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| | | Nombre de messages : 775 Âge : 28 Localisation : atopia Pensée du jour : « seul sage dans un banquet de gens ivres » Date d'inscription : 30/01/2015 | rodé / Blanchisseur de campagnes Mar 7 Fév 2017 - 23:12 | |
| FIN DE L'ENFANCE
En grondant s'engouffrait dans la rive courbe une mer palpitante, barrée de sillons, crépue, floconneuse d'écume. Face à l'embouchure d'un torrent débordant le flot jaunissait. Au large viraient des algues enchevêtrées et des troncs d'arbre à la dérive.
Dans la baie hospitalière de la plage, seules quelques maisons de briques anciennes, écarlates, et les chevelures rares des tamaris plus pâles d'heure en heure ; créatures souffreteuses perdues dans l'effroi des visions. Ce n'était pas chose légère à regarder pour qui lisait dans ces apparences suspectes la musique de l'âme inquiète qui ne se décide pas.
De limpides collines encerclaient tout autour rivages et maisons ; revêtues d'oliviers disséminés comme des troupeaux ou ténus comme la fumée d'un hameau faisant voile sur la face blanchoyante du ciel. Entre taches de vignes et de pinèdes se montrait la pierraille nue et l'échine bossuée de coteaux : quand un homme passait là, tout droit sur un mulet, dans le ciel bleu délavé il était imprimé pour toujours — et dans le souvenir.
On n'allait guère au-delà des crêtes toutes proches de ces monts ; même ma mémoire lasse n'ose les franchir. Je sais que des routes couraient au-dessus de fossés encaissés, entre des ronces inextricables ; menant à des clairières, puis entre des ravins, elles s'éloignaient encore vers des recoins moites de moisissures, couverts d'ombres et de silences. Il en est un auquel je repense émerveillé, où tout élan humain apparaît enseveli dans une brise millénaire. Rarement pénètre un souffle de vent jusqu'à ce coin du monde qui en reste stupéfait.
Mais des chemins de la montagne on revenait. Ils donnaient, eux, sur une instable succession d'aspects inconnus mais le rythme qui les gouverne nous échappait. Chaque minute brûlait dans les instants futurs sans laisser trace. Vivre était aventure trop neuve, heure par heure, et le coeur en battait. Il n'y avait ni règle ni sillon fixe ni point de comparaison pour distinguer joie et tristesse. Mais au retour par les sentiers vers la maison, sur la mer, vers l'asile clos de notre enfance ébahie, rapide répondait à chaque mouvement de l'âme un accord extérieur : les choses se revêtaient de noms, notre monde avait un centre.
Nous étions à l'âge virginal où les nuées ne sont ni chiffres ni signes mais de belles soeurs qu'on regarde voyager. Issue d'une autre semence, nourrie d'une autre sève que la nôtre, bien faible, nous semblait la nature. En elle l'asile, en elle le regard extasié ; elle, le prodige que ne rêvait pas, ou guère, d'atteindre notre âme pleine de confusion. Nous étions dans un âge d'illusions.
S'envolèrent des années courtes comme des jours, toute certitude s'engloutit dans une mer florissante et vorace qui désormais donnait leur aspect incertain aux tamaris tremblants. Une aube dut surgir qu'un rai de lumière sur le seuil luisant nous annonçait comme une ondée ; et certes nous courûmes ouvrir la porte grinçant sur le gravier du jardin. L'illusion fut manifeste. De lourds nuages, sur la mer trouble bouillonnant d'embruns, aussitôt se montrèrent. Dans l'air était l'attente d'un événement impétueux. Elle s'éloigne aussi, la contrée de l'enfance qui explore une cour choisie comme un monde ! Pour nous aussi venait l'heure des enquêtes. L'enfance était morte dans une ronde.
Ah jouer aux cannibales dans les roseaux, avoir des moustaches de palme, ramasser, quel délice, les douilles tirées ! Il s'envolait, le bel âge, comme les petits bateaux au ras de la mer, à toutes voiles. Certes nous regardions muets dans l'attente de la minute violente ; puis dans le calme feint sur l'eau qui se creusait dut se lever un vent.
Eugenio Montale, Os de seiche
(D'un bout à l'autre ce recueil me ravit !) |
| | | Invité / Invité Mer 8 Fév 2017 - 0:11 | |
| | Nombre de messages : 775 Âge : 28 Localisation : atopia Pensée du jour : « seul sage dans un banquet de gens ivres » Date d'inscription : 30/01/2015 | rodé / Blanchisseur de campagnes Mer 8 Fév 2017 - 0:14 | |
| un grand merci pour la découverte |
| | Nombre de messages : 2493 Âge : 20 Date d'inscription : 17/05/2010 | art.hrite / Chantre brahmane ज्ञानयोग Mer 8 Fév 2017 - 2:47 | |
| | Nombre de messages : 1175 Âge : 32 Date d'inscription : 08/10/2016 | Pattrice / Effleure du mal Mer 8 Fév 2017 - 10:00 | |
| Oui c'est très beau !!
Sonnet V
Ronsard si tu as su par tout le monde épandre L'amitié, la douceur, les grâces, la fierté, Les faveurs, les ennuis, l'aise et la cruauté, Et les chastes amours de toi et ta Cassandre,
Je ne veux à l'envi pour sa nièce, entreprendre D'en rechanter autant comme tu as chanté, Mais je veux comparer à beauté la beauté, Et mes feux à tes feux, et ma cendre à ta cendre.
Je sais que je ne puis dire si doctement, Je quitte de savoir, je brave d'argument, Qui de l'écrit augmente ou affaiblit la grâce.
Je sers l'aube qui naît, toi le soir mutiné, Lorsque de l'Océan l'adultère obstiné, Jamais ne veut tourner à l'Orient sa face.
Agrippa d'Aubigné, Hécatombe à Diane. |
| | Nombre de messages : 775 Âge : 28 Localisation : atopia Pensée du jour : « seul sage dans un banquet de gens ivres » Date d'inscription : 30/01/2015 | rodé / Blanchisseur de campagnes Mer 8 Fév 2017 - 13:29 | |
| houu j'aime beaucoup Pattrice!
encore deux du recueil Os de seiche qui me parlent beaucoup en ce moment (et promis après j'arrête d'inonder le topic...)
Bonheur atteint, par toi on marche sur le fil d'une lame. Aux yeux tu es lueur qui vacille, au pied, étendue de glace qui se fêle ; qui t'aime le plus ne te touche donc pas.
Si tu surviens dans les âmes envahies de tristesse et les éclaires, ton matin est doux et troublant comme les nids sous les toits. Mais rien ne rachète les pleurs de l'enfant dont entre les maisons le ballon s'envole.
PORTOVENERE
Là surgit le Triton des flots qui lèchent les marches d'un temple chrétien, et chaque heure à venir est ancienne. Toute incertitude se conduit par la main comme une fillette amie.
Là nul qui se regarde ou se tienne à l'écoute de soi. Ici tu es aux sources et décider n'a pas de sens : tu repartiras plus tard pour prendre un visage. |
| | Nombre de messages : 1175 Âge : 32 Date d'inscription : 08/10/2016 | Pattrice / Effleure du mal Mer 8 Fév 2017 - 14:37 | |
| Oh non, continue à poster ! Maurice Scève. |
| | Nombre de messages : 10017 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mer 8 Fév 2017 - 15:25 | |
| le topic est vivant lorsqu'il est inondé Les vers naissent comme les étoiles et les roses, Comme la beauté dont la famille ne veut pas Et aux couronnes et aux apothéoses — Une seule réponse : mais d’où me vient cela ? Nous dormons — et à travers les dalles de pierre, De l’hôte céleste percent les quatre pétales. Sache-le, ô monde ! Le poète découvre dans ses rêves La formule de la fleur et la loi de l’étoile. Marina Tsvétaïeva 14 août 1918 Insomnie |
| | Nombre de messages : 775 Âge : 28 Localisation : atopia Pensée du jour : « seul sage dans un banquet de gens ivres » Date d'inscription : 30/01/2015 | rodé / Blanchisseur de campagnes Mer 8 Fév 2017 - 15:32 | |
| | Nombre de messages : 1509 Âge : 29 Localisation : entre deux fleuves Pensée du jour : “Dure, afin de pouvoir encore mieux aimer un jour ce que tes mains d'autrefois n'avaient fait qu'effleurer sous l'olivier trop jeune.” Date d'inscription : 01/10/2010 | Roman russe / Roland curieux Mer 8 Fév 2017 - 20:21 | |
| FIN DE L'ENFANCE est magnifique. Je suis... pffff, faut que je lise dès maintenant, merci merci merci de cette découverte. (Et Tsvétaïeva qui passe dans un rêve... je suis gâtée chaque fois que je viens ici.) |
| | | Invité / Invité Mer 8 Fév 2017 - 20:26 | |
| j'aime beaucoup aussi, surtout Dahlia Ravikovitch ! Merci pour ces jolies découvertes |
| | Nombre de messages : 3704 Âge : 26 Date d'inscription : 15/11/2015 | Noxer / Au nom de l'Abeille – Et du Papillon – Et de la Brise – Amen ! Mer 8 Fév 2017 - 22:06 | |
| Feuille après feuille, nous le voyons, tombent Les feuilles, ô Chloé, toutes les feuilles. D'ailleurs plus tôt que pour elles, pour nous Qui savons qu'elles meurent. Ainsi, Chloé, ainsi L'amour, avant le corps auquel nous recourons Pour lui, vieillit en nous, Et nous, tous différents, ne sommes, bien que jeunes, Rien qu'un mutuel souvenir. Ah, si ce que nous sommes ne peut être jamais que cela, Si rien qu'une heure est ce que nous sommes, Avec tant de furie et tant d'excès en chaque étreinte Serrons bien notre vie à bout de souffle, Que la mémoire en soit gorgée : embrassons-nous Tout comme si, à la fin du baiser Unique, en ruines devrait s'écrouler, subite Énorme, la masse du monde mort. Pessoa encore, odes éparses (ricardo reis) ps très beau eugenio montale |
| | Nombre de messages : 2493 Âge : 20 Date d'inscription : 17/05/2010 | art.hrite / Chantre brahmane ज्ञानयोग Mer 8 Fév 2017 - 22:21 | |
| Noxer c'est un de mes préférés du recueil je l'ai même peut-être déjà cité quelque part ici |
| | Nombre de messages : 2493 Âge : 20 Date d'inscription : 17/05/2010 | art.hrite / Chantre brahmane ज्ञानयोग Mar 21 Fév 2017 - 14:52 | |
| NOCTURNE
La colline est nocturne, dans le ciel transparent. Ta tête s'y enchâsse, elle se meut à peine, compagne de ce ciel tu es comme un nuage entrevu dans les branches. Dans tes yeux rit l'étrangeté d'un ciel qui ne t'appartient pas
La colline de terre et de feuillage enferme de sa masse noire ton vivant regard, ta bouche a le pli d'une cavité douce au milieu des collines lointaines. Tu as l'air de jouer à la grande colline et à la clarté du ciel : pour me plaire tu répètes le paysage ancien et tu le rends plus pur.
Mais ta vie est ailleurs. Ton tendre sang s'est formé ailleurs. Les mots que tu dis ne trouvent pas d'écho dans l'âpre tristesse de ce ciel. Tu n'es rien qu'un nuage très doux, blanc qui s'est pris une nuit dans les branches anciennes.
C. Pavese, Travailler fatigue. |
| | | Invité / Invité Mar 21 Fév 2017 - 14:59 | |
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