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 Le métier à tisser

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RuthW
   
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RuthW  /  Petit chose


Ici pour les commentaires.

Fil 1

J'ai tiré le fil. Il est venu.

Dans le tissus qui restait, il n'y avait presque pas de trou. Le fil n'avait laissé qu'un léger interstice entre deux motifs, ça ne se voyait presque pas. J'avais bien tiré.

C'était un fil rouge, de bout en bout. Il devait faire un mètre de long, pas davantage, et on voyait que c'était un fil de bonne facture, qui avait l'air de venir des fabriques de Venise, celles dans lesquelles on faisait des tapis en laine qui concurrençaient les tapis persans.

Tout ce que je pouvais accrocher avec ce fil. Tout ce que je pouvais attacher. Tout ce que je n'arriverais pas à défaire, si je serrais bien les noeuds. Petite, je savais faire des tresses à quatre brins. Je croyais que c'était moi qui avais inventé la méthode, mais un jour j'ai vu cette tresse dans les cheveux d'une étudiante allemande, et j'ai compris que je n'avais rien inventé du tout. Que ce que je croyais venir de moi existait déjà ailleurs (et peut-être aussi tout près, mais je ne l'avais pas vu), et que c'était, comme toujours, une Rhénane à la peau verte qui en avait le secret.

Je n'attacherai rien, avec ce fil. J'inventerai juste la tresse vénitienne à qui il servira de ruban.
 
RuthW
   
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Fil 2

Je ne suis pas la seule, à être obnubilée par les Rhénanes. À en être fascinée, et, surtout, à vouloir savoir si leur peau verte a la même texture que le corps des poissons.

Peau verte et verre brisé - éclat de rire
Peau verte et liberté - Rosa, Rosae
Un jour j'ai écrit l'histoire d'un ingénieur des voies publiques - ou des chemins de fer, je ne sais plus. Presque mort, lui aussi, d'avoir aimé une Loreleï aux cheveux tressés. Le chant des sirènes est bien pâle à côté.

À Venise, pas de peau verte - même si des poissons, ça oui, il y en a. Gravés jusque dans les églises. J'ai cherché des Rhénanes dans la lagune, mais je n'en ai pas trouvé. Les Rhénanes disparaissent toujours, elles filent, mais quand on les cherche ailleurs, on ne les trouve pas.
 
RuthW
   
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Fil 3

Elle écrivit au petit-neveu Bonsentier, qui lui apprit qu’il serait de retour bientôt, et confiait la maison à ses bons soins en attendant. Il arriva plusieurs mois plus tard, échevelé et l’air hagard, au début de l’année 1932. Dans le récit de sa vie qu’il fit à Jeanne ce soir-là se mêlaient des rails et des moteurs, des hommes aux yeux bleus et des femmes aux hanches larges, il parla de sable, de voiles, de miel, il raconta les parfums, les sons, les montagnes aux neiges éternelles et les lacs paisibles, il pleura Prague et Sofia, il vanta Bruxelles et s’émut pour Amsterdam, il manquait de chocolat et avait envie d’hydromel, il dépeint Paris et la gare d’Austerlitz, Strasbourg et la cathédrale, et tout semblait défiler devant ses yeux comme un portique pour enfant dont il serrait quelque fois un élément entre ses doigts. Il avait traversé les Balkans, avait pris le bateau pour l’Italie, avait séjourné à Rome, traversé les Alpes, était revenu à Lyon. Il ne savait plus très bien quand. Longtemps il pleura celle qu’il avait aimée et qu’il avait perdue, et toujours quand Jeanne me racontait cela je pensais aux Rhénanes d’Apollinaire, et j’imaginais de belles femmes à la peau blanche et aux cheveux verts qui plongeaient dans le Rhin des soirs de liqueur, et le petit-neveu Bonsentier pleurer et gémir sur la berge de ne pouvoir rejoindre celle qu’il aimait tant. Plus tard, je lus un jour que le rivage était, peut-être, le plus grand témoignage de l’amour et de son impossible accomplissement, et je pensais à Orphée et Eurydice. J’ai toujours pensé à Orphée quand je me remémorais l’histoire du jeune Bonsentier, et je me demandais sur quelle Loreleï il avait voulu se retourner.

Peau blanche et cheveux verts. Ce n'était pas les mêmes.
 
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Fil 4

Il ne fallait pas s'y perdre. Les Rhénanes sont nombreuses, et il y en a de toutes sortes. On peut essayer de les appeler, mais elles ne viennent pas toujours. C'est peut-être ce qu'avait essayé de faire le jeune Bonsentier, mais son cri devait être un filet de voix. Un fil ténu, qui reste au fond de la gorge. Un peu comme des bulles d'air dans l'eau que l'on s'apprête à faire bouillir, mais qui ne bout pas encore.

Jeanne, ce soir-là, l’accompagna dans sa tristesse une verveine à la main, car elle n’avait rien d’autre, depuis des mois pourtant qu’elle s’occupait seule du domaine. Elle apprit son nom, Hervé. Hervé de Bonsentier. Ce nom m’amusait un peu, car là même, le petit-neveu de Mathilde de Bonsentier ressemblait à Orphée. Souvent, seule le soir dans mon lit au Bon Sentier, je m’amusais à répéter plusieurs fois son prénom et à dériver lentement vers Orphée, puis à faire la même chose dans l’autre sens.

Hervé
Hervé
Hervé
Herphé
Herphé
Horphé
Orphée
Orphée
Orphée
 
RuthW
   
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Fil 5

Les Rhénanes auraient aimé Venise, je crois. Elles n'auraient pas manqué d'eau, et puis elles sont curieuses, elles auraient eu de quoi voir.

Moi je n'aurais pas osé les approcher, pourtant j'aurais aimé, tellement. Pas forcément pour leur parler, surtout pour les regarder. Mais j'aurais eu peur de les attirer dans un filet : il y en a, à Venise, des filets. Sur la berge, j'espérais que les poissons passaient entre les mailles.

Je n'attacherai rien avec mon fil rouge. Ce serait un fil libre : il n'attacherait personne.
 
RuthW
   
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RuthW  /  Petit chose


Fil 6

On ne sait jamais ce que jouait le joueur de flûte d'Hamelin.

Pour se souvenir de lui, il faut le tirer de l'enfance. Il faut le tirer de loin : d'un livre d'images, où des personnages bien dessinés portaient des tenues médiévales - longues chevelures blondes, tentures de fils rouges, étoffes vénitiennes vendues dans l'Empire. Tout y était, pourtant.

On ne sait même pas où est Hamelin, au fond. On sait juste que c'est une cité infestée de rats, et que le joueur de flûte, cet Orphée des bas-fonds, au lieu des arbres et des pierres, envoûtait les rongeurs.

En fait, il chante faux. S'il souffle dans sa flûte, c'est que même sa voix est terrible à entendre. Les rats l'aimaient, pourtant, et ils l'ont suivi, jusqu'à la Weser, où on raconte - traditur - qu'ils se sont noyés. Le joueur de flûte, lui, n'a rien pu y faire : les rats voulaient rejoindre la rivière.

Revenu en ville, sa voix n'avait pas changé :
à défaut des rats, c'est lui qu'on voulût chasser.

Il partit. On l'oublia.

Le fil, pourtant, ne s'arrête pas là. Il dit encore que la nuit, les rats se transformèrent en jeunes femmes, que leur peau était verte - ou alors leurs cheveux. Les rats d'Hamelin étaient son âme. La ville, sans eux, avait perdu ses Rhénanes.
 
   
    
                         
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