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| | | Nombre de messages : 9994 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Ven 23 Avr 2021 - 18:51 | |
| J'aime bien la synthèse d' À rebours |
| | Nombre de messages : 5011 Âge : 56 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017 | Jdoo / Maîtrise en tropes Ven 23 Avr 2021 - 18:55 | |
| Un livre très curieux, mais j'ai bien aimé. |
| | Nombre de messages : 199 Âge : 27 Localisation : Paris Date d'inscription : 19/11/2020 | Noise in 1953 / Tycho l'homoncule Dim 2 Mai 2021 - 18:14 | |
| River de Esther Kinsky. Je l'ai lu dans sa traduction anglaise (ed. Fitzcarraldo) mais il existe une traduction française je crois. Etrange roman... la narratrice, une femme, vient de s'installer dans une banlieue de Londres. De là, elle remonte peu à peu la rivière Léa, de chez elle, jusqu'à, à la fin du roman, son embouchure. Elle nous parle de ses rencontres au bord de la rivière (un "roi", un vendeur de briques, etc.) et au bord de son appartement (un "croate", une jeune fille qui cherche des anges...) ; entre ses chapitres elle se souvient d'autres rivières, qu'elle a remonté, et qui semblent autant appartenir au passé qu'au futur : le Saint-Laurent, l'Oder, le Rhin... là, cette fois, on découvre le souvenir non plus d'inconnus mais de proches : une voisine, un père, un fils... L'écriture est très précise et ciselée (dans la traduction anglaise du moins), très condensée et très riche. Parfois, quelques chapitres m'ont laissé une impression de longueur un peu étiré, mais il y a de très beaux chapitres aussi, pleins de poésie, de petits détails, qui semblent ne pouvoir être vu qu'à pied, en marchant d'un pas lent et mesuré... Difficile d'en parler en tout cas, tant la narration point à peine, tout au plus dans la récurrence de certains personnages... c'est plus une littérature de la sensation... ça m'a beaucoup plu en tout cas.
Toujours aux ed. Fitzcarraldo, Pond de Claire-Louise Bennett (de la rivière à l'étang...). Recueil de nouvelles, d'une demi-pages à une vingtaine, chacune un flux de pensée où s'accroche un point central : un fauteuil ottoman, une relation basée sur le sexe, le concentré de tomates ou le livre Le Mur Invisible . C'est à la fois plein d'humour et de cette triste solitude (comment pourrais-je traduire cette différence entre les deux mots : "solitude" et "loneliness" qui n'existe pas en français...). Un peu inégal, oui, mais l'une des premières nouvelles m'a profondément bouleversé... c'est vraiment un flux de pensées, on saute d'un paragraphe à l'autre parfois sans lien, si ce n'est une sensation qui se file (une couleur, une odeur, une vague ressemblance), avec beaucoup de poésie et une profonde sensibilité. Bref, beaucoup aimé aussi, comme très souvent avec les ed. Fitzcarraldo.
Amer Béton de Taiyō Matsumoto. Un manga assez célèbre qui a eu une jolie adaptation en film il y a maintenant quinze ans. Je me souvenais avoir beaucoup aimé le film ado, sans m'en souvenir, et j'ai vu le livre que j'ai décidé d'acheter. Deux orphelins, Blanko et Noiro, dits les "Chats", décide de se révolter face à l'arrivée de "nouveaux" yakuzas, qui souhaitent transformer la ville en terrain de jeu lissé (adieu les strip-clubs où les garçons "devenaient" des hommes, comme dit un vieux yakuza, on fout à la place une salle d'arcade froide et sans âme). C'est violent, très violent, bien sûr, mais aussi très aérien. D'une page à l'autre on saute d'une scène à l'autre, la découpe est kaléidoscopique, tout autant que le trait, dont l'aspect très aérien mets en valeur les escapades sauvages des enfants... C'est cruel, c'est virtuose et c'est beau, très poétique aussi... à réserver à un public averti cependant.
Le désir en nous comme un défi au monde, nouvelle anthologie de Castrol Astral pour le printemps des poètes. C'est vraiment très inégal, peut-être encore plus que les années précédentes. Toujours de beaux poèmes (Albane Gellé, Tristan Cabral) qui côtoient des choses un peu tape à l'oeil et franchement pas très inspirées (que vient faire Michel Onfray ici ? trop de pages pour Arthur H. je trouve ; une enfant de quatorze ans aux poèmes qui manque de sincérité...). Bref, d'ordinaire c'est toujours inégal, et les goûts personnels jouent, mais cette année j'ai moins aimé que les autres. J'aime toujours cette idée d'avoir une sorte de recueil des "poètes vivants", et les générations se côtoient d'ordinaire agréablement, mais cette année j'ai l'impression qu'on a encore plus que d'habitude voulu donner de tout à tout le monde : chanteurs, écrivains, vieux, jeunes, quitte à y noyer un peu la poésie... La préface, justement, revendique que la poésie n'appartient pas qu'aux poètes... mais j'ai l'impression qu'on en oublie la poésie, qu'on se focalise trop sur les gens et pas assez sur les écrits...
Dernière édition par Noise in 1953 le Dim 2 Mai 2021 - 20:49, édité 1 fois |
| | Nombre de messages : 5011 Âge : 56 Localisation : Paris Pensée du jour : Three blinds rabbits. Date d'inscription : 05/11/2017 | Jdoo / Maîtrise en tropes Dim 2 Mai 2021 - 20:43 | |
| Fichtre ! Onfray qui se prenait pour un philosophe, maintenant pour un poète ? la prochaine étape ? danseur de cabaret ? |
| | Nombre de messages : 9994 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 3 Mai 2021 - 14:09 | |
| J'avais adoré le livre de Claire Bennett, mais sans le percevoir comme un ensemble de nouvelles ! je pensais que c'étaient des scènes, sans vraie continuité chronologique peut-être, mais prises à un même quotidien. Sinon, depuis le 21/04... Lettes de mistriss Fanni Butlerd, Marie-Jeanne Riccoboni, 1757 (lu sur liseuse) - Spoiler:
C'est mon troisième roman épistolaire de Marie-Jeanne Riccoboni, la mauvaise actrice qui devint romancière, autrice de best-sellers au 18e, et continuatrice consacrée de la Vie de Marianne de Marivaux ; en fait, je l'avais découverte en fouillant dans les autrices à marrainer dans le cadre du challenge #JeLaLis, et j'avais été une fort mauvaise marraine – je me sens donc encore très investie, d'autant que j'aime énormément ses romans. On est dans du pur 18e siècle, avec ses excès d'amours et de subtilités psychologiques et morales ; sans doute moins roman d'aventures, toutefois, que les autres romans de l'autrice. Il faut dire que ces Lettres de Fanny Butler constituent son premier ouvrage publié, et que de nombreuses rumeurs coururent pour en faire un artefact formé d'une correspondance réelle, que l'autrice tint avec son amant de jeunesse, un comte fourbe et traître. Et je dois dire que pour une fois, une rumeur de ce genre ne me semble pas usurpée – comment expliquer sinon l'extrême simplicité des premières lettres de Fanny, qui va en se complexifiant sur la fin ? la nature des lettres dissonne, en s'approfondissant, comme s'il existait un fossé entre l'écriture des lettres des deux premiers tiers et celles du dernier. La progression narrative est un peu trop linéaire : l'histoire d'amour parfaite vire au drame d'un coup et à la toute fin, sans réellement d'effets annonciateurs. Cela reste intéressant, très léger à lire ; et cette dimension, très forte dans l'écriture de Marie-Jeanne Riccoboni : l'analyse fine et matérielle des conditions féminines / masculines, et les conséquences qu'elles ont sur la conduite des hommes et des femmes. Elle ne s'en laisse pas compter : les différences d'éducation, de rôles sociaux et de fortunes produisent des différences de comportement, et les valeurs morales de son siècle condamnent souvent les conduites féminines sans les évaluer depuis leur contexte. On pourrait dire d'elle qu'il s'agissait d'une féministe matérialiste ! très beau plaidoyer final contre l'inconstance masculine, plus coûteuse pour les femmes qui la subissent que pour les amants qui les ont dupées pour obtenir leurs faveurs sexuelles. Dans le sillage de Louise Ackermann, édition composée par Christine Jeanney, publie.net, 2020 - Spoiler:
J'ai aimé ce livre, parce que j'en ai aimé la construction ; on dirait l'oiseau qui arrange son nid à partir de morceaux de matériau hétérogènes... on y trouve les fragments de l'autobiographie d'Ackermann, des morceaux de ses poèmes, des fragments de critiques littéraires parus dans la presse, de nécrologies, de biographies des personnes qu'elle connut... Christine Jeanney, l'autrice de ce montage, a tenté – et je trouve que c'est réussi – de nous donner à voir une femme dans son époque, dans ses relations, dans la multiplicité des voix qui l'entourèrent et la connurent ; on apprend même quelles étaient les activités économiques des villes où elle vécut ! Louise Ackermann était poétesse au XIXe siècle, et férocement athée ; poétesse parce que veuve, pourvue d'une riche éducation autodidacte, commencée tôt dans la demeure parentale, continuée à l'école où elle entretint une petite correspondance avec Victor Hugo, parachevée via un voyage en Allemagne, assise par la brève fréquentation d'un époux érudit dont elle devint, pendant leur brève période de bonheur matrimonial, la secrétaire... et c'est veuve qu'elle commence à écrire, car son mari, dit-elle, n'aurait jamais supporté que son épouse écrive – elle ne proteste pas contre cette idée, et sa vie durant oscillera entre des périodes de retraite et de publicité, comme si les injonctions reçues par les femmes du 19e siècle – retrait, pudeur, rôle social fermement circonscrit – avaient pénétré dans une âme incapable toutefois de s'empêcher d'écrire. Sa poésie m'a paru un peu lourde, mais elle est originale, curieuse compte tenu du visage de la poésie 19e qu'on nous transmet à l'école : elle est férocement positiviste, athée, et défie Pascal dans un très long poème, l'un de ses plus beaux. Mais son athéisme n'est pas un optimisme béat : si elle s'en réfère à Pascal, c'est bien parce que l'absence d'un ailleurs, pour être acceptée, suppose son lot d'angoisses. Il y a de jolis poèmes de deuil amoureux, et son autobiographie est un bijou de concision. Ce caractère ferme, honnête et intransigeant, froid ou ardent, donne du 19e siècle un visage que je ne lui connaissais pas. Quelle drôle de femme ! Mère Jeanne des Anges, Jaroslaw Iwaszkiewicz, trad. Georges Lidowski, Laffont, 1959 [1943]. - Spoiler:
J'ai trouvé ce livre sur le banc d'un arrêt de tram, en région parisienne ; je me suis fiée à la collection, et à ce qu'annonçait la 4e de couverture : Iwaszkiewicz serait l'un des romanciers importants de la littérature polonaise du 20e siècle. Bon, c'était sympathique, mais anecdotique dans le même temps. Rien ne m'a vraiment bouleversée dans ce roman, ni dans la construction narrative, ni dans celle des personnages, ni même dans les vifs tourments mystiques agitant la Mère Jeanne et le Père Surin... L'auteur transpose en Pologne l'affaire qu'on appelle des "possédées de Loudun", où dans le 17e siècle français, un couvent d'Ursulines succomba tout entier, ou presque, aux charmes du démon. L'auteur explique que cette transposition est pour lui manière d'évoquer les déchirements qui touchent l'Europe dans ce début des années 40, mais bon... sans doute... on aurait peut-être, plus subtilement, pu rendre cette hésitation entre l'explication amoureuse et l'explication religieuse du transfert de possession entre Jeanne des Anges et Surin, dont la relation mi-spirituelle mi-passionnelle est en soi, déjà sur le plan historique, intéressante. Mais justement, ça n'était pas très subtil ; un peu l'impression d'être sur des rails, qui filent droit ; pour autant, moi qui n'étais pas au fait de l'anecdote historique, j'ai pu bénéficier de l'effet de surprise qu'on a à s'entendre raconter les plus curieuses histoires vraies. Simon, Georges Sand, 1836 (lu sur liseuse) - Spoiler:
Pas réédité ailleurs que dans des volumes d'œuvres complètes, ce court roman de Sand ? allons donc ! le sujet, historique, en est pourtant intéressant : on se trouve dans la région des Marches, à la campagne, et c'est depuis ce lieu qu'on voit l'épisode du retour d'exil d'un aristocrate de province, au moment de la Restauration, réintégrant ses terres, son domaine de Fougères – et que faire du prestige ? Sand, subtile équilibriste, montre les premières ferveurs des villageois·es, trop heureux·ses de ce retour de prestige et d'autorité ; mais aussi un aristocrate qui, ayant goûté aux joies du commerce en exil (Italie), n'est plus le prodigue homme innocent qu'on pourrait croire, et qui sait mener ses affaires ; on a, aussi, le contact avec les notables de la ville voisine qui, eux, républicains, ne savent sur quel pied danser avec ce noble soit-disant acquis aux idéaux d'égalité, mais qui les reçoit à sa table en grimaçant. Sand navigue entre toutes ces questions complexes, et installe entre elles une histoire amoureuse – la fille demi-italienne du comte, Fiamma, et le fils d'une paysanne qui peu à peu s'élève avocat, puis politique, Simon. Ce jeu d'amour et de considérations sociales lui permet d'expérimenter la tension entre les reliquats de l'Ancien régime et le prestige des idéaux révolutionnaires ; et puisque Sand est Sand, Fiamma est une jeune fille qui brise les barrières de genre ; ardente et mutique, à la voix grave, très engagée politiquement (on comprend qu'elle prendrait bien les armes pour rejoindre l'Italie), passant la journée à cavaler dans la région montagneuse, sur son cheval, ou à méditer – on a le joli contrepoint offert par Bonne – un prénom révolutionnaire ! –, la fille du parrain de Simon, parfaite fille d'intérieur, humble et vertueuse – et pas dénigrée pour un sou, manière de dire qu'on est bien femme comme on veut ? Bref, très fin roman politique, très fin roman amoureux – mais l'amour, n'est-ce pas, loin des idéaux romantique, est politique en toute époque – qu'on aimerait voir édité en livre de poche, parce qu'il nous change du point de vue de la capitale sur les bouleversements politiques du 19e siècle. Atala – René, François-René de Chateaubriand, 1802. - Spoiler:
Lu dans une vieille édition scolaire – ce genre de classique pour écoliers qu'on n'a pas lu écolière, à la faveur des hasards de choix de professeurs... – le diptyque Atala / René est intéressant à plus d'un titre. Par un jeu de récits enchâssés – dans le premier récit, c'est Chactas le vieux Natchez qui raconte l'histoire de sa vie, et de son amour pour Atala, au jeune René qui vient de rejoindre sa tribu pour fuir des malheurs; dans le second récit, c'est René qui fait récit de sa vie à Chactas et à un autre vieil homme – et bien sûr on trouve des échos entre ces récits de vie, l'une celle de l'Occidental, l'autre celle du Natchez – on dit "Sauvage" à l'époque de Chateaubriand, encore, à en croire la préface, sans les connotations péjoratives contemporaines. En réalité, Chateaubriand joue au jeu des parallèles entre récits, entre civilisations (enfin, dans son regard d'époque, les Sauvages ne sont pas civilisés ; mais la civilisation, ce n'est pas le bien, ou le progrès), et les unit dans des personnages (Atala, fille d'un Espagnole et d'une Indienne ; la petite-fille de René, Indienne avec grand-père français), des rencontres, mais surtout par la religion chrétienne – il faut se remettre dans le contexte d'époque : si aujourd'hui, nous considérons les religions comme des faits culturels, donc situés, donc que les missionnaires participèrent à la colonisation, en ce début de 19e siècle, pour Chateaubriand, il y a des faits culturellement situés – les cultures, les habits, les langues... – et la religion chrétienne, universelle, et seul don possible des Occidentaux aux tribus d'Amérique. Sinon, tous possèdent leurs tares (violence des coutumes des Natchez, oubli des valeurs fondamentales au sein des fastes de Versailles), et seule la religion, comme un baume, soigne ces maux. C'est toute l'ambivalence, à nos yeux de 2021, à l'égard d'une pensée comme celle-là : les êtres humains sont bien égaux, et dignes – mais ce sont des missionnaires blancs qui éduquent, finalement, les Natchez, et autres Sauvages de par le monde. Cessons là nos considérations politiques, c'est compliqué, il faudrait savoir comment Chateaubriand se situe par rapport aux discours d'époque; en tout cas, belle écriture, peinture vivante des charmes de la foi, et très riches descriptions des paysages naturels d'Amérique, fruits des voyages et lectures de Chateaubriand – c'est le Romantisme face au sublime naturel. L'âge d'or de l'ordre masculin. La France, les femmes et le pouvoir, tome 4, Éliane Viennot, CNRS éditions, 2020. - Spoiler:
Découvert grâce à la très belle vidéo de Grain de lettres ; en réalité, je ne savais même pas qu'Éliane Viennot était historienne, spécialiste des rapports entre femmes et pouvoir au cours de l'histoire de France (je la connaissais davantage pour son boulot formidable accompli pour la féminisation des noms de métier, professions). Eh bien... on ressort sonnée. Je lirai sans doute les trois autres tomes, mais celui-ci, consacré au 19e siècle, est déjà un beau coup de poing – on y voit comment tout s'organise, à partir de Napoléon et du Code, pour asseoir les femmes dans une position de mineures, pour leur ôter tout un tas de droits, et pour confirmer l'idée que si l'égalité est une valeur conquise de haute lutte avec la révolution, elle nécessite un subalterne - les femmes. Viennot partitionne son travail : il y a l'écriture de la loi, bien sûr, mais aussi les "chiens de garde" : théoriciens, historiens, journalistes, critiques littéraires, qui tous se mettent au garde à vous pour défendre des thèses ultra-différentialistes, qui légitiment le rôle social des femmes – des épouses, de tendres mères, des passeuses de vertus, oui, mais pas des actives, pas des engagées, par des militantes et encore moins des génies. J'ai été tout particulièrement intéressée par les chapitres consacrés à ce travail de sape dans le domaine littéraire – les femmes écrivent, mais tout est fait pour les en empêcher, en amont comme en aval – jusqu'à ce geste suprême et dont les traces sont encore lourdes aujourd'hui, d'une première longue "histoire littéraire", écrite par Lanson, à la fin du siècle, en excluant la plupart des autrices des siècles précédents – et le poids de cette histoire pèse encore dans nos programmes scolaires de 2021 ! Viennot étudie aussi les multiples résistantes – très actives, du côté des saint-simoniennes et des féministes, insidieuses, du côté de celles qui gravissent discrètement les échelons sociaux... et le rôle non négligeable des professeures, des institutrices, religieuses ou laïques, qui donnaient à leurs élèves une solide éducation – à tel point qu'elle était, à certains moments du siècle, bien meilleure que celle donnée aux petits garçons ! Le savoir fait parfois mal – cette lecture donne bien de la colère – mais il donne aussi des armes ; tant de reliquats de ce 19e siècle continuent de vivre aujourd'hui !
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| | Nombre de messages : 383 Âge : 23 Localisation : France Date d'inscription : 06/07/2016 | Trôme / Tapage au bout de la nuit Lun 3 Mai 2021 - 14:34 | |
| Ton avis sur Atala est très intéressant, Pasi, j'ai dû le lire dans le cadre de la fac l'année dernière et j'en ai gardé un souvenir assez mitigé : j'ai été séduit par la qualité du style mais ennuyé par le sentimentalisme entre Chactas et Atala. Je devrais peut-être le relire.
Sinon je vais bientôt entamer la lecture de Caligula, pièce de Camus, après mes derniers examens. |
| | Nombre de messages : 9994 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 3 Mai 2021 - 14:59 | |
| Je t'avoue que j'ai été un peu ennuyée aussi mais... vraiment intéressée par le regard porté par Chateaubriand sur les différences culturelles ; on pourrait penser du premier abord qu'il y a un peu de mythification autour du "bon sauvage", être originel non corrompu par la civilisation, mais même pas ; on pourrait penser qu'il prétend que les Occidentaux ont pour mission de civiliser le monde, mais ce n'est pas ça non plus. C'est une position subtile...
Pour l'histoire d'amour, c'est sûr qu'elle est un peu niaise – et on comprend mal pourquoi Atala ne parle jamais de son "secret" à Chactas, ça rend l'aspect sublime du sacrifice un peu étrange – mais on est en plein Romantisme, et je pense que Chateaubriand démontre aussi, par là, que tout être humain, quelle que soit son origine culturelle, est capable de sentiments sublimes – pas certaine qu'à l'époque ont ait si naturellement considéré qu'un "Sauvage" était capable d'amour passionnel, de sentiment de sacrifice, de mélancolie à cause de l'exil... je peux me tromper, mais il me semble qu'il y a une entreprise, chez Chateaubriand, qui vise à montrer, avec tous ces jeux de parallèles, qu'au fond les "Sauvages" (je reprends ses termes) sont des êtres humains faits pareils aux Occidentaux, et capables d'accéder au stade suprême selon lui, qu'est la foi chrétienne. |
| | Nombre de messages : 9994 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 24 Mai 2021 - 1:36 | |
| Depuis le 2/05... Le Convoi du 24 janvier, Charlotte Delbo, Minuit, 1966. - Spoiler:
J'ai découvert qu'on pouvait lire un texte comme on accomplit un devoir de mémoire. Charlotte Delbo, dans Le Convoi du 24 janvier, paru en 1966, rend hommage aux 230 femmes déportées politiques, françaises, qui firent partie, avec elle, du convoi du 24 janvier 1943 pour Auschwitz – 49 sont revenues, et comment, c'est ce qu'elle explora dans Aucun de nous ne reviendra, car parler de "retour", ce n'est encore rien dire. Enfin, revenons au Convoi ; 230 fois, Charlotte Delbo indique un nom, une courte biographie, un numéro de tatouage, puis l'itinéraire à Auschwitz (et après, si après il y a). Cette répétition de l'horreur, quasi factuelle, évoque la partie centrale de 2666, dite partie des meurtres – et elle pose cette question-là : peut-on s'habituer à l'horreur, au mal ? la souffrance et l'horreur absolue, d'être si partagées, si répétitives dans les faits, s'atténuent-elles ? la réponse à ces questions, on l'éprouve dans l'acte de lecture : non. Toute biographie du Convoi fonctionne comme une lamentation, sèche et terrible. On pleure beaucoup, mais pour une fois, je ne me suis pas morigénée ; ce chagrin était adressé à chacune des femmes du convoi, et à Charlotte Delbo, aussi. C'est long, 230 biographies, c'est beaucoup, 230 femmes : mais le devoir de mémoire, ou de lamentation, nous porte. Ce qui est beau, aussi, c'est l'histoire de la France résistante qui en creux s'agite dans ces destins de femmes et jeunes filles ; une histoire quasi sociologique de la diversité des itinéraires qui mènent les jeunes filles à risquer leur vie, parfois pour des actes de pure résistance symbolique, parfois de manière plus frontale ; engagements au PCF, institutrices, compagnes engagées dans le combat d'un amour, aubergistes accueillant des fuyard·es... mieux qu'aucune Histoire officielle, ce Convoi nous donne à connaître cette diversité de destins. La composition de l'ouvrage aussi, est belle : Delbo missionna ses amies rescapées, et chacune sillonna son coin de France pour obtenir des informations sur celles qui n'étaient pas revenues ; l'ouvrage est profondément collectif, comme le fut la lutte pour la survie, et c'est le lien, au fond, qui fait l'humanité. Une mort très douce, Simone de Beauvoir, 1964. - Spoiler:
Le titre est, bien sûr, une reprise ironique d'une phrase, prononcée par un médecin ou une infirmière, dans la clinique où la mère de Simone de Beauvoir meurt (sans le savoir). Compte-rendu matériel et psychologique d'une mort : on diagnostique un cancer généralisé à la vieille femme, on ne le lui dit pas ; on l'opère pour la prolonger. Sa fille se pose les questions que toutes les filles se poseraient : doit-on lui dire qu'elle meurt ? doit-on l'opérer pour lui accorder quelques jours de vie supplémentaires, avec douleurs en prime ? en tout cas, l'autrice relève : les paroles prononcées par sa mère, l'univers matériel et social que constitue une clinique, le rapport à la mort des un·es et des autres, et surtout, l'évolution de sa propre relation à sa mère. Alors évidemment, c'est un texte fort, et pour une angoissée comme moi, c'est avant tout un texte qui vous met devant la mort ; devant le sens que revêt chaque geste, regard, plaisir, à un moment où la personne qui les reçoit est proche de perdre toute sa mémoire, et pour toujours. Simone de Beauvoir peut être dure ; elle examine, sans concession, tout ce que fut cette relation contrariée avec sa propre mère, qu'elle ne retrouve que sur son lit de mort (il n'est jamais trop tard) ; elle examine aussi les gestes de sa sœur, et le chaos d'un appartement qu'on n'habitera plus. Beaucoup aimé ce court texte, tout en le trouvant dur. Marche-frontière, Ahmed Slama, publie.net, 2021 - Spoiler:
J'avais lu Orance l'an dernier ; donc, Marche-frontière, maintenant ! l'errance ne s'achève pas avec Orance ; on déambule, dans Marche-frontière, dans les villes, dans les transports, dans des espaces qui ne portent même pas de nom ; et, bien sûr, dans la queue des préfectures. C'est un corps qu'on lance, en mouvement, et qu'on relance sans cesse comme le rythme de la phrase. J'avais déjà beaucoup aimé Orance, mais on sent, ici, quelque chose de plus abouti encore ; plus d'explorations dans l'écriture, une phrase plus variée. Les lieux ne portent qu'à peine des noms – Avignon, Paris, mais les espaces intermédiaires ? – ; les pronoms, instables : le plus souvent, verbes à l'infinitif (où est le sujet ? de qui, de quel corps instable parle-t-on ?), ou "on", ou "il" – mise à distance, ou fondu ; le nom lui-même, c'est une forgerie, le "vrai" nom, ou l'oublie, car les papiers pour le signifier manquent ; quelle invisibilité conquiert-on, quand le rapport à l'espace est illégal, quand le corps est expulsable ? J'ai repensé à Baldwin, à des textes d'autrices féministes ; à tous ces textes de littérature qui nous donnent à sentier des expériences minorisées ; des corps en danger, dans des espaces qui les excluent – des corps qui ne sont pas des universels, mais qui se savent situés. C'est très fort, parce qu'il n'y a rien de plus intime, et peu de choses plus politiques, au fond, que le corps, et le corps tel qu'il est construit dans l'espace social – tel qu'il s'acclimate, matériellement, aux conditions qu'on lui fait. Très beau, et ouvert sur une "fin heureuse", ou ce qui lui ressemble (relire Éloge des fins heureuses, de Coline Pierré !) Très belles pages sur les rapports entre écriture et vérité – prolongements de réflexions que, pour ma part, j'avais entamées avec Ernaux ; et très belles scènes d'écriture, dans les cafés ! Toujours sensible aux manières dont l'on peut rompre les scénographies modernistes / romantiques de l'écriture solennelle en inscrivant les moments d'écriture dans des ancrages matériels contemporains. Le Roman de la politique, Natacha Michel, La Fabrique, 2020. - Spoiler:
Hmmmm. Je ne connaissais RIEN aux maos, rien à ces franges politiques, rien à Natacha Michel, et je dois dire que je ne me souviens plus pourquoi j'ai acheté ce livre (je me souviens pourtant avoir lu des mots, mis dessus, qui m'ont donné envie de le lire). J'ai médité sur deux / trois choses : la péremption rapide des langages militants (que c'était dur de rien capter à ces expressions d'un militantisme de gauche des années 70 !) ; l'importance du menu travail dans le militantisme, si minuscule semble-t-il, et son ingratitude ; l'aveuglement, parfois, des militant·es professionnel·les devant des combats nouveaux (Natacha Michel fait partie de ces gens très distingués qui fustigent l'emploi du terme "écrivaine" parce qu'on entend "vaine" dedans, lol, seule contribution de l'autrice au féminisme, c'est plié). Sinon ce que j'ai aimé, c'est l'insertion, dans cette autobiographie par le parcours politique, de matériaux exogènes, extraits d'essais de ses proches, extraits de lettres reçues (comme c'est sentencieux, les amitiés militantes ! j'espère qu'on m'écrira un jour pareilles lettres de rupture amicale) ; la complexité d'engagements politiques à l'échelle d'une vie, et les subtilités des nuances théoriques qui, dans la pratique, changent tout à la manière de militer. Pour finir, je vais sembler inculte : Badiou et Lazarus n'étaient pour moi que des noms... comme on transmet mal la mémoire des luttes de gauche, finalement. Le Diable amoureux, Jacques Cazotte, 1772. - Spoiler:
Quel texte étrange ! On se souvient, aujourd'hui, de Cazotte parce qu'il fut décapité, et parce qu'il écrivit Le Diable amoureux – j'ai vite passé la préface, dont je ne sais plus trop ce qu'il a d'original pour l'époque, désolée. C'est un court roman, à peine une nouvelle, dont le personnage principal, un jeune aristocrate espagnol, à la suite de jeux un peu osés avec des formules magiques, se voit collé par le diable ; car le diable prend les traits d'une ravissante jeune fille, Biondetta, et se prétend une sylphide amoureuse, devenue humaine et ayant abdiqué ses pouvoirs pour les beaux yeux d'un homme... plusieurs choses : on est dans un rêve. Cette langue, à mi chemin entre 18 et 19e siècle, ne ressemble à rien de ce que je connaissais ; abrupte, rêveuse, osée, elle m'a donné l'impression d'être ballotée d'un lieu à l'autre, aussi diaphane qu'un diable déguisé. Ce sont ensuite des délices et des raffinements de mensonges qui ressemblent à des vérités, de débats intérieurs – comme une âme est longue à capturer, même pour le diable ! Dans sa demie-brume, le héros traverse l'Italie, puis l'Espagne, Biondetta collée aux basques – qu'elle est belle et émouvante, sensible et vivante, comme le diable ! il existe aussi tout un jeu sur le trouble des genres : Biondetta se fait au départ passer pour un valet, et c'est sous sa forme de jeune homme qu'on l'érotise ; puis le diable, amoureux d'un homme ? le diable dans le lit, qui s'entoure d'escargots, terrible ! jusqu'au bout, notre héros ne sait s'il a aimé un démon fait femme, ou autre chose, et ce trouble amoureux n'est pas pour rien dans l'atmosphère du livre. Femmes et littérature. Une histoire culturelle, tome 2, dir. Martine Reid, 2020. - Spoiler:
Paru peu avant le premier confinement, Femmes et Littérature était la somme qu'il manquait aux histoires littéraires françaises : une histoire sous le prisme du genre – donc culturelle. Martine Reid le dit d'ailleurs, au cours de je ne sais plus trop quelle intervention : cette somme en deux volumes fait pendant au désormais classique La littérature française, dynamique et histoire, paru dans la même collection et en deux tomes idem, en 2007, sous la direction de Jean-Yves Tadié – que j'avais lu, à l'époque, sur la recommandation de mes profs de prépa, m'étonnant à peine d'y trouver si peu de femmes. Bon, c'est une somme : on a confié les chapitres à diverses chercheuses, et tous ne se valent pas (on sent bien que si certaines d'entre elles sont coutumières des questions de genre appliquées à l'histoire littéraire, d'autres ne font que parler des écrivaines d'une époque sans réussir à comprendre comment le fait qu'elles soient femmes a bien pu informer les thèmes qu'elles pratiquaient, leurs sociabilités, leur éducation...) Mais dans l'ensemble, quelle contre-histoire ! et d'ailleurs, les autrices le disent : ce n'est là qu'un paquet d'esquisses, et si des sources manquent, si des analyses ne sont pas encore menées, c'est bien que tout reste à faire – et qu'on espère bien fort que cette histoire-là sera périmée bientôt, et plus : qu'elle permette non une ghettoïsation des femmes dans une histoire littéraire à part, mais leur réintégration au canon, comme ensemble de classiques édités, transmis, enseignés. Pour moi qui suis sensible aux questions matérielles lorsqu'elles informent l'écriture littéraire, cette histoire est une aubaine – vive le contexte ! Ce tome s'attaque aux 19e, 20e et 21e siècle, ainsi qu'à la question (le nom lui-même est sujet à controverse) des francophonies ; mention spéciale aux parties de Martine Reid, brillante dix-neuvièmiste, et Delphine Naudier, qui s'attaque aux romancières féministes des années 70 (celles qui furent impliquées dans le mouvement de libération des femmes, dans la maison d'édition Des Femmes, la revue Sorcières... Wittig et cie, qui furent souvent d'audacieuses avant-gardistes) ; un point déprimant ? la question de l'éternel recommencement du travail de mémoire opéré par les femmes, chaque siècle, pour exhumer leurs devancières... Le Miroir des courtisanes, Sawako Ariyoshi, trad. Corinne Atlan, Picquier, 1994 [1965]. - Spoiler:
Trouvé dans un bac à livres ; j'avais envie d'un épais roman, ces romans d'une vie qui épousent le siècle et l'histoire. Contrairement à ce que laisse entendre le titre, la durée qu'occupe, dans la vie de Tomoko, son métier de geisha, est bien courte : à 20 ans à peine, elle devient patronne d'un hôtel prospère grâce à son riche protecteur. On part, donc, de l'enfance de Tomoko, élevée par sa grand-mère, notable de village ; de sa relation, conflictuelle, avec une mère dure, fort peu maternelle, préoccupée par les tissus de ses kimonos. De fil en aiguille, la petite Tomoko est ballotée jusqu'à Tokyo à la suite de son beau-père, qui finira par la vendre à une maison de formation de geishas (la fille est bientôt suivie par la mère, vendue comme prostituée), etc, etc. On a une guerre mondiale qui passe par là – et l'hôtel prospère est ravagé par les bombardements... je ne vais pas tout raconter, quel intérêt à cela ? deux choses comme deux axes : la relation mère-fille, très mal partie dans l'enfance, et qui pourtant au cours de la vie est soudée par une fréquentation durable dans les coups durs, et par quelques rares accès de tendresse (la petite Tomoko deviendra une femme volontaire et indépendante, dure aussi à l'égard d'une mère-enfant qu'elle protège pourtant) ; et d'autre part, le long désir qu'éprouve Tomoko d'une union officielle avec un homme qu'elle aimerait, et qui lui est sans cesse refusée par ses débuts de geisha (elle ne peut assister que cachée à l'enterrement de son premier protecteur ; elle est quittée par le jeune homme qu'elle aime, et dont la famille refuse une union déshonorante ; elle ne parvient pas à avoir un enfant de l'homme dont, plus âgée, elle sera la maîtresse), et tout cela qui mène l'héroïne à construire une vie qui vaille en elle-même, par des liens plutôt verticaux : cette mère peu tendre, puis, tardivement, un fils adoptif. Je ne suis pas bien douée pour faire la chronique de gros romans bien narratifs, mais celui-ci était chouette, pour la traversée du Japon qu'il propose, et la démonstration assez juste de la déshérence de certaines traditions, ou de leur transformation au contact de la culture américaine puis occidentale. Les Papiers de Jeffrey Aspern, Henry James, trad. Jean-Marie Le Corbeiller, 1929 [1888]. - Spoiler:
J'ai lu la préface à la fin – ce qu'il faut toujours faire ! – et appris que l'anecdote qui sert de canevas à James est bien et bien réelle – on la lui a rapportée, il y a tissé un peu de vécu... ça n'empêche rien. On part, donc, de deux jeunes hommes fans d'un écrivain fictif (probablement inspiré de Byron), Jeffrey Aspern – fan comme peut l'être tout·e lecteur·ice, c'est-à-dire intensément, c'est-à-dire jusqu'à désirer convoiter les plus petites reliques témoignant de la vie de cet écrivain... Quelle n'est alors pas leur joie lorsqu'ils apprennent que la Muse de jeunesse d'Aspern est toujours vivante, américaine nonagénaire retirée dans un palazzo de Venise, en compagnie d'une nièce, dont elles ne sortent presque jamais ! car un être vivant, célébré dans la matière littéraire, et vivant, c'est presque un franchissement diégétique insupportable – d'autant plus que l'on peut supposer que la vieille Muse dispose de... papiers... peut-être des lettres, des brouillons... l'un des jeunes hommes part, et monte une machination pour se faire loger par les deux femmes ; mais l'opération de séduction qu'il monte se retourne contre lui : la nièce, de 50 ans, et donc de deux décennies son aînée, tombe amoureuse. Et c'est là que c'est drôle, tendre et tragique : c'est qu'il est bon notre jeune héros ! Henry James utilise à partir de là tout son talent d'écrivain psychologique ; des mondes se rencontrent, qui se comprennent mal... et rencontre après rencontre, la nièce s'éveille à la ville qui l'entoure. James est cependant délicat : la laideur de la nièce lui est à peine reprochée ; ce qui fait obstacle, c'est, évidemment, l'âge et le quiproquo, n'est-ce pas ? très belle peinture d'une Venise confite dans la poussière et les dorures, pourtant tendre et secrète (moi, la nièce de 50 ans et Venise, c'était pour moi tout comme...) ; et les papiers, objets du désir, semblent peu à peu s'évanouir dans l'été vénitien. Beau. Les Petites vertus, Natalia Ginzburg, trad. Adriana R. Salem, Ypsilon, 2018 [1962]. - Spoiler:
Chez les ami·es, j'aime me faire conseiller une lecture – lecture de voyage, de séjour, conseillée par l'ami·e, point de jonction entre deux univers de goûts. On peut dire que c'était réussi, à Nantes ! Natalia Ginzburg – dont le nom m'était familier en vertu de son fils, Carlo, inventeur de la micro-histoire (et rien d'étonnant à cela quand on a lu quelques textes de la mère !) –, donc, Natalia Ginzburg, déploie dans Les Petites Vertus une série de textes, comme autant de vignettes, autobiographiques. L'immonde préface sexiste de Calvino (on se dit que les éditeurs auraient pu la supprimer ; Calvino est peut-être un nom vendeur, mais franchement... passer si complètement à côté d'une écriture pour cause de sexisme et d'essentialisation de "l'écriture féminine", pouah) dit au moins une chose juste : il y a une écriture des faits, des gestes et des objets, chez cette autrice ; et chaque geste, chaque objet, si minuscules soient-ils, se mettent, en quelques lignes, à irradier de significations complexes, chamarrées ; leçons d'écriture et de concision, ces textes, où deux paires de chaussures trouées viennent dire une longue amitié autant qu'une époque troublée ; où l'évocation d'un petit village rendu à la neige, par ses maisons sombres et son peuple étranger, racontent en trois pages l'exil ; il y a un texte, "Mon métier", qui dit d'une manière formidable ce que je n'aurais jamais su dire de l'écriture, mais que j'aurais voulu tant dire ; il y a aussi un texte magnifique consacré à Pavese, en tant qu'ami – l'art des portraits, tout en nuances, clair-obscurs, c'est quelque chose aussi ; et un portrait de couple, tout de contrastes, qui dit bien ce qu'il y a de cruel dans l'amour, sans jamais porter pourtant de jugement moral sur ces contrastes et cruautés. Amoureuse de cette écriture de magicienne. Civilizations Laurent Binet, Grasset, 2019. - Spoiler:
On me l'a présenté comme une partie du jeu vidéo Civilisation – je n'y ai jamais joué, mais mon amoureux, si, donc je connaissais un peu le principe – et si rien, depuis l'intérieur du texte, ou depuis son paratexte immédiat, ne venait évoquer le jeu vidéo, je me suis prise au jeu : comme contrat de lecture, c'était intéressant. J'ai aimé l'exercice, peut-être parce que je ne suis pas familière du genre de l'uchronie ; ici, à la Renaissance, Christophe Colomb meurt en Amérique sans avoir pu rentrer en Espagne, et c'est l'Inca Atahualpa qui envahit l'Europe et en fait un Empire, le Cinquième quartier. On va un peu au pas de course, au rythme des conquêtes et alliances, des enjeux géopolitiques – on est très loin de la micro-histoire, ici ! – mais on salue le travail énorme de documentation qui a dû être nécessaire à l'auteur pour nourrir son écriture – car dans la bonne uchronie, on doit partir d'une base solide et réelle. On croisera Érasme, Thomas More, Michel-Ange et moult personnalités politiques des deux mondes – et petits jeux de renversements, où c'est le référentiel inca, voire des mots de quechua, qui viennent désigner les réalités d'Europe (le "dieu cloué", le "breuvage noir", "les petits lamas"). On regrette parfois que ce ne soit pas allé plus loin dans le renversement (difficile de créer, peut-être, un autre ethnocentrisme, quand on est occidental·e ?) ; on regrette aussi que ce train d'enfer ne s'arrête pas, quelquefois, sur des scènes de micro-histoire (on aurait aimé mieux voir comment les arts, les traditions vestimentaires ou culinaires se rencontrent !) ; mais la diversité des outils narratifs (chroniques, correspondances, journal de Christophe Colomb, tables de lois...) est très chouette, ainsi que celle des langues. En prenant le jeu vidéo comme pacte de lecture, après tout, ce rythme accéléré, très axé sur les batailles, les réunions d'armées, les alliances, la diffusion des religions, l'annexion de territoires ou les politiques agricoles / commerciales (tout cet or qui arrive de loin !), semble bien celui d'une partie ! beaucoup aimé l'exercice de l'uchronie, en tout cas.
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| | Nombre de messages : 5019 Âge : 34 Pensée du jour : ... Date d'inscription : 06/10/2013 | Érème / /quit Mer 26 Mai 2021 - 0:37 | |
| Oblomov, Gontcharov.
Comment faire un portrait ?
Gontcharov me l'apprend. Il écrit Oblomov comme ces toiles où les traits du visage n'apparaissent que par l'effet d'un incompréhensible mirage que la peinture opère. Mirage ou miracle produit par la matière même de la peinture qui, par lignes et couleurs, défait la vision, m'empêche de voir ce qui est devant moi, pour reconnaître, dans une rêverie, les traits d'un personnage. Oui. Oblomov est un personnage. Mais, puisqu'il ne fait rien, c'est par ce qu'il ne fait pas qu'il m'apparaît. Travail d'épluchage. Personne qui se défait puisqu'il ne peut pas se faire. Formidable appareil où l'écorché ne laisse pas entrevoir ses chairs vives, mais ses pensées avortées, ses gestes inaccomplis, le domaine inexploité de ce qui aurait pu être mais n'est pas. Qui est celui qui n'agit pas ? Personne. Oblomov est un formidable roman, une entreprise bouleversante parce que Gontcharov parvient à inventer un personnage par le néant. Cet Oblomov qui ne fait rien édifie pour moi, lecteur, qui ne fait rien de plus, un territoire du vide où surgit, comme dans la peinture, inexplicablement, le portrait vif, parfaitement incarné, d'un homme qui n'est constitué que de rêves. "Livre du sommeil" disait-il. |
| | | Invité / Invité Ven 9 Juil 2021 - 17:21 | |
| Je commence West with the Night de Beryl Markham. |
| | | Invité / Invité Sam 17 Juil 2021 - 14:33 | |
| Histoire de l'oeil de Georges Bataille C'est cochon-crade, oulala ! |
| | Nombre de messages : 144 Âge : 37 Localisation : Auvergne Date d'inscription : 17/05/2021 | Tocca / Barge de Radetzky Mer 21 Juil 2021 - 21:57 | |
| Après avoir terminé la pentalogie "Le poids des secrets" (Aki Shimazaki) (comment se construisent nos identités autour des trous laissés par les secrets de famille ?), je suis en plein dans "Le Chardonneret" (Donna Tartt) (la souffrance d'un ado face à la solitude après la mort de sa mère y est exprimée avec un talent qui m'époustoufle) |
| | Nombre de messages : 4379 Âge : 29 Pensée du jour : SUR JE DEPUIS 10 ANS C'EST LA FÊTE Date d'inscription : 03/12/2007 | Kid / Un talent FOU Lun 2 Aoû 2021 - 11:20 | |
| Le Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki.
C'est tellement bien. Mais genre, tellement. C'est le genre de bouquin qu'on a envie de relire sitôt qu'on l'a terminé. Ça n'arrive quand même pas si souvent. Et ça tombe plutôt bien étant donné la nature éternellement inachevée du texte, qui existe en plusieurs versions et compositions différentes. Au début du XVIIIe siècle, un jeune officier à cheval sur l'honneur prend la route de l'Andalousie pour y tenir ses fonctions. Perdu dans les montagnes, il y croise des spectres, des princesses musulmanes en exil, un kabbaliste, trois frères bandits, un vieux gitan... Chaque personnage a une histoire à raconter, et dans chaque histoire, une autre histoire, et ainsi de suite jusqu'au labyrinthe le plus total. Escrime, politique, démons, marivaudages et libertinages, on trouve de tout là-dedans. Le rythme ne s'arrête jamais. On ne sait pas où ça va mais on s'en fout. Le texte n'est pas exempt de défauts. Évidemment tous ces virages tortueux, cette panoplie inépuisable de personnages et ces chapitres réécrits ou modifiés au fil des années ne mènent pas vers une fin entièrement satisfaisante. Certains personnages prennent de la place mais ne servent à rien, d'autres sont brillants mais disparaissent du récit brutalement. On sent une écriture indécise, qui change toujours de trajectoire. Pas grave. On se marre bien.
En ce moment c'est Melmoth et Cent ans de solitude. |
| | Nombre de messages : 9994 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Lun 2 Aoû 2021 - 11:29 | |
| | Nombre de messages : 2610 Âge : 124 Date d'inscription : 08/04/2019 | Leasaurus Rex / Terrible terreur Jeu 19 Aoû 2021 - 17:16 | |
| Ces derniers mois ont été riches en lectures. Ce serait trop long de tout noter, il y a eu de bons moments de lecture, comme de beaucoup moins bons, voire de franches rejets, mais je ne vais pas trop m'étaler non plus. Dans mes coups de coeur, je retiens : La maison dans laquelle de Mariam Petrosyan, un livre dense dans la lignée du fantastiques russe, avec une maison-école et ses habitants, le folklore et les fables, le monde enfantin en autarcie, sa violence, sa poésie, sa justesse. Le tout porté par une plume vraiment idéale pour ce projet. Vita Nostra de Marina et Sergeï Dyachenko, un roman perturbant sur la métamorphose de l'adolescent à l'adulte, avec des concepts abscons, et une intrigue qui nous pousse à continuer la lecture pour comprendre en même temps que l'héroïne de quoi il s'agit. Le temps du déluge de Margaret Atwood, un vrai régal, je me suis amusée comme une folle. Un roman post-apo qui ne bouscule pas forcément les codes du genre, mais qui reste diablement efficace. La trilogie Les Livres de la Terre fracturée de N. K. Jemisin. De la Fantasy pour adultes réinventée, une jolie claque. Le premier opus est le meilleur des trois, malheureusement. Nos jours heureux de Gong Jiyoung, un roman tout en justesse et poésie sur le traumatisme et la reconstruction. The Nickel Boys de Colson Whitehead. Alors que je n'ai pas aimé The Underground Railroad du même auteur, je révise ma copie sur ce deuxième roman, qui fait douloureusement écho à une certaine actualité au Canada. Le club des punks contre l'apocalypse zombie de Karim Berrouka. Tout est dans le titre et ça se suffit. Une lecture déjantée, bourrée de références et d'humour. La fin m'a moins plu, même si je comprends où l'auteur a voulu en venir. Il faut flinger Ramirez acte 1 de Nicolas Petrimaux. Un petit délice d'humour et de castagne dans l'Amérique des années 80. Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. Mon préféré jusqu'à présent (après avoir lu Mémoires d'Hadrien, L'oeuvre au noir, et Anna, soror... ), une plume riche, des histoires basées sur du folklore étranger, des univers dans lesquels on se fait embarquer en quelques phrases... Tout ne me plaît pas chez cette autrice, mais quelle leçon de littérature ! En cours : Le ravissement des innocents de Taiye Selasi, Chroniques du Pays des Mères d'Élisabeth Vonarburg et Le carnet d'or de Doris Lessing. |
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