il y a plusieurs pièces qui devaient appartenir à une espèce de complexe. Et un passage là, et là... ça vaut peut-être le coup ?”

En examinant les zones qu’Yvlon avait pointées, Ceria dut admettre qu’il semblait y avoir un passage secret par là aussi. Elle hocha la tête.

“Je crois que cette zone correspond à la cuvette à l’est, pas vous ? On ira là-bas une fois que Pisces sera réveillé, alors.”

Il fallut lui donner plusieurs coups de pied avant que le mage ne daigne se réveiller. Il fut contrarié lorsqu’il se rendit compte qu’il ne lui restait qu’un tout petit peu de porridge pour le petit déjeuner, et encore plus lorsqu’il comprit qu’ils avaient décidé de leur prochaine étape sans le consulter.

“Je croyais que les aventuriers écoutaient toutes les opinions et prenaient des décisions éclairées, plutôt que de sauter sans réfléchir à une conclusion sans avoir toutes les cartes en main.”

“On aurait fait ça si tu t’étais levé plus tôt. Si tu as un endroit plus plausible que tu veux qu’on fouille, trouve-le.”

Il en fut incapable, ce qui le mit encore plus de mauvaise humeur. Les Cornes d’Hammerad levèrent le camp et se mirent à tracer précautionneusement leur chemin dans la neige en direction des Ruines, en laissant Ksmvr passer devant.

Le groupe circulait lentement dans les ruines, en guettant le moindre mouvement dans la neige ou le moindre bruit étrange. Les monstres étaient monnaie courante dans les sites magiques et Albez était une zone connue pour ses dangers.

Toutefois, mis à part une mauvaise rencontre avec un nid d’Araignées Cuirassées, les Cornes d’Hammerad n’avaient pas croisé beaucoup de monstres. Cela gênait Ceria. Elle n’aimait pas l’absence d’ennuis, surtout ici.

Sous Calruz, les Cornes d’Hammerad étaient allées par quatre fois dans les ruines d’Albez, en quête de trésors, comme toutes les autres équipes Argent. C’était pratiquement un rite de passage ; si on survivait à Albez, on était prêt à accepter des requêtes plus difficiles.

Mais même lors de leur expédition la plus facile - ils n’avaient croisé qu’un Mitours puis un groupe de Flâneurs Jaunes - Ceria ne se souvenait pas d’avoir déjà vu les ruines aussi… vides.

Elle s’éclaircit la gorge lorsque Ksmvr se jucha en haut d’un rocher pour scruter la zone, l’arc à la main. Il se tourna vers Yvlon et elle et Pisces s’arrêta pour écouter.

“Gardez l’œil ouvert et restez à l'affût des monstres. Inutile de les laisser nous prendre par surprise.”

C’était sans doute inutile de le répéter. Pisces ne se gêna pas pour renifler avec mépris et reprit sa route. Mais Yvlon et Ksmvr hochèrent la tête et redoublèrent de vigilance.

Et ils atteignirent enfin le site de fouilles qu’ils avaient choisi. Ceria contempla la pièce effondrée en contrebas et essaya de comparer les dimensions des gravats à l’une des pièces de la carte. Cela correspondait… vaguement.

“On dirait qu’on peut peut-être atteindre une autre pièce en avançant encore un peu. Vous voyez ?”

Les trois autres se serrèrent autour de la carte pour tenter de trouver un bon endroit où pénétrer dans l’hypothétique tunnel secret. Il était censé mener hors de l’une des pièces - des chambres résidentielles, d’après leur allure - dans une autre pièce plus vaste. Ce qui, pour résumer,  ressemblait exactement à une pièce secrète, mais trouver l’endroit exact allait s’avérer difficile.

À ce stade, bien sûr, les quatre membres de l’équipe savaient quoi faire. Yvlon et Ksmvr saisirent tous deux une pelle et choisirent deux zones séparées avant de se mettre à creuser, dans l’espoir de trouver un toit de pierre ou une autre partie du bâtiment.

Ceria les observa travailler, en montant la garde. À moitié optimiste. L’autre moitié…

“Nous ne trouverons jamais rien comme ça.”

Elle se tourna vers la droite. Pisces était debout à côté d’elle, et regardait Yvlon et Ksmvr avec un air dégoûté. Le premier jour, ils s’étaient relayés pour creuser jusqu’à avoir des ampoules aux doigts. À présent, les plus forts creusaient jusqu’à ce qu’ils pensent avoir trouvé quelque chose, auquel cas Pisces et Ceria venaient leur donner un coup de main.

“As-tu la moindre idée d’à quel point les pièces secrètes sont peut-être enfouies ?”

“Je sais. Normalement, on engagerait une équipe d’excavateurs, on aurait deux fois plus d’aventuriers et on aurait peut-être fait une alliance avec une autre équipe. Mais on n’a pas le temps pour ça - et n’importe quel autre groupe exigerait un partage égal du trésor, et essaierait peut-être même de se l’approprier dans sa totalité. Et… ni Yvlon, ni moi n’avons suffisamment de crédibilité pour persuader qui que ce soit de s’associer à nous, de toute façon.”

Ceria grimaça. Ils avaient été… mal accueillis à Esthelm. Les aventuriers qu’ils y avaient croisés leur avaient soit adressé leurs condoléances, soit affiché un franc mépris voire de la colère, envers elle, mais surtout envers Yvlon. Tous les aventuriers locaux avaient connu quelqu’un qui était mort dans la crypte.

“Au lieu de cela, nous avons donc deux ouvriers inexpérimentés et deux mages non spécialistes de la magie de la terre ? Ce n’est guère mieux.”

Pour une fois, elle ne pouvait pas réfuter son argument. Ceria grimaça.

“Nous sommes partis sans préparer de plan. On aurait dû faire davantage de préparations, planifier tout ça.”

C’était l’excitation d’avoir trouvé la carte. Il avait supplanté leur bon sens et même Yvlon et Ceria avaient ignoré leur instinct qui leur dictait de prendre au moins un mois pour se préparer et d’attendre d’avoir trois fois plus d’argent au moment où elles avaient fait un emprunt à Erin. Mais elles avaient espéré.

Pisces hocha la tête d’un air sombre. Il avait une tache fraîche de porridge sur le col de sa robe.

“Je m’en veux.”

“Oh, vraiment ?”

“J’aurais dû prévoir ce qui allait se passer. Et insister pour que nous utilisions mes créations pour accélérer le processus.”

“Pisces. On en a déjà discuté.”

“En effet. Mais tu ne m’as pas encore réellement écouté.”

Ceria soupira. Elle s’était déjà pris le bec plusieurs fois avec Pisces, mais cette fois, il avait l’air déterminé à se faire entendre. Impossible de le distraire à ce stade-là.

“Tu sais l’opinion que se fait Yvlon des morts-vivants.”

“Je sais.”

“Invoquer les morts reste un crime dans le nord, à moins d’avoir conclu un accord avec les villes locales - ce qui n’est pas ton cas.”

“Très vrai.”

“Et donc ?”

“Sans mes morts-vivants, nous ne creuserons jamais suffisamment. Nous ne ferons qu’exhumer des structures déjà trouvées par des équipes précédentes, ce que nous avons fait toute la semaine. Il te faut une main-d’œuvre inépuisable ; j’ai les moyens d’en créer une. Tout ce qui m’en empêche est ton dégoût.”

C’était un argument rationnel, délivré d’un ton calme et posé. Cela ressemblait tellement au Pisces qu’elle avait connu que Ceria ne put s’empêcher de lui jeter un regard en coin.

Oui. Si on passait outre les cheveux et les vêtements sales, il restait des traces du jeune homme qu’elle avait connu. Toujours à l’état de traces. Elle hésita.

“Tout de même.”

“Springwalker, je sens des cadavres sous nos pieds. Il y en a suffisamment pour que j’anime plusieurs squelettes, au minimum. Probablement plus si besoin est.”

Pisces regarda Ceria droit dans les yeux, comme il le faisait à l’époque. Ses yeux étaient focalisés sur elle, et il avait cette ancienne intensité, cet ancien regard à moitié fou de détermination dans ses yeux.

“Qu’est-ce qui importe le plus ici, Ceria ? Ta fierté ou le succès ?”

Cela réglait la question. Ceria ferma les yeux et haussa la voix.

“Yvlon !”

Lorsque l’aventurière s’approcha, Ceria expliqua l’argument de Pisces en quelques mots. Le visage d’Yvlon se ferma et elle regarda Pisces. Il soutint calmement son regard.

“Pisces a raison. Nous ne cessons d’exhumer des ruines déjà vidées. IL va peut-être falloir que nous creusions plus profondément et notre temps est presque écoulé. Ses morts-vivants représentent peut-être notre seule chance. Qu’en penses-tu ?”

La guerrière aux cheveux d’or paraissait mécontente. Elle n’avait pas été ouvertement hostile envers Pisces pendant le voyage, mais là encore, elle ne l’avait pas non plus laissé invoquer des morts. Elle repoussa une mèche de cheveux sale de son visage.

“C’est toi la Capitaine, Ceria. Si tu penses que ça vaut le coup, je ferai avec.”

Son ton et sa position indiquaient clairement qu’elle ne voulait pas que Ceria accepte. Mais Ceria avait déjà pris sa décision.

“D’accord, Pisces. Vas-y.”

Pisces hocha la tête. Il se leva et leva les mains. Il ne gesticula pas avec grandiloquence, il ne fanfaronna pas. Mais Ceria sentit son mana se concentrer et sonder le sol sous leurs pieds. Elle frissonna, consciente de ce qu’il cherchait.

“Ceria ? Est-ce qu’il fait quoi que ce soit de… mal ?”

La voix d’Yvlon était calme, mais elle fixait intensément le visage de la Demi-Elfe. Ceria savait ce qu’Yvlon devait ressentir - ce n’était pas comme si elles avaient aimé les morts-vivants avant les ruines. Et à présent…

“Rien de mal, ou du moins magiquement parlant.”

“Tu es sûre que c’est le seul moyen ?”

“Le meilleur que l’on possède. Je n’en suis pas ravie non plus. Tu le sais. Mais c’est sa classe principale, Yvlon. C’est un bon mage, mais il a toujours été extrêmement doué sur ce qui le passionnait. En tant que [Nécromancien], il est puissant. Laisse-le faire, juste une fois.”

Les lèvres de l’ancienne Capitaine se tordirent, mais elle ne voulait clairement pas remettre en question la décision de Ceria en public. Elle secoua la tête et planta sa pelle dans la terre.

“Je vais monter la garde avec Ksmvr. S’il lève les morts, autant les laisser bosser.”

Ceria hocha la tête avec gratitude, et regarda Yvlon rejoindre Ksmvr. Quelques secondes de discussion plus tard, ils s’éloignèrent pour faire le guet, la laissant seule avec Pisces.

“Levez-vous. Levez-vous, quittez votre lieu de repos à ma demande. Creusez la roche et la terre de vos mains pour me rejoindre et obéir à mes ordres…”

Il parlait à la terre, sa voix basse et audiblement infusée des échos qui résonnent lorsque l’on jette un enchantement. Ceria secoua la tête en sentant la magie le quitter et pénétrer dans la terre.

“Est-ce que c’est nécessaire ? Tu ne peux pas simplement jeter une [Ressuscitation] ?”

Pisces frissonna et cligna des yeux en sortant de la transe au sein de laquelle il avait jeté le sort. Ceria le rattrapa avant qu’il ne s’effondre et le relâcha immédiatement. Il cligna des yeux puis hocha brièvement la tête.

C’était tellement… difficile de faire comme si de rien n’était avec lui. Au moins, cette fois, Pisces ne renifla-t-il pas d’un air méprisant.

“Ce n’est pas si simple lorsque l’on ne se cantonne pas aux sorts préexistants. Tu devrais le savoir, Ceria. je te l’ai dit, si tu jettes toujours un sort de la même façon, tu n’apprends rien.”

“D’accord. Tu as donc improvisé. J’imagine que tu jettes plusieurs sorts de ressuscitation à distance ?”

“[Ressuscitation de Squelettes], plus exactement. Je me suis rendu compte que ce sont les plus efficients en ce qui concerne le rapport qualité/mana.”

“Oh, très bien.”

Pisces pointa un carré de terre devant eux.

“Il y a un groupe de cadavres conséquent sous nos pieds. Cela indique peut-être qu’une pièce secrète se trouve bel et bien ici.”

“Cela signifie peut-être qu’elle a déjà été vidée.”

“Peut-être. Ou qu’elle a été découverte, mais que personne n’a jusqu’alors réussi à y pénétrer. Dans tous les cas, j’ai invoqué plusieurs squelettes qui vont pouvoir nous assister pour creuser.”

Ceria regarda fixement le sol. Elle ne vit pas les secousses dans la terre ni les mains griffues sortant du sol qui précédaient d’ordinaire un zombie avant qu’il n’essaie de la bouffer.

“Il y a un truc qui les ralentit ? Ou tu leur as juste dit de prendre leur temps ?”

Pisces fronça les sourcils en entendant la pique et Ceria regrettant immédiatement ses mots. Le sort était puissant ; elle le voyait suer légèrement malgré le froid.

“Ils doivent parcourir une distance considérable. Dommage que tu n’aies pas pu te souvenir d’où se trouvait la Liche, Springwalker.”

“Tu ne peux pas animer de Liches, Pisces.”

“Peut-être pas à partir de rien. Mais si j’avais les os de l’une d’elles…”

“Tu pourrais l’animer ? Vraiment ?”

“Peut-être. J’aimerais étudier son sort d’animation, dans tous les cas.”

La Demi-Elfe jeta un regard en coin à celui qui avait été son ami qui marmonnait dans sa barbe. Il se pensait capable de créer une Liche ? Ou bien d'apprendre le sort pour en créer une ?

C’était… inquiétant. Une Liche n’était pas un mort-vivant de très haut niveau, loin de là. Mais c’était un monstre puissant. Suffisamment puissant pour que, si Pisces pensait pouvoir en animer une à lui seul, il soit plus fort que ce que pensait Ceria.

“Tu en es à quel niveau, maintenant ? Dans ta classe de [Nécromancien], je veux dire.”

Le mage cessa de marmonner dans sa barbe. Il se tourna pour la regarder fixement.

“Qu’est-ce que cela peut bien te faire ? Ne m’as-tu pas dit, la dernière fois où nos chemins se sont séparés, que tu ne voulais plus jamais entendre parler de moi ?”

“C’était alors. Nous nous retrouvons finalement à travailler de nouveau ensemble.”

“Oui. J’imagine que je dois remercier Erin Solstice pour cela.”

“Peut-être bien. À moins que tu ne comptes la maudire pour cela ?”

“Ce n’est pas moi qui avais des réserves pour travailler avec toi, Springwalker. C’est toi qui m’as dit que tu ne voulais pas voyager avec moi.”

“Oui. C’est vrai.”

Ceria aurait beaucoup aimé utiliser un bâton comme celui que Sostrom traînait partout avec lui. Certes, ce serait encombrant, mais cela aurait été tellement agréable de s’appuyer dessus. Elle se contenta de s’asseoir sur un rocher.

“Je n’ai pas vraiment changé d’avis sur la nécromancie depuis lors. Ne sais-tu donc pas que les morts-vivants ont tué mon équipe et celle d’Yvlon ? Ils ont tué nombre de mes amis.”

Pisces se contenta de secouer la tête.

“Les morts-vivants n’ont pas de conscience. Ou plutôt, la plupart. Ceux qui sont sous mon commandement n’ont rien à voir avec ces créatures errantes.”

“Certains diraient qu’il n’y a guère de différence. Si tu perds le contrôle, ou que tu te fais tuer, ils restent dénués de conscience.”

“Seulement si je n’atteins pas mes objectifs.”

“Tu es encore là-dessus ? Je pensais que tu aurais abandonné l’idée. Tu n’as certainement pas l’air d’avoir fait beaucoup de progrès.”

À sa grande surprise, Pisces sourit au lieu de se vexer à sa pique. Cela la rendit méfiance. Mais il se tourna vers le carré de terre et elle entendit des bruits de creusement. Le premier squelette était en train de s’exhumer du sol.

“Oh, parfait. Les excavateurs sont arrivés. Mets-les au travail, tu veux bien ?”

Yvlon et Ksmvr regardèrent la scène de leurs positions et cinq squelettes s’arrachèrent à la terre pour rejoindre le premier que Pisces avait invoqué. Deux se saisirent d’une pelle, les autres se contentèrent de creuser la terre à mains nues.

Yvlon se détourna lorsque les squelettes aux yeux de flammes se mirent au travail. Ksmvr se contenta de les regarder avec intérêt. Ceria s’assit sur un rocher à côté de Pisces et ils discutèrent dans l’air glacé.

“Cela paraît étrange que Ksmvr ne creuse pas mieux que ça.”

“Il n’a pas été créé pour ça, Springwalker. Il a peut-être le même corps qu’un ouvrier, mais il lui en manque clairement l’expérience.”

“Toutes choses doivent obéir à leur objectif premier, hein ? Je suis étonnée que tu dises cela.”

“Je ne suggère pas que c'est efficace. Je ne fais qu’énoncer des faits. Ne mésinterprète pas mal mes paroles.”

“… Désolée.”

Ils restèrent un moment assis en silence en regardant les squelettes se mettre au travail. Ils se déplaçaient avec une vitesse louable malgré le froid et, s’ils étaient plus faibles que Ksmvr et Yvlon, ils étaient infatigables Ceria était déjà en train de se demander pourquoi ils ne s’en étaient pas servis plus tôt, avant de se rappeler la raison exacte pour laquelle elle n’en avait pas eu envie.

“On dirait qu’ils vont pouvoir creuser sur une bonne distance avant la tombée de la nuit. Ça va peut-être marcher.”

“Nous ne pouvons que l’espérer.”, grogna Pisces en contemplant ses créations. Son estomac émit un gargouillis parfaitement audible malgré le vent. Comme pour lui répondre, celui de Ceria fit de même.

“C’est drôle, non ? Quelques années plus tôt, on aurait été dans la grande salle, en train de nous empiffrer en lisant des grimoires.”

“Certes.”

“... Est-ce que ça te manque ?”

“Bien sûr.”

Sa voix était douce. Pisces contempla ses morts-vivants, se remémorant cette époque tout comme elle.

“Mais le passé est le passé. Je l’ai abandonné pour vivre ma passion. Inutile de regarder en arrière.”

“Pour toi, peut-être. Je me demande ce qui aurait pu se passer si… tu étais un meilleur mage autrefois, quand tu ne pratiquais pas la Nécromancie.”

Les mots, amers malgré le temps qui s’était écoulé, venaient d’un recoin sombre du cœur de Ceria. Mais elle ne put s’empêcher de les prononcer. Cette fois-ci, Pisces ne lui répondit pas d’un ton sec. Il se contenta de hausser les épaules d’un air las.

“Certains le pensent. Mais j’étais un généraliste à cette époque ; un valet sans spécialité. La Nécromancie a toujours été ma passion. J’avais peut-être l’avantage du soutien populaire, mais c’est tout. Qui acclamerait un mage sans spécialité ni vocation ?”

Moi, je te respectais. Mons aussi, et un tas d’autres gens.”

“Ah.”

Il n’avait pas grand-chose à répondre à ça. Pisces regarda les mottes de terre voler et deux squelettes en train d’essayer de soulever une grosse pierre d’un trou qu’ils avaient creusé.

“Mons. Oui. Que lui est-il arrivé ? Je n’ai pas entendu parler de mages qui t’auraient rejoint lorsque tu as quitté Wistram. Est-ce qu’elle est…”

“Elle est restée étudier à Wistram. Qui sait ? Elle est peut-être une meilleure [Mage] que toi ou moi, à présent.”

“Hah. Peut-être. Elle connaît sans aucun doute davantage de sorts, au moins.”

Ils éclatèrent de rire à l’idée. Puis ils se turent. Ceria sentait ce qui allait se passer, mais sa langue ne cessait de la pousser vers l’avant.

“Tu sais, même si tu étais devenu un [Nécromancien], cela n’aurait peut-être pas été grave si tu n’avais pas…”

“Je te l’ai dit, j’avais un objectif lorsque j’ai fait ça.”

“Mais tu n’as même pas demandé la permission.”

“Je n’en avais pas besoin. Cognita me l’avait dit. Les règles qu’ils avaient créées…”

“C’est le principe du truc, Pisces. Tu leur as craché à la figure et leur as dit…”

Le mage l’interrompit. Son visage était tendu, creusé, et Ceria savait qu’il revivait le même moment qu’elle.

“J’ai… fait une erreur. Mais j’ai fait ce que je pensais être le mieux. C’est du passé, à présent. Reprendre la même vieille dispute n’aurait aucun intérêt. Tu ne parviens pas à comprendre ma position, comme à l’époque.”

“J’imagine, oui. Mais tu dois bien admettre que cela ne s’est pas terminé comme tu l’espérais.”

“Non. En effet. Je l’ai compris, à présent.”

C’était la première fois qu’elle l’entendait admettre qu’il avait eu tort. Ceria dévisagea Pisces, surprise.

“Vraiment ?”

Il haussa les épaules.

“Des événements récents m’en ont fait… regretter la manière dont cela s’est terminé. C’est tout.”

“Oui. Oui. Ni toi ni moi ne sommes vraiment dignes du diplôme de Wistram, pas vrai ?”

“Non. Mais j’ai été stupéfié de recevoir un message de ta part. Je ne savais même pas que tu étais encore sur le même continent que moi. Qu’est-ce qui t’a décidé à venir ici ?”

“Je suis venue en Izril pour gagner de l’argent. Pour devenir une meilleure aventurière, comme je ne pouvais pas rester à Wistram.”

“Pourquoi pas Baleros ? Ou Chandrar ?”

“Trop loin, et trop violent. Pour les deux, honnêtement. Je ne voulais pas rejoindre une Compagnie ; je voulais faire mes propres choix.”

“Hmm.”

Ceria jeta un regard en coin à Pisces.

“Et toi ? Pourquoi as-tu décidé de devenir aventurier ? Ne m’avais-tu pas juré que tu allais tracer ta propre route ?”

“Je… j’ai besoin de gagner des niveaux. Voilà tout.”

“Vraiment ? Mais tu ne vas pas en gagner beaucoup juste en jetant des sorts.”

“Certes. Mais… eh bien, je cherchais peut-être autre chose.”

“Quoi donc ?’

“Une dernière chance.”


 
Maroti
   
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3.02 H Partie 2
Traduit par EllieVia
6450 mots

“Pour quoi faire ?”

Il hésita. Pisces fixa ses pieds, et le vent glacé fit voler sa robe autour de lui.

“Pour…”

En contrebas, dans le fossé qu’ils avaient creusé, l’un des squelettes leva sa pelle et la plongea dans une motte de terre. La terre autour de lui s’effondra, et le mort-vivant disparut.

La terre gronda et de la terre et des cailloux se mirent à glisser. Instantanément, Ceria et Pisces reculèrent, et sentirent le sol sous leurs pieds bouger légèrement.

Un effondrement ! Mettez-vous en sécurité !”, cria à Ceria à Yvlon et Ksmvr lorsque les secousses s’amplifièrent. Elle recula en chancelant, cherchant une zone sûre des yeux, et attrapa Pisces qui trébuchait derrière elle.

Les effondrements représentaient un grave danger dans les vieux donjons et les endroits de ce genre. Il était tout à fait possible de se faire avaler par la terre. Ceria vit Yvlon et Ksmvr courir vers un gros affleurement rocheux dans l’espoir d’être en sécurité sur la roche. Elle essaya de les rattraper.

Et alors, aussi vite qu’il était apparu, l’affreux grondement cessa. Ceria se retourna en tremblant et vit Pisces se relever. Il épousseta sa robe puis se retourna pour regarder lui aussi.

“Chancre. Regarde-moi ça.”

Un immense gouffre béant s’était ouvert sous les pieds des squelettes. Ceria en voyait deux remonter, mais pas les quatre autres.

“Piège magique ! À terre !”, hurla Pisces, et Ceria plongea immédiatement au sol. Elle vit Yvlon et Ksmvr qui se précipitaient en courant vers eux faire de même. Elle se retourna pour regarder et vit ce qui avait alerté Pisces.

De gigantesques rubans de flammes qui se tordaient et s’entrelaçaient comme des serpents brûlaient sur les gravats qui étaient retombés. Les flammes n’étaient pas rouge et orange ; elles étaient bleues, et faisaient déjà fondre la pierre et s’envoler la terre en fumée qui commença à s’élever du trou.

“Pisces. Est-ce qu’il nous vise… ?”

“Non. Laisse-moi voir.”

Le mage leva sa tête et se concentra. Deux de ses squelettes approchèrent du trou.

“J’ai perdu trois squelettes. Deux ont été incinérés, l’autre a été écrasé. Le dernier est coincé sous un tas de terre. Les deux autres ne sont pas visés - on dirait qu’on a déclenché un piège de zone.”

“Remercions les fleurs pour cela.”

Ceria soupira et laissa se dissiper un peu de la tension qui l’avait saisie. Elle avait espéré qu’il se passerait quelque chose, mais elle ne s’était pas attendue à ça.

“On a creusé juste au-dessus de ce couloir secret, pas vrai ? Et on dirait que ça mène aux quartiers d’un [Mage].”

“On dirait, oui.”

Pendant un instant, les deux mages contemplèrent les flammes dansantes. Ceria était déjà en train d’essayer d’analyser le sort : la quantité de mana qu’elle sentait dans les flammes et la façon dont elles consumaient instantanément l’énorme quantité de pierre et de terre sur leur passage lui indiquait qu’ils venaient de tomber sur un sort incroyablement puissant. Quel Échelon ? Échelon 5 ? 6 ?

“Ceria ! Pisces ! Tout va bien ?”

La voix d’Yvlon résonna et Ceria réalisa que Ksmvr et elle ne pouvaient sans doute pas voir comme elle ce qu’il se passait. Elle se releva tant bien que mal et agita la main vers les deux silhouettes à plat ventre en train de ramper vers eux.

“Tout va bien ! Les squelettes ont traversé le toit d’une nouvelle zone ! Les pierres ont dû déclencher des protections magiques en tombant. Restez tous vigilants !”

Yvlon et Ksmvr se relevèrent. Ils vinrent à la rencontre de Pisces et Ceria qui étaient en train d’essayer de s’épousseter.

“Nous avons juste entendu un grondement lorsque la terre s’est mise à s’effondrer. Heureusement qu’on n’était pas plus près.”

“En effet. Cela aurait sans doute résulté en une immolation douloureuse pour nous tous.”

Les deux humains et la Demi-Elfe regardèrent fixement Ksmvr. Il soutint leur regard.

“À moins que Pisces ou Ceria ne connaissent des sorts ignifuges très puissants ?”

“Non.”

“Nope.”

“Tu as probablement raison, Ksmvr. Merci d’avoir partagé ton opinion.”

Les quatre aventuriers se focalisèrent de nouveau sur le gouffre. Yvlon siffla.

“Les flammes ne se sont toujours pas éteintes ? Ça doit être un sacré piège magique. Ils cherchaient à tuer qui ? Des Aventuriers Légendaires ?”

“Ah. C’est…”

“C’est probablement…”

Ceria et Pisces s’interrompirent. Ils avaient tous deux parlé en même temps. Ils échangèrent un regard puis Ceria expliqua.

“Nous avons touché la matrice de liaison du sort. C’est pour ça qu’il ne s’est pas encore arrêté. Tout le mana est en train d’être vidé et il ne se rechargera pas quand ce sera fini.”

“Oh. Je vois.”

Ksmvr regarda dans le gouffre.

“Est-ce que je peux me permettre de demander la nature de ce sort ? Il a l’air d’être principalement tourné sur de la magie de proximité. Est-ce qu’il possède des composants inhabituels ?”

C’était ce que Ceria avait cherché à comprendre. Elle se frotta le menton.

“Je ne suis pas sûre. C’est un piège pyromancique, c’est sûr. Mais des flammes bleues ? On dirait une variation du sort de [Serpent de Flammes] dont on avait lu la description, tu te souviens ?”

Pisces hocha la tête d’un air absent.

“Une version améliorée. Les flammes bleues et la chaleur extrême en attestent très clairement.”

“Clairement. Probablement impossible à bloquer s’il nous tombait dessus d’un coup.”

“En effet. Les murs sont probablement renforcés pour éviter une fuite subite. Est-ce qu’un mur piégé aurait pu bloquer l’issue ?”

“Peut-être…”

Yvlon regarda les deux mages.

“Alors, verdict ?”

Ceria hocha la tête.

“Excellent. C’est un sort puissant. Et il était tout frais. Personne ne l’a jamais déclenché ou nous aurions vu des traces de brûlures. Il y a de bonnes chances que personne avant nous n’ait jamais exploré cet endroit. Et mieux encore…”

“Ce qu’ils protégeaient était sans doute tout aussi précieux.”

Pisces sourit, et Yvlon aussi. Ksmvr souleva légèrement ses mandibules.

“C’est une bonne chose, n’est-ce pas ? Est-ce que nous devrions descendre lorsque les flammes se seront éteintes ?”

“Pour sûr. Préparez-vous, tout le monde ! On y va !”

Saisie d’un regain d’énergie, Ceria se mit à invoquer davantage de mana dans sa main squelettique en révisant ses sorts. Yvlon mit un heaume et se mit à balancer légèrement son épée. Ksmvr s’arma de son épée courte et d’un couteau pour les combats rapprochés. Pisces rappela ses deux squelettes.

L’humeur du groupe avait complètement changé en l’espace de quelques secondes. La pression de leur mort imminente - mais, plus encore, l’idée qu’ils aient peut-être trouvé quelque chose de vraiment important - les avait emplis du même espoir brûlant qu’ils avaient eu au début de leur aventure. Ceria pouvait à peine contenir son enthousiasme en attendant que le sort s’achève.

“Inutile d’entrer avant au moins une demi-heure après que les flammes ne se soient éteintes. La chaleur là-dessous doit être intense.”

En effet, les pierres fumantes irradiaient d’une chaleur intense qui semblait complètement ignorer l’air glacé. Ceria était déjà en train de s’échauffer alors qu’elle était loin du gouffre. Pisces contempla l’entrée du tunnel, contenant à grand-peine son excitation.

“Je pourrais jeter [Vent Glacé] pour accélérer le processus de refroidissement.”

“Économise ton mana. Nous ne savons pas ce qui se trouve là-dessous. D’ailleurs… on va commencer le leurre. Je pensais utiliser la méthode de la boule d’argile, mais pourquoi ne pas prendre un de tes squelettes.”

“Pas bête. Allons-y.”

Même Yvlon ne protesta pas lorsque Ceria et Pisces se mirent à préparer l’un des squelettes. Seul Ksmvr était décontenancé. Il contempla les deux mages en train de donner des objets au squelette et de marmonner des idées d’enchantements.

“Excusez-moi. Que se passe-t-il ?”

Ceria s’interrompit en tendant un gros caillou au squelette. Pisces était occupé à préparer une torche qu’il essayait d’allumer.”

“Oh. Tu n’as jamais vu d’aventuriers pénétrer dans un donjon piégé, pas vrai Ksmvr ?”

“Non. Par conséquent, quel est l’intérêt d’équiper ainsi un squelette ?”

Cette fois-ci, Yvlon se chargea des explications. Elle montra le squelette du doigt tandis que Ceria y jetait un enchantement. Une boule de lumière se mit à briller autour de la tête du squelette, émettant une lumière qui s’ajoutait à la lumière de la torche dans son autre main.

“Quand on entre dans des donjons, on fait toujours attention aux pièges. Ils tuent davantage que les monstres, la plupart du temps. Si on avait un [Roublard] ou un [Éclaireur], on pourrait s’appuyer sur leurs Compétences de détection de pièges, mais nous n’en avons pas. Et même là, c’est très risqué pour la personne qui passe devant. La plupart des aventuriers qui mènent la marche… ne survivent pas.”

Ceria hocha la tête d’un air sombre. Elle ne voulait pas penser au nombre d’amis qu’elle avait dû enterrer après qu’ils aient rencontré un piège ou la griffe d’un monstre. Yvlon affichait la même expression lorsqu’elle reprit la parole.

“Et c’est pour cette raison qu’on essaie de trouver des moyens de déclencher les pièges avant d’entrer. L’une des méthodes les plus communes est de tirer une flèche sur un fil piège ou un piston lorsqu’il est visible, mais de nombreux pièges sont magiques. Les aventuriers font donc rouler quelque chose dans un couloir suspect - on utilise des boules d’argile si on n’a rien d’autre. Mais beaucoup de pièges possèdent des détecteurs beaucoup plus sophistiqués.”

“D’où l’idée d’utiliser les morts-vivants. Ils ne déclencheront peut-être pas les pièges qui détectent les êtres vivants, mais en lui donnant une source de chaleur et le poids d’un aventurier normal, celui-ci déclenchera sans doute la plupart des pièges. Et l’équipement magique déclenche aussi un bon nombre de pièges.”, expliqua Pisces en faisant avancer le squelette au bord du couloir exhumé. Ceria hocha la tête.

“Avec un peu de chance, ce n’est pas un piégeur trop expérimenté. Si ce sont les quartiers personnels d’un mage - eh bien, ils sont rarement doués pour différencier les mécanismes d’activation des sorts. ON aura peut-être tous les pièges de cette façon.”

“Excusez-moi. Je suis de nouveau perturbé. Je croyais que c’était un donjon. Pourquoi parlez-vous des quartiers personnels d’un mage ?”

“C’est… difficile à expliquer, Ksmvr. On parle de 'donjon', mais cela ne signifie pas forcément qu’il s’agissait d’un château fort. Je crois qu’Albez était une ville qui s’est enfoncée dans la terre au fil des ans.”

“Oh. Je vois.”

L’Antinium réfléchit.

“Nous sommes donc, en fait, très probablement en train d’entrer par effraction dans les quartiers personnels d’un individu ?”

Ceria, Pisces et Yvlon échangèrent des regards.

“En quelque sorte.”

“Avec un peu de chance.”

“Ou le trésor d’une guilde ou d’un riche. C’est toujours sympa.”

“Alors, pourquoi tous ces pièges ? Le sort dont nous venons d’être témoins me paraît excessif ?”

Ceria haussa les épaules.

“La paranoïa. C’est d’ordinaire parce que les gens possèdent quelque chose d’important qu’ils ne veulent pas se faire voler. Et les mages puissants, d’un niveau avoisinant les 50 ? Ils devaient avoir accumulé beaucoup d’ennemis, beaucoup d’artefacts et d’objets de valeur au fil des ans. Leurs maisons ont tendance à se transformer en lieu d’épreuves miniature jusqu’à leur mort.”

Yvlon acquiesça.

“Dans certains cas, les protections sont justifiées. Imagine à quel point les objets qu’ils possèdent peuvent être puissants ? Mais par ailleurs, les donjons artificiels - ceux que les gens créer dans le but exclusif de protéger un objet très rare - sont les pires. Là, c’est plus comme placer quelques wards privés dans sa maison. Mais les donjons construits pour tuer un grand nombre d’individus ? Ce sont de véritables pièges mortels.”

“Vraiment ? Comment cela ?”

Ksmvr n’eut presque pas à les lancer sur le sujet. Même Pisces connaissait des histoires au sujet des horreurs que des aventuriers avaient trouvées dans des ruines.

“J’ai entendu parler d’un donjon où les créateurs avaient placé un piège de brume empoisonnée invisible à l’entrée. Et les aventuriers nettoyaient le donjon en mourant lentement. Des centaines d’équipes entraient sans problème, mais aucune n’en ressortait.”

“Et celui avec les douches acides ? Vous en avez entendu parler ? Il se déclenchait à cinq cents mètres de l’entrée et inondait tous les couloirs. Si son temps de réactivation n’avait pas été si long, il aurait éliminé toutes les équipes qui y pénétraient.”

“J’ai entendu parler d’un mage qui se contentait de téléporter les gens dans un piège au fond d’un gouffre au milieu du substrat rocheux. Ils n’avaient aucun moyen de sortir et finissaient par mourir de faim.”

“J’ai entendu parler de celui-là moi aussi ! Les [Mineurs] qui ont fini par localiser le piège - ils ont trouvé des aventuriers encore en vie, non ? Ils avaient mangé tous leurs amis et survivaient en mangeant leurs bottes.”

“Ce n’est qu’un mythe. Personne n’aurait assez d’oxygène pour survivre là-dessous.”

“J’ai entendu dire qu’ils avaient une amulette.”

“D’accord, mais même…”

Médusé, Ksmvr les regarda tous tour à tour.

“Vous avez l’air d’un optimisme inhabituel face à des situations graves auxquelles nous sommes nous-mêmes susceptibles de faire face.”

“C’est en partie ce que cela signifie d’être aventurier, Ksmvr. Nous risquons tout, donc autant rire un peu au cas où le pire advienne.”

Ceria éclata de rire. Même Yvlon sourit à l’Antinium.

“Nous remontons le moral des troupes avant d’entrer dans le donjon. Ne t’inquiète pas - nous sommes tous inquiets. Mais mieux vaut dire des blagues plutôt qu’attendre en silence.”

Ksmvr réfléchit à ces paroles, puis hocha la tête.

“J’apprendrai donc de cette expérience. Merci de me l’avoir expliquée.”

Bizarrement, cela les fit rire encore plus fort. Parce que c’était bizarre et qu’ils s’apprêtaient à pénétrer dans un lieu où ils allaient peut-être mourir. Ceria jugea bientôt le gouffre suffisamment refroidi pour pouvoir y entrer, et une fois qu’ils y eurent envoyé le squelette, le reste de l’équipe glissa sur la roche fondue et pénétra dans le tunnel abandonné.



***




“D’accord, ça, c’était un sale piège à flèches. Pisces, c’est toi qui marches devant, maintenant.”

Ceria regarda fixement la flèche empoisonnée qui avait proprement traversé les côtes du squelette avant de voler en éclats sur le mur, loin derrière. Elle ne voulait même pas toucher la flèche au cas où elle serait toxique, elle aussi.

Pisces secoua la tête. Il pointa un doigt et le squelette se remit à avancer en trottinant.

“Je vais rester derrière les deux guerriers, merci bien. Ils ont une armure. Moi pas.”

“Tu as ton anneau. Il t’aurait probablement sauvé la vie.”

Ceria regarda le squelette avancer encore d’une quinzaine de pas dans les ténèbres et tourner à l’angle. Le tunnel qu’ils avaient trouvé était long et sinueux et c’était le deuxième piège sur lequel ils tombaient. Le premier s’était facilement déclenché lorsque Ksmvr y avait tiré une flèche et avait relâché un redoutable jet d’acide. Le deuxième avait été déclenché par le squelette et Ceria avait peur qu’il y en ait d’autres.

Il s’était écoulé plusieurs heures depuis que les Cornes d’Hammerad avaient pénétré dans le tunnel. Malgré cela, ils n’avaient pas fait plus de quatre-vingts pas, car tous les quatre prenaient un soin épouvantable à vérifier que chaque centimètre de couloir était dépourvu de pièges.

Ils étaient tous équipés de longs bâtons avec lesquels ils tâtaient le mur, le plafond, et le sol, et Pisces envoyait régulièrement ses deux squelettes devant pour marcher et taper sur les murs dans l’espoir de déclencher quelque chose. Même lorsqu’ils se croyaient en sécurité, les Cornes d’Hammerad marchaient à la file indienne, en laissant Ksmvr et Yvlon avancer un bon moment avant que les deux autres ne les rattrapent prudemment.

“Ce tunnel ne peut pas être encore bien long. La carte montre qu’il mène à un grand espace droit devant, pas vrai ?”

Ceria n’eut même pas besoin de jeter un œil à la carte dans son sac. Elle acquiesça.

“Tout à fait. Avec un peu de chance, on y arrivera avant la nuit. Sinon… on pourrait monter le camp ici.”

Là encore, ce fut Yvlon qui accepta calmement ce fait ; elle s’y était probablement attendue, et Ksmvr s’en remit immédiatement à sa décision. Mais Pisces fronça les sourcils.

“Monter le camp ici ? Mais ce couloir est complètement à découvert ! Nous devrions tâcher d’en atteindre le bout avant la nuit - je ne veux pas qu’on se fasse coincer par un monstre ici.”

“Mieux vaut camper ici que trop se précipiter, Pisces.”

Pisces lui rendit au quintuple le froncement de sourcils que Ceria lui adressa. Elle détestait la façon qu’il avait de toujours remettre ses décisions en question. Elle savait bien qu’il avait hâte - elle se souvenait avoir connu le même sentiment et avoir eu la même conversation par le passé. Mais elle avait déjà été témoin de ce qu’il se passait quand on agissait dans la précipitation.

Pisces claqua ses dents lorsque Ceria répondit.

“Nous ne prenons aucun risque. Même si cela signifie que nous devions prendre deux jours au lieu d’un - même si nous devons quitter cet endroit et revenir avec des provisions plutôt que de prendre le risque d’avancer sans risque, on le fera. En l’état, nous sommes encore beaucoup trop près du rayon du piège si nous tombons sur un piège de zone. Nous risquons déjà beaucoup en ce moment même, Pisces. Je ne nous ferai pas nous précipiter vers la mort.”

Il claqua encore quelques fois des dents, de toute évidence mécontent. Mais il finit par soupirer.

“Très bien. Je m’en remets à ton expérience.”

Cela surprit Ceria ; elle avait été tellement sûre qu’il allait se battre bec et ongles contre cette décision.

“Vraiment ? Bien.”

“Oui, eh bien…”

“Pisces marqua une pause et claqua de nouveau ses dents. Cette fois-ci, Yvlon fronça les sourcils.

“Est-ce que tu veux bien arrêter ça ? Ça me déconcentre.”

“Moi ? Je ne fais rien. Je croyais que c’était Ksmvr…”

Tout le monde se retourna vers l’Antinium. Il fit volte-face. Ses mandibules s’ouvrirent et le claquement s’accentua soudain lorsqu’ils comprirent que cela ne venait pas d’eux.

Attaque !”

Quelque chose surgit des ténèbres et plaqua le squelette détecteur de pièges au sol. Ceria aperçut brièvement des pattes en formes de faux en train de tourbillonner, des mandibules et des pinces prêtes à claquer et elle pointa du doigt.

“[Stalactite] !”

Elle lança son sort en même temps que Pisces jeta une boule de feu. Ils n’entrèrent pas comiquement en collision pour manquer la cible - la stalactite de Ceria explosa d’abord sur la créature, la repoussant en arrière, puis la boule de feu magique de Pisces frappa le squelette. Les jets de flammes n’atteignirent pas la créature, mais elles permirent de l’éclairer.

Ceria aperçut de longues pattes à l’allure très arachnéenne recouvertes d’armure, et une silhouette longue et trapue. Mais ce n’était pas une araignée cuirassée. Elle avait trop de pattes, et ces pattes étaient recouvertes de piques. Et elle… coulait. La carapace rouge et violette et les organes internes exposés se mirent en mouvement lorsque la créature ouvrit sa mâchoire remplie de rangées de dents circulaires. Elle croqua le morceau qu’elle avait arraché au squelette et deux de ses congénères commencèrent à sortir des ténèbres.

“Oh merde ! Des Crelers !”, hurla Ceria en pointant d’autres Crelers du doigt. Les petites créatures s’engouffrèrent dans le couloir et se jetèrent sur les aventuriers pour essayer de les griffer, de les mordre, de se creuser un passage à travers leurs ennemis.

“Couvrez-moi !”

Yvlon se précipita en avant et son épée s’abattit sur le Creler de tête. Sa lame aplatit la créature au sol, mais même son acier acéré ne put que trancher les organes exposés de la créature. Le reste - sa chitine dure et le reste de ses substances pseudo-osseuses, trop solide, résista à l’assaut et la créature tenta de monter sur la jambe d’Yvlon.

“Périssez.”

Ksmvr fit tourbillonner ses trois bras lorsque les deux autres Crelers fondirent sur lui. Il en attrapa un, sans se soucier de ses bords tranchants qui mordirent dans sa main et se mit à tailler dans le tas avec les deux autres armes qu’il possédait. Comme Yvlon, il ne put pas immédiatement couper la créature en deux, mais il avait suffisamment d’appui pour transpercer lentement le corps de la créature de ses lames en la sciant.

L’autre Creler tenta de bondir sur son dos, mais Ceria lui jeta un sort bien placé qui l’envoya rouler plus loin. Elle couvrit les deux autres en jetant des [Stalactites] rapides qui, s’ils repoussaient les Crelers, ne leur infligeaient toutefois pas de dégâts critiques.

“Springwalker ! Derrière toi !”

Ceria plongea hors de portée. Pisces leva sa main et une bourrasque glacée gela le Creler qui lui avait bondi dessus. La créature tomba au sol, étourdie, et un squelette se précipita sur elle et se mit à la piétiner.

Ceria s’aperçut alors que les trois squelettes étaient en train de se battre. Ils avaient pris des cailloux et essayaient d’écraser les Crelers avec. Mais ces derniers n’étaient presque faits que de lames et de bords tranchants. Il fallait une masse d’armes - Calruz en avait tué la plupart avec sa hache !

“Gèle-les, Ceria !”, entendit-elle Pisces hurler, mais un Creler s’était jeté sur son visage. Ceria recula d’un bond, et la gueule pleine de lames de rasoir claqua à une dizaine de centimètres de son visage lorsqu’elle la saisit dans sa main squelettique. Le Creler tenta immédiatement de dévorer ses os et Ceria réagit au quart de tour.

“Crève, vermine !”

Elle ne lui jeta pas vraiment un sort, mais un concentré de magie de glace. L’air autour de sa main gela et Ceria en sentit un froid extrême envahir sa main squelettique qui gela le Creler. Il poussa des cris perçants et se tortilla, mais elle refusa de le lâcher. Les pattes et les griffes de la monstruosité s’agitèrent au bout de son bras tendu, menaçant de lacérer sa chair. Cinq secondes plus tard, elle se raidit et mourut de froid dans son poing.

Ceria la relâcha en tremblant. Mais elle n’avait pas le temps de se reposer. Elle fit volte-face et se mit à bombarder les Crelers qui tentaient de grimper sur l’armure d’Yvlon. Cette dernière absorba les coups, comme son armure déviait les [Stalactites] - elle jeta un Creler au sol et le piétina dans un concert de cris perçants.

Ceria se précipita en avant et bombarda un Creler d’une [Stalactite] bien placée. Cette fois-ci, l’onde de choc brisa la créature en deux ; elle s’effondra, plusieurs de ses pattes se détachèrent de son corps et une substance jaune gluante se mit à sourdre de ses blessures. Ceria frissonna et se tourna en quête d’une autre cible.

Une seconde plus tard, tout était terminé. Pisces carbonisa le dernier Creler que ses squelettes avaient entravé et Ksmvr finit d’en écraser un autre avec sa lame de fer enchantée. Les Crelers tressautèrent en émettant des râles bulleux là où ils avaient été occis, mais leur agonie était bien trop avancée pour qu’ils ne puissent bouger.

Ceria avança d’un pas titubant, haletante, le visage dégoulinant de sueur, et l’épuisement de tant de magie la rattrapa. Elle s’accrocha à Yvlon et cette dernière tituba.

“Yvlon. Est-ce qu’ils t’ont blessée ?”

La Capitaine aux cheveux d’or haletait, elle aussi, mais elle secoua la tête.

“Ils ne sont pas entrés dans ma tête. Je crois que quelques-uns ont transpercé mon plastron, mais ils n’ont pas touché ma peau”.

“Désolée pour les [Stalactites]. Est-ce que je t’ai blessée, ou percé ton armure ?”

“Elle est un peu cabossée. Je vais bien. Merci.”

Ceria hocha la tête. Elle aurait pu percer l’armure d’Yvlon et la tuer si ses sorts de [Stalactites] avaient été jetés à bout portant ou avaient atteint un point faible. Mais dans tous les cas, mieux valait cela plutôt que de laisser un Creler atteindre la tête nue d’Yvlon. Il se serait creusé un chemin à coup de dents dans son armure à travers le col en moins d’une seconde.

“Eh bien, voilà la raison pour laquelle nous n’avons pas croisé de monstres ou de morts-vivants récemment. Des Crelers.”

“Dieux morts.”

Les deux femmes se tournèrent vers Ksmvr et Pisces. Pisces était sain et sauf, bien que pâle et visiblement secoué, mais Ksmvr avait été blessé. Elles allèrent l’examiner.

“Ce n’est rien. Mais main a été lacérée à plusieurs endroits, mais Pisces a pansé mes blessures. Cela guérira.”

“Tu es sûr ?”

Ceria jeta un regard sur le bandage déjà taché de vert que Pisces avait noué autour de la main de Ksmvr. L’Antinium hocha la tête.

“Je vais bien.”

“Les Crelers ont des crocs et des griffes empoisonnées…”

“Ces toxines ne m’affecteront pas. Merci de t’en inquiéter.”

“Dieux morts, Ksmvr ! Je n’avais jamais vu quelqu’un maintenir un Creler au sol pour le tuer ! Tu es fou ou quoi ?”

“Je me suis contenté de les combattre à la manière des Antiniums. Je suis soulagé qu’il n’y ait eu que des petits.”

“Oui. Oui. Pisces, ça va, toi ?”

“Je… je déteste ces trucs.”

Pisces frissonna en contemplant un Creler agité de spasmes. Ceria acquiesça. Yvlon aussi. Et Ksmvr également.

“Dieux morts. Des Crelers. Imaginez seulement s’il y en avait eu d’autres…”

“Les squelettes nous sont sauvés. Les Crelers s’en prenaient à nous, mais ils ont réussi à les tenir à distance. Ils ont été grignotés. Regardez-moi celui-là…”

“Chh. Chh. Est-ce qu’il y en a d’autres dans le coin ?”

Aussitôt, tout le monde se tut. Ceria écouta le bruit de son cœur qui battait à cent à l’heure, mais Ksmvr secoua la tête.

“Nous avons réveillé ce groupe-là, mais il n’y en a plus dans les environs. Toutefois, c’est une preuve indubitable qu’il y a un nid dans le coin.”

Il montra les Crelers agonisants au sol. Un squelette s’était armé d’un caillou avec lequel il s’appliquait à les réduire en bouillie.

“Ceux-ci sont au stade juvénile. Si un Creler adulte se trouvait à proximité, il nous aurait déjà attaqués. Je recommande une extermination immédiate.”

“Exterminer ? Un nid ?”

Pisces regarda Ksmvr d’un air horrifié, mais l’Antinium se contenta de hocher la tête. Il était extrêmement concentré.

“Ils représentent un danger. Une menace. S’ils restent ici sans surveillance, certains atteindront une taille adulte. Nous ne pouvons pas le permettre.”

Ceria était complètement d’accord, mais elle ne voulait pas être celle qui allait devoir chasser des Crelers.

“Normalement, on peut être récompensé juste en les signalant. Traquer un nid… champignons pestiférants, je ne veux pas y penser, Ksmvr. Ils ont une grosse récompense sur leurs têtes, certes, mais…”

“Je pense qu’il n’y en aura pas plus qu’ici. Et ils seraient sous leur forme larvaire, pas dans leur forme d’attaque.”

Yvlon nettoya sa lame en regardant fixement une pince de Creler qui n'avait pas cessé de trembler.

“C’est sans doute faisable, Ceria. Il suffit d’un bon coup pour les tuer dans leur forme larvaire. Si on les prend par surprise…”

“Non ! Vous n’avez donc pas vu ce qu’ils peuvent faire sur de la chair ?”

Pisces était pâle et tremblant. Ceria regarda tour à tour lui, puis Ksmvr.

“Je crois que Ksmvr a raison, Pisces.”

“Quoi ?”

“Est-ce que toi, tu as vraiment envie qu’une bande de Crelers soit dans notre dos s’ils prennent faim ou qu’ils se réveillent ? Si on continue d’avancer comme ça, ils risquent de nous attaquer dans le dos au pire moment. Il faut qu’on s’en débarrasse.”

“Je… d’accord. D’accord. Mais les squelettes passent en premier !”

Le groupe se remit en marche. Il ne leur fallut que quelques secondes pour faire le tour du couloir et repérer la zone du mur où les Crelers avaient creusé un trou pour sortir. C’était un gros trou, qui menait à une bulle naturelle dans la terre. Et c’est là qu’ils trouvèrent…

“Dieux morts.”, murmura Yvlon lorsque les quatre aventuriers et les trois squelettes se faufilèrent au cœur d’un nid de Crelers. En toute franchise, il était minuscule, mais Ceria repéra pas moins de huit Crelers à leur stade larvaire, leur stade d’incubation.

Lorsqu’ils n’étaient pas qu’un fouillis d’organes à l'air libre, de membres vicieux et tranchants et de dents, les Crelers ressemblaient à d’affreuses chenilles, grasses et rouges, qui luisaient faiblement de l’intérieur. À travers leurs “peaux” semi-translucides, Ceria apercevait des lignes jaunes et des organes décolorés qui se déplaçaient. Ils grandissaient. Comme l’avait dit Ksmvr, si on leur laissait quelques mois et de la nourriture, ils risquaient de devenir adultes, le cauchemar auquel même les équipes de rang Or ne voulaient pas se frotter.

L’un des Crelers se trouvait sur le mur le plus proche de Ceria. Elle s’avança prudemment dans le nid, tentant de garder ses mouvements et même sa respiration au minimum. Yvlon avança sur la pointe des pieds, son visage recouvert d’un masque de dégoût, l’épée au clair.

Le sac rouge luisant et translucide coula lentement dans leur direction, attiré par l’odeur de leur viande et de leur sang. Ceria retint sa respiration. Le moindre mouvement brusque risquait de tous les alerter de leur présence. Il fallait qu’ils les tuent avant qu’ils ne puissent s’évaginer pour passer à leur forme d’attaque mortelle.

Elle leva trois doigts pour que les autres puissent voir puis commença le décompte. Les squelettes de Pisces se tenaient prêts, armés de leurs cailloux, et Yvlon leva son épée, visant le Creler le plus proche.

“Maintenant !”

Aussitôt, Ksmvr planta deux lames dans les deux Crelers dont il était le plus proche. Pisces jeta du feu sur un autre en vociférant des malédictions tandis qu’Yvlon abattait son épée sur le sien. Les Crelers renâclèrent, et leurs sacs externes charnus tentèrent de se retirer pour exposer leurs entrailles vicieuses dans d’ignobles bruits de gargouillis. Mais il était trop tard.

Ils étaient beaucoup plus faciles à attaquer sous leurs formes plus molles. Ceria lança une [Stalactite] sur un Creler et vit son sang et ses boyaux jaunâtres exploser au sein du ballon que formait son corps. Les trois squelettes broyèrent leurs Crelers à l’aide de leurs cailloux, les martelant avec une frénésie fiévreuse en répandant des fluides jaunes de partout.

En fin de compte, seuls deux d’entre eux parvinrent à adopter leur forme d’attaque et ils furent rapidement écrasés par le soleret d’Yvlon et le caillou d’un des squelettes de Pisces. Ceria regarda avec les autres le squelette abattre à de maintes reprises son caillou sur le Creler agité de spasmes jusqu’à ce qu’il soit réduit en bouillie.

“Venez, on ne fait plus jamais ça.”, déclara Ceria, pantelante, en ressortant avec les autres du nid. Yvlon et Pisces acquiescèrent, et Ksmvr lui-même frissonna légèrement en essuyant ses lames. Personne n’aimait combattre les Crelers. C’était une chose d'explorer un donjon souterrain rempli de pièges mortels et de possibilités d’effondrement, mais les Crelers ?

Pas les Crelers.



***




“C’est la porte.”, murmura Ceria d’un air triomphant lorsqu’elle jeta un œil avec les autres derrière le dernier tournant du tunnel.

On aurait dit qu’une éternité s’était déroulée, mais ils n’avaient pas fait plus d’une vingtaine de pas, guettant le moindre piège - apparemment, le temps en avait déclenché un autre, d’après les pans lisses de murs fondus et les marques de brûlure - avant de voir la porte.

C’était une bête porte en bois, qui paraissait inoffensive dans son cadre de roche sombre. Ceria ne s’y fiait absolument pas. Il pouvait s’agir d’une illusion, d’un piège, de n’importe quoi. Mais en essayant d’actionner la poignée, le squelette n’était parvenu qu’à faire cliqueter inutilement le mécanisme. Il avait même essayé d’enfoncer la porte, sans succès.

“Ce ne serait qu’une simple porte enchantée ? Je n’y crois pas une seconde.”

“Eh bien, elle pourrait quand même être bourrée de pièges. Il faut soit qu’on la force, soit qu’on essaie de l’ouvrir autrement. Mais si on se retrouve dans sa ligne de mire…”

“On essaie d’y lancer des sorts de loin ?”

“Ça pourrait marcher. Mes [Stalactites] doivent pouvoir infliger quelques dégâts.”

“C’est la meilleure option qu’on ait pour rester à distance. À moins que tu n’aies appris un meilleur sort, Pisces ?”

“Non. Vas-y.”

Ceria hocha la tête. Elle pointa son doigt derrière le mur, se tapissant derrière ce dernier, et le reste de l’équipe recula. Le squelette qui leur servait de leurre regarda la scène d’un air impassible, debout à côté de la porte, future victime de ce qui allait se passer.

Bon. Une [Stalactite], puis se préparer à courir si besoin. otre examen. Ceria prit une grande inspiration, puris jeta son sort.

“[Stalactite] !”

La dague de glace magique jaillit de son doigt et se brisa contre la porte. Ceria et le reste de l’équipe se tendirent, mais rien ne se produisit. Lentement, ils se détendirent.

“Il n’y a peut-être que des fortifications dessus ?”

“Probablement. Et le couloir ?”

“Le squelette l’a traversé trois fois.”

“Je me porte volontaire pour le tester.”

“Ksmvr, ne dis pas de bêtises…”

“Nous sommes assis ici depuis une heure. Nous devons tenter quelque chose. Si vous le permettez.”

“Attends…”

Yvlon tenta de le rattraper, mais l’Antinium posa un pied dans le couloir. Il patienta, mais nul sort ne jaillit. Lentement, il s’avança vers la porte.

“Rien. Je vais tenter de la briser.”

Il leva son épée enchantée et la planta dans le bois. La porte résista au coup, comme elle avait résisté au [Stalactite]. Et cela ne déclencha pas de contresort.

“Qu’en pensez-vous ?”

Ksmvr se tourna vers le reste de l’équipe qui discutaient entre eux. Ceria se tirait les cheveux, tentant de comprendre s’il s’agissait d’un piège diaboliquement intelligent, ou juste d’une porte faite pour durer à jamais.

“Elle pourrait peut-être s’activer uniquement lorsque nous l’aurons ouverte.”

“Possible, possible.”

“Il faut qu’on s’en approche, Pisces. On l’étudiera de plus près, puis on reculera et on essaiera de loin, d’accord ?”

Il acquiesça. Ceria et Pisces échangèrent un regard, puis les quatre Cornes d’Hammerad avancèrent sur la pointe des pieds vers la porte.

Rien ne se produisit. Ils poussèrent un soupir de soulagement, mais Ceria prévint Yvlon et Ksmvr.

“Okay, on va juste inspecter le sort qui scelle la porte. Si c’est un sort de renforcement de haut Échelon, eh bien, il nous faudra peut-être trouver un autre moyen d ‘entrer. Peut-être en se frayant un passage dans la roche. Mais n’y touchez pas tant qu’on n’a pas terminé, d’accord ?”

Les deux autres hochèrent la tête et se tinrent prêts. Ceria se tourna vers Pisces, puis ils tendirent la main et inspectèrent magiquement la porte. Ils froncèrent tous deux les sourcils à peu près au même moment.

“Étrange. Regarde comme cet enchantement est délicat, Pisces.”

Il acquiesça en traçant du doigt les symboles et les courants magiques scintillants qu’eux seuls pouvaient voir.

“En effet. Ce n’est pas un renforcement ordinaire. Il y a un piège. Mais quel en est le déclencheur ?”

La magie scintilla devant Ceria. Ou plutôt, ne scintilla pas. Il était impossible de décrire à quoi ressemblait la magie à ses yeux par de simples mots. C’était plus une sensation qu’autre chose. Elle observa délicatement la magie, et sentit quelque chose d’étrange.

“Est-ce que ça… bouge ?”

En effet. Le sort stationnaire bougeait, réagissait. Le cœur de Ceria manqua immédiatement un battement et elle se leva pour s’éloigner de la porte. Yvlon leva instantanément son bouclier.

“Qu’y a-t-il ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

“Oh non. Oh… il réagit à notre examen. Fuyez ! Fu...

Elle venait de faire demi-tour lorsque quelque chose gémit et l’engloutit. Ceria tomba tête la première, puis s’écrasa contre quelque chose, qui se brisa.

Des os.

Un squelette ? La création de Pisces ?

Non. Pas le squelette de Pisces. Des os. Des monticules d’os.

Ceria regarda autour d’elle. Ils avaient atterri dans une fosse. Une fosse aux murs recouverts d’immondices. Yvlon, Ksmvr, Pisces… pas les squelettes. Ils regardèrent autour d’eux, peinant pour se relever.

“On nous a téléportés ! Un piège ! Tenez-vous prêts !”

Ceria tournoya, à l’affût du moindre mouvement, un sort mortel, un monstre, n’importe quoi. Mais elle ne vit rien.

Puis quelque chose brilla. Elle se tourna et vit quelque chose sur l’un des murs. Il… dansait devant elle. Elle le regarda fixement. Un mot ? Une inscription ?

Non. Une rune magique. Ceria tenta immédiatement de détourner le regard, mais il était trop tard. Elle l’avait déjà vu ! Elle essaya de fermer les yeux, mais…

“Rien ?”

Elle regarda autour d’elle. Il ne s’était rien passé. Elle se tourna vers Ksmvr. Il regardait fixement les mots magiques. Puis il se tourna vers elle.

“Ksmvr ? Tout va bien ?”

Il hésita. Puis l’Antinium acquiesça. Puis il secoua la tête.

“Quoi ?”

Il marqua une pause.

“Je… je suis une Aberration. Non. Je suis Antinium.”

“Qu’est-ce que tu veux dire ? Une Aberration ? Ksmvr ?”

Il hésita.

“Je… je… je… je…”

Il répéta le mot en boucle. Ceria le dévisagea. Est-ce qu’il y avait un problème ? Mais Ksmvr était toujours comme ça, non ? Oui ? Non ?

Pourquoi était-elle en train de discuter avec un Antinium ?

Soudain, quelqu’un la saisit par-derrière. Ceria hurla et se retourna, mais ce n’était que Pisces. Il la regarda fixement d’un air furieux.

“Pisces, qu’est-ce que…”

“Comment se fait-il que tu sois encore au lit, garçon ? ”, lui hurla-t-il, postillonnant, le visage cramoisi. Ceria eut un mouvement de recul, mais la main de Pisces la serrait comme dans un étau. Il hurla dans ses oreilles.

"L’entraînement d’escrime commence à l’aube !  Bouge-toi, et je te jure que si tu essaies de te dérober, je tannerai la peau du dos !”

Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Ceria écarta brutalement la main de Pisces et recula précipitamment. Elle balaya la fosse du regard. Yvlon. Qu’était donc un Yvlon ?

“Qui es-tu ?”

Elle était nez-à-nez avec la pointe d’une épée. Une grande femme blonde contemplait Ceria de toute sa hauteur, le menton levé d’un air impérieux en pointant son épée sur le nez de Ceria.

“Expliquez-moi immédiatement ce comportement fruste. Que m’avez-vous fait ?”

“Vous ? Qui êtes-vous… Yvlon ?”

“Yvlon ? C’est ma nièce, jeune fille. Je suis Yenelaw Byres, et j’exige de savoir ce que vous avez fait. Quel genre de sorcellerie est-ce là ?”

“Je ne sais pas. Je…”

Ceria hésita. Quelque chose n’allait pas. Tout allait bien. Pas bien. Bien. Lorsqu’un bien coule de deux maux, qui tient le marteau ?

“Allez, on se bouge !”, brailla Pisces en pointant Yvlon du doigt. Elle tourna son épée vers lui et il recula d’un pas dansant, soudain sur ses gardes.

“Oh ? Tu es en colère, pas vrai ? Tu me testes ? Il faudra faire mieux que ça, morveux.”

“Je suis Yennais Byres. Et vous, qui êtes-vous ?”

“Je… je… je… aidez-moi… je… je…”

Ksmvr avait pris sa tête entre ses mains. Pisces et Yvlon hurlaient en même temps. Il fallait que quelqu’un intervienne ! Ceria ouvrit la bouche, mais elle réalisa alors quelque chose d’affreux.

Elle avait oublié comme respirer.

Il fallait qu’elle le dise aux autres. Mais elle ne pouvait pas respirer ! Ceria se griffa la gorge. Elle allait la déchirer ! Comme ça, elle pourrait respirer par le trou !

Ksmvr avança vers elle, la tête entre ses mains. Ses mains à lui ou ses mains à elle ?

“je reJEtte. aBErRation N’est PaS… Je suis Antinium. JE ReFUSE. je…”

Pisces tapota l’épaule de Ceria. Elle prit une grande goulée d’air puis regarda, frappée d’horreur, le Creler de taille humaine vêtu d’une robe sale.

“L’escrime est un art noble, jeune homme. Ne crois-tu pas ? Eh bien, voyons si tu en maîtrises les fondamentaux, sinon, tu seras privé de dîner ce soir.”

Un papillon d’acier se tourna vers Ceria et ouvrit la bouche dans le visage souriant d’Erin.

“Qu’est-ce que je fais ici ? Réponds-moi ! Toi, là, avec le froc !”

Elle devait faire quelque chose. Les tuer ! Se tuer ! Elle n’avait pas un squelette sous la main ?

Ceria chercha une dague, mais elle avait également oublié ce qu’étaient ses mains. Elle regarda fixement le morceau de chair palpitant sur sa main et se retint de crier. Sa paume s’ouvrit, et de petits yeux avec des pattes comme des brindilles se mirent à sortir du trou dans son corps.

Tout était normal. C’était ça. Sa tête se tourna — presque de son propre chef, et elle contempla la pièce sombre.

Qu’y avait-il donc sur le mur ? C’était passé tellement vite dans son esprit qu’elle n’avait pas eu le temps de le lire. Tandis que le reste du monde fondait et disparaissait autour d’elle, Ceria aperçut de nouveau la lumière vive. Cette fois-ci, elle la comprit parfaitement.

[Folie].

Le mot, c’était folie, écrit en magie, pulsant dans le cerveau de Ceria. Elle lui sourit puis vomit. Sa vomissure se transforma en petits insectes dansants qui tentèrent de la manger jusqu’au moment où elle les écrasa du pied.

Bien sûr.

C’était parfaitement logique.





La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Maroti
   
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3.03 H Partie 1
Traduit par EllieVia
8900 mots

Pour certains, je suis une messagère. Pour d’autres, une coureuse va-nu-pieds. Ou encore une folle. Certains disent que je suis une livreuse… de messages. Quelques personnes me connaissent sous le pseudo [batman]. Je pense être raisonnablement saine d’esprit, mais la plupart des gens ne sont pas d’accord. Ils me donnent de nombreux surnoms. Mais le petit monstre qui me bloque la route se contente juste de m’aboyer dessus.

Les chiens. Je les déteste tellement. Le chien galeux, à la fourrure d’un blanc sale tachetée de marron, aboie de nouveau en me montrant les dents. Il y a définitivement un grondement dans sa voix – il n’est pas seulement en train de m’avertir, il m’explique de surcroit qu’il n’hésitera pas à attaquer si je lui en laisse l’opportunité.

Ce n’est pas grave. S’il m’attaque, je lui donnerai un coup de pied et au diable les conséquences. J’ai toujours voulu donner un coup de pied à un chien. Ce n’est pas que je déteste les animaux, c’est simplement que je déteste les chiens.

Mettez-vous à ma place. Moi, Ryoka Griffin, me retrouve plantée dans la neige, à quelques milles de la charmante ville de Celum, un petit paquet dans les mains, face à un chien qui me barre le chemin pour accéder à la maison devant moi. Ce n’est pas ma faute si je suis ici ; je suis venue pour une livraison. Et je n’ai pas envie de me faire mordre.

J’ai déjà été mordue par des chiens. Deux fois, en réalité. Les deux fois en courant. Quand j’étais encore chez moi, ou plutôt dans mon monde, certaines personnes aimaient à croire que leurs chiens n’avaient pas besoin de laisse. Je respecte leur opinion, et je les invite à la partager avec l’officier de contrôle des animaux local. Les chiens qui ne sont pas tenus en laisse aiment courir après les objets en mouvement comme moi. Et ils mordent.

Ce n’est peut-être qu’un facteur génétique, ou quelque chose chez moi que les chiens n’aiment pas. Ou peut-être que c’est parce que je représente souvent une menace inconnue couverte de sueur et chargée d’adrénaline, qui envahit ce qu’ils perçoivent comme leur espace personnel à toute vitesse et qui déclenche leur instinct de chasse et d’attaque. Je n’en sais rien. Mais tout ce que je sais, c’est que tous les coureurs détestent les chiens en liberté.

Sans compter que je suis une coureuse va-nu-pieds. Ce qui signifie que j’ai encore plus peur des morsures, parce que je possède, après tout, dix saucisses appétissantes à mordre pour un chien. J’ai le même problème au niveau de mes mains, bien qu’il ne me reste plus que huit en-cas à mordiller. Un Gobelin m’a mangé deux doigts une semaine plutôt. Une anecdote amusante. Je ne suis pas fan à l’idée de la réitérer.

Le chien m’aboie de nouveau dessus, et accompagne cette fois-ci ses aboiements d’un grondement sonore. Je reste immobile, et je croise son regard tandis qu’il s’aplatit, le poil dressé. Il me barre la route. J’ai besoin d’entrer dans cette maison pour livrer mon colis, mais le propriétaire n’est pas sorti et j’ai peur que l’appeler ne fasse bondir le chien sur moi. Donc. Que faire ?

Donner un coup de pied au chien. C’est ce qu’environ 90% de ma personne souhaite faire. Les 10% restants soutiennent que le chien ne fait que protéger sa maison et qu’il est innocent et que je devrais m’entraîner à plus de retenue. Je n’ai pas envie d’écouter cette opinion, mais je n’ai pas spécialement envie de me battre dans la neige avec un chien là tout de suite. Ce n’est pas un gros chien ; ou plutôt, ce n’est ni un mastiff, ni un dogue allemand, mais ce n’est pas non plus un caniche.

Ce n’est qu’un chien. Il mérite que je le prenne en pitié.

Mais j’ai vraiment envie de coller un coup de pied à un chien. Il va essayer de me mordre dès que je me mettrai en mouvement. Donne le coup de pied d’abord, pose les questions après.

Et si je lui donne un coup de pied, je serai obligée de lui faire très mal et le propriétaire ne sera pas content. Mauvaise idée.

D’un autre côté, il, ou possiblement elle, est clairement en train de violer l’accord de longue date que j’ai passé avec la nature* et je n’ai aucune envie de découvrir si oui ou non il a la rage. Je ne suis pas encore sûre que les potions de soin soient capables de soigner les maladies.

*L’Accord entre Ryoka et la Nature est le suivant : si tu te mets en travers de mon chemin, je te tue, et je te bouffe.

Voilà le début de ma journée. Tout bien considéré, j’ai connu de meilleurs jours.

“Hark ! Regardez, un cabot et un truc Humain qui ment !”

“Fille contre chien ! Aussi bien que fille contre Dragon ! Aurons-nous droit à d’autres énigmes ?”


Et ma journée vient d’empirer. Je lève les yeux en entendant les voix aigues familières au-dessus de ma tête. Descendant en spirale des cieux gris, de petites créatures ailées se moquent en nous pointant du doigt, le chien et moi.

J’imagine qu’on pourrait dire qu’elles ressemblent à des versions d’Humaines miniatures, qu’on aurait réduites, peintes en bleu et auxquelles on aurait attaché des ailes. Mais cette description échouerait complètement et totalement à décrire ces êtres. Car ce sont des fées. Les fae. Et nous ne pouvons pas les comparer à nous si aisément.

Certes, les Fées de Givre, ou Esprits de l’Hiver, ont une apparence humanoïde. Mais leurs corps sont composés à moitié de cristal et à moitié de glace. Et elles possèdent des ailes, sauf que ces dernières sont plus proches de celles des insectes que de celles de anges. Et chaque facette, chaque ligne qui compose leur être sont d’une beauté à couper le souffle.

Une beauté d’un autre monde. Voir les Fées de Givre, c’est croire en la magie, car elles en sont la personnification. Sous mes yeux, elles volent autour de moi, riant en parlant avec des voix qui sont elles aussi à moitié réelles et à moitié immortelles.

“Regardez, mes sœurs ! Le chien protège sa maison !”

“Mangeons-le !”

“Nae, accordons-lui une faveur ! Le pouvoir de détruire n’importe quel intrus :”

“Est-ce qu’il y a des chats dans le coin ?”


Elles volent autour du chien et moi en nous asticotant. Elles me jettent de la neige dans les yeux et en font tomber sur le pauvre cabot. Oh, oui. J’oublie parfois, mais les fées ne manquent jamais de me le rappeler : elles ont beau être des merveilles immortelles, elles sont également sacrément agaçantes.

Sauf que dans ce cas précis, l’arrivée des fées eut un effet positif inattendu. Le chien leur jeta un regard, puis se précipita vers la maison en jappant. Je ne sais pas s’il peut voir les Fées de Givre – ce sont plus ou moins des boules floues pour les gens de ce monde grâce à la magie qu’elles contiennent – mais il est trop malin pour rester à leur portée.

Je n’ai pas sa chance. Les fées tournent autour de moi et rient, me lancent des injures, et se moquent de moi. Quelques-unes atterrissent sur mes cheveux qui se raidissent instantanément sous l’effet du froid, et d’autres me jettent de la neige dans les yeux. L’une d’elles ma lâche un scarabée gelé sur la tête.

Je crois qu’elles m’aiment bien. J’ai déjà vu ce que ça donnait quand elles ne m’aimaient pas, et cela reste préférable. Mais c’est agaçant. Je pousse un juron et essaie de les chasser de ma main blessée. Celle qui n’a plus que trois doigts.

“Allez-vous-en ! Je bosse !“

“Ooh ! Ça fait peur ! Et si on n’en a pas envie ?”

“Oui, menace-nous ! Qu’est-ce que tu vas faire ?”


Les fées savent que je ne peux faire que des menaces en l’air, je ne cherche donc même pas à en trouver. Je soupire et écarte ma main de ma ceinture. J’avais pris une bouteille à la main, le pouce sur le bouchon, lorsque j’avais fait face au chien. Si le coup de pied n’avait pas marché, j’étais prête à lui lancer une potion remplie de concentré de poivre qui arrache les yeux, même si pour le coup, ça, ça aurait été de la cruauté envers les animaux.

J’entends les aboiements effrayés du chien qui s’est réfugié dans la maison, puis je le vois pointer son museau à travers l’embrasure de la porte d’où il était sorti pour me foncer dessus. Les fées lui jettent de la neige et il gémit de peur mais, rendons à César ce qui est à César, il ne veut toujours pas me laisser tranquille.

“Jappy !”, crie une jeune voix de l’intérieur de la maison. La porte s’ouvre un peu plus et une fille en sort précipitamment. Elle a peut-être huit ou neuf ans et le chien s’empresse de la suivre, inquiet, en tournant autour d’elle. La fille ne remarque pas les fées, mais elle me dévisage.

“Qui êtes-vous ? Est-ce que vous voulez faire du mal à Jappy ?”

Je regrette instantanément mes velléités de maltraitance canine. Un peu. La petite fille me regarde avec de grands yeux ronds qui me mettent mal à l’aise.

“Que venez-vous faire ici ?”

“Je suis une Coursière. Est-ce que tes parents sont dans le coin ?”

“Une Coursière ?”

Elle a l’air d’en douter, je plonge donc ma main dans ma bourse et en sort mon propre Sceau. Le cercle de métal et de pierre magiques forgés scintille lorsque je le tends à la fille. C’est la preuve que je suis une Coursière de Ville ; sans cela, elle aurait bien raison de se méfier.

“Une Coursière !”

“En effet. J’ai un colis pour ton père. Il est là ?”

“Non… mais j’ai un Sceau ! Je vais aller le chercher !”

La fille se précipite dans la maison. Le chien nous jette un regard puis se précipite sur ses talons. Les fées et moi-même patientons et je me dandine d’un pied nu à un autre dans la neige. Au bout de quelques secondes, la porte s’ouvre de nouveau et la fille en sort en courant.

“Voilà, Madame la Coursière !”

“Merci.”

Je tends le colis à la petite fille. Elle s’en saisit avec précautions ; il est volumineux et lourdement enveloppé. Je n’ai aucune idée de ce qu’il y a à l’intérieur, mais au moins je suis sûre qu’elle ne va pas le lâcher.

“Très bien, alors. Prends soin de toi.”

“Au revoir, Madame la Coursière !”

La fille m’adresse un sourire béat, et le chien aboie. J’essaie de sourire ; j’échoue. Puis elle regarde mes pieds et pousse une exclamation.

“Vous n’avez pas froid aux pieds ?”

Je baisse les yeux sur mes pieds nus. Ils sont posés sur la neige qui les recouvre presque totalement et font fondre le sol froid, mais je le sens à peine. Je lui souris.

“Nope. J’ai des pieds magiques.”

“Vraiment ?”

Elle me dévisage, bouche-bée, et je pars en courant avant qu’elle ne puisse me poser davantage de questions. Le chien aboie encore un peu au loin, mais je veux bien lui accorder cette victoire. Tant qu’il ne se lance pas à ma poursuite. Je vérifie encore quelques fois par-dessus mon épaule, mais il reste aux côtés de la fille.

Bon chien. Les fées, de leur côté, ne sont pas aussi bien élevées.

[color=#8ae8ff]“Hah ! La misérable a un chien loyal ! Comme le roi et le Limier de Culann !”

“Qu’est-ce qu’elle a dit ? Des pieds magiques ?”

“Comment est-ce possible ? Où les as-tu pris, mortelle !”

“Oui, raconte ! Raconte !” se mettent à sauter sur ma tête tandis que j’accélère. J’essaie de les ignorer.

Malgré l’air glacé et la neige épaisse, je ne sens presque pas le froid alors que je m’éloigne de la ferme où je viens de livrer mon colis. Au loin, les murs relativement élevés de Celum m’appellent. L’aube s’est levée depuis peu et il me reste encore des livraisons à faire. Et je vais les faire en un temps record grâce à…

[color=#8ae8ff]“Raconte !”u’un me tire les cheveux et je serre les dents.

“Arrêtez ! Je n’ai pas de pieds magiques. J’ai bu de la soupe, d’accord ? De la soupe magique.”

“Oh.”

La minuscule voix sur ma tête a l’air déçue. Et le reste des fées aussi. J’imagine qu’une soupe magique, ça sonne moins bien que des pieds magiques. Mais j’entends alors une autre voix.

“J’ai envie d’y goûter.”

“Moi aussi !”

“Donne-nous la soupe, Humaine !”

“La soupe ! La soupe !”


Elles se remettent à me harceler. J’essaie de ne pas leur prêter attention en poursuivant ma course vers la ville.

De la soupe magique. Ouaip.

Est-ce que je vous ai déjà précisé que j’étais dans un autre monde ?


***


Après l’incident du chien, j’atteins Celum en un temps record. Ce n’est pas comme si j’étais si loin de la ville que ça, et ne me restait que deux autres livraisons à faire dans les banlieues externes de la ville.

Anecdote intéressante : contrairement aux cités drakéïdes au sud, les cités humaines peuvent avoir des murs, mais la majeure partie de la population vit à l’extérieur des murailles, dans de charmantes banlieues qui se nichent tout contre les murs par endroit. C’est cette vieille méthode de construction médiévale qui permet aux villes d’abriter une population importante. Si des monstres attaquent, les gens se contentent de se réfugier derrière les murs jusqu’à ce qu’ils partent puis reconstruisent ensuite si c’est nécessaire.

Je me demande à quel point ça a fonctionné à Esthelm. Etant donné que toute la ville a été plus ou moins rasée, j’imagine que ce système doit avoir quelques petites lacunes.

Mais ce n’est pas mon job de donner des conseils d’architecture aux gens. D’ailleurs, je ne parle qu’au moment où les gens m’ouvrent la porte.

“As-tu une idée de l’heure qu’il est ? Qui es-tu ?”

“Je suis Coursière, et j’ai un colis pour vous. Vous avez un Sceau ?”

“Quoi ? Tu es Coursière des Rues ?”

“Coursière de Ville. Je fais les livraisons locales. Vous avez un Sceau ?”

“C’est… rapide. D’habitude, on reçoit le courrier tard.”

“C’est ce qu’on m’a dit. Votre Sceau ?”

Je finis par récupérer mon Sceau et à tendre la lettre à la personne dans l’encadrure de la porte, puis je repars en courant. C’est le cœur de mon boulot. La discussion, l’esquive de chiens… c’est le pire. Je ne fais ça que pour la course.

Dommage que tout semble vouloir se mettre en travers de mon chemin. Bien sûr, c’est mon opinion objective ; qu’est-ce qui pourrait donc être plus important que le fait que je livre des lettres aux gens ? Des gardes en patrouille ? Des marchands et des fermiers avec leurs chariots ?

Bah. Tout ça reste moins important que la Coursière toute-puissante. J’esquive et me glisse entre les piétons, descends les petites ruelles moins encombrées à toute allure et garde mes putains de distances avec tous les chariots qui roulent en cahotant dans les rues mouillées, tout cela accompagnée de ma désagréable escorte de fées.

Je dois bien admettre que j’ai beau détester leur fascination à mon égard, elles m’aident bien à écarter la foule. Dans ce monde, les Fées de Givre sont principalement connues comme était d’étranges créatures qui aident à apporter l’hiver chaque année. Comme ils ne peuvent pas les entendre et à peine les voir, les gens les traitent de manière générale comme des risques naturels à éviter à tout prix.

Dommage que je puisse les voir. Je ne suis pas encore sûre de savoir pourquoi, mais cela m’a conduite à entretenir une bien étrange relation avec les fées. C’est-à-dire qu’elles me suivent de partout en espérant que je fasse quelque chose de divertissant.

Comme glisser. Je fais de grands moulinets avec mes bras, mais je m’étale tout de même rudement au sol. Les fées – et certains Humains aux alentours – pouffent de rire, mais je me relève sans un mot et reprends ma course. Je parie que cette plaque de glace n’était pas là une seconde plus tôt.

“Comment as-tu trouvé ta chute ? Fais plus attention la prochaine fois !”

“Prends garde à ne pas glisser, Humaine.”

“On t’a fait un croche-patte ! Hah !”


Maudites fées. Je poursuis ma course, en les ignorant du mieux que je peux. Les gens me regardent bizarrement quand je leur réponds, de toute façon.

“Ooh. Elle est tellement occupée ! Trop occupée pour discuter ! ”

L’une des fées posées sur ma tête me tape le crâne pour attirer mon attention. Je serre les dents et l’ignore, même si ça fait mal. Puis elle me tire la paupière.

“Va te faire foutre ! Dégage !”

Je la gifle et elle s’envole en poussant une exclamation de joie. J’imagine que me faire réagir compte pour une victoire chez elle. Une autre fée descend à ma hauteur et vole autour de mon visage, me brouillant la vue en riant.

“Cette mortelle est tellement occupée. Mais pas assez occupée pour faire une partie d’énigmes, cependant ! ”

“Elle a triché, par contre ! Elle a utilisé des chiffres et des mensonges plutôt que la ruse ! Quelle honte !”


Les autres fées me huent et me crient dessus. Je garde une expression neutre, bien que le fait que je me fasse réprimander par ces idiotes insupportables pour avoir triché soit hilarant. Ce sont les créatures les plus impénitentes, vicieuses, méchantes et trompeuses que je connaisse, et ce sont les qualités que j’apprécie chez elles.

Les Fées de Givre continuent de m’insulter alors que j’entre dans la ville à proprement parler. J’ai la sensation que malgré leurs tons odieux, je les agace davantage aujourd’hui que le reste du temps. Comment le sais-je ? Un peu plus de glace dans les boules de neige qu’elles me lancent, et un poil trop de pincements et de coups qu’à l’accoutumée.

D’ordinaire, les fées respectent – enfin, elles sont aussi serviables qu’agaçantes. Deux fois plus agaçantes que serviables, mais elles ont leurs limites. Mais je crois qu’elles ont été déçues par ma partie d’énigmes avec Teriarch, le Dragon, quelques jours plus tôt.

Ouaip. Un Dragon. J’arrive à peine à y croire, mais je l’ai bel et bien rencontré. Je n’arrête pas de me le dire, même si la seule preuve que j’en ai soit le sac d’or à ma ceinture et le grimoire de sorts magiques. Dieux, je n’arrive toujours pas à croire que je sois partie avec une portion du trésor d’un Dragon.

C’était une rencontre merveilleuse, magique. Mais les fées se sont énervées parce qu’au lieu d’avoir une partie d’énigmes à la Sméagol et Bilbon, j’ai bombardé Teriarch d’énigmes logiques de mon monde. Apparemment, ça ne compte pas et elles m’en veulent.

Ou quelque chose dans le genre. Je me débarrasse enfin des fées en me rendant dans un lieu où elles ne peuvent entrer : l’intérieur. Lorsque je me mets à courir en direction d’un bâtiment familier, les fées sifflent et s’envolent de ma tête. Elles me jettent de la neige dessus lorsque j’ouvre la porte de la Guilde des Coursiers et que je me glisse à l’intérieur. Le bâtiment est construit avec des clous de fer et il contient du fer de manière générale à l’intérieur ; par conséquent, les fées ne se sentent pas les bienvenues et ne me suivent pas. Leurs règles sont étranges, mais je suis ravie qu’elles existent.

“J’ai fini mes livraisons.”

La [Réceptionniste] au comptoir lève les yeux et m’adresse un sourire que je ne lui rends pas. Je lui tends les Sceaux que l’on m’a donné et elle valide que toutes mes livraisons ont été faites.

“C’était rapide, Miss Ryoka ! Je vous les ai confiées il y a moins d’une heure, n’est-ce pas ?”

Je hausse les épaules. On m’a donné cinq adresses différentes. Je me suis rendue à chacune d’entre elles, et j’ai récupéré les sceaux. Et j’ai fait ça rapidement, aussi.

“Yep. Tu en as d’autres ?”

La [Réceptionniste] lance un regard gêné vers le panneau des livraisons. Je me tourne moi aussi et remarque que quelques Coursiers se sont agglutinés devant. Ils ne sont cependant qu’un ou deux, aujourd’hui.

D’ordinaire, le panneau affiche des livraisons plus longues – c’est-à-dire des courses intercités, ce que je fais d’habitude. Mais il n’y a ni beaucoup de requêtes, ni beaucoup de Coursiers suffisamment doués pour pouvoir éviter ou distancer les bandits et les monstres – des Coursiers de Ville – dans le coin. C’est à cause des Gobelins. Personne n’a envie de tomber dessus, même si personne n’en a encore repéré sur les routes pour le moment.

“J’ai bien peur qu’il ne me reste plus de livraisons de Coursiers de Rues. Toi et le reste des Coursiers de Ville…”

Je tourne la tête pour suivre le regard de la réceptionniste. La Guilde des Coursiers est munie de tables et de sièges qui sont actuellement occupés par un groupe de jeunes Coursiers à l’air irrité. Ce sont tous des Coursiers de Rues, à leurs têtes. Ils ne sont pas aussi rapides que les Coursiers de Ville, ils ont beau très bien connaitre les rues, moi et le reste des Coursiers de Ville pouvons toujours les battre en termes de vitesse. Nous sommes enfermés dans la ville depuis un bon moment, et nous avons donc commencé à leur piquer leurs livraisons habituelles.

Est-ce que je me sens mal pour eux ? Non, pas vraiment. Courir, livrer, tout ça, c’est de la compétition en un sens. Je cours vite, et donc je reçois davantage d’argent. Peut-être que j’essayerais de leur laisser plus de boulot si j’avais eu l’intention de rester un moment, mais je pense que c’est ma dernière journée à me cantonner aux livraisons autour de la ville.

Je me retourne vers la réceptionniste et hoche la tête.

“D’accord, je reviendrai plus tard. Est-ce que Garia Strongheart est dans le coin ?”

“Miss Garia ? Je ne l’ai pas encore vue. Est-ce que tu veux lui laisser un message ?”

“Dis-lui simplement que j’aimerais discuter avec elle si elle passe par là. C’est tout.”

“Je le ferai. Passez une bonne journée, Miss R…”

Le temps que la [Réceptionniste] finisse sa phrase, je suis déjà dehors. Est-ce que c’était malpoli ? Oui, probablement. Elle ne faisait que son travail, mais je n’ai pas envie d’échanger des civilités. C’est une de mes mauvaises habitudes, mais je m’améliore, dernièrement.

Mais aujourd’hui ? Aujourd’hui est un jour légèrement… frustrant pour moi. Non, effacez-ça, je viens de me réveiller donc je ne peux pas encore dire que ce soit un jour frustrant. Disons plutôt que j’ai des problèmes depuis quelques jours et qu’aujourd’hui, c’est simplement…

Je descends les rues à petites foulées, guettant les Fées de Givre du coin de l’œil. Elles sont probablement en train d’embêter quelqu’un d’autre en ce moment, mais j’ai envie d’atteindre ma destination avant qu’elles ne reviennent me voir. J’aperçois enfin le bâtiment familier et pousse la porte.

Contrairement à la Guilde des Coursiers, un brouhaha de voix me parvient et je me retrouve face à une salle pleine à craquer. Des serveuses – trois – s’activent dans la pièce, remplissent les verres et les chopes et servent à manger dans une salle pleine de gens occupés à prendre leur petit déjeuner.

C’est plutôt normal, pour une auberge. Mais cette auberge est spéciale, ne serait-ce que parce qu’il y a eu un remaniement à la direction. J’en ai la preuve formelle en apercevant ce que l’une des serveuses est en train de servir à un client.

“Des crêpes ?”

Yep. Ce sont bien des crêpes, soupoudrées de sucre, et d’une grande quantité de beurre. Pas de sirop ; j’imagine que cela ne rentre pas dans le budget de cette auberge. Mais si l’on y ajoute les œufs et le bacon, le repas est nourrissant – et, choix du plat mis à part, je remarque que chaque crêpe est d’un brun doré, cuite à la perfection.

La petite auberge où je réside, le Lièvre en Folie, est pleine à craquer aujourd’hui, et c’était déjà le cas hier. Nous ne sommes en ville que depuis quelques jours, et pourtant la rumeur d’une nouvelle [Aubergiste] et de ses super plats a déjà circulé et la salle commune est depuis tous les jours pleine à craquer.

Là encore, grâce au changement de direction. Je ne suis pas certaine qu’elle soit devenue propriétaire de l’auberge, mais elle fait comme si c’était le cas et tout le monde la laisse faire parce que franchement, elle rapporte de l’argent par seaux. Je pénètre dans la cuisine et aperçois le cerveau derrière le petit déjeuner d’aujourd’hui, en train de faire sauter une crêpe. Elle tend une assiette pour la rattraper, et la crêpe s’écrase dans le saladier de pâte. Je lève les mains pour éviter de me faire éclabousser et elle pousse une exclamation.

“Beurk ! J’imagine que [Cuisine Avancée] n’aide pas pour ça.”

Elle essuie un peu de pâte sur son tablier et la lèche. Puis elle se retourne et me voit.

“Salut Ryoka ! Tu veux une crêpe ?”

J’essuie la pâte sur mes mains et mon haut sur un tablier, et réalise soudain qu’il ne faudrait sans doute pas que je rentre dans la cuisine comme ça, avec mes pieds sales et mouillés. Tant pis.

“Je vais manger un bout, Erin. Tu veux qu’on prenne le petit déjeuner ensemble ou est-ce que tu as déjà mangé ?”

“Hum… j’ai préparé le petit déjeuner, mais je n’ai pas encore mangé. Attends juste une seconde, que je fasse le dernier tas… je pense que tout le monde a presque fini ! J’arrive dans un instant.”

“Ça marche.”

Je retourne dans la salle commune et part en quête d’une table libre. L’une des serveuses dont je n’arrête pas d’oublier le prénom s’approche avec une assiette de crêpes.

“Vous voulez boire quelque chose, Miss Ryoka ? Ou est-ce que je vous mets de l’eau chaude, comme d’habitude ?”

“De l’eau chaude. Erin prendra probablement du lait. Elle sera là dans un instant.”

“Je reviens avec vos boissons dans une seconde !”

La jeune femme me sourit et passe à une autre table. Je commence à découper ma crêpe et à la manger. Elle est délicieuse, et les œufs et le bacon que j’arrive à obtenir d’une autre serveuse sont tout aussi bons. Mais mes yeux sont fixés sur la porte de la cuisine, et je la vois bientôt en sortir.

Erin Solstice. L’auberge ne se fige pas vraiment à son arrivée, mais elle arrive tout de même à faire son propre effet. Dès qu’elle sort, elle jette un regard dans ma direction. Je lève la main, mais elle se fait intercepter avant de me voir.

La véritable propriétaire du Lièvre en Folie, Agnès, a une assiette pleine dans une main et un énorme sourire sur le visage. Elle fait le service plutôt que l’aubergiste, mais elle ne pourrait pas être plus heureuse, à en croire son expression lorsqu’elle fait s’asseoir Erin à une table. Elle papote avec elle avec animation et d’autres clients s’approchent.

Cela fait partie du charme d’Erin, j’imagine. Elle est amicale, ouverte, et franchement intéressante. Comme [Aubergiste], je dirais qu’elle est d’un niveau plutôt élevé, surtout pour son âge. On pourrait sans exagérer dire qu’elle est prodige, ou du moins selon les critères d’évaluation de ce monde.

Erin a de nombreuses Compétences associées à sa classe d’[Aubergiste] qui la rendent utile dans n’importe quelle auberge où elle met les pieds, et en combat. Elle a aussi énormément de charisme, ce qui est la raison pour laquelle je termine deux assiettes et son verre de lait avant même qu’elle ne termine sa première assiette. Elle est tellement occupée à papoter avec Agnès et d’autres gens qu’il faut que je patiente quelques minutes avant de ne serait-ce qu’attirer son attention.

“Oh, hey Ryoka ! Désolée, j’ai dû te rater ! Agnès me disait juste qu’il faudrait que je reste ici pour l’aider à gérer l’auberge à vie !”

La femme pouffe de rire, assise à côté d’Erin, et mange des crêpes.

“Ce serait vraiment charmant de ta part. Tu es tellement douée en cuisine et honnêtement, ma chérie… tu as une façon de faire qui, je le pense, rendrait même Jerom jaloux. Il est encore tellement malade… mais même lorsqu’il ira mieux, je te vois bien rester la véritable gérante de l’auberge. Tu sais, tu es presque comme une deuxième fille pour moi… non pas que j’en aie déjà eu une. J’aimerais tellement que tu y réfléchisses.”

Je lève les yeux au ciel tandis qu’Erin sourit et répond quelque chose de poli et d’amical. Une deuxième fille, bien sûr. Une fille qui peut faire le boulot d’Agnès et de son mari sans même avoir besoin d’eux. Erin est une poule aux œufs d’or, et ils veulent juste la garder pour qu’elle leur fasse gagner des tonnes d’argent à jamais. Même si elle partage les bénéfices avec Agnès, il est certain qu’ils gagnent davantage depuis quelques jours que ce qu’ils se feraient en un mois.

Mais je suis peut-être trop dure. Agnès a sincèrement l’air heureuse d’avoir Erin ici, et les autres gens aussi. Mais je ne vais pas attendre qu’ils terminent leur conversation mondaine. Je m’éclaircis la gorge.

“Erin. Tu aurais un moment ?”

Elle lève les yeux et acquiesce. Tous les autres ont l’air déçu.

“Bien sûr, Ryoka ! Attends juste que je mange une dernière crêpe… mmh, c’est vraiment bon ! Tu en veux une autre ?”

Je secoue la tête en signe de dénégation et patiente le temps qu’Erin termine de s’empiffrer. Bien sûr, cela ne signifie en aucun cas que nous arrivions à discuter tout de suite. Agnès traîne dans le coin et Erin papote avec elle… puis avec d’autres clients… jusqu’à ce qu’enfin, elle ait le temps de discuter avec moi à une table dans un coin.

“Que se passe-t-il, Ryoka ? Tu as tes livraisons ?”

“Il y a un bon moment. Mais je me disais qu’aujourd’hui, il fallait qu’on réfléchisse un peu au plan toutes les deux. Il faut encore qu’on te ramène chez toi.”

Le sourire d’Erin, accroché sur son visage depuis le moment où je l’ai aperçue pour la première fois aujourd’hui, s’efface. Elle me regarde sérieusement.

“Tu as raison. Il faut encore qu’on rentre. Mais n’as-tu pas dit que ça allait être dangereux ? Tu m’as dit hier que c’était une mauvaise idée de partir.”

J’acquiesce. Erin et moi sommes à Celum, une ville Humaine du continent d’Izril. Et nous avons beau survivre correctement, Erin n’est pas chez elle ici. Il faut qu’elle rentre à Liscor, une cité à une centaine de milles au sud, et c’est un problème auquel je cherche une solution depuis que je l’ai trouvée ici.

“Oui, partir plus tôt n’était pas une bonne option. Les portes étaient fermées le premier jour, et il y a encore des informations qui nous parviennent sur les événements d’hier. Mais il n’y a pas eu de rapports mentionnant des mouvements de grands groupes Gobelins aujourd’hui, donc si on décide de chercher à te faire rentrer à Liscor, autant s’y prendre maintenant.”

Liscor est le foyer d’Erin. Ou du moins, c’est là que se trouve son auberge. Et ses amis. Elle y est chez elle, en un sens, et nous le savons toutes les deux, qu’importe à quel point son séjour ici lui plaît.

Erin fronce les sourcils et hoche la tête en prenant une gorgée de sa tasse de lait chaud.

“Je veux rentrer, Ryoka, vraiment. Je sais que Mrsha doit tellement s’inquiéter ! Mais Selys peut s’occuper d’elle, et j’ai vraiment envie de finir mes expérimentations avec Octavia avant.”

Je fronce les sourcils. Elle n’arrête pas de dire qu’elle a envie de finir ses expérimentations, mais elle s’est rendue à l’échoppe de l’[Alchimiste] presque tous les jours sur les trois que nous avons passés ici.

“Tu n’as pas encore fini ? Ou est-ce que tu ne peux pas finir ton travail à Liscor ?”

“Peut-être que si… mais j’ai besoin de l’aide d’Octavia, Ryoka ! Elle connaît tout un tas de trucs alchimiques rares et elle m’aide avec mes plats.”

Des plats magiques. Il n’y avait qu’Erin pour penser à ça. Mais ça fonctionne… elle a créé une soupe qui peut me fournir une immunité partielle au froid. Je serre les dents et réfléchis.

“Si je devais choisir entre te faire partir maintenant ou plus tard… je suis certaine qu’il y a des [Alchimistes] à Liscor, Erin. Et on pourrait peut-être convaincre Octavia de venir avec toi ? Elle ferait n’importe quoi pour avoir de l’or.”

“Peut-être.”

“Dans tous les cas, je veux être certaine qu’on puisse te ramener chez toi, donc je voulais qu’on aille visiter quelques lieux ensemble si tu as un peu de temps avant d’aller chez Octavia. Il y a un marché rempli d’artefacts magiques – je veux voir s’il y en a qu’on pourrait utiliser en cas d’attaque sur la route – et la Guilde des Aventuriers a peut-être une compagnie qu’on pourrait embaucher pour nous escorter.”

Les yeux d’Erin s’illuminent lorsque je mentionne les artefacts magiques. Elle ne s’est pas encore remise du fait que la magie existe en ce monde, et moi non plus, pour être honnête. Elle hoche la tête avec enthousiasme en finissant sa boisson.

“J’adorerais venir avec toi ! Agnès a dit qu’elle pouvait gérer le déjeuner, donc tant que je suis rentrée pour le dîner… je suis sûre qu’Octavia ne m’en voudra pas si j’arrive avec une ou deux heures de retard.”

J’en suis certaine. Je hoche vivement la tête et Erin fait un petit signe de main à Agnès pour l’informer de notre programme.

“Bien. On commence par faire les courses, et ensuite nous demanderons s’il est possible d’avoir une escorte puis nous irons voir Octavia. Ça te va ?”

“C’est parfait !”

“Oh, et pour info, les Fées de Givre sont rentrées.”

“Oh. Hum…”

Il nous faut encore un bon moment avant de parvenir à sortir de l’auberge, et ce n’est qu’une trentaine de minutes plus tard que nous franchissons le pas de la porte où les fées sont en train de nous attendre.

“Oh regardez ! C’est le duo ! La faiseuse de nourriture et la conteuse !”

“Jetons-leur de la neige !”

“Nae, exigeons à manger et une histoire !”


Erin lève les yeux en cillant sur les fées et je gémis. Les clients qui étaient sortis pour discuter et socialiser avec Erin décident immédiatement de rentrer en voyant les minuscules fées se mettre à tourbillonner autour de nous pour nous tirer les cheveux, rire, faire apparaître de la neige…

“Hey, est-ce que vous voulez manger une crêpe ?”

Elles clignent des yeux. Je cligne des yeux. Mais la crêpe fumante se trouve déjà entre les mains d’Erin qui la leur jette dans les airs. Les fées se mettent instantanément à se battre pour la manger.

“Donnez-la moi !”

“Non, à moi !”


En un instant, la crêpe s’envole en tourbillonnant dans les airs et des morceaux en tombent tandis que les fées se battent et la dévorent, arrachant des morceaux de la taille d’une tête et les dévorant telles des… coccinelles affamées. Enfin, elles sont largement plus grosses que des coccinelles, mais vous voyez l’idée.

Erin et moi profitons de leur bagarre pour nous éloigner. Je vois la porte s’ouvrir derrière nous, et à ma grande surprise, quelqu’un dépose une assiette remplie de crêpes fumantes dehors. Je vois Agnès faire un petit signe de la main à Erin avant de fermer la porte et que les fées ne fondent sur leur petit déjeuner.

Je regarde fixement Erin qui sourit en marchant à mes côtés.

“Tu avais prévu tout ça ?”

“Ouaip, elles adorent manger !”

Pourquoi n’ai-je pas pensé à… je suis Erin en secouant légèrement la tête. Soudoyer les fées avec des crêpes. C’est tellement évident, et tellement simple !

C’est le truc, avec Erin. Je ne m’ennuie jamais quand je suis avec elle. Pour tout dire, sa vie est sans doute encore plus folle que la mienne, parfois.


***


“Du coup, tous ces trucs sont magiques ?”

Erin et moi sommes dans ce que j’appellerais un mélange entre un marché aux puces et une rue marchande, et nous contemplons un marchand en train de présenter une petite sélection d’anneaux s’allure ancienne, d’amulettes, et même de quelques parchemins soigneusement noués.

Comme dans tous les marchés, l’offre correspond souvent à la demande, ce qui est la raison pour laquelle trouver quelqu’un qui vend des artefacts magiques à Celum est en réalité une tâche beaucoup plus difficile que ce qu’il y paraît. Il y a très peu de boutiques qui ne vendent que des objets magiques de manière permanente, et la plupart de ces marchands-là voyagent de ville en ville pour trouver leur clientèle.

Erin et moi avons eu pas mal de chance que l’on nous indique ce [Marchand], un homme de bonne réputation qui propose des objets magiques bas de gamme. C’est un homme richement vêtu, arborant un nombre incalculable d’anneaux et de bijoux qui brillent et donnent l’impression d’être magiques – bien que je doute que les anneaux fassent grand-chose d’autre que d’émettre de jolies couleurs. L’effet reste joli, et l’homme en lui-même est plutôt commerçant, et essaie de convaincre Erin et moi d’acheter.

Honnêtement, je ne suis pas sûre que j’achète quoi que ce soit aujourd’hui. J’ai déjà les potions d’Octavia, qui sont plutôt utiles, et je n’ai pas un besoin urgent d’acquérir des artefacts magiques pour le moment. Je regarde juste. Et de plus, d’après ce que j’ai compris du coût de ce genre d’objet enchanté, je ne peux me permettre que des objets de base, même avec les huit cent pièces d’or de Teriarch.

L’homme est assis sur une petite chaise de bois et nous observe, un sourire sur le visage, tandis que ses deux gardes nous surveillent, ainsi que tous ceux qui s’approchent de l’étal, avec un air considérablement moins joyeux. Erin contemple les anneaux avec fascinations ; ils m’ont juste l’air vieux et inintéressants, sauf un anneau qui luit visiblement d’une lumière rouge. J’imagine que la plupart des objets magiques sont conçus pour ne pas attirer l’attention.

“Mesdames, qu’aimeriez-vous acheter ? J’ai une jolie petite sélection aujourd’hui – on m’a tout acheté il y a quelques temps, mais je pense avoir quelques babioles qui pourraient vous aider de bien des façons. D’ailleurs, j’ai même une petite potion romantique qui…”

“Nous ne sommes pas venues acheter des potions d’amour. Je cherche de quoi nous protéger.”

Je n’ai pas envie de savoir s’il existe réellement des potions d’amour dans ce monde. L’homme cligne des yeux.

“Une protection ? À moins que vous n’ayiez besoin d’une arme… non. Vous êtes Coursière ?”

“Bien vu.”

Je lève un pied nu. Le [Marchand] braque son regard sur mes orteils décongelés, et je vois bien qu’il aimerait poser des questions à leur sujet.

“Je cherche un anneau de protection, ou quelque chose de similaire. N’importe quoi qui puisse m’aider à survivre à une course contre des monstres ou des bandits.”

L’homme me souris d’un air pincé, et, à la manière dont ses gardes s’agitent, je vois bien qu’ils sont amusés eux aussi.

“Ah, j’ai bien peur qu’il n’y ait un léger malentendu de votre côté, Miss. La protection est un terme très général. Il n’existe pas d’anneau capable de vous protéger contre tout – ou du moins, rien d’autre que des artefacts valant des centaines de milliers de pièces d’or – mais permettez-moi de vous montrer ce que vous cherchez probablement dans le cadre de votre profession.”

Le [Marchand] m’adresse un sourire absolument-pas-condescendant qui me donne envie de le cogner, et sélectionne un anneau parmi la sélection d’objets qui lui font face. Il me montre l’anneau ; un cercle légèrement fissuré qui m’a l’air fait de pierre.

“Voici une merveilleuse petite babiole que je pourrais vous vendre pour… disons, six cents pièces d’or ? Il dévie les flèches pendant une minute après activation. Les flèches s’écartent légèrement lorsqu’elles s’approchent de vous, ce qui est parfait lorsqu’une Coursière comme vous prend la fuite.”

“Pourquoi est-il fissuré ?”

Erin, qui est à côté de moi, jette un œil à l’anneau. Elle caresse l’anneau le long de la fissure et l’homme le lui arrache pratiquement des mains.

Ne touchez pas à ça, je vous prie. La magie sur cet anneau est légèrement… affaiblie. D’où la réduction. Mais je vous assure qu’il tiendra relativement longtemps s’il n’est pas exposé à une pression excessive.”

“Comme une flèche ?”

Il ignore Erin et me sourit.

“Alors, qu’en pensez-vous ? Vous pourriez survivre à n’importe quelle volée de flèches – surtout celles des archers Gobelins. je suis sûr que vous avez entendu parler de l’attaque à Esthelm ? Tragique. Mais dans votre profession, vous ne pouvez pas vraiment rester cloîtrée derrière les murs des villes, n’est-ce pas ? Cet anneau vous laissera largement assez de temps pour vous échapper.”

“Pendant une minute.”

“Une minute. Oui.”

Erin fronce les sourcils en regardant l’anneau. Je garde un visage impassible et essaie de paraître désintéressée – je sais comment marchander. Mais j’ai encore plus envie de voir Erin s’occuper de ce [Marchand]. Je suis à peu près certaine de ne pas vouloir acheter cet anneau pourri, mais j’ai bien envie d’admirer le spectacle. Erin pointe l’anneau du doigt en questionnant l’homme.

“Une minute, ça n’a pas l’air beaucoup. Combien de temps met-il à recharger ?”

Il serre les dents, bien que son sourire ne l’ait pas encore quitté.

“Deux jours. Mais vous pouvez toujours le recharger vous-même si vous avez ce don, et je vous assure…”

“… Et que vouliez-vous dire tout à l’heure ? Les flèches ‘s’écartent légèrement’ ? Est-ce que ça veut dire que cela ne les dévie pas complètement ? Attendez une seconde, pourquoi est-ce que qui que ce soit voudrait de ce genre d’anneau, d’abord ?”

Mes lèvres tressaillent, et je vois même les gardes afficher un léger sourire. La voix du [Marchand] est grincheuse.

“Il est vrai que l’anneau ne renvoie pas les flèches dans la direction opposée, mais il les repousse bel et bien de votre personne. Si vous courez, je suis certain que les flèches vous manqueraient. Il faudrait que la personne en face possède une Compétence pour contrecarrer la protection qu’offre cet anneau, et là encore, je vous assure que pour cinq cent soixante-dix pièces d’or, cet anneau est une véritable aubaine.”

“Je parie qu’Halrac pourrait tirer une flèche qui battrait votre anneau.”

“Qui ?”

“Halrac ! C’est ce type… un [Éclaireur] que j’ai rencontré à mon auberge. Il est très doué au tir à l’arc, et il a tout un tas de Compétences. Qu’est-ce qu’il se passerait s’il tirait une flèche sur cet anneau ? Est-ce que ça marcherait ?”

L’homme dévisage Erin, le front plissé.

“Halrac ? Vous voulez dire… Halrac de la Chasse aux Griffons ? L’aventurier de Rang Or ?”

“Oui, voilà, c’est lui. C’est un ami à nous. Vous le connaissez ?”

Pendant deux secondes, le [Marchand] dévisage Erin. Puis il jette un œil à quelque chose sur son poignet. Je baisse les yeux. L’une des gemmes sur ses mains recouvertes de bijoux luit d’une douce lumière bleue. Oho. Un sort de vérité sur une pierre ?

Aussitôt, l’attitude de l’homme se transforme. Il écarte grand les bras, et il se lève, toute trace de son irritation précédente effacée, et il essaie à présent de se montrer très accueillant.

“Si vous connaissez Halrac, c’est différent. Vous savez, il a acheté une amulette très sympathique à un ami à moi l’année dernière ? Je vous serais vraiment reconnaissant si vous lui recommandiez ma marchandise. Et à une amie d’Halrac, je peux certainement offrir… ah.”

Il essaie clairement de trouver quel type de réduction et quel discours il devrait nous faire lorsque j’entends des voix familières. Je grogne entre mes dents.

“La voilà ! On l’a trouvée !”

“Elle ne peut pas s’enfuir, cette fois-ci !”

“Ooh ! Est-ce qu’elle cherche des objets magiques ? Regardez comme ils brillent ! Et comme ils sont faibles !”

“Ils luisent à peine de magie !”


Erin se retourne en fronçant les sourcils. J’ai déjà repéré les Fées de Givre – elles s’élèvent d’un nuage au-dessus de l’un des toits. Ni les gardes, ni le [Marchand] ne peuvent entendre les fées, bien sûr, mais ils nous voient lever les yeux et repèrent les fées. Ce ne sont probablement que des formes floues et lumineuses à leurs yeux, mais ils réagissent tous les trois au quart de tour en apercevant les Esprits de l’Hiver.

“Pas eux !”, s’exclame le [Marchand] d’une voix forte, et l’un des gardes lance un avertissement. Étonnamment, tous les commerçants de la rue se mettent soudain en mouvement, et poussent des cris en attrapant leurs marchandises pour essayer de tout rentrer à l’intérieur.

Les fées descendent en voletant, et rient face à cette débandade tandis que l’homme saisit ses anneaux magiques et ses amulettes, le visage soudain hanté. Erin a l’air confuse.

“Hey, attendez, où allez-vous ? Je croyais que vous alliez nous vendre cet anneau pourri !”

L’homme se tourne vers nous, l’air effaré.

“Écoutez, nous négocierons quand les Esprits de l’Hiver seront partis, d’accord ? Si je laisse mes marchandises dehors ils vont les éparpiller et chasser tous mes clients !”

Il se précipite vers la porte la plus proche et ses gardes attrapent le reste de ses marchandises. D’autres commerçants font de même et les piétons se précipitent à l’intérieur aussi, craignant l’ire de ces vermines capricieuses. En quelques secondes, la rue se vide, et il ne reste plus que deux humaines et les fées.

Erin et moi levons les yeux vers les fées. Elles soutiennent notre regard, flottant dans les airs, et nous observent. L’une d’elle nous fait signe.


***


Après notre courte session shopping au marché, Erin et moi décidons de nous rendre en intérieur, où les fées ne pourront pas nous suivre. Et nous nous retrouvons donc à la Guilde des Aventuriers. Erin et moi contemplons la grande salle et elle me murmure :

“On dirait un peu la guilde de Selys, mais en différent, tu ne crois pas ? Je veux dire, c’est plus grand, ici. Beaucoup plus grand.”

Je hoche la tête en contemplant la Guilde des Aventuriers de Celum. C’est certainement beaucoup plus grand, et il y a de la place pour six réceptionnistes à la fois, contrairement à la Guilde de Liscor et son bureau pour deux personnes. Je tapote le bureau pour appeler la réceptionniste et lui demande la procédure pour embaucher une équipe. Elle m’indique les aventuriers assis dans un coin de la pièce. Apparemment, on embauche une escorte en contactant directement les aventuriers ici, pas en passant par la guilde.

Je regarde les groupes d’aventuriers assis tous ensemble. Certains sont de Rang Bronze, la plupart, probablement. Et d’autres sont des Rangs Argent, que ce soit à un niveau individuel ou collectif. Beaucoup d’entre eux ont l’air fatigués, et nettoient leur équipement suite à une mission, et d’autres ont l’air d’être ici principalement pour socialiser.

Bon sang. À qui devrais-je m’adresser ? Quel est le prix moyen pour embaucher une équipe ? Est-ce que je peux faire confiance à une équipe de Rang Argent ? Je n’en ai aucune idée.

Erin non plus, mais elle arbore une attitude tellement désinvolte à ce sujet-là que c’en est presque insultant.

“Viens, on n’a qu’à leur demander. Si l’un d’eux nous dit qu’il peut nous emmener à Liscor, on tente !”

“Tu veux que j’aille là-bas comme ça et que je leur demande comment ça se passe pour les escortes ?”

Je déteste parler à de nouvelles personnes. Je déteste commencer les conversations, et c’est pratiquement mon pire cauchemar. Mais Erin se contente de hausser les épaules. Je serre les dents.

“Tu veux que je leur dise quoi ? ‘Hey, on cherche un groupe d’aventuriers pour nous escorter à Liscor. Vous connaitriez quelqu’un qui pourrait être intéressé ?’”

“Ça m’a l’air bien. Pourquoi pas ?”

Je regarde fixement Erin. C’est vrai que ça pourrait marcher.

“Dis-le, toi. Je crois que c’est mieux si ça vient de toi.”

Erin acquiesce et commence à s’approcher de la table la plus proche où se trouvent deux guerriers musculeux en train de boire. À mi-chemin, elle se retourne et me regarde avec un sourire de celle qui vient de penser à quelque chose.

“Tu sais ce qui serait parfait pour ça, Ryoka ? Les Cornes d’Hammerad ! Pourquoi ne pas juste aller leur demander ?”

Je cligne des yeux. Oh. Bien sûr. Cela nous économiserait pas mal d’argent, ou ils pourraient nous mettre en contact avec une autre équipe. Je m’approche d’Erin, mais l’un des aventuriers assis à une table hausse alors la voix.

“Les Cornes d’Hammerad ? Ils ne sont pas tous morts ?”

Erin leur adresse un large sourire.

“Quoi ? Non ! Non, ils ont reformé l’équipe, vous ne le saviez pas ? Après qu’ils aient, euh… perdu des membres dans les Ruines de Liscor…”

L’un des hommes ricane d’un air méprisant. À son allure, il a presque la trentaine, et il a un duvet d’un jour sur le visage.

“J’ai entendu parler de ce désastre. Quatre équipes d’aventuriers mortes et à peine une poignée de survivants grâce à un tas de Capitaines incompétents. Tu es en train de me dire que quelqu’un a été suffisamment stupide pour conserver le nom après ça ? Ils auraient dû cesser d’être aventuriers avant d’entamer une autre mission.”

Je m’arrête net et me mords la lèvre. Erin se fige, et son sourire gèle sur son visage. Le deuxième aventurier se tourne vers son compagnon.

“Qui a survécu ? J’ai entendu dire que tout le monde s’était fait massacrer là-dessous.”

“Il y en a au moins deux qui s’en sont sorties. La Demi-Elfe et la Capitaine Argent.”

“Ceria Springwalker et Yvlon Byres ? Je ne rejoindrais jamais un groupe avec ces deux-là même si elles étaient la dernière équipe du continent. Quiconque est assez stupide pour bosser avec elle se fera tuer comme leurs derniers groupes.”

Non, ne les cogne pas. Je le sais. Erin répond d’une voix monocorde.

“Ce sont toutes les deux d’excellentes aventurières. Ce sont mes amies.”

Les deux hommes la regardent en secouant la tête.

“Ce sont des idiotes et des lâches qui ont envoyé au casse-pipe de braves gens qui leur faisaient confiance.”

“Tu crois peut-être qu’elles sont de ton côté, mais retiens bien ce que je te dis, ma fille. Si tu leur fais confiance, tu finiras avec une flèche dans le dos.”

Ils n’ont même pas pris la peine de baisser la voix. Les gens aux autres tables lèvent les yeux en entendant les deux hommes commencer à se disputer avec Erin.

“Ce n’est pas vrai ! Ceria est très courageuse ! Et Yvlon aussi !”

“La Demi-Elfe ? Je parie qu’elle a fait demi-tour et s’est enfuie dès qu’elle a rencontré des ennuis. C’est une lâche. Calruz était le seul véritable combattant des Cornes d’Hammerad.”

“Retire ce que tu viens de dire !”

Erin est en train de se mettre en colère, et j’observe les deux hommes assis à leur table. Ils ont l’air beaucoup plus costauds que les aventuriers qu’Erin avait battus dans son auberge. Et ils sont juste en train de parler, pas d’agresser sexuellement qui que ce soit.

Mais mon sang est tout de même en ébullition. Les Cornes d’Hammerad ne méritent pas ça. Ils étaient tous courageux, et je pourrais le leur dire, mais à quoi bon ? Les deux hommes en train de ricaner ne veulent clairement pas nous écouter ; la meilleure chose que je pourrais faire, ce serait de leur donner un coup de pied en plein visage à tous les deux.

Je pourrais déclencher une bagarre…

Mais je serre le poing et sens les moignons de mes doigts. Non. Pas ici. Pas maintenant. Nous avons besoin d’aide d’aventuriers, même si ce n’est pas la leur.

Je pose la main sur l’épaule d’Erin. Elle est tendue et les fusille du regard.

“Viens, Erin. Allons discuter avec quelqu’un d’autre.”

“Si vous voulez une véritable protection, Miss, vous feriez mieux de demander à nous ou à une vraie équipe de Rang Argent. Pas à un tas de demeurés qui ne peuvent même pas tuer quelques morts-vivants.”

Je n’ai pas d’autre choix que de traîner Erin plus loin. Elle me fusille du regard, mais je parviens avec succès à la tirer en arrière. Cinq pas. Puis je rentre dans quelqu’un.

“Oh, désol…”

Je marque une pause et contemple un visage familier couvert de contusions. Un aventurier et ses quatre copains se figent sur leur trajet vers le bureau de la réceptionniste. Ils ont tous l’air de s’être faits tabasser ; les séquelles d’une rixe de tavernes où ils se sont retrouvés du côté des perdants.

L’aventurier de tête me reconnaît sans aucun doute.

Il jette un regard vers Erin et se met à reculer lentement vers la porte. Trop tard. Erin profite d’un relâchement de ma poigne pour se dégager. Elle retourne vers la table des deux aventuriers et leur sourit en posant ses mains sur le bord de la table.

“Vous devriez retirer ce que vous avez dit au sujet de Ceria et Yvlon. Ce sont mes amies et elles ont fait tout ce qu’elles pouvaient pour garder tout le monde en vie.”

“Nous avons dit exactement ce que tout le monde pensait tout bas, Miss. Les Cornes d’Hammerad – passées et présentes – sont une équipe d’imbéciles.”

Erin prend une grande inspiration. Ses yeux sont écarquillés et elle leur adresse un grand sourire.

“Okay. D’accord. Si vous le prenez comme ça… table, à l’attaque !”

Tout bien considéré, je me demande parfois si Erin n’est pas la plus violente de nous deux.





La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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3.03 Partie 2
Traduit par EllieVia
6477 mots




“Eh bien, nous sommes bannies de la Guilde des Aventuriers, maintenant. Au moins pour un moment.”

Je soupire en descendant la rue d’un pas assuré en compagnie d’Erin, un nuage de fées dans notre sillage. Je me suis résignée à leur présence, à ce stade. Elles volent à nos trousses, et se moquent du combat. Erin marche derrière moi en fronçant les sourcils.

“Je ne regrette rien ! Ces gars étaient des andouilles !”

“Oui, en effet. Mais maintenant, ils ne nous aideront pas si nous avons besoin de rentrer à Liscor.”

“Et alors ? On demandera juste aux Cornes d’Hammerad de nous accompagner. Ceria, Pisces, Yvlon et Ksmvr peuvent probablement nous défendre face à n’importe quel monstre qu’on pourrait croiser.”

“Peut-être. Mais nous ne savons pas où ils sont. Je peux essayer de faire le voyage jusqu’à Albez… ou de faire passer le mot que je les cherche dans d’autres villes, mais ça prendra plus de temps.”

“Ce n’est pas grave.”

Erin hoche la tête et je lève les yeux sur les fées en train de voler au-dessus de nos têtes. Elles ont l’air… de s’ennuyer un peu, pour être honnête. Elles rient toujours, et l’une d’entre elles m’envoie un flot continu de flocons poudreux dans les yeux, mais le reste se contente de nous suivre dans le calme, pour une fois.

Huh. Apparemment, même les fées peuvent s’ennuyer. Je hausse les épaules et poursuis ma route.

“Je vais faire une autre livraison - dans une autre ville, probablement. Je serai rentrée ce soir sauf s’il y a un imprévu. Ça ira jusque-là ?”

“Je vais aller faire exploser un truc.”

Je souris.

“Ça m’a l’air rigolo. Essaie juste de ne pas trop énerver Octavia, d’accord ?”

J’essaie de lâcher Erin devant la boutique de l’[Alchimiste], mais à ma grande surprise, Octavia en personne jaillit de la boutique au pas de course et se met  à agiter un bras devant moi comme une massue.

“Ryoka ? Ryoka !

Erin entre joyeusement dans la boutique et la Tissée se plante devant moi. Octavia a l’air stressée, ce qui est vaguement compréhensible étant donné qu’elle va baby-sitter Erin toute la journée aujourd’hui. Encore une fois.

“Salut Octavia. Erin veut faire exploser un truc.”

La peau sombre de la jeune femme pâlit et elle se retourne vers sa boutique pour jeter un œil à Erin. Je me sens un peu coupable, et essaie donc de la rassurer.

“Elle ne va probablement pas le faire. Elle a hâte d’expérimenter de nouvelles recettes, Octavia.”

“Certainement pas !  As-tu la moindre idée de ce qu’elle m’a déjà coûté ? Nous nous étions mises d’accord pour une journée. Je suis d’accord pour deux jours, voire trois étant donnés nos accords passés et pour le bien de nos affaires à venir, mais quatre ? Erin m’a déjà coûté une petite fortune en ingrédients, sans parler de tout le temps que je pourrais passer à concocter mes propres potions. S’il faut que je continue à l’aider, j’insiste pour me faire rembourser d’une manière ou d’une autre. Je sais que nous avions passé un marché, mais là...

Je ne peux m’empêcher de reculer d’un pas face à Octavia qui me hurle dessus en agitant les poings. On dirait qu’elle a épuisé toutes ses réserves de patience. Bon sang. Que faut-il que je fasse ?

J’hésite, puis prends la décision la plus expéditive. Les vociférations d’Octavia ralentissent puis s’arrêtent net lorsque je me mets à sortir des pièces d’or du sac à ma ceinture. À le voir, comme ça, il ne devrait pas être capable de contenir tout l’or qu’il y a à l’intérieur, mais il est magique. Il y a également un énorme livre à l’intérieur, et cela ne cesse de m’émerveiller.

“D’accord. Je comprends. Voilà encore de l’argent pour Erin, d’accord ?”

Je verse l’or dans les mains d’Octavia et l’[Alchimiste] me dévisage, bouche-bée. Vingt pièces d’or - plutôt lourdes et scintillant à la lumière, font un clin d’œil à la fille qui nous regarde tour à tour, l’argent et moi.

Vingt pièces d’or. Oui, c’est beaucoup, mais ce n’est qu’une fraction de l’argent que Teriarch m’a donné. Et à en croire le silence d’Octavia, c’est bien davantage que ce qu’elle pensait obtenir.

“Nous disions donc. Y a-t-il un problème avec Erin ?”

“Erin ? Quoi ? Bien sûr que non !”

Octavia m’adresse un sourire radieux.

“Erin, ma cliente préférée. Je serais ravie de… disons simplement que tant qu’elle veut travailler avec moi, je serai enchantée de l’aider. Ses réussites sont vraiment exceptionnelles, et laisse-moi te dire que je la pense vraiment sur le point d’accomplir…”

“Ravie de te l’entendre dire. Trouve-lui juste tout ce qu’elle de te demande, Octavia.”

Je laisse l’[Alchimiste] retourner dans sa boutique en sautillant à moitié et m’éloigne en secouant la tête. Les fées me suivent, une moitié imitant mon secouement de tête, l’autre moitié occupée à se demander s’il serait plus intéressant de rester pour voir Erin faire exploser quelque chose dans la boutique.

Je ne sais pas. Je suis ravie qu’Erin soit contente, et ça ne me pose aucun problème de la laisser seule ravager la boutique d’Octavia. Elle n’aura sans doute pas d’accident, avec Octavia à ses côtés pour l’empêcher de faire quoi que ce soit de trop dangereux.

Mais…

Je suis juste un peu fatiguée. Au bout du rouleau, pourrait-on dire. Ce n’est pas que je n’aie rien à faire : j’ai trop à faire.

Il est temps de repartir faire une livraison. Je dirige de nouveau mes pas vers la Guilde des Coursiers. Je ne me sens peut-être pas au sommet de ma forme, mais je peux au moins toujours compter sur la course pour soulager mon stress.



***


“Je cherche à faire une livraison dans une autre ville, mais je ne trouve aucune requête. Est-ce que vous en avez ?”

La réceptionniste de la Guilde des Coursiers lève les yeux et fronce les sourcils. Elle tapote un doigt sur ses lèvres et finit par hocher la tête.

“Nous… avons la livraison de lettres journalière pour Galles si ça t’intéresse.”

Son hésitation est justifiée. Personne n’aime cette livraison. Je grimace.

“Rien d’autre ?”

“Rien. Désolée, Miss Ryoka.”

La [Réceptionniste] se recroqueville légèrement sur son siège sous le poids de mon regard. Au bout d’une minute, je finis par hoche la tête.

“Bien. Passe-moi le colis.”




***




Je cours à travers la neige, puis sur un sol plus dur et glissant qui a été gelé et pas salé. Je fronce les sourcils et retourne courir dans la neige. C’est peut-être plus contraignant, mais grâce à la soupe d’Erin dont j’ai repris une gorgée avant de partir, c’est plus facile de courir sur l’herbe enneigée que sur la route glissante.

Je fais la livraison d’un colis de courrier en vrac pour Galles. C’est… eh bien, pas de quoi casser trois pattes à un canard. Ni à un quelconque autre animal, d’ailleurs.

Le courrier en vrac. Comme à la poste, les lettres sont réceptionnées et envoyées dans un grand sac rempli par Coursier de Ville chaque jour dans les autres villes. C’est une livraison standard, et comme c’est vraiment facile, la paie est presque inexistante.

Je ne l’avais jamais fait depuis mes débuts en tant que Coursière. Où vont toutes les grosses livraisons ? Est-ce que les gens n’ont juste besoin de rien pendant les mois d’hiver ? Non, c’est impossible. La journée doit juste être calme.

Mais, comme toujours, je ne suis pas seule. Un nuage de fées volète autour de moi, et me dévisage avec des paupières mi-closes tandis que je cours à un bon rythme à travers la neige. Mais les visages des fées ne sont pas remplis de leurs expressions calculées habituelles de joie ou d’anticipation. Au lieu de cela, elles semblent toutes s’ennuyer ferme.

Pour dire la vérité, ça commence à me travailler. Je jette un œil aux fées. Certaines ont les sourcils froncés, et je ne les vois faire cela que très rarement. Pourquoi ne sont-elles pas parties embêter quelqu’un d’autre ? Mais alors, l’une de celles qui vole le plus loin de moi prend la parole, et j’entends clairement sa voix par-dessus le souffle du vent.





“Non. Je m’ennuie. Je n’ai plus envie de le faire.”




C’est bizarre. Je regarde fixement la fée qui vient de dire cela. Elle a une expression très mécontente peinte sur le visage. Elle vole jusqu’au centre de la horde de fées et hausse la voix en me pointant du doigt.





“Tu es ennuyeuse, à présent. Ennuyeuse. Mortelle, fais quelque chose d’intéressant !”



“Je ne suis le singe savant de personne. Fous le camp.”

J’agite les bras et la fée tourne autour de moi. Elle souffle des fragments de glace sur mon visage, ce qui me fait pousser un juron et presque trébucher. Elle se met à crier aux autres fées.




“Vous voyez ? Elle ne fait rien ! Je ne la suivrai plus. Pas même si une Wyverne fondait sur elle et l’emmenait dans les airs en hurlant !”




Toutes les fées lèvent les yeux d’un air plein d’espoir. Moi aussi. Rien ne se passe. La fée émet un bruit dégoûté.




“J’arrête. Il y a d’autres endroits à voir, d’autres mortels à observer et à harceler. Pas elle.”





Cela m’a l’air parfaitement correct. Pourquoi les fées n’iraient-elles pas embêter quelqu’un d’autre si je ne les distrais pas suffisamment ? Elles le faisaient par le passé.

Mais cette fois-ci, les mots de la fée semblent avoir beaucoup plus d’importance. Les autres fées se regardent, puis se mettent à se disputer au-dessus de ma tête.






“Mais elle veut qu’on...”

“Nae, je me fiche de ça aussi ! Nous faisons cela depuis trop longtemps !”

“Ouais ! Elle est allée voir un Dragon et il ne s’est rien passé !”

“Je m’en vais !”

“Moi aussi !”

“Je reste. Non. Attendez. Je pars aussi !”

“Allons embêter un Roi ! Ou une Reine !”

“Je veux manger des baies dans la jungle !”







Les fées… commencent à s’éloigner. Elles montent dans un orage de bruissement d’ailes éclatantes et de mouvements. Je lève les yeux vers elles, mon cœur tambourinant dans ma poitrine pour une raison que j’ignore.

Elles s’en vont ? Pour toujours ? Ou vont-elles revenir ? Ce qu’elles ont dit…

Je m’en fiche. Vraiment. Si les Fées de Givre me laissent tranquille, je serai la première à sauter de joie…

Je trébuche sur quelque chose dans la neige. En levant mon pied, j’aperçois du sang. Je me suis coupée sur un caillou. Bordel.

Puis je lève les yeux, et elles ont disparu. Le ciel est dégagé, et les fées…

Les Fées de Givre sont parties. L’hiver qu’elles ont apporté avec elles demeure, mais la magie est partie. Je me sens vide. Soulagée ?

Non. Pas soulagée. Elles sont parties, et je ne sais pas pourquoi.

Je me concentre de nouveau sur ma course. N’y pense pas. Pourquoi sont-elles parties ? Que voulaient-elles dire ? Pourquoi suis-je ennuyeuse ? Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Qu’est-ce qui leur a tant déplu dans ma partie d’énigmes avec Teriarch ?

Un éclair de glace liquide sur ma gauche. Ma tête tourne si vite que j’entends un craquement.

Elles ne sont pas toutes parties. Je vois une silhouette d’un bleu pâle voler dans les airs à côté de moi. Une Fée de Givre, qui soutient aisément mon rythme alors que je cours dans le paysage enneigé.

L’une d’elle me suit encore. Juste une, qui s’envole au-dessus de moi, puis sur ma droite, assise dans les airs tandis que ses ailes battent avec une lenteur disproportionnée à la vitesse à laquelle elle va. Juste une.

Pour une raison que j’ignore, la tension dans mon cœur s’apaise. Je me sens un peu plus légère, même si je ne sais pas pourquoi. Je contemple la fée et manque trébucher de nouveau. Elle me fait un signe de la main et sourit.

Pourquoi est-elle ici ? J’ouvre la bouche pour lui poser la question, puis aperçois quelque chose sur ma droite. Quelque chose qui se rapproche à toute vitesse.

Je plonge instantanément la main à ma ceinture pour attraper une potion et me focalise là-dessus, sortant complètement la fée de mon esprit.  Je vois un mouvement flou - quelque chose court dans la neige, et… est-ce un rire ? Et je vois un visage pâle et pincé, et aperçois quelqu’un pendant une seconde avant qu’elle ne me dépasse en accélérant sur la route gelée à un rythme que je ne pourrais jamais atteindre.

Je m’arrête net dans la neige, et mes pieds font fondre la neige autour d’eaux tandis que je contemple la silhouette lointaine qui m’a dépassée et se dirige vers une autre ville.

Impossible. Je n’y crois pas. Mais je le dis à voix haute quand même.

“Est-ce que c’était… Persua ?”





***




Je n’en ai aucune idée. Je pense que c’était Persua. Elle avait le même visage étriqué*, le même teint énervant qu’à l’accoutumée, et sa posture de course était pourrie.



* Je sais qu’étriqué n’est pas le bon mot, mais je le garde pour elle. Pincé est probablement un mot plus juste, mais j’aime bien étriqué.



Mais cette manière de bouger ! Elle bougeait plus vite que moi… beaucoup plus vite. Comment ? Non, je sais comment. Une Compétence. Mais est-ce que ça peut vraiment arriver si vite que ça ? Persua était la Coursière de Ville la plus lente que je connaissais, encore plus lente que Garia parce qu’elle se prenait beaucoup de pauses. Et à présent…

Je secoue la tête, assise dans la petite chambre que j’ai louée au Lièvre en Folie. Erin a sa propre chambre, et j’en suis reconnaissante ; j’ai besoin de temps pour moi en ce moment.

J’ai terminé ma livraison. C’était facile ; je n’ai même pas besoin de chercher individuellement les destinataires moi-même avec les courriers en vrac. Je donne juste le colis à la réceptionniste de la Guilde des Coursiers locale et récupère ma paie.

Facile. Et maintenant, je me détends dans ma chambre, prenant les quelques heures que j’ai avant le dîner pour étudier un peu. Pas pour ruminer au sujet de Persua ; pour étudier.

Je soupire et baisse de nouveau les yeux sur l’énorme volume devant moi. Un livre - un grimoire magique est posé sur la table devant moi, tellement gros qu’il n’y a plus de place sur la table pour que j’y pose quoi que ce soit.

J’étudie la magie. C’est ce que je fais tous les jours, pendant qu’Erin saccage la boutique d’Octavia et vagabonde dans la ville. J’ai ralenti le rythme de mes livraisons pour pouvoir y consacrer du temps.

Apprendre la magie. Apprendre des sorts d’un livre de merveilles que Teriarch m’a donné. Et combien de nouveaux sorts ai-je appris aujourd’hui ?

Eh bien, aucun, en fait. Et combien en ai-je appris hier ?

Aucun, encore une fois. Pour tout dire, depuis que j’ai ouvert le livre à cette page, je…

Bloque.

Je contemple la page couverte de mots qui sont un mélange de magie et de langage. Ils brillent devant moi, et énoncent des secrets dans la langue magique que je ne peux comprendre qu’à une vitesse d’escargot. Mais je peux lire les mots…

Je ne peux simplement pas accepter ce qu’ils disent.

Je lève la main, et inspire. Il ne fait pas très chaud dans ma chambre ; il n’y a pas vraiment de chauffage central dans ce bâtiment, même si la chaleur monte bel et bien du rez-de-chaussée. Mais il fait quand même froid, et j’ai ouvert la fenêtre pour aérer, malgré le froid glacial du dehors. Aucune des fenêtres de l’auberge ne sont équipée de vitre, donc j’ai le choix entre garder les volets fermés et suffoquer, ou affronter la météo.

N’y fais pas attention. Concentre-toi. Je concentre toute mon attention sur ma main et tente de pousser une force invisible au bon endroit. Laisse-la se condenser, comme de la pluie. Crée un courant et pousse...

“[Jet d’Eau].”

Je prononce les mots, et essaie d’utiliser la magie. Mais rien ne se produit. Je contemple ma main, et répète les mots.

“[Jet d’Eau].”

Là encore, ma main et l’air qui l’entoure sont parfaitement immobiles.

“Bordel.”

Ça ne marche pas. Je regarde de nouveau la page du livre et serre les poings. Encore un échec.

“Ça ne fait aucun sens. Ce n’est pas…”

Je prends une autre inspiration, et essaie d’exhaler lentement. Non. Ça ne veut vraiment pas marcher, pas vrai ? Je n’arrive pas à comprendre. C’est…

Ça ne marche pas.

Je me lève et fais lentement le tour de ma petite chambre. Oui. J’essaie d’esquiver cette conclusion depuis un bon moment. Jour après jour, j’ai réessayé, mais je ne suis pas davantage prête à trouver la réponse aujourd’hui que je ne l’étais la veille.

“J’en suis incapable.”

Voilà la véritable raison pour laquelle mes journées ne sont pas au top. Le stress, les Gobelins, tous mes soucis sont une chose, mais je crois que j’aurais pu les gérer s’il n’y avait pas eu cela.

Je ne peux pas apprendre la magie. Je pensais en être capable, mais non. Teriarch m’a donné ce livre, un guide complet pour débutants qui devrait me permettre d’apprendre tous les sorts facilement et rapidement. Bon sang, j’ai acquis l’un des sorts de ce bouquin en quelques minutes ! Mais j’ai essayé de lire d’autres sorts avant de livrer le livre à Krshia et… ça ne marche tout simplement pas pour moi.

Les deux premiers sorts étaient faciles. J’ai appris un petit tour de magie de télékinésie - la capacité à soulever des choses dans les airs comme Ceria et Pisces. Quelque chose d’accessible, et j’ai vraiment dû bosser pour réussir à soulever davantage que les quelques flocons sur la table, mais c’était relativement facile à comprendre. Et ensuite, j’ai compris comment faire des courants d’air, encore un petit tour rigolo. Mais ensuite, j’ai commencé à lire un autre sort - [Jet d’Eau], un sort vraiment simpliste qui doit probablement être d’Échelon 0, et je me suis retrouvée bloquée.

Je regarde de nouveau la page. Il n’y a pas d’images, probablement parce que la magie n’est pas quelque chose que l’on peut décrire avec des mots. Mais je regarde les explications décrites sur la page et je sais exactement ce qu’il faut faire.



Laissez la magie se condenser, se fondre dans un liquide, une chose réelle. Laissez-la s’accumuler et croître en un torrent, puis un océan qui lui est propre. Tenez-la, puis laissez-la se manifester en la poussant vers l’extérieur dans la forme que vous désirez. La magie est, comme l’eau, un courant à guider, mais à ne surtout jamais forcer. Vous ne pouvez obliger la mer à bouger, mais vous pouvez lui offrir un canal…




Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à saisir cela ? Eh bien, parce que je n’arrive pas à croire que ça marche. Tout simplement. Je comprends comment fonctionne le sort et comment je fais apparaître de l’eau dans les airs mais…

Je n’y arrive pas. Ça viole les lois de base de la physique. Pour lancer [Jet d’Eau], j’ai besoin de transformer la magie en eau, l’ancrer dans une forme puis utiliser la magie pour la transformer en jet. Facile.

Mais je sais que c’est impossible. Transformer la magie en matière ? Ça ne marche pas comme ça. Ça viole les lois de la thermodynamique ! Et la conservation de l’énergie ? L’eau se dissipe vite, mais est-ce qu’elle s’évapore ou est-ce qu’elle redevient de la magie ?

Et le feu, alors ? Comment peut-il mimer une réaction naturelle s’il brûle… de la magie ? Est-ce qu’il brûlerait encore dans une pièce sous vide ?

Je serre ma tête entre mes mains. Rien ne va. Ça devrait être facile. Je comprends comment ça marche, mais à présent…

Je n’arrive pas à croire que ça marche. C’est le problème. Toute la science que je connais, toutes les lois de ma réalité avec lesquelles j’ai grandi… me disent que ce que j’essaie de faire est impossible, me font douter de ce que je fais et poser des questions auxquelles le livre ne peut pas répondre.

Et la magie, c’est en partie de la foi. C’est obligé. Si je ne crois pas que ce que je fais va fonctionner, cela ne fonctionnera pas. Et je ne crois pas que je peux jeter ce sort. Je suppose que je n’y avais tout simplement pas réfléchi avec le sort de [Lumière] ni même lorsque j’avais appris à faire du feu. Mais fabriquer de l’eau à partir de rien ne…

Le problème devient une boucle d’erreurs dans ma tête tandis que je lutte pour me convaincre que je peux créer de l’eau à partir de rien. Mais ça ne m’aide pas. Je peux essayer de jeter le sort, mais ça ne marchera pas. il faut que je sache. Il faut que je comprenne, et je pense que…

“Je ne peux pas le faire.”

Pas avec ce livre. Je baisse les yeux sur ce dernier, et j’ai envie de vomir, ou de le jeter par ma fenêtre. C’est tellement facile d’apprendre avec ce livre. Cela devrait l’être. Mais comme je suis allée à l’école et que j’ai suivi toutes ces satanées leçons sur le fonctionnement du monde, je ne peux pas croire en ces sorts.

“L’éducation a tué la magie.”

Je ne veux pas croire que ce soit vrai, mais je suis coincée sur ce sort. Je ne pourrai pas avancer avant de l’avoir saisi… je ne peux pas. Même lorsque je regarde d’autres sorts, tous les doutes qui ont surgi sous mon crâne à cause de celui-ci me suivent de page en page.

Peut-être que si je le regarde encore un moment, il se passera quelque chose. [Jet d’Eau]. Transformer la magie en eau, l’eau apparaît. Je ne peux pas…

Bordel.

Je me sens tellement misérable, tellement en colère contre moi-même que j’ai envie de transpercer quelque chose avec moi poing. Un mur, peut-être. Je serre les doigts de ma main droite et contemple mon poing déformé.

Encore une chose à rajouter à la dépression de ma journée. Je contemple le livre et ma main.

Ce n’était pas une mauvaise journée, aujourd’hui. Pas vraiment. J’ai fait quelques livraisons. J’ai pu voir Erin coller un coup de poing à un aventurier en pleine face. J’ai vu Persua…

Et les fées pensent que je suis ennuyeuse. Elles sont parties.

Toutes sauf une.

Je regarde par la fenêtre. Le ciel est gris et les toits sont couverts de neige. Mais est-elle dehors ? Ou est-ce qu’elle est partie elle aussi ?

Elle est là. Je ne m’en étais même pas rendu compte au début. Mais je vois quelque chose flotter juste derrière ma fenêtre. Une silhouette bleu ténue, qui se tient si immobile dans les airs que je n’avais même pas remarqué qu’elle m’observait.

Une Fée de Givre croise mon regard. Je la regarde fixement et manque de peu tomber de mon siège. Mais elle se moque de moi alors que je la contemple et je sens le vent souffler dans ma chambre.

“Salut ?”

Elle me sourit et flotte un peu vers moi. Le vent souffle fort, mais elle n’a même pas l’air impactée par l’air qui souffle dans mes cheveux et fait tourner les pages du grimoire. Elle est dans un petit monde à elle, mais elle s’arrête tout au bord du rebord de ma fenêtre.

Oh. C’est vrai. Je la regarde, puis je regarde la chambre où je me trouve. Les fées sont un peu comme les vampires. Elles ne peuvent pas entrer à moins d’être invitées. Est-ce que j’ai le droit de le faire ? Je ne possède pas cette auberge…

Mais je loue cette chambre. Je toussote et m’éclaircis la gorge.

“Entre. Si tu veux.”

La fée me dévisage un bref instant, puis acquiesce. Elle pose le pied sur le rebord de ma fenêtre et entre en dansant dans la pièce, tourbillonnant et se posant sur mon bureau d’un bond d’une grâce naturelle. Le bois givre au contact de ses pieds, et je sens le froid qui émane d’elle.

La fée est parcourue d’un frisson, ce qui n’est pas mon cas. Elle regarde la pièce d’un air sombre.




“Trop de fer glacé ici. Ce n’est pas un bon endroit pour pratiquer les magies véritables, ni pour les représentantes de mon espèce. Mais là encore, tu ne peux même pas réussir à faire quelques tours de magie, donc le fer ne doit pas trop te ralentir.”





Ce sont les premiers mots qu’elle me dit. Pas de “Salut” ou de “Comment vas-tu ?” ni même de “Désolée de t’avoir espionnée tout ce temps”. Elle se contente de bondir droit au cœur de la conversation, juste comme ça. J’aime bien ça chez les fées.

“Tu veux dire que le fer interfère avec les sorts ? Est-ce la raison pour laquelle je ne parviens pas à apprendre celui-ci ?”

La fée secoue la tête en se moquant du gros tome sur ma table. Elle marque sur l’une des pages et donne un coup de pied au parchemin.





“Pshou. La magique que t’enseigne ton livre n’est qu’un fragment de la magie véritable. Tu devrais le savoir.”






“En effet. Mais je ne connais pas de magie véritable. Un fragment, c’est mieux que rien.”

La fée hoche la tête, puis me lève les yeux vers moi.




“Certes. Mais tu ne peux même pas apprendre cela, n’est-ce pas ? Je t’ai observée, et un crapaud réussirait à comprendre ce sort plus vite que toi.”





Je me mords la langue. Mais elle a raison.

“Je n’arrive pas à le comprendre.”






“Et tu ne le comprendras pas. Tu réfléchis trop et ressens beaucoup trop peu. Tu cherches des règles là où il n’en existe aucune, et crées les tiennes pour te faire obstacle. Tu n’apprendras pas la magie ainsi.”






Je n’ai pas envie d’entendre ça. Mais les mots de la fée sonnent juste. Je serre de nouveau les dents, mais… elle n’essaie pas d’être malpolie. D’accord, elle ne réfléchit pas trop avant de parler, mais j’en connais suffisamment sur les fées pour savoir qu’elle est directe avec moi, et aussi serviable que possible.

“Merci du conseil.”

Elle incline la tête avec une dignité royale. Je sais que je ne devrais jamais remercier une fée, si j’en crois la légende du moins, mais elle n’a pas l’air malveillante. Bon sang, les fées connaissent mon nom complet et elles ne m’ont rien fait.

Que veulent-elles ? Je m’éclaircis la gorge de nouveau, mal à l’aise, tandis que la fée examine ma petite chambre. Je suis là, avec une fée dans ma chambre. Il faudrait… c’est la dernière. Il faut que je pose des questions. Mais d’abord, il faut que je la fasse se sentir la bienvenue.

“Est-ce que je peux t’offrir quelque chose ? À boire, à manger ?”


“Est-ce que tu as quoi que ce soit ?”



“... Non.”




“Alors n’offre rien, imbécile.”



Okay, cette conversation a mal commencé. Je regarde fixement la fée qui bondit dans les airs au niveau de mes yeux et s’assied là, comme s’il y avait un coussin invisible sous elle.

“Pourquoi es-tu ici ? Toute seule, je veux dire. Toutes tes amies se sont envolées.”



“En effet. Elles se sont lassées de toi, et sont parties chercher de l’effervescence ailleurs.”




Une réponse franche. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi.

“Est-ce à cause de la partie d’énigmes que j’ai faite avec Teriarch ? Est-ce la raison pour laquelle elles sont toutes parties ?”



“Entre autres.”




La fée hoche la tête en grattant le dessous de son pied d’un minuscule doigt. Elle baille largement, exposant ses dents acérées.




“Mes sœurs pensent que c’était mal joué. Elles n’apprécient pas les ruses des nombres, mais ces dernières sont tout aussi bonnes que les ruses des mots, à mon sens.”




“Tu n’es pas d’accord ?”



“J’apprécie ce genre de choses de temps en temps, et c’était bien joué de ta part de réussir à gagner même en perdant. Nous ne sommes pas toutes les mêmes, au sein de mon espèce. Est-ce que cela te surprend que l’une d’entre nous aime autant la danse des pensées que celle des langues ?”




Non. J’aurais dû savoir que toutes les fées n’étaient pas les mêmes. Je me disais juste… d’accord, peut-être que c’était relativement raciste. Spéciste ? Comment se fait-il que les espèces immortelles, Dragons et Faes, aient tendance à me laisser stupéfaite et sans voix ? C’est comme si tout mon cynisme et toutes mes questions complexes fondaient en leur présence. Il est impossible de douter de leur présence lorsqu’ils sont en face de vous.

La fée pointe du doigt un objet sur le point de tomber au bord de mon bureau. Le sac sans fond rempli de pièces d’or a l’air anodin ; il a l’air tout juste assez grand pour une poignée de pièces au mieux, certainement pas assez gros pour contenir ce livre magique. Mais il peut contenir un espace gigantesque - je me suis rendue compte que je pouvais y rajouter tous mes draps et deux chaises en plus de ce qu’il contient.  Ensuite, il se comporte comme un sac normal jusqu’à ce que je me mette à en sortir des trucs. Je n’ai pas encore trouvé le courage d’y rentrer la tête.






“Ci-gît ta récompense pour un duel avec un Dragon. Des pièces d’or et un sac magique pour les garder. N’est-ce pas là le rêve de tous mortels ? Où aurais-tu préféré obtenir autre chose du vieux couvert d’écailles et de fumée ?”






“Je ne sais pas. Peut-être ?”

La fée vole droit sur moi et me gifle le nez avant que j’aie eu le temps de cligner des yeux. Je pousse un glapissement et touche ma chair gelée - elle me fusille du regard.



“Soit c’est oui, soit c’est non. Ne réponds pas à une question par une autre question, espèce d’imbécile.”




Là encore, je dois contenir mon envie de rendre les coups. Je perdrais, probablement, et je sais que les fées sont susceptibles. Et elle a raison. En quelque sorte.

“Désolée. Je ne sais pas ce que je voulais obtenir de lui. Peut-être que j’aurais pu lui demander de m’enseigner la magie.”



“Il aurait dit non. C’est un balourd paresseux, ce wyrm.”






“Peut-être. Mais j’ai obtenu la plupart des choses que je voulais.”

Elle hoche la tête, et je me tais quelques instants. La véritable question brûle sur ma langue. Il faut que je sache, et je lui pose donc la question.

“Qu’as-tu dit lorsque les autres sont parties ? Que veulent vraiment de moi les Faes ? De ce monde ?”

Elle me dévisage d’un air condescendant.



“Pourquoi me poser une question à laquelle tu sais que je ne répondrai pas ? Tu veux connaître plus de choses que tu ne le devrais. Tu poses une question à laquelle je pourrais répondre avec dix mille mots comme si c’était facile.”





“Et alors ? Je suis curieuse. Est-ce que ma question était trop large ? Pourquoi tu me suis ?”

La fée soupire avec une patience exaspérée.



“Pourquoi est-ce que je suis qui que ce soit ?”





“Je croyais que tu avais dit qu’il ne fallait pas répondre à une question par une autre question.”’

Cette fois-ci, je suis prête et je tente de la gifler lorsqu’elle vole vers mon visage. La fée virevolte au-dessus de ma main avec une grâce agile et me donne un coup de pied sur le front. Pour une si petite créature, elle cogne fort.




“Tu es maligne comme un cul, dis-moi ? Je te suis et t’observe au cas où tu accomplisses un acte valeureux. Tu nous as raconté des histoires, à mon peuple et à moi, et nous as demandé d’oser défier le destin. Tu as marchandé avec un Dragon, et rencontré un être qui règne sur la mort. Y a-t-il un ou une autre mortelle que je devrais m’embêter à suivre qui ait accompli davantage ?”




Lorsqu’elle dit ça comme ça… je rougis presque. Je m’éclaircis la gorge. C’est tellement gênant, mais la fée n’a pas l’air le moins du monde embarrassée, et cela m’embarrasse d’autant plus. Elle ne ment pas ; elle dit simplement ce qu’elle pense.

“Tu me suis depuis un bon moment, pas vrai ? Je pensais que tu m’étais familière… est-ce que j’ai déjà parlé avec toi en particulier avant ?”

Elle acquiesce et se fend d’un bref sourire.





“Oh oui. Je t’ai suivie avec les autres pendant ta course, et je suis celle que tu as frappée. J’ai écouté tes contes des Humains de ton monde, et c’est moi qui t’ai prévenu de la présence des armées et qui t’ai guidée dans la forêt. J’étais là lorsque tu as passé ton marché, et j’ai accepté le deuxième prix. Je suis surprise que tu l’aies remarqué ; la plupart des êtres ne peuvent pas nous différencier.”






Je me disais, aussi. Pendant très longtemps, je pensais que toutes les fées étaient interchangeables, mais celle-ci… nous avons discuté beaucoup plus que ce que je le pensais, elle et moi. Je contemple la petite fée, et sens une connexion soudaine se créer entre nous.

“Et donc, toutes tes sœurs sont parties parce que je suis trop barbante et tu restes encore dans le coin. Que veux-tu ?”



“Que crois-tu que je veuille ?”





La fée me regarde droit dans les yeux, me défiant presque de pointer du doigt à quel point elle reste évasive. Je ne le fais pas, cette fois-ci. Au lieu de cela, je réfléchis. Elle ne me répond pas parce qu’elle ne peut pas me répondre. Ou elle n’en a pas envie. Alors, quelle est la réponse ?

“Peut-être... parce que tu veux quelque chose de moi. Ou que je peux faire quelque chose pour toi ?”

La minuscule fée lève les yeux au ciel.



“Hah !”





Okay, ce n’est pas ça. Alors, il y a quelque chose d’autre. Ou…

“Est-ce que c’est juste parce que tu veux voir ce qui va se passer ensuite ?”




“Une réponse évidente. J’imagine que tu as raison.”





La fée secoue sa petite tête, déçue. Je me sens coupable, comme si j’avais échoué à un test facile. Mais que peut-elle vouloir ?

J’aimerais qu’Erin soit là pour répondre. Elle aurait cette putain de réponse en une seconde, d’une manière ou d’une autre. Elle est plus douée avec les gens que moi. Elle deviendrait amie avec la fae en un battement de cœur - elle pourrait probablement se lier d’amitié avec un ours enragé.

Mais là encore… même elle a eu des problèmes avec les fae par le passé. Elle m’a raconté leur arnaque avec les fausses fleurs. Je suis vraiment la seule personne à les avoir supportées pendant une longue période. Les fées sont restées avec moi, et j’ai même réussi à gagner leur respect.

Et celle-ci m’a suivie longtemps. Même après le départ de ses amies, elle est restée ? Pourquoi ?Elle est presque comme…

Comme…

“Une amie.”

La fée lève les yeux sur moi. Elle était en train de virevolter dans les airs, mais elle s’immobilise soudain, la tête en bas, et me dévisage.





“Quoi ?”





“Est-ce que c’est ce que tu veux ? Une amie ?”

C’est une question stupide. Et une conclusion stupide. Nous ne sommes pas dans un programme télé pour enfant, mais peut-être… non.

Si.





“Amies ? Tu serais amie avec les Faes ?”




Elle se moque de moi en pouffant. Mais le visage de la minuscule fae n’est pas aussi sincèrement agacé qu’à l’accoutumée, et je vois quelque chose ressemblant à un sourire pétiller derrière ses sourcils froncés. Je lui souris.

“Peut-être. Je ne serais pas mécontente que l’une de vous flotte à mes côtés. J’ai entendu parler d’un certain héros à qui c’est arrivé pendant un sacré bout de temps.”






“Je ne suis pas un animal de compagnie, mortelle.”





“Non, mais je t’intéresse. Et si tu as décidé de me suivre, pourquoi ne pas apprendre à se connaître ?”

La fée est allongée sur le côté dans les airs et pose sa tête sur une main en me dévisageant. Sérieusement, cette fois-ci.





“Sais-tu ce qui se produirait si tu osais te mêler aux fae ? Il y a des lois, mortelle. Des lois qui ne devraient pas être enfreintes.”





J’hésite. À présent, j’ai l’impression d’être soumise à un test. Mais je ne peux me fier qu’à ce que je connais d’elle. J’ai beaucoup vu les fae, et je pense que je comprends la réponse à cette question. Je hoche la tête, tout aussi sérieusement qu’elle.

“Il y a des conséquences. Je sais. De graves conséquences. Mais une amie ne serait-elle pas prête à tout risquer pour une autre amie ? Je serais honorée d’apprendre à te connaître, si tu le voulais bien.”

Pendant une seconde, le visage de la fée demeure impassible. Elle me dévisage de la tête aux pieds. Puis elle me sourit.





“Bien ! Tu comprends enfin un peu. Tu es tellement bête, toi, que j’ai cru que tu ne le comprendrais jamais.”




Je cligne des yeux. Mais la fée se rapproche d’un coup d’ailes, et me sourit de nouveau.




“Je me suis intéressée de nouveau à ton espèce, après si longtemps. Si tu veux me parler, j’imagine qu’il est préférable d’être des amies que des inconnues, eh ?”





Je n’arrive pas à y croire. Mais soudain, mon cœur bat la chamade, et je sens un élan de passion et de vie envahir ma poitrine. Je me sens de nouveau vivante.

“Je… bien sûr. J’en serais honorée, comme je le disais. Je m’appelle Ryoka Griffin, mais tu le savais déjà. Est-ce que je peux te demander ton nom ou est-ce que c’est mal ?”

La fée réfléchit.






“Mon nom - mon véritable nom - est un secret pour tous. Et tu ne pourrais pas le prononcer de toute manière. Mais tu peux m’appeler… Ivolethe.”





Ivolethe. Le nom résonne dans mes oreilles un bref instant. Mais la fée n’en a pas terminé. Prudemment, elle tend une petite main dans ma direction. C’est une main tellement petite, mais je tends un doigt et la laisse le serrer. Pendant une seconde, une seconde infime, je sens du froid, une froideur des plus profondes, et en même temps un frais merveilleux, une brise rafraîchissante et le goût de l’hiver sur ma peau. Ce n’est pas du tout déplaisant ; j’aurais pu rester ainsi à jamais. Mais son toucher cesse soudain.

Mais la fée est restée. Ivolethe s’envole et se pose sur la table. Je la dévisage, et la voit sourire de nouveau. Des dents pointues, et un regard plus vieux que le monde. Ses ailes insectiles s’agitent, et elle se met à geler le bois sous ses pieds. Mais elle est là, et elle et moi sommes amies.

Je suis amie avec une fée.

Soudain, tout va bien de nouveau.





La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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3.04 Partie 1
Traduit par Maroti
5899 mots

Erin eut une crise de panique quand je descendis avec Ivolethe sur mon épaule.

« Oh mon dieu ! Une fée ! »

Elle ne faisait pas dans la subtilité. Tout le monde se tourne vers moi et je regarde Ivolethe. La petite fée est simplement assise sur mon épaule, et regarde autour d’elle avec intérêt.

Elle n’est même pas si froide que ça ; elle est évidemment partiellement constituée de glace, mais elle ne me donne pas des engelures, ce qui est une nette progression. Pour être franche, c’est comme avoir un climatiseur miniature sur son épaule. Pas idéal en hiver, mais je ferai tout pour avoir quelque chose du genre en été.

« Comment est-elle rentrée ? Ne refais pas d’avalanche ! S’il te plait ? Ce n’est même pas mon auberge ! »

Je suis obligé de sourire alors qu’Erin essaye de se protéger en utilisant un plateau comme bouclier. Elle n’est vraiment, vraiment incapable d’être subtile. J’attends que quelqu’un demande à Erin ce qu’elle voit…

Jusqu’à ce que je réalise qu’ils sont toujours en train regardés. Tout le monde. Agnès, les clients, les deux serveuses, tout le monde. Et ils sont directement en train de regarder Ivolethe.

Lentement, je me tourne vers la fée sur mon épaule. Elle semble normale, mais…

« Dis Ivolethe. Est-ce que les autres… Peuvent te voir ? »

La fée hausse les épaules alors qu’elle regarde la pièce.

« Peut-être. Il y a trop de fer ici. Trop pour que je puisse utiliser mon glamour. »

Elle regarde l’un des visages ébahis.

« Oui. Je pense qu’ils peuvent, sinon ils ne seraient pas en train de gober les mouches. »

« Ça parle ! »

Agnès s’exclama avec un air horrifié. Ouaip. Ils peuvent entendre Ivolethe. Je regarde Erin. Elle me rend mon regard.

« Attends, où est le reste, Ryoka ? »

Je regarde la pièce. Tout le monde est toujours en train de regarder. Cela devient incroyablement gênant.

« Je, heu… Vais t’expliquer. Est-ce que nous pouvons nous asseoir, Erin ? Agnès ? »

Cela brise le sort. En quelques secondes je suis assise au centre de la pièce, alors que tout le monde essaye de s’approcher de moi en me posant des questions. Je déteste ça. J’essaye de bouger vers un des coins de la pièce, mais Erin ne veut rien entendre et Agnès est souriante. Elle est probablement en train de se dire qu’elle vient de trouver une nouvelle attraction pour son auberge.

Ivolethe ne semble pas concerné. Elle regarde les Humains autour de nous, principalement des femmes et de vieux hommes, probablement des couples mariés ou des voyageurs, et renifla. Je dois dire qu’elle et toutes les fées ont cet air de petites reines, avec l’arrogance qui vient avec.

[color=#8ae8ff] « Alors ? Qu’est-ce que vous êtes tous en train de regarder ? »/color]

Personne ne bouge. Même Erin regarde Ivolethe avec fascination alors qu’elle reste assise sur mon épaule. Je me racle la gorge.

« Elle a raison. C’est une affaire privée, donc est-ce que vous pouvez nous laisser en paix ? »

« Oui, hors de ma vue où je vais vous maudire avec ma magie féérique ! »

Personne ne bouge. Ivolethe fronce les sourcils. Pour ma part, je suis perdue. Normalement mon… Charmant tempérament est suffisant pour effrayer les plus amicaux des curieux, mais ces personnes sont trop fascinées par elle. L’un d’entre eux, un homme de forte carrure avec d’immenses avant-bras, parle.

« Est-ce que c’est réellement un Esprit de l’Hiver ? Vraiment ? »

« Ouaip ! Elle est super cool, pas vraie ? Je suppose que les fées ne peuvent pas se camoufler quand elles sont à l’intérieur, hein ? »

Encore plus de confusion et de regard parmi les curieux.

« Des fées ? Qu’est-ce que sont les fées ? »

J’ouvre la bouche au même moment qu’Erin, mais nous nous arrêtons toutes les deux. Ce monde ne connait pas les fées ? Même quand il y a de véritables fées qui viennent régulièrement ? Ivolethe se redresse sur mon épaule, indignée.

« Enfants ! Imbéciles ignares ! Je suis un membre de la Cour d’Hiver ! Je demande le respect qui m’est dû ! »

L’homme la regarde avec curiosité. Je pressens… Des ennuis.

« Elles sont les créatures qui amènent l’hiver chaque année ? »

« Et qui nous jettent de la neige depuis le ciel ? »

« Et qui tourmente les animaux ? »

Quelques-uns des autres curieux se concentrent sur Ivolethe. Je dois l’admettre, elle ne montre pas une once de peur. Est-ce que les fées peuvent avoir peur ? Est-ce que je les ai déjà vues effrayées ? Oh, oui. C’était quand elles avaient attiré le courroux d’un Dragon cracheur de fée. Merde.

« Je ne pense pas que l’agacer soit une bonne idée. »

Erin semble effrayée. Elle m’a déjà dit que les fées avaient enseveli son auberge sous une avalanche, car Pisces les avaient agacés. Je… Ne veux pas que cela arrive ici.

Mais Ivolethe semblait se retenir plus qu’à l’habitude malgré son net agacement. Pourquoi ? Le côté analytique de mon esprit prend moins d’une seconde avant de fournir une réponse à mon triste cerveau.

Normalement, n’importe quelle fée aurait lancé de la neige ou gelé les personnes autour de nous pour les avoir énervés à ce point. Mais Ivolethe n’avait pas encore fait cela, car elle en était incapable. Le fer sapait la force des fées et les rendait mortelles. Elle ne pouvait pas utiliser sa magie.

Ce qu’elle pouvait utiliser était ses paroles. Et elle ne se gêna pas.

« Va-t’en, imbécile, ou je te ferais souffrir ! C’est une promesse de fée ! »

Ce n’est pas bon signe ! J’ouvre ma bouche, mais le baraqué n’est pas impressionné.

« Tu ne peux rien faire. Tu es comme l’un de ces Korrigans sur Baleros. Minuscule. »

Il la tapote prudemment du doigt là où ses seins auraient été si elle avait des tétons. J’ouvre la bouche et je recule ma chaise, mais Ivolethe bouge avant moi. Sa petite bouche s’ouvre et elle mords.

Le cri est immédiat et bruyant. Ivolethe est peut-être petite, mais elle est assez grande pour arracher un bout du doigt de l’homme. Mais c’était plus qu’un bout, elle mord assez fort pour que je puisse voir l’os de son doigt lorsqu’il retire sa main. Ses dents ont traversé la chair comme du beurre.

L’homme hurle de nouveau alors qu’il tient son doigt ensanglanté. Tout le monde, moi y compris, regarde Ivolethe avec horreur. La fée semble suprêmement s’en moquer alors qu’elle tourne sa tête pour dévoiler ses joues gonflées. Elle mache, avale, et nous fait un sourire ensanglanté. Puis elle fait signe à Agnès, dont le sourire s’est figé.

« Aubergiste ! Ta meilleure viande et ta meilleure boisson ! Je suis une cliente en ces lieux, n’est-ce pas ? Je demande à être servie ! »

Les curieux désertent notre table en une poignée de seconde. Le baraqué aurait pu revenir pour se venger, mais Agnès l’éloigne avec la promesse d’une potion de soin. Erin et moins regardons Ivolethe alors qu’elle saute de mon épaule pour arriver sur la table. Après quelques instants, Erin se tourne vers moi.

« Donc… Ryoka. Est-ce que tu peux me présenter ton amie ? »

Je hoche la tête. Ivolethe bondit de joie alors qu’une des serveuses s’approche avec du ragout. Erin a dû le faire, car l’odeur est alléchante. La fée plonge dans le bol comme si c’était une baignoire et commence aussitôt à mordre sur ce qui l’entoure. Je bouge délicatement le bol au milieu de la table et me racle la gorge.

« C’est… Ivolethe, Erin. L’une des Fées de Givre qui me suit depuis que je les ai rencontrés. Et elle est mon amie. »

« Oui. C’est ce que j’ai dit. »

« Non, ce que je veux dire c’est qu’elle est mon amie. Je suis amie avec une fée. »

Est-ce que je l’ai dit avec trop de révérence ? Peut-être. Mais les mots que je viens de prononcer sont magiques à leur manière. Une fée. J’ai vraiment une fée assise en face de moi, en train de mordre un morceau de pomme de terre qui a la taille de sa tête dans un bol de soupe. Mon amie.

« Oh mon dieu. »

Erin comprend enfin. Elle met ses mains sur ses joues de ravissement.

« Tu t’es fait une amie ! Ryoka s’est fait une amie ! Je suis vraiment ravie de te rencontrer, Ivolethe ! Toute amie de Ryoka est aussi mon amie ! Je suis certaine que nous allons bien nous ent… »

« Non. »

« Pardon ? »

Ivolethe ne regarde même pas Erin. Elle prend une autre bouchée de sa pomme de terre et roule le reste en boule avec ses deux mains. Puis elle trempe le morceau dans la sauce et le dévore. Sa manière de manger est à la fois dégoutante et fascinante.

« Je ne serais pas ton amie, Humaine. Je me suis déjà fait une amie, et elle est la raison pour laquelle je suis entré dans cet endroit de fer et de sac de chair. Je n’ai pas besoin d’un autre ami, et si c’était le cas, cela ne serait certainement pas toi. »

Le visage d’Erin se décompose. Je ne la regarde pas vraiment, et je ne suis pas vraiment en train de sourire derrière ma main. Il semblerait qu’elle est rencontrée quelqu’un qu’elle ne peut pas immédiatement charmé. Hah !

« Quoi ? Mais vous m’aimez, pas vrai ? »

« Pourquoi est-ce que moi, ou l’une de mes consœurs aimerions un gâchis d’espace comme toi ? »

« J’ai… J’ai fait un grand festin pour vous toutes ! Vous l’avez adoré ! Et vous m’avez payé en or, qui s’est révélé être des fausses fleurs, mais vous avez dit que c’était un bon repas ! C’est la vérité ! »

Je tousse.

« Je ne pense pas qu’Ivolethe était présente, Erin. Toutes les fées n’étaient pas dans ton auberge. Certaines d’entre elles sont toujours restées avec moi. »

« Oh. Mais j’ai fait de la nourriture ! De la nourriture magique ! J’ai même eu une Compétence pour ça ! »

Ivolethe semble légèrement impressionné. Elle arrête de manger pour étudier Erin de haut en bas.

« Vraiment ? Un banquet de fée ? Je n’étais pas présente, mais mes consœurs en ont parlé. Ma réponse reste non. »

J’interromps Erin avant qu’elle puisse réessayer. Je ne sais pas vraiment comment Ivolethe réagirait si Erin continuait d’essayer de la convaincre, et je n’ai pas envie qu’elle perde un doigt.

« Je suis certaine qu’Erin respecte ta décision, Ivolethe. Mais elle est aussi mon amie. Ma meilleure amie Humaine. J’ai, heu, je me demandais juste si nous pouvions parler. À moins que tu sois occupée ? »

Erin me lance un regard blessé, mais Ivolethe secoue la tête. Elle s’enfonce dans sa soupe ; je remarque qu’il n’y a plus de fumée qui sort du bol, et il semblerait que la sauce est en train de geler à cause de la présence glaciale d’Ivolethe.

« Si j’avais quelque chose à faire, je serais en train de le faire. Et nous sommes déjà en train de parler, imbécile. »

Aïe. Ivolethe est mon amie, mais elle est clairement le genre d’amie qui continue de t’insulter malgré la proximité. Je me suis toujours demandé ce que cela faisait d’avoir un ami comme ça.

Je me suis aussi demandé ce que cela faisait d’avoir un véritable ami. Peut-être que c’est pour ça que je n’arrive pas à arrêter de sourire. Erin nous lance un regard étrange.

« Tu as l’air vraiment flippante, Ryoka. »

« La ferme, Erin. Ivolethe ? Pourquoi est-ce que tout le monde peut te voir à l’intérieur ? Est-ce que c’est à cause du fer ? »

Ivolethe se redresse dans son bol alors que deux autres arrivent pour Erin et moi, accompagnés avec du pain doux et moelleux. Elle regarda les autres tables, et tous les autres clients se concentrent de nouveau sur leur repas.

« Hmf. C’est le fer. Il y a trop d’interférences avec notre magie. Cela n’aurait pas d’impact à l’extérieur, mais l’intérieur est une sorte de cage. Je ne peux pas utiliser mes sorts. Mais je peux mordre. »

Elle me sourit de nouveau, montrant ses dents aiguisées. Erin frissonne.

« Intéressant. Mais Erin et moi pouvons vous voir à l’extérieur comme à l’intérieur. Pourquoi cela ? »

Un petit haussement d’épaules.

« Je ne sais pas. Si vous aviez des yeux de chat ou de dieu… Où que vous étiez des grands maîtres de la magie comme Myrddin, cela aurait du sens. Mais vous n’êtes rien de cela. »

Erin semble confuse.

« Qui est Myrddin ? »

« Merlin, Erin. »

« Oh. Oh. Merlin ! Il est réel ? Comment était-il ? Est-ce qu’il avait un bâton magique qui le rendait cool ? Quel genre de magie fai… »

Je coupe Erin, même si j’ai aussi envie de savoir. Le truc avec les fées était qu’il fallait rester sur le même sujet et continuer de leur poser des questions. Il était facile de se laisser distraire et de suivre une piste de miette de pain, sans jamais trouver la vérité.

« Nous n’avons pas ce genre de magie, Ivolethe. Donc comment pouvons-nous vous voir ? Est-ce qu’il y a des mortels qui peuvent voir les fées ? »

Elle hausse de nouveau les épaules.

« Bien sûr. Si tu te tiens au bon endroit sous une pleine lune, ou que tu nous surprends à danser sans glamour… Ou si tu as bu la boisson des fées, tu serais capable de nous voir, mais je le saurais si c’était le cas pour vous. »

« La boisson ? Des fées ? »

Erin semble de nouveau confuse, donc je lui explique. Comment cela se fait qu’elle ne connaisse rien sur les mythes des fées ?

« La boisson des fées est donnée aux personnes en qui les fées ont suffisamment confiance pour pouvoir rentrer dans un fort de fées. Ils seront capables de voir le monde secret en buvant cette boisson. C’est bien ça ? »

Un ricanement narquois.

« Pas du tout. Tu ne peux pas simplement faire une boisson des fées par chance. Tu as besoin de l’essence d’innombrable chose inconnue des humains. Des poisons et substances néfastes qui dépassent votre espèce. »

« Comme… ? »

Ivolethe soupire de manière dramatique. Mais il y a quelque chose de malicieux dans son regard.

« Tu veux véritablement le savoir ? Soit, alors prennent le plus d’insectes possible, Humaine ! Écrase-les dans ta bouche, car l’un des ingrédients est la carapace d’un insecte qui peut être utilisé pour faire du sang à partir de l’eau. »

« Beurk ! Vous devez manger ça ? »

Ivolethe hocha la tête, satisfaite, alors qu’Erin fait la grimace. Mais je m’arrête. Du sang à partir d’eau ? C’était comme une énigme ; probablement la partie d’un poème pour présenter la boisson des fées. Du sang à partir de l’eau. Une teinture ?
« Quand tu parles d’insectes qui peuvent être utilisés pour créer du sang à partir de l’eau… Est-ce que tu parles de carmin ? Si c’est le cas, Erin et moi en avons déjà beaucoup mangé. »

« Quoi ? C’est vrai ? »

Erin me lance un regard horrifié. Ivolethe lève soudainement les yeux vers moi alors que je hoche la tête.

« Le carmin est un ingrédient commun dans tout ce qui est rouge, Erin. Des skittles, de la limonade… Si tu es déjà eu des trucs comme ça par le passé, tu as mangé des carapaces d’insectes broyées. »

Un tout petit peut, mais c’est la vérité. Mais Erin devint pale alors qu’Ivolethe…

« Il y a plusieurs autres choses qui sont nécessaires pour cette concoction. Il n’y a pas que… Cela. »

« Peut-être que nous avons déjà mangé tous les ingrédients. »

« Vraiment ? Comme des insectes ? »

« Nous mangeons d’innombrables insectes chaque année, Erin. Ils sont broyés dans notre nourriture. Et les compagnies les utilisent dans de nombreux conservateurs… »

Je réfléchis à voix haute alors qu’Erin met la main devant sa bouche en regardant son assiette.

« Le gouvernement des États-Unis à commencer à mettre du fluorure dans l’eau il y a des décennies de cela. Et nous respirons de nombreux polluants qui n’existaient pas par le passé. Rajoute ce qui est mis dans la majorité de la nourriture sous la forme de conservateur et pour changer le gout… Ivolethe, qu’est-ce qui va dans ta mixture ? »

« Comme si j’allais te le dire ! Cette mixture est un secret pour les mortels ! Et tu ne devineras jamais en un million d’année ! »

« Vraiment ? Laisse-moi lister quelque chose et dis-moi si je m’approche. Du sodium de nitrate ? Du propylène glycol ? Du… Heu…. Comment ça s’appelle déjà… De l’olestra ? Du glutamate monosodique ? Du benzoate de sodium ? »

« Je ne connais pas la moitié de ces noms ! Tu dois les inventer ! »

« Vraiment ? Alors, le benzoate de sodium vient du benzoïne, une résine trouvée dans les arbres. C’est un ingrédient dans les encens… »

Je vois les yeux d’Ivolethe s’écarquiller pendant une fraction de seconde, puis elle tourne la tête.

« J-je ne connais rien de tel ! Cette conversation m’ennuie ! »

Erin et moi échangeons un regard. Mais Ivolethe reste de marbre. Erin se penche vers moi, encore légèrement pâle.

« Tu penses que c’est vrai ? »

« Quoi, que nous ayons mangé tous les ingrédients de la boisson des fées ? C’est possible. Nous mangeons de nombreux trucs bizarres, Erin. »

« Pas ça ! Est-ce que nous mangeons vraiment des insectes ? »

Je soupire.

« Oui, Erin. Tu es au courant de ce que les multinationales mettent dans les bonbons et le fast-food. Pourquoi est-ce que tu es surprise ? »

« Je pensais qu’ils étaient juste des agents chimiques et des trucs empoisonnés ! Si je savais qu’il y avait de l’insecte dans les skittles, je n’en mangerai jamais ! »

« Ce n’est… Pourquoi est-ce que tu serais d’accord pour qu’ils… ? Tu sais quoi, c’est pas grave Erin. Ivolethe ? »

« ITu n’obtiendra rien de moi ! Je ne dévoile pas les secrets de mon peuple aussi facilement ! »

La fée s’enfonça dans sa soupe jusqu’aux oreilles. Je lève ma main.

« Je ne vais pas te poser d’autre question. J’étais simplement curieuse. Pourquoi ne pas discuter autre part ? »

« Oui ! Bonne idée ! »

Erin attrapa son verre de lait et le termina en quelques grandes gorgées. Avec un peu de négociation, je convaincs Ivolethe de sortir de sa soupe. Elle s’essuie sur une tranche de pain, et puis s’assoit sur la table avec Erin et moi. Puis nous discutons.

« Donc, qu’est-ce que tu as fait après que je t’ai quitté, Erin ? »

« Oh, j’ai juste fait quelque truc chez Octavia. Tu sais, plus d’expérimentations. »

« Huh. Et où est Octavia maintenant ? Je ne la vois jamais manger… Est-ce qu’elle mange chez elle ou est-ce qu’on devrait l’inviter de temps en temps ? »

Je pense que cela serait la chose polie à faire, mais Erin secoue sa tête.

« Je ne sais pas, mais Octavia ne veut pas manger aujourd’hui. Elle est clouée au lit à cause d’une intoxication alimentaire. »

Je m’arrête.

« C’est grave ? »

« Très grave. »

« … Et comment est-ce qu’elle est devenue malade ? »

L’autre fille n’ose pas me regarder dans les yeux.

« Je, heu, lui ai donné quelque chose qui n’a pas aussi bien passé que je l’espérais. »

« Je vois. »

« J’aimerais essayer ! »

« Oh non, c’est impossible. Je l’ai jeté, ça commence à attaquer la marmite. C’était juste un autre échec. »

Erin soupira, je lui lance un regard.

« Tu passes chez Octavia tous les jours. Tu essayes toujours de faire de nouvelles recettes ? »

« Ouaip ! Je ne veux pas retourner à Liscor tant que je n’ai pas trouvé le moyen de faire d’autre truc cool. »

« Et ton auberge ? »

« Qu’est-ce qu’elle a ? Mrsha est en sécurité avec Selys, et je ne sais pas où Toren se trouve. Mon auberge va rester ou elle est pas vraie ? »

« Mais Lyonette est à l’intérieur. »

« Oh. C’est vrai. »

Erin se frappa doucement le front. Je secoue la tête alors qu’elle hésite.

« Elle va probablement bien. Je veux vraiment rester ici encore un peu plus longtemps, Ryoka. Je peux faire des expériences avec Octavia tous les jours, et je peux aider Agnès la nuit ! »

« Et tu ne t’ennuies pas ? Ça te convient ? »

Erin me regarde sans comprendre.

« Oui. Pourquoi ? »

Ivolethe et moi haussons toutes les deux les épaules.

« Cela n’a pas d’importance. »

« C’est ton choix si tu décides de mourir d’ennui. »

Erin fronce les sourcils en nous regardant, mais elle fait un grand sourire en regardant de nouveau Ivolethe.

« Dooooonc… Ivolethe ! Cela doit faire longtemps que tu es en vie, pas vraie ? »

La fée regarda Erin de manière suspicieuse.

« Cela est évident. »

« Et tu as rencontré tout plein de personnes cool, comme Merlin et le Roi Arthur, pas vrai ? »

« Peut-être. Pourquoi cette question, mortelle ? » »

Erin leva ses mains.

« Raconte-moi des histoires ! Parle-nous de Merlin, et des chevaliers de la Table ronde. »

Ivolethe considéra cela, une petite main sur son menton.

« Non. »

« Pourquoi pas ? »

« Je n’ai pas envie. »

« S’il te plait ? »

« Erin… »

« Non. Ces histoires sont bien trop grandioses pour vous. » »

« Mais… »

Je pose une main sur l’épaule d’Erin.

« Tu l’as entendu, Erin. Ivolethe ne veut pas en parler, donc tu devrais respecter son souhait. De plus, elle n’a probablement pas vu les bonnes parties. »

« Pardon ? »

Ivolethe se lève d’outrage. Elle s’envole vers mon visage.

« Tu penses que je n’ai pas été témoin de leur légende ? »

« Eh bien, tu ne voulais pas en parler. Donc j’assumais que… »

« Imbécile ! J’étais là quand le garçon est devenu roi ! J’ai été témoin de l’instant où le véritable roi est mort, et j’ai vu d’innombrables miracles ! J’ai vu les trois rois mourir des lances de Lugaid ! Comment oses-tu ! »

« Je dis juste que, tu parles beaucoup, mais si tu veux partager une histoire… »

« Hah ! Je te raconterai la plus grandiose des légendes ! »

Ivolethe s’envola en l’air et leva la voix.

« Soyez témoin ! Je vais vous raconter l’histoire du véritable roi de Camelot ! Son épée se trouve toujours en Avalon, attendant sa main pour dégainer cette lame légendaire ! Soyez attentif, mortel ! »

Toutes les têtes se tournent vers la petite fée alors qu’elle lève la voix. Elle a une incroyable portée, et l’histoire…

Je vais écouter l’histoire du Roi Arthur. J’ai l’impression d’être redevenue une enfant. C’était incroyable… Erin me lance un regard ravi, et je lui fais un clin d’œil. Qu’est-ce que je peux dire.

Je connais quelques trucs sur les fées. Ou du moins, sur une fée en particulier.

***


L’aube du lendemain était écblouissante. Enfin je suppose. Pour une fois je fais la grâce mat.

Tout comme Erin. Et le reste des clients de l’auberge pour le coup. En fait, il y en a certains qui sont toujours en train de ronfler lorsque je descends, étendu par terre ou sur les tables.

Nous avons découvert qu’Ivolethe connaissait vraiment la légende du Roi Arthur, l’intégralité de la légende. La véritable légende. Et elle nous l’a raconté la nuit dernière, avec de nombreux effets dramatiques et une bonne dose d’embellissement, mais c’était toujours la véritable légende. Jusqu’au dernier mot. Les fées ne mentent pas, et il suffisait de regarder Ivolethe pour y croire.

C’était la vérité. Et si j’étais un écrivain, j’aurai essayé de capturer le moindre de ses mots sur le papier. Ou peut-être que cela aurait été impossible, car son histoire était l’une des grandes histoires.

En fin de compte, nous nous sommes tous endormis en écoutant la fin tragique de la légende du Roi des Chevaliers. Son royaume en ruine, ses chevaliers agonisant sur le champ de bataille, ne laissant que l’espoir de son éventuel retour en période troublée derrière lui. Et donc, le Roi des Chevaliers ferma ses yeux et laissa échapper son dernier soupir.

Et moi qui pensais être maline en copiant les poètes de mon temps. Ce n’était pas étonnant que les fées toisaient les mortels, car nous étions incapables de créer des histoires comme les leurs. Si tu as l’éternité pour vivre, tes normes envers ce que tu considères un bon récit change en conséquence.

Bien sûr, c’était hier. Tout ce que je veux aujourd’hui, c’est de manger un morceau et partir courir. Mais vu la fatigue d’Erin, c’est peut-être trop demander.

Elle a [Cuisine Avancée] comme compétence, mais apparemment il faut autre un tant soit peu concentré pour que ça marche. Car même cette compétence ne peut rien faire quand on verse un sac de farine dans une poêle. Au moins nous avons réussi sauver la poêle avant que la farine ne s’enflamme.

Une fois mon expérience de mort imminente de la journée faite, je me suis finalement fait des œufs en laissant Erin dormir dans la cuisine. J’ouvre la porte et…

Je trouve Ivolethe qui m’attend dehors. La fée me sourit, flottant dans l’air hivernal. Honnêtement, je ne m’étais même pas rendu compte qu’elle était partie quand je me suis trainé hors ma chambre à l’étage.

« Ivolethe. Comment est-ce que tu vas ? »

« Je vais bien, mortelle ! »

Elle s’envole aussitôt vers mon épaule et se pose dessus. Puis elle s’agite et vole jusqu’à ma tête. Je lève les yeux vers ses jambes qui pendent et soupire. Je ne fais pas de commentaire.

Je commence à descendre la rue quand une petite jambe gelée me tape la tempe.

« Donc, que faisons-nous aujourd’hui ? Encore de la lecture et des jurons ? Ou est-ce que tu vas recommencer à courir comme un escargot ? »

« Tu peux toujours partir si tu t’ennuies. Tu n’as pas à me suivre tout le temps. »

« Bah. Il y a une chance que je manque quelque chose d’intéressant. De plus, il y a bien des choses à faire qui m’amuseront en attendant. »

Je hausse les épaules, mais je me sens un peu mieux. J’essaye de ne pas trop sourire ; mais cela ne semble pas naturel.

« Fais comme tu veux. »

C’est une petite course jusqu’à la Guilde des Coursiers, mais je l’arrête à la porte. Ivolethe sent mon attention et se raidit, mais elle ne descend pas de ma tête.

« Je rentre. Est-ce que tu veux attendre autre part ? »

« Je reste là où je suis. »

« Le fer ne va pas te déranger ? »

« Pas autant que ça. L’intérieur est une chaîne, mais ce n’est pas une aiguille qui perce ma chair. Même si cela est la même sensation. »

Huh. Je me demande à quel point c’est inconfortable ? Est-ce que les fées sont allergiques au fer, ou est-ce que c’est comme de la kryptonite ?

« Si tu ne veux pas rentrer, ça ne me dérange pas. »

« Je reste. »

« Non, je pense que tu ne devrais vraiment pas aller à l’intérieur. »

Après sa dernière interaction avec d’autres personnes qu’Erin et moi, j’ai vraiment un mauvais pressentiment à l’idée de la laisser rentrer. Mais elle se penche pour me regarder.

« J’insiste ! Je ne crains pas le fer ! »

Je soupire. Même si elle s’appelle mon amie, Ivolethe semble incapable de changer d’avis. Ou peut-être qu’elle considère le fait d’être têtue une partie de son amitié.

« Ne cause pas de problème, d’accord ? Et… Est-ce que je peux te persuader de te cacher dans ma sacoche ? »

La fée est silencieuse sur ma tête pendant quelques secondes.

« Peut-être. Est-ce qu’il y a de la nourriture dans cette sacoche ? »

« Allons en chercher. »

Et c’est ainsi que je me suis retrouvé à mettre de la viande grillée et des pains à la confiture dans ma sacoche, pour le plus grand plaisir d’Ivolethe, en rentrant dans la Guilde des Coursiers. Je ferme la sacoche ; Ivolethe m'affirme qu’elle ne s’étoufferait pas dedans, et honnêtement je ne suis pas certaine que les fées respirent.

J’ai une Fée de Givre dans ma sacoche. En voilà quelque chose. J’entre dans la Guilde des Coursiers et je m’arrête quand je vois un visage familier.

« Garia ! »

La fille aux épaules larges se tourne et me fait un grand sourire. Mais son expression devint incrédule.

« Ryoka ? Je ne savais pas que tu étais là… Aujourd’hui. »

Je m’avance, les sourcils froncés. Garia semble nerveuse. Et je regarde par-dessus son épaule pour voir une mer de gens, des Coursiers de Ville et de Rue, autour d'une personne. Elle avait un visage familier, cireux, comme je l’appelais, même si pincé serait plus approprier.

« Persua. »

Elle se tient au centre de la pièce, entouré par de nombreuses personnes, toutes les personnes présentes dans la guilde en fait. Même les [Réceptionnistes] sont sorties de derrière leur comptoir, et un autre vieil homme se tient aux côtés de Persua. Je crois… Qu’il est le Chef de la Guilde. Je ne sais pas. Normalement, il ne sort jamais de son petit office.

Persua est en train de se prélasser dans l’attention, parlant bruyamment de sa voix aigüe et n’arrêtant pas de rire. Quand elle rit, les autres rient avec elle. C’est ce qu’elle fait habituellement avec les gens qu’elle veut mousser, mais cette fois tout le monde le fait. Elle est tellement distraite par l’attention qu'elle reçoit qu’elle ne m’a pas encore remarqué, et vu la manière dont Garia me tire vers l’un des coins de la pièce, c’est peut-être une bonne chose.

« Qu’est-ce qui se passe ? »

Je murmure à Garia en regardant Persua. Elle ne me semble pas différente, de nouveaux vêtements ou un nouvel équipement de course peut-être, mais elle est toujours la même insupportable personne qui est responsable de ce qui est arrivé à ma jambe. Mon poing à juste envie de lui briser quelques os du visage.

Je ne vois pas Fals. Il est normalement dans la même pièce que Persua, généralement parce qu’elle le suit dès que possible. Il n’est pas là aujourd’hui, et son absence est quelque peu déconcertante.

« Ryoka, pourquoi est-ce que tu es là ? Tu ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui ? »

« Non, je ne sais pas. »

Je fronce les sourcils en direction de Garia alors que je tire une chaise à la table la plus éloignée du groupe. Personne ne me dit rien. Principalement parce que je n’écoute pas si c’est une invitation à écouter les derniers potins. Mais… J’aurais probablement dû faire plus attention à ça.

« Qu’est-ce qui se passe, Garia ? »

« C’est Persua. Aujourd’hui est sa fête de départ. Elle bouge à Invrisil ou… Une autre ville au nord. Elle reviendra peut-être dans le coin, mais elle ne restera pas donc tout le monde lui a préparé une fête ! »

Persua ? Allant au nord ? C’est la meilleure nouvelle de la journée, et je viens à peine de me lever. Je souris en direction de Garia avec une apparente joie.

« Qu’est-ce qui ne va pas avec ça ? Si elle s’en va, je la féliciterai en l’aidant à partir. »

Garia ne sourit pas à ma réponse. Elle n’aime pas la violence de toute manière, mais elle semble inquiète. Il y a une étrange émotion dans sa voix que je ne peux pas vraiment identifier. Elle baisse de nouveau la voix.

« Ryoka… Elle va devenir une Courrière. »

« Quoi ? »

Je n’en crois pas mes oreilles. Persua ? Une Courrière ? Elle n’est pas assez rapide pour en devenir une. Je le sais, j’ai vu Valceif et Faucon courir, et ils sont comme de la foudre comparée à moi. Persua est à peine assez rapide pour être une Coursière de Villes, en plus d’être feignante.

Mais Garia est sérieuse comme la mort alors qu’elle hoche la tête. Et je me souviens du moment où j’avais juré qu’elle m’avait passé sur la route…

Non. Ce n’est pas possible. Pas vrai ?

« Comment ? »

« Elle a gagné un niveau et obtenu une Compétence, Ryoka ! Une Compétence rare, elle n’est même pas Niveau 20, je le sais, mais elle a obtenu une puissante Compétence de mouvement. Tout le monde en a entendu parler ! Après ça, elle complète les livraisons tellement vite que personne n’a le temps de suivre. »

Une Compétence. Bien sûr. Je me sens un peu malade. Persua n’a pas une bonne forme de course, a une mauvaise endurance, et aucune raison de s’entrainer ou de dépasser ses limites. Mais elle obtient une compétence et elle peut soudainement dépasser tout le monde.

« Est-ce que c’est de la chance ? Ou… Comment est-ce que tu obtiens des Compétences ? »

Garia semble misérable en hochant les épaules. Non, pas que misérable. Jalouse. C’est l’émotion que je vois en elle.

« Normalement les bonnes compétences arrivent tous les dix niveaux. Mais tu entends des histoires, ou c’est de la chance, et Persua a eu de la chance. Beaucoup de chance. »

« D’accord, qu’est-ce qu’elle a obtenu ? »

« [Foulées Doubles]. C’est l’une des compétences clefs que la plupart des Courriers ont. Ça et [Vivacité], c’étaient celle que Valceif avait, tu te souviens ? Si tu les obtiens, les gens disent que tu as déjà fait les deux tiers du chemin pour devenir Courrier ! »

Merde. Je me souviens que Valceif courrait comme s’il faisait deux enjambées pour chacune des miennes. Garia a raison ; obtenir l’une de ces compétences aucun Humain de mon monde n’était à ton niveau. C’est… Complètement injuste.

« Alors pourquoi est-ce qu’elle va au nord ? Il semblerait qu’elle pourrait rester ici et se la couler douce. »

« Eh bien, les Courriers se font bien plus d’argent et sont plus respectés au nord. Et, c’est ce que Persua a fait ! Elle a complété presque la moitié des requêtes de la guilde toute seule. Ils vont bientôt devoir la faire devenir Courrière où nous n’allons plus avoir de travail ! »

Je tape mes doigts sur la table, ma bonne humeur complètement oubliée. Persua la Courrière. Je voulais en devenir une, mais je ne peux pas courir assez vite. Valceif m’a dit que je pouvais peut-être en devenir une si je faisais mes preuves, mais Persua ? Avant moi ?

Cela me fout vraiment, vraiment en rogne. Mais… Je dois penser au bon côté des choses, ou moins elle ne va pas me déranger. Et si elle prend des livraisons haut placées, peut-être que quelqu’un va mettre sa tête à prix et qu’elle va mourir. Je peux toujours rêver.

Mais pour l’instant, je pense que je vais m’éloigner avant de devoir revoir Persua. J’allais demander à Garia si elle voulait me rejoindre à la nouvelle auberge d’Erin pour que je puisse laver le gout amer de ma bouche quand Garia me fait de grands gestes. Je n’ai même pas besoin de deviner que Persua arrive vers moi, c’est tout simplement logique. Quand je mets le pied dans la merde en courant, il y a souvent un second tas qui attend mon autre pied*.

*Traduction : Un train peut en cacher un autre. De plus, Persua est un petit monstre rancunier, donc elle utilisera la moindre opportunité de m’énerver.

« Ryoka, je ne t’avais pas vu ! Tu es venu me féliciter lors de ce jour très spécial, pas vrai ? »

Garia se fige, et devient pâle. Je la regarde, calculant ma prochaine action. Je ne me tourne pas. Je ne change pas mon expression.

« Salut, Persua. »

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

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Chapitre 3.04 Partie 2
Traduit par Maroti
5000 mots

Les autres Coursiers se taisent. Je sens un pic d’émotion dans mon estomac. Mes doigts. Garia prend une inspiration horrifiée lorsqu’elle les remarque pour la première fois, mais je refuse de réagir. Je regarde calmement Persua, croisant ses yeux petits yeux maléfiques.

« Est-ce que tu vas rester planter là ou est-ce que tu vas faire quelques livraisons, Persua ? Car si tu veux rester debout et parler, tu peux le faire dans un autre coin de la pièce. »

Elle cligne des yeux. Je ne cligne pas des yeux en retour. Je tiens son regard ; je l’ai déjà battu dans des combats de regard et j’adorerai l’humilier de nouveau. Mais elle ne joue plus à mes jeux. À la place, elle sourit et me regarde.

Merde. Je n’aurais pas dû réagir. Elle sait qu’elle m’agace. Je ne peux rien y faire.

« Je suis tellement désolée que ma petite fête te dérange. Je suppose qu’une grande Coursière de Ville comme toi est trop occupée pour te faire des amis, pas vrai ? Tu es trop doué pour nous, les petits Coureurs ? »

Je hausse les épaules.

« C’est ça. »

Le visage de Persua s’écroule, et des petits éclairs de rage apparaissent dans son regard. Elle me fait un sourire.

« C’est juste que… Je sais que tu ne veux pas paraitre malpolie, mais tu es… Tu ne m’as toujours pas dit à quel point tu étais heureuse. Et tu ne veux pas paraitre malpoli, pas vrai ? »

Elle veut que je la félicite ? Je ne lâche pas son regard.

« Allez. Tu n’as vraiment rien à me dire ? »

Non. Mais elle s’en ira peut-être. Mais non, et pas dans un million d’années.

« Tu n’arrives pas à m’entendre, Ryoka ? Est-ce que tu as perdu tes oreilles en plus de tes doigts ? »

« Je t’entends. Félicitations. Va te faire foutre. »

Les mots m’échappent avant que je puisse les arrêter. J’entends des inspirations de stupeur de la part de la galerie, et à certains endroits, des rires rapidement étouffés. Le visage pâle de Persua rougit.

C’était une erreur. Je viens de l’humilier, et au lieu de reculer, elle va essayer de faire de moi un exemple plutôt que de perdre fait. Je connais la routine. Je serre les dents et me demande comment je peux gérer ça.

Peut-être que je pourrais m’en aller ? Mais non, elle va croire que c’est une victoire ou m’empêcher de partir. Et je ne tourne pas le dos à ce genre de pimbêche. Voyons voir ce qu’elle va faire.

Persua regarde autour d’elle, et croise le regard de certains Coursiers qui l’entoure. Sa clique, ceux qui lui peignaient le cul avant qu’elle n’obtienne Compétence. Elle bouge sa tête et ils sortent de la foule. Je les compte. Quatre, six… Sept…

« C’est tellement malpoli de dire ça, Ryoka. Lors de cette journée très spéciale ! Je suis devant toi, Courrière en devenir, et tu… Tu n’es qu’une Coursière. Je pense que tu devrais t’excuser. En fait, j’insiste. »

Oh ? Elle appelle ses amis pour me tabasser ? Je suis impressionné, la majorité des filles attendent quelques mois avant d’en arriver là. Mais il est vrai que c’est un autre monde, et Persua est une démone avec une apparence humaine dégueulasse.

Les autres Coursiers font un pas en arrière en voyant ce qui va se passer. Le vieil homme essaye d’intervenir, mais sa voix est tremblante.

« Persua, je pense… »

Sa tête se tourne et le Chef de la Guilde se tait. J’ai un instant de sympathie pour lui ; il ne va probablement pas gagner beaucoup de respect après son départ. Tout le monde va se souvenir qu’elle lui a marché dessus. Mais après je me souviens qu’il est censé être en charge, et qu’il est un lâche. Les autres Coursiers me flanquent, comme s’ils étaient des mafieux et que j’étais une victime tremblante.

« Alors, j’attends mes excuses. »

Persua me regarde, suprêmement confiante désormais qu’elle a quelques Coursiers derrière elle. Mais bon sang. La majorité d’entre eux n’ont même pas de classe de combat ! Je suis plus grande que tout le monde à une exception près, et elle m’a déjà vue battre un aventurier de rang Bronze.

D’accord, ils sont dix. Plus Persua. Mais j’ai un peu changé depuis notre dernière rencontre. Je suis passé chez Octavia le lendemain de mes retrouvailles avec Erin, et elle a refait mon stock de potions et de sacs d’alchimistes. J’ai deux de tout prêt ça être utilisé, et je connais plusieurs tours de magie.

Je reste figé. Il y a plus impressionné à faire, mais je ne vais pas réagir à sa petite foule.

« Je ne vais m’excuser de rien. Et si tu ne fais pas partir de détestables petits sbires, je vais les faire souffrir. »

De toutes les choses que je sais que Persua attendait, elle ne s’attendait pas à ça. Son visage devient pâle, et les gens autour de moi s’agitent. Garia me regarde comme si j’étais folle et essaye de me faire signe de m’excuser, mais je suis calme.

S’ils veulent un combat, je suis totalement prête. Persua a peut-être une compétence qui la rend plus rapide, mais j’aimerais bien la voir esquiver une potion au poivre au visage. Si elle essaye de faire quoi que ce soit j’utiliserai [Grenade Assourdissante] et je le tiendrai jusqu’à verser la potion dans ses yeux. J’espère qu’elle va mordre à l’hameçon.

Elle ne mord pas. Persua me regarde, regarde ses compagnons, et décide de ne pas le risquer. Elle tourne la tête et fait demi-tour.

« Tu n’en vaux même pas mon temps. »

« Lâche. »

Je balance l’insulte et je vois son dos se raidir. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça ; ma bouche ne sait pas se tenir dans ce genre de situation. Persua se retourna, un sourire de haine sur le visage. Nous n’essayons même plus d’être civiles désormais.

« Insecte dépourvu de doigt. Mon dos est la seule chose que tu verras désormais. »

« C’est mieux que voir ta gueule. »

« Tu as couché avec combien de chiens et de lézards à Liscor ? »

« Oh tu sais, un ou deux. C’est déjà plus que tu coucheras dans toute ta vie. »

« Je ne toucherai jamais l’un de ces macaques ou monstres à écailles. »

« Ils s’enfuiront en criant en voyant ta gueule. »

« Salope. »

« Pétasse. »

« Tu resteras coincé ici à jamais, espèce de pathétique limace sans classe. »

« Et tu ne deviendras jamais une Courrière même après un millier d’années. »

Nous soutenons nos regards, et puis Persua se tourne. Je la laisse partir vers l’autre côté de la pièce et ne bouge pas avant qu’elle ne commence à rire bruyamment avec eux. Je soupire et me retourne vers Garia. Elle me regarde comme si elle avait avalé sa langue.

Bon, c’était marrant. Maintenant je dois aussi prévenir Erin de Persua.

Je déteste ma vie.

« Je me tire. Garia, est-ce que tu veux me rejoindre au Lièvre en Folie ? J’ai besoin d’une boisson. »

Garia ouvre la bouche et balbutie en me regardant.

« Je heu, je… »

Elle ne veut pas se retrouver du mauvais côté de Persua. D’accord. Je soupire et je me lève. Mon cœur bat la chamade, mais je suis sortie au-dessus de Persua. Qu’importe à quel point elle rit….

J’ai fait la moitié de la pièce quand je sens quelque chose se précipiter vers moi. Persua semble disparaitre de l’autre côté de la pièce, et je sens son pied me faire trébucher. Elle est trop rapide pour que je réagisse ; je trébuche…

Et me rattrape, grâce à de grands battements de bras. On m’a déjà fait trébucher, mais je sais garder l’équilibre. Dans tous les cas, je titube en avant et entends le rire moqueur de Persua.

« Comme tu es maladroite. Qu’est-ce qu’il s’est passé Ryoka ? »

Je me tourne et la regarde. Elle sourit, me mettant en défi de faire quelque chose. Je considère mes options, et décide de ne rien faire. C’est sa petite victoire, si elle le refait, elle est morte.

Je continue de marcher, ajustant ma sacoche. Persua est toujours en train de rire, mais je vérifie qu’elle ne m’a rien pris. Potions ? Check. Le sac sans fond de Teriarch ? Check. Ma ceinture de sacoche ?

L’une des sacoches se défait. Je la tâte, et je trouve de la viande froide et des miettes recouvertes de confiture dans ma sacoche. Rien d’autre. Je me retourne.

« Vengeance ! »

Le cri vient de la petite Fée de Givre qui vole vers le visage de Persua. La fille n’a qu’un moment pour hurler avant qu’Ivolethe ne s’abatte sur elle. La fée vole autour de Persua, criant de triomphe tandis que Persua hurle et que les gens cri de surprise.

« Prends ça ! Et puis ça, détestable mortelle ! »

Elle tire les cheveux de Persua, arrachant des mèches et lui griffant la figure. La fille hurle, agitant ses bras pour repousser la petite créature, mais Ivolethe est partout. Mais la main de Persua connecte par pure chance avec la fée, et Ivolethe est projeté au sol.

« Qu’est-ce que c’est ? Tuer ce truc ! »

Persua hurle et un autre Coursier s’élance et attrape Ivolethe. Elle lui hurle dessus et essaye de le mordre, mais il a un doigt sous son menton. Tout le monde devient silencieux lorsqu’ils voient pour la première fois ce qu’Ivolethe est.

« Quelle est cette créature ? »

« C’est… C’est un monstre ? Un Korrigan ? C’est trop pâle ! Et ça a des ailes ! »

« Laisse -là partir. »

Je m’avance, mais Persua et ses sbires me bloquent immédiatement le chemin. Elle me regarde, du sang coule des griffures qui parsèment son visage et des endroits où Ivolethe a arraché des cheveux.

« Tu a fait ça. »

J’ignore Persua et regarde le Coursier qui la tiens. Il est incertain, mais sa poigne sur Ivolethe est serrée et même s’il se débat, elle ne peut clairement pas se libérer. Et elle n’est pas en train de le geler ; elle ne doit pas être capable d’utiliser sa magie.

« Ce n’est pas un monstre. C’est un Esprit de l’Hiver. Laisse-la partir, tout de suite. »

« Un Esprit de l’Hiver ? »

Il regarde Ivolethe, confus. Elle essaye de bouger sa tête, mais son ongle est sous son menton. Elle le foudroie du regard et crache sur son pouce, mais c’est tout ce qu’elle peut faire.

« Tue -là. »

Persua siffle vers l’autre Coursier. Il hésite. Mon cœur se serre, et je lève ma voix.

« Blesse-là, et je te tue. Je le jure. »

Le Coursier me regarde. Il est l’un des sbires Persua, mais je sais que mes yeux sont sérieux. Que je dis la vérité. Persua me regarde, puis regarde la fée. Puis elle sourit de manière maléfique.

« C’est ton amie ? Est-ce que tu dois devenir amie avec des monstres, car personne ne t’aime ? »

J’ignore Persua et tends la main.

« Donne-la-moi. »

« Ne l’écoute pas. »

Persua s’interpose entre le Coursier et moi. Elle fait un signe, et ses sbires sont autour de moi. Je ne les regarde même pas ; mes yeux sont sur Ivolethe.

« Je n’ai jamais vu un Esprit de l’Hiver. Est-ce qu’elles ressemblent vraiment ça ? Ils doivent être les plus rares des monstres ; comment est-ce que tu l’as attrapé ? »

J’essaye d’étouffer la voix de Persua. Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce qui se passerait si j’essaye d’attraper Ivolethe et qu’elle est blessée ? Comment est-ce que je peux convaincre Persua ? Non, c’est le Coursier qui l’a. Je dois me concentrer sur lui.

Mais Persua bloque ma vue du Coursier. Elle me regarde, et je vois la haine dans ses yeux, tout simplement. Elle se tourne et regarde les autres Coursiers.

« Est-ce que l’un d’entre vous a déjà entendu parler d’une Fée de Givre se faire capturer ? Non ? Je suis certain que si nous la vendions à un [Marchand] ou un [Alchimiste], ils payeront des centaines, non, des milliers de pièces d’or pour elle. »

Les Coursiers autour d’elle s’agitent. La mention d’une telle somme change leur regard, et certains marchent lentement vers la foule autour de moi.

Merde. Ce n’est pas bon. Mais je dois libérer Ivolethe. Je regarde par-dessus Persua et lève ma voix.

« Si tu la blesses, tu en souffriras. Je me fous du nombre de personnes que tu as, je ne te laisserai pas la prendre. Elle est un être vivant. »

« Elle m’a attaqué ! »

« Et donc ? »

Persua siffle de furie. Elle fait un pas en avant et son épaule tape le Coursier qui tenait Ivolethe. Aussitôt. Ivolethe hurle, sa voix résonante dans la Guilde.

« Mes sœurs ! Mes sœurs, entendez mon appel et châtiez… »

Sa voix se coupe tandis que le Coursier fait de nouveau pression sous son menton. Mais le mal est fait. Je vois les autres Coursiers regarder nerveusement et j’essaye de capitaliser sur ça.

« Tu as entendu ? Elle vient d’appeler ses sœurs. Tu as vu ce que les Fées de Givre et ce qu’elles font quand elles sont en colère. Qu’est-ce que tu penses qu’il va se passer si tu tus l’une des leurs ? »

Cela fait réfléchir les Coursiers. Certains d’entre eux reculent un peu. Personne ne veut subir la vengeance des créatures qui apporte l’hiver, qu’importe ce qu’ils peuvent gagner.

Persua semble mal à l’aise, mais elle est trop stupide pour réfléchir. Elle se tourne et hurle sur le Coursier.

« Fais-la taire ! Écrase là ! »

« Ne le fais pas. »

Le Coursier qui tenait Ivolethe hésite. Sa main tremble et la fée est en train de s’étouffer, mais il ne la lâche pas. Je m’avance.

« Laisse -là partir. Maintenant. »

« Espèce de lâche ! Donne-là moi ! Je vais le faire. »

Persua perd patience. Elle essaye d’attraper Ivolethe, mais le Coursier s’éloigne d’elle. J’avance, pensant qu’il a finalement retrouvé la raison, mais il la lève. Je m’arrête, la main tendue. Persua foudroie le Coursier du regard.

« Qu’est-ce que tu fais ? »

Il lèche ses lèvres. Mais il me regarde. Il ouvre la bouche et croit deux mots.

« De l’argent. »

« Quoi ? »

« Tu… Tu la veux, alors tu dois payer. »

Je le regarde avec incrédulité. Il n’est pas sérieux. Mais oh oui, il l’est. Je m’arrête de nouveau, mais il tient fermement Ivolethe en me regardant.

« Tout le monde sait que tu gagnes beaucoup. Alors… Donne-nous l’argent. Et je la laisse partir. Sinon… »

Il serre un peu plus fort et Ivolethe hurle. Mon sang bouillonne, mais Persua est en train de sourire.

« C’est vrai ! Donne-nous tes sacoches, et tes potions, et nous quitte. D’accord ? »

Ces salauds avides. Mais les yeux du Coursier sont sérieux, et Ivolethe souffre. Qu’est-ce que je dois faire ? Si je leur donne l’argent de Teriarch… Mais Ivolethe…

Je regarde Persua. Je regarde le Coursier. Je regarde Ivolethe, et je prends une décision.

« Eh puis merde. [Grenade Assourdissante] ! »

Le monde et le son autour de moi explosent dans un chaos confus. Je ferme les yeux, mais la vague sonique me frappe comme quelque chose de physique. Mes oreilles sonnent et se tuent, mais je suis déjà en train de charger le Coursier, le plaquant au sol.

Il n’y a pas le temps de réfléchir ou pour autre chose. Je tends le bras vers sa main. Je dois libérer Ivolethe. Lui faire lâcher. Attrape son bras. Brise ses os. Arrache-lui les doigts, avec tes dents si besoin. Je le frappe plusieurs fois tandis que je cherche la petite forme bleue parmi les points qui dansent dans mon champ de vision. Où est-elle ?

Nulle part. Disparue. Elle est libre ! Je vois une forme bleue voler vers la porte, et puis quelqu’un me frappe par-derrière.

Persua est sur moi, me griffant, me mordant, me donnant des coups de pied. Elle est comme un lynx, et certaines de ses amis sont aussi en train d’essayer de me frapper. Je roule, et je sors l’une des potions d’Octavia.

La potion de poivre serait plus efficace en tant que spray. Mais une bonne lancée permet d’en mettre dans beaucoup de visages et d’yeux, incluant Persua. Je protège mon visage et je sens le liquide chaud toucher ma peau, mais les cris valent le coup. Je titube en me relevant et vois Persua s’éloigner de moi sur des jambes tremblantes, hurlant en se frottant les yeux.

Quelque chose en moi se casse. Ses petites insultes, son croche-pied, ma jambe broyée, et Ivolethe, tout cela explose dans un poing qui percute sa joue et l’envoie au sol. Persua essaye de se relever, mais je la fais tomber et la chevauche lorsqu’elle essaye de se défendre et commence à donner des coups de poing.

Frappe là. Fais-la souffrir. Mes oreilles sonnent, mais j’entends le hurlement du sang, et c’est tout ce que je veux dans ce monde ou dans n’importe quel autre monde est de lui brisé le visage. Je frappe et je frappe, quelque chose me tire en arrière. Je lutte, frappant, mais celui qui me tient est trop fort.

La rage bouillonnant dans toutes les parties de mon corps s’éteint petit à petit, et j’arrête de lutter. C’est alors que je peux entendre et penser à nouveau, et je réalise que je suis retenu par deux épais bras.

« Garia ? »

Je regarde autour de moi et vois mon amie, son nez en sang, me tiens tandis que Persua git au sol. Les gens sont en train de crier de douleur, je vois des Coursiers qui cache leurs yeux tandis que d’autres, sourds, lèvent la voix. Deux personnes sont avec Persua, et je vois la fille git au sol.

Son visage est… Je commence à sentir la douleur au niveau de mes mains. Mes doigts me font terriblement mal, et je sens les petits lacérations et bleus sur ma peau. Je vois que la marque de mes phalanges est visible sur le visage de Persua.

Son visage est déjà en train de se gonfler. Je peux à peine voir ses traits, et il y a du sang. Beaucoup de sang. Je lui ai cassé le nez, même des parties de son visage. Elle pleure et tremble, et la [Réceptionniste] tenant la potion de soin ne sait pas par où commencer. Mais tandis que les hématomes disparaissent un peu, l’un de ses yeux se concentre sur moi. Et j’entends sa voix.

« Toi. »

Elle lutte, mais les deux femmes la retiennent. Le visage de Persua est recouvert de sang, de morves, de larmes et qui sait quoi d’autre. Mais sa voix est intacte. Elle tremble sous les émotions ; ce n’est pas un hurlement, mais un murmure, perçant.

« Je vais te tuer. »

Je suis assez proche pour entendre les lèvres malformées de Persua laisser s’échapper les mots. Ses yeux sont fixés sur moi, fous, et les mots se déversent, la haine imbibant chaque syllabe. Des larmes coulent à travers le sang sur ses joues, mais elle continue de me regarde.

« Je vais te tuer. Je le jure. Je vais te faire violer et tuer. Tu vas mourir en hurlant. »

« Ryoka… »

Garia essaye de me tirer en arrière, et la [Réceptionniste] essaye de nous séparer. Mais Persua se débat et je refuse de bouger. Elle hurle.

« Je vais te tuer ! Tu crèveras dans d’atroces souffrances ! Il ne restera pas un morceau de toi ! Je vais te tuer toi et tous ceux que tu aimes, tu… »

La [Réceptionniste] essaye de mettre la potion dans sa bouche, mais Persua crache une dent cassée avec la potion et continue de me hurler dessus.

Il y a quelque chose de fou dans son regard. Garia me retient et je regarde Persua. Elle continue de parler, à moitié en train de parler, à moitié en train de m’insulter. Il n’y a rien que je puisse le dire, rien à dire. Donc je lui donne un coup de pied dans l’estomac et la regarde vomir lorsque Garia me tire en arrière.

***

Deux heures plus tard, je me tiens dehors dans le froid. Je le sens à peine, même si je n’ai pas eu de la soupe d’Erin. Je sens l’air froid s’engouffrer mes vêtements et je m’en fiche.

« Ivolethe. »

La fée flotte dans l’air proche de moi, semblant anormalement sérieuse. Je suis habillé, elle est nue. Mais c’est moi qui ai le plus froid. Mon cœur est très froid. Figé.

Je m’assois lentement dans la neige, et la fée descend à mes côtés. La neige est humide, je m’en fiche. Je n’ai pas quelque part ou me rendre, et je ne peux pas me tenir. Pas maintenant.

Après quelque temps, la fée parle.

« C’était une rencontre inattendue, n’est-ce pas ? »

Je la regarde. Ivolethe me rend mon regard.

« Qu’est-ce que je suis censé répondre à ça ? »

« Je n’en suis pas certaine. Mais est-ce que cela s’est terminé comme tu l’attendais ? »

Je laisse échapper un rire sec.

« Qu’est-ce que tu crois ? Je suis banni de la Guilde des Coursiers, peut-être de toutes les Guildes. Ils vont peut-être porter plainte, ou me faire payer pour ce qu’il du bâtiment. »

Peu de temps après mon départ, les autres Fées de Givre sont apparues. Elles ont créé une avalanche dans le bâtiment. S’il n’avait pas été déserté… Mais comme il l’était, presque la totalité de l’intérieur du bâtiment avait été détruite. Le bâtiment était tellement rempli de neige que les gens étaient en train de creuser la neige compacte.

« Quel bordel. »

La version courte de ce qui s’était passé est que Persua a été envoyée au meilleur Guérisseur du coin pour soigner les blessures que les potions ne pouvaient pas régler. Les Coursiers se sont dispersés, principalement grâce aux Fées de Givres les ont bombardés de pics de glace, les ont gelés, et ainsi de suite. Je pense que lorsque les membres de la Guilde auraient aimé me tenir responsable, mais ils ont eu des doutes quand ils ont vu les fées littéralement rasées la Guilde en l’espace d’un instant. Tout comme la Garde, c’est pourquoi ils m’ont cordialement demandé de quitter la ville plutôt que de me jeter dehors.

J’aurais pu probablement rester. Mais je ne voulais pas être proche de Persua, encore moins dans la même ville. Je me souviens encore de ce qu’il y avait dans ses yeux.

Ce n’est pas terminé. Je n’ai jamais vu quelqu’un avec ce regard, et je savais sans l’ombre d’un doute qu’elle pensait ce qu’elle avait dit. Une partie de moi regrettait de ne pas pouvoir revenir en arrière pour la poignarder. Elle n’allait jamais oublier. Mais je n’étais pas un meurtrier.

Même si j’ai failli le devenir il y a peu.

« Quel bordel. Quel terrible, horrible… »

La fée lève les yeux vers moi. Je baisse les yeux vers elle. D’une certaine manière, c’est sa faute. Persua m’aurait laissée seule si je m’en étais allé. Mais je ne peux pas la détester pour ce qu’elle a fait. C’est ce que j’aurai fait pour Erin, la même chose.

« À partir de maintenant, je ne te prends plus avec moi dans un bâtiment. Compris ? »


Désolé pour le mauvais formatage du chapitre, je de pas mon ordinateur sous la main! Les codes seront rajouté quand je reviendrai dans 2 semaines, merci de votre compréhension et bonne année!

La suite se trouve sur notre site à l'adresse suivante, sinon, à la semaine prochaine !

https://aubergevagabonde.wordpress.com/

 
   
    
                         
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