"Je suis retourné au bar de la rue Bucareli, mais les réal-viscéralistes ne se sont pas manifestés. En les attendant, je me suis mis à lire et à écrire. Les habitués du bar, une poignée d'ivrognes silencieux et plutôt patibulaires, ne m'ont pas quitté des yeux.
Résultat de cinq heures d'attente : quatre bières, quatre tequilas, une assiette de
sopes dont j'ai laissé la moitié (ils étaient presque pourris), lecture complète du dernier recueil de poèmes d'Álamo (que j'avais apporté exprès pour me moquer de lui avec mes nouveaux amis), sept textes écrits à la manière d'Ulises Lima (le premier sur les
sopes qui sentaient le cercueil, le deuxième sur l'université : je la voyais détruite, le troisième sur l'université : je courais nu au beau milieu d'une foule de zombies, le quatrième sur la lune de Mexico, le cinquième sur un chanteur mort, le sixième sur une société secrète qui vivait sous les cloaques de Chapultepec, et le septième sur un livre perdu et sur l'amitié) ou plus exactement à la manière du seul poème d'Ulises Lima que je connais et que je n'avais pas lu mais entendu, et une sensation physique et spirituelle de solitude.
Deux ivrognes ont essayé de me chercher des noises, mais malgré mon âge j'ai assez de caractère pour tenir tête à n'importe qui. Une serveuse (elle s'appelle Brígida, j'ai su, et elle disait qu'elle se souvenait de moi depuis la nuit que j'avais passée là avec Belano et Lima) m'a caressé les cheveux. Une caresse comme involontaire, en allant s'occuper d'une autre table. Ensuite elle s'est assise un long moment avec moi et a insinué que j'avais les cheveux trop longs. Elle était sympathique, mais j'ai préféré ne pas lui répondre. A trois heures du matin je suis rentré à la maison. Les réal-viscéralistes ne se sont pas manifestés. Est ce que je ne les reverrai plus ? "
4 novembre 1975, Garcia Madero