« Avis favorable. »
Je lisais encore et encore le papier officiel sans y croire. J'avait enfin mon permis, après trois tentatives ! Mes premières pensées allèrent directement vers mes parents. Ils allaient être tellement enthousiastes et fiers ! Moi, Cléo Ménèl, 20 ans, j'avais mon permis !
J'étais si pressée de leur annoncer que je commençai à sortir de l'auto-école lorsque ma monitrice m'arrêta :
« -Attend deux minutes ! Je sais que tu es contente mais quand même! Tout d'abord, je te félicite. Ensuite, sache qu'en attendant d'avoir reçu ton permis chez toi, tu peux quand même conduire grâce à ce papier de l'inspecteur. D'accord ?
-Ok, super !
-Bon, hé bien Cléo, il ne me reste plus qu'à te souhaiter une bonne continuation et surtout, fais attention sur la route.
-Merci ! Au revoir ! »
C'est en courant que je me rendis jusqu'à mon vélo tout en rangeant soigneusement le papier officiel dans mon sac. Habituellement, le trajet du village où se trouvait mon auto-école jusqu'à chez moi était pénible, surtout après deux bonnes heures de leçons. Les montées étaient nombreuses et les voitures également. Mais cette journée-ci, je me sentais pousser des ailes. C'était la dernière fois que je faisais ce chemin en vélo et j'en étais ravie !
Après un voyage d'une heure environ (une demi-heure de moins que généralement), je franchis enfin la porte de ma maison, un sourire fier ornant mon visage. Mes parents étaient tous deux confortablement installé dans le divan tronant au bout de la pièce, entouré par bibliothèques et fauteuils, occupés à remplir leur énième grille de mots croisés.
Sans lever les yeux de son loisir, Mylenn, ma mère, demanda :
« -Alors ?
-Ben...Je l'ai eu ! »
La joie se faisait entendre dans ma voix alors que je scrutais mes deux parents, impatiente de connaître leur réaction. Qu'allaient-ils me dire ? Combien de fois allaient-ils me prendre dans leur bras ? Peut-être même recevrais-je des sous ou autre chose en cadeau ! Mais je n'eus pas le temps de faire d'autres prédictions que j'entendis leur réponse.
« -Il était temps. »

Citation :

La bibliothèque et ses étagères remplies de volumineux ouvrages à la reliure dorée, avait toujours constitué un refuge agréable pour le cadet de la famille Langier. Combien de fois avait-il préféré la compagnie d’hommes savants passés à la postérité, à celle de ses contemporains ? Perdu dans ses revus médicales, submergé par des articles universitaires, il se sentait en sécurité, protégé par un cocon protecteur à l’odeur ancienne de parchemin. Car depuis qu’il étudiait avec acharnement l’organisation alambiquée du corps humain et les moyens de lui faire recouvrir la santé, Thomas Langier ne s’était jamais senti aussi vivant. Habile observateur de la mécanique physionomique qui habitait les hommes, il s’était aperçu que c’était en soignant les autres, ou du moins en tentant de le faire, qu’il prenait pour de bon sa vie en main.
Coincé entre « Le Journal des Savants » et l’imposant volume « De humani coporis fabrica », il n’avait plus qu’à s’abandonner à être lui-même. En pareille compagnie, il n’était plus forcé de prétendre, non sans hypocrisie, un profond amour pour le commerce ou la politique. Matières qui lui semblaient lointaines et passablement inutiles mais qui occupaient pourtant une place de choix dans les intérêts d’Arsène Langier, l’un des armateurs les plus prisés du Royaume de France et qui, par un curieux hasard, lui tenait lieux de père. En effet, il lui semblait qu’il n’avait hérité de son géniteur qu’un nom auréolé de prestige et une fortune au moins égale. Assis dans un confortable fauteuil, Thomas songea que les murs de cette pièce lui permettaient également de se protéger des faux-semblants et autres bavardages intempestifs que proférait sa mère. Bien qu’il lui soit attaché, il redoutait chacune de ses visites car elles étaient systématiquement accompagnées d’observations insidieuses, plus tranchantes encore que la lame meurtrière d’une rapière. La maîtresse de maison aimait porter tantôt le masque de la bonne mère, tantôt celui de la vipère quoique les deux lui aillent à ravir.
Voilà plusieurs heures le studieux s’acharnait à la lecture d’un traité évoquant les différentes techniques de ligatures des artères effectuées à la suite d’une amputation. Fatigué, il se hasarda à contempler quelques instants le mur qui lui faisait face en espérant ainsi calmer le feu qui rongeait ses yeux. Le tintement des menues aiguilles qui ornaient le cadran d’une horloge vient interrompre cet instant de douce rêverie.
Découvrant avec horreur que midi n’allait plus tarder à sonner, l’étudiant réprima un soupir en songeant qu’il devait maintenant quitter son ouvrage. Il allait donc abandonner pour quelques heures, qui se mueraient en d’interminables minutes d’agonie, ses précieux documents. Il allait devoir quitter le monde de la connaissance pour migrer vers la salle à manger où il devrait affronter les conversations d’une platitude des plus agaçantes. Dans une seconde de lucidité, Thomas décida donc de réserver le prochain chapitre à des moments plus favorables durant lesquels il pourrait allègrement se laisser aller à délecter ce petit chef-d’œuvre d’érudition, seul et égoïstement.

Citation :

Ce n’était même pas le dj habituel du vendredi soir, ça aurait du me choquer. Les enchainements étaient vraiment lamentables, et surtout, il passait de la musique des années 90 alors que le thème c’est 80. Non que je sois un psychorigide, un monomaniaque, un Sheldon éthylisé, mais là faut pas se foutre de la gueule du monde. Qu’est ce que vous êtes en train de foutre du Blast, ça devient n’importe quoi. Je condamne, je dénonce fermement et je me prends une autre bière pour mieux ruminer, m’engueuler moi-même. Savourer ma déchéance et mon pire plan loose de ma jeune carrière d’oiseau de nuit. J’en rigole tout seul, je suis saoul, je suis fou.
Et on rit à coté de moi, et on rit de moi. Je me retourne… Ce n’est rien d’autre qu’une Elle que je croyais avoir oublié. Que Satan. Non j’exagère. Que Lise. Une de mes ex préférées, une de celles que j’ai le plus haï. La quintessence de l’amour-passion, de l’amour-poison. Elle avait pourtant quitté la ville, et pourtant, vu la soirée, je ne suis même pas surpris de la retrouver là. Faut dire que ce soir j’ai ouvert la boite de pandore en descendant dans la cave aux fantômes.
Ô toi ma Lise, ma garce, ma salope, ma pute rousse, mon ordure. Ô toi la plus tendre de toutes mes haines, qui a des mois durant labouré mes tripes comme un champ pour y planter tes graines empoisonnées. Toi qui as fui un matin avec mes testicules et mon amour-propre bien au chaud dans tes valises. Partons ensemble ce soir, ne serait ce que pour faire 50 mètres, fuyons ce lieu de perdition, ils ont transformé le Blast en ante-enfer, en vestibule, en purgatoire. Filons et vite, il en va du salut de notre âme. Dehors, je t’égorgerai ou je t’aimerai, c’est fonction des évènements, mais sors moi de cette soirée, sauve moi.