Nombre de messages : 4314 Âge : 26 Date d'inscription : 15/12/2011
Lion piteux/ La Papesse Lun 17 Avr 2017 - 0:30
CORONA
De ma main l’automne grignote sa feuille : nous sommes amis. Nous écalons le temps hors des noix et l’instruisons à marcher : le temps rentre à l’écale.
Dimanche au miroir, on dort dans le rêve, la bouche parle vrai.
Mon oeil descend jusqu’au sexe de l’aimée : nous nous regardons, nous nous disons des paroles obscures, nous nous aimons comme pavot et mémoire, nous dormons comme le vin dans les conques, comme la mer dans le rayon de sang de la lune.
Nous sommes à la fenêtre enlacés, ils nous regardent de la rue : il est temps que l’on sache ! il est temps que la pierre consente à fleurir, qu’au désarroi batte un coeur. Il est temps qu’il soit temps.
Il est temps.
Paul Celan
Nombre de messages : 123 Âge : 26 Date d'inscription : 08/10/2016
Pattrice/ Barge de Radetzky Lun 17 Avr 2017 - 16:43
Magnifique.
Nombre de messages : 879 Âge : 28 Localisation : va voir sur La Carte si j'y suis. Pensée du jour : Lis Sénèque Date d'inscription : 06/10/2013
Aomphalos/ Double assassiné dans la rue Morgue Mar 18 Avr 2017 - 19:01
Citation :
nous nous regardons, nous nous disons des paroles obscures, nous nous aimons comme pavot et mémoire, nous dormons comme le vin dans les conques, comme la mer dans le rayon de sang de la lune.
... !
Nombre de messages : 324 Âge : 47 Date d'inscription : 29/05/2016
pehache/ Tapage au bout de la nuit Mar 18 Avr 2017 - 21:17
Qu'on ne sait rien
La lune ne sait pas qu'elle est calme et clarté Et elle ne sait même pas qu'elle est la lune; Le sable ne sait pas qu'il est le sable. Aucune chose ne sent sa forme avec étrangeté. Rien ne ressemble moins à cette main qui mène Une pièce de bois que les échecs abstraits Ou que la pièce même. Et le destin, qui sait, Notre destin aux brefs bonheurs, aux longues peines, Serait-ce l'instrument d'un Autre ? Pourquoi pas ? Mais on l'ignore. L'appeler Dieu n'aide guère. Vains sont aussi la peur, le doute. Une prière Nous monte aux lèvres, mais elle s'arrêtera. Moi, je serais la flèche ? Un arc est-il possible ? Et cet arc, quel sommet peut-il avoir pour cible ?
J.L.Borges
Nombre de messages : 4656 Âge : 25 Localisation : Paris Pensée du jour : mi-ette Date d'inscription : 22/06/2010
Pasiphae/ Truquage geniphasien Mar 18 Avr 2017 - 22:15
2012. En vol vers New-York – à l'approche du continent le soleil des premiers jours de janvier colore les nuages d'un bleu citronné dont je crois n'avoir jamais vu l'équivalent. Pour obtenir de tels bleus il faut la mer, les nuages, le mois de janvier, un continent, une plaie à vif – et un soleil qui ne recule jamais devant aucun travail, aucune invention, aucune cruauté. Bien que dans une demi-somnolence, je suis en alerte, inquiet. J'ai le livre entier en tête mais rien ne semble allait comme il conviendrait qu'un livre fonctionne. Je le repousse. Ne veux pas de lui, ni lui de moi ; je renverse mon thé et vomis. Confusion. Et surtout honte, violente honte de devoir faire appel à l'hôtesse pour aider à me nettoyer. Je me rends compte que ce livre n'est qu'un tango (du genre de ceux qu'il a fallu être deux pour danser et qui même à deux, ou surtout à deux, demeure solitaire), l'évidence est que mes partenaires n'ont pas arrêté de changer et qu'ils m'ont maintenant tous quitté, les morts indistinctement les vivants, et laissé pour ce que je suis, un étrange étranger qui à toutes choses aura préféré la danse. Solitaire ou non mais obscène, l'injustifiable permanence de ce tango, ma permanence odieuse, cela s'appelle l'écriture et j'en ai la nausée. Comme si les êtres n'étaient bons qu'à être écrit dessus, ai-je seulement su dire que l'amour d'eux me déchire ? Il y a aussi, il y a surtout ceux que l'écriture n'ose aborder, ou qu'elle oserait mais ne peut aborder, et dont précisément, parce qu'elle ne peut parler, elle ne se défera jamais. Je sais que ne perds rien pour attendre, et en effet, le lendemain très tôt, la visite de la prodigieuse rétrospective De Koonig, où les mêmes bleus citrons m'éclaboussent, déclenche un nouvel assaut des deuils, je ne puis rien contenir et le sang innommable de toute ma vie, de toute la mort, afflue dans ma bouche – deuil par rapport auquel ce livre n'est qu'un tissu d'évitements et de leurres. Et les traces de merde, mêlées à celles de rouge à lèvres dans les toilettes des femmes c'est encore pire et plus attirant.
manque, Dominique Fourcade, 2012 (pas précisément des poèmes, mais le livre de ses deuils)
Je n'ai jamais pensé à un poème comme étant un monologue parti quelque part de l'arrière de ma bouche ou de ma main
Un poème se place toujours dans les conditions d'un dialogue virtuel
L'hypothèse d'une rencontre l'hypothèse d'une réponse l'hypothèse de quelqu'un
Même dans la page : la réponse supposée par la ligne, les déplacements, les formats
Quelque chose va sortir du silence, de la ponctuation, du blanc remonter jusqu'à moi
Quelqu'un de vivant, de nommé : un poème d'amour
Même quand l'omission, l'indirection, l'adresse pronominale rendent possible cette translation : qu'un lecteur soit devant la page, devant la voix du poème comme au moment de sa naissance
Ou de sa réception : lecteur lecteur ou lecteur auteur
Ce poème t'est adressé et ne rencontrera rien
Jacques Roubaud
Nombre de messages : 603 Âge : 22 Localisation : atopia Pensée du jour : « seul sage dans un banquet de gens ivres » Date d'inscription : 30/01/2015
rodé/ Hé ! Makarénine Lun 24 Avr 2017 - 20:33
Nombre de messages : 123 Âge : 26 Date d'inscription : 08/10/2016
Pattrice/ Barge de Radetzky Lun 24 Avr 2017 - 20:43
Oh, Roubaud.
Invité/ Invité Lun 24 Avr 2017 - 21:48
Cap au pire, Samuel Beckett
Encore. Dire encore. Soit dit encore. Tant mal que pis encore. Jusqu'à plus mèche encore. Soit dit plus mèche encore. Dire pour soit dit. Mal dit. Dire désormais pour soit mal dit. Dire un corps. Où nul. Nul esprit. Ça au moins. Un lieu. Où nul. Pour le corps. Où être. Où bouger. D'où sortir. Où retourner. Non. Nulle sortie. Nul retour. Rien que là. Rester là. Là encore. Sans bouger. Tout jadis. Jamais rien d'autre. D'essayé. De raté. N'importe. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. D'abord le corps. Non. D'abord le lieu. Non. D'abord les deux. Tantôt l'un ou l'autre. Tantôt l'autre ou l'un. Dégoûté de l'un essayer l'autre. Dégoûter de l'autre retour au dégoût de l'un. Encore et encore. Tant mal que pis encore. Jusqu'au dégoût des deux. Vomir et partir. Là où ni l'un ni l'autre. Jusqu'au dégoût de là. Vomir et revenir. Le corps encore. Où nul. Le lieu encore. Où nul. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore. Ou mieux plus mal. Rater plus mal encore. Encore plus mal encore. Jusqu'à être dégoûté pour de bon. Vomir pour de bon. Partir pour de bon. Là où ni l'un ni l'autre pour de bon. Une bonne fois pour toutes pour de bon.
Nombre de messages : 611 Âge : 25 Pensée du jour : nique ta mère Date d'inscription : 12/09/2016
Mahendra Singh Dhoni/ Slumdog pas encore Millionaire Sam 29 Avr 2017 - 1:05
Kevin
I go on the scooter to buy bread it’s like 10am so I think a bit about god so I think a bit about Kevin I stop in the square and high-five the kids I drink mate they ask me what’s up I think about Kevin I say ah I’m not buying bread I got confused ha bam moron Kevin smiles at me Kevin I smile at you I start up the scooter it’s like ten thirty I buy bread and on the way back I see Kevin by a wire fence then pine-tree road a cow crosses in front it says hi I say hi ten forty the sun’s my friend bam burst tyre what luck I look back Kevin’s coming on a horse it says hi I say hi he gets down I talk to the horse Kevin says it’s burst you got bread? snap I give him bread we sit in the shade the shade’s my friend too a chicken comes it says hi I say hi snap I give it bread bam it takes a smoke out its pocket I say chicken you’re wicked it says thanks great bread Kevin smiles at me Kevin I smile at you ten fifty five building a bonfire the cow goes past here comes the horse the kids go past they don’t stay ten in the morning again awesome time’s going backwards time’s my friend too the grass grows the clouds move Kevin’s my friend I tell him I like your hair he tells me I like your eyes I take his t-shirt off the cow goes the horse goes ten thirty the wicked chicken goes he takes my t-shirt off he undoes my trainers the grass grows the clouds move Kevin smiles at me Kevin I smile at you he takes his trainers off he says I’ll swap you what size are you bam I put my friend’s trainers on like bread I like your jacket I like your horse quarter past ten the sun’s my friend the grass grows the clouds move a god is born it’s raining in the town I see Kevin against a wire fence I talk to god he says go on like this go on like that god is my friend this neighbourhood’s my boyfriend a dirt road hugs me this morning I go back dragging the scooter Kevin laughs at me we’re friends I like his hair I turn two blocks before I turn two blocks after thanks for the trainers he tells me thanks for your hair I tell him.